Lire le numéro Élections 2018 – Le tournant

Rome, le 21 décembre 2018, début de l’hiver

Mon cher Robert,

Je viens tout juste de terminer votre numéro remarquable intitulé « Le tournant» (L’Action nationale, Juin-Septembre 2018). Constitué de plus d’une douzaine d’articles, tous fort bien documentés, il se termine avec une pièce de bravoure signée Lucia Ferretti, un « Bilan de quatre ans de gouvernement Couillard », très bien fait et où j’ai appris énormément de choses.

Dès le départ, le premier collaborateur de ce document exceptionnel rappelle qu’il y a une nette distinction à faire à l’endroit de la période de recherche du déficit zéro de 1996-2000, qui n’a pas exclu la mise en vigueur de politiques sociales-démocrates, de la période 2014-2018, période Couillard caractérisée par des coupures sèches dans ce qui soutient l’ossature de l’Etat du Québec. Yves Vaillancourt, de l’UQAM, fait référence à une douzaine de politiques sociales-démocrates innovantes instaurées sous le gouvernement de Lucien Bouchard, ce qui ne s’est nullement produit sous le gouvernement Couillard. Utile enseignement !

Micheline Labelle réussit également une belle performance en décortiquant le cheminement des politiques de l’Immigration au Québec depuis 1968, en ciblant les changements aux politiques d’intégration. Cela est fort éclairant. Il reste à compléter cela en considérant les volumes globaux d’immigration au fil de ces cinq décennies, en caractérisant l’une et l’autre de ces décennies. Car il reste à constituer le tableau complet de l’immigration au Québec depuis 1968. Comment a-t-on évolué, en termes globaux, pour mettre notre nation en danger au terme de ces 50 ans ?

De même l’article de Simon-Pierre Savard-Tremblay sur ce qu’il appelle la « dissolution de Québec Inc » est saisissant. J’ai apprécié son effort de cerner comment la Caisse de dépôt en est venu à incarner ce qu’il appelle « la Caisse de la dépossession ». Quel triste bilan que celui des périodes des gouvernements Charest et Couillard ! De 1996 à 2007, écrit-il, « le poids relatif des investissements… de la Caisse au Québec est passé de 46,40 pour cent à 16,94 pour cent ».

La Caisse a laissé partir Alcan, Abitibi-Consol, Domtar, Provigo, Rona, cette liste n’étant pas exhaustive, vers d’autres cieux, les bras croisés sous les mandements de MM. Charest et Couillard. Cela a été vrai sous la présidence du conseil de Pierre Brunet, nommé par son ami Jean Charest en 2004, sous la direction de Michael Sabia, nommé par le même et venu, lui, du Conseil privé de la reine à Ottawa, en 2009, pour changer le cours de notre principale institution financière. A mon avis, cette histoire de la Caisse de dépôt reste à écrire avec ses avatars, pour ces cinquante ans, dont les 15 à être dirigée contre la volonté des Québécois.

Frédéric Lacroix a raison en annonçant : « Nous avons changé d’époque ». Il indique bien que « la place qu’occupe l’anglais au primaire et au secondaire dans les écoles françaises au Québec a augmenté de façon spectaculaire au cours des 15 dernières années ». Et bien sûr au cégep et à l’université, c’est la Bérézina. Il rappelle dès lors l’objectif du docteur Laurin : « L’idée derrière la Charte était de faire du français la “langue commune” de tous les habitants du Québec. Cela n’est jamais vraiment arrivé ». Bien sûr, on a plutôt atteint le contraire de l’objectif recherché en 1976.

Louise Mailloux explique bien pour sa part que nous n’obtiendrons pas la laïcité au Québec sans l’indépendance, autrement dit sans le remplacement par une république de cette monarchie qui est par définition un Etat religieux.

Mais, le bilan le plus remarquable, c’est celui dressé sur 75 pages sur l’action du gouvernement Couillard, il saisit de surprise le lecteur avec sa vue claire et panoramique. C’est comme une gifle. On ne voyait pas les choses aussi clairement avant ce portrait magistral. L’examen minutieux du « démembrement de l’Etat québécois » sur quatre ans par Lucia Ferretti est un travail novateur. Son relevé des mesures économiques qui ont affaibli l’Etat québécois en est effarant. C’est de l’ordre de ce qu’a fait Stephen Harper au niveau canadien, mais on ne s’en rendait pas compte et c’est pire au Québec, parce que l’Etat québécois est ce qui maintient en vie la culture québécoise. On comprend ainsi pourquoi la culture québécoise est mourante.

Point suprême, c’est le chapitre intitulé « Les Attaques contre la nation et la cohésion nationale ». Notamment la stratégie de la mollesse de l’Etat pour défendre la loi 99 sur le droit du peuple québécois à l’autodétermination, puis dans la foulée la non-défense honteuse de notre code civil. Cette universitaire exceptionnelle relève les progrès du combat contre un Québec français par le gouvernement Couillard et l’accession au statut prédominant des institutions anglaises qui ont connu une progression fulgurante à Montréal. Elles détiennent désormais le statut privilégié, comme après la Guerre de Conquête.

Le résultat de cette nouvelle défaite, c’est l’attaque de nos institutions culturelles à l’échelle du Québec, à l’occasion de la recherche de l’atteinte du déficit zéro sous Philippe Couillard. Le traitement privilégié des institutions des Anglais au Québec devient à ce moment-ci une affaire d’Etat. Ce sera le combat à engager pour les Québécois, car Montréal n’est plus une ville française.

Ce gouvernement Couillard a mené un combat sans merci contre un Québec français, écrit Lucia Ferretti. Son essai le démontre d’une manière incontestable. Qu’elle en soit vivement remerciée.

A mon avis, ce travail devrait maintenant être élargi à la période de Jean Charest pour bien noter les distinctions entre les deux périodes et voir à quel point depuis 2004, la Révolution tranquille a été déconstruite méthodiquement au Québec. Jean Charest et Philippe Couillard, c’est le contraire de Jean Lesage. Ils ont instauré deux gouvernements conservateurs. Je verrais bien ces deux bilans être réunis à la fin en un livre manifeste ! Bravo !

Salutations amicales,

Jean Chartier