Louis Cornellier
Une affaire de sens. Essais sur la littérature et la transcendance
Montréal, Médiaspaul, 2022, 165 pages
Louis Cornellier est un des seuls chroniqueurs au Québec qui écrit hebdomadairement sur les nouveaux essais, surtout ceux édités au Québec. La rareté de tels chroniqueurs en dit malheureusement long sur le Québec et sa vie intellectuelle. Du fait cette situation qui fait de Cornellier une perle rare, il va sans dire que les lecteurs d’essais lisent avec bonheur ses chroniques dans Le Devoir chaque samedi.
Mais Cornellier ne fait pas seulement figure d’observateur et de critique, il prend aussi part à la vie de l’esprit en ayant plusieurs essais à son actif. Dans son plus récent, Une affaire de sens, il nous propose un recueil d’une vingtaine de textes qui portent sur la transcendance. Pour chacun de ces courts textes, le professeur au collégial s’inspire de différentes œuvres littéraires ou musicales.
Ses réflexions prennent autant racine dans les œuvres d’écrivains classiques comme Molière ou Tolstoï, autant il puise aussi dans la littérature contemporaine, avec Houellebecq et Reza, et dans la québécoise avec Roy et Leclerc. Cornellier ne se prive pas, il lit de tout, ou à peu près.
L’une des premières réflexions qu’a le lecteur en parcourant cet ouvrage est qu’il aurait aimé écrire ce livre. Pour la grande majorité des lecteurs, nous enfilons les lectures les unes après les autres, mais nous y réfléchissons peu. Pour certains, ils peuvent en discuter quelque peu avec des amis ou avec leur compagne de vie. Pour d’autres, ils doivent se contenter de lire une critique ou d’écouter une courte entrevue pour approfondir leur réflexion.
C’est peu, mais en termes de critique littéraire au Québec, on doit se contenter de ce qu’on a, semble-t-il. Mais en lisant le livre de Cornellier, on se rend bien compte qu’il y a quelque chose de beaucoup plus rigoureux à mettre sur papier ses réflexions. Nos pensées perdent de leur approximation et se raffinent. En prenant le temps d’y réfléchir, car c’est surtout ça que nous permet l’écriture, de prendre le temps, c’est de comparer l’œuvre avec d’autres, de se demander ce qu’elle a à nous dire sur notre vie ou encore de la critiquer au-delà d’un simple « j’aime » ou « je n’aime pas ».
Transcendance
Nous le disions d’emblée, Cornellier aborde la question dans son ouvrage de la littérature et de la transcendance. Dès l’introduction, l’auteur explique, en citant André Malraux, que l’homme de notre époque a délaissé les valeurs religieuses et que la tâche de trouver « la raison d’être de l’Homme » (p. 10) doit être renouvelée. La transcendance a été expulsée de nos vies, il n’y a plus d’autorité suprême qui indique le sens de la vie, c’est-à-dire sa direction, sa signification et son objectif. La tâche qui nous incombe est de retrouver ce sens.
En fait, par souci de précision, il faut dire qu’il y a toujours une autorité même lorsque l’on croit qu’il n’y en a pas. Cornellier la voit dans le consumérisme de l’époque qui s’observe dans les centres commerciaux, les incessants voyages, etc. Cette autorité manque pourtant en profondeur et en hauteur. On ne peut s’en contenter.
Le chroniqueur au Devoir appelle donc à trouver cette transcendance dans la culture en générale et la littérature en particulier. Cornellier résume sa vision de la transcendance alors qu’il cite les pensées de Saint-Exupéry sur la question : la culture est la « seule à même de donner du sens à la vie humaine » (p. 24). C’est dans la culture qu’on peut trouver du sens, qu’on peut partager des référents avec d’autres, qu’on peut tisser des liens pour faire société.
Verticalité
Dans cette idée de transcendance, il y a évidemment celle de verticalité. En faisant référence au Bourgeois gentilhomme de Molière, Cornellier explique que les bourgeois de l’époque étaient conscients de la verticalité nécessaire à une société. Dans le récit, Monsieur Jourdain est en quelque sorte gêné de ne pas maîtriser le latin, mais mentira en prétendant connaître cette langue.
Jourdain ment donc sur ses connaissances afin de mieux paraître en société. Cornellier compare cette aspiration à être autre, qui a certes quelque chose de hautain, à la situation de nos petits bourgeois à la Elvis Gratton. Ce dernier, comme Monsieur Jourdain, « crache sur ce qu’il est » (p. 51) et il valorise ce qu’il n’est pas, les fameux « Amaricains » dans le cas de Gratton.
Mais Cornellier distingue très nettement Gratton de Jourdain. Il ajoute qu’il y a une importante différence entre « le fait de vouloir être quelqu’un d’autre par mépris de soi-même et par souci de pure distinction sociale ». Il est tout à fait acceptable de reconnaître que certaines choses nous dépassent, nous transcendent, et que nous devons aspirer à les atteindre. Cela n’est pas inauthentique, c’est une quête d’excellence. Dans le cas de Gratton, ce n’est pas ça, c’est une profonde honte d’être Québécois. Ce qu’on comprend en lisant Cornellier, c’est que, paradoxalement, devenir soi-même, c’est aussi devenir un autre que soi en aspirant à mieux. C’est non pas renier ses origines, mais bien grandir à partir de celles-ci.
Le livre
Au centre de cette transcendance et de cette quête de sens se trouve le livre. Cornellier partage ici les pensées de Marcel Proust alors que ce dernier explique que les livres permettent une « amitié sincère », puisque nous ne les fréquentons pas pour leur faire plaisir, mais parce « que nous en avons envie ». Cornellier ajoute ici : « Nous n’avons pas à nous demander, en les quittant, si nous avons bien agi avec eux en leur présence. » (p. 18)
Nous comprenons les réflexions de Cornellier, mais qu’on nous permette ici un certain désaccord, peut-être le seul que nous aurons avec l’auteur. Les classiques sont, pour reprendre une idée d’Alain Finkielkraut, des œuvres qui ont une aura, qui jouissent d’une certaine réputation. Lorsqu’on les entame, nous éprouvons une forme de stress. Nous voulons être à la hauteur. Si nous n’avons pas aimé tel ou tel roman classique, c’est peut-être que quelque chose nous a glissé sous le nez, c’est peut-être nous qui n’étions pas dignes de nous lancer dans l’œuvre. Donc, oui nous nous demandons si nous avons bien agi devant des livres plus grands que nature.
Cela dit, nous pouvons critiquer les classiques et même ne pas les aimer et notre critique peut tout à fait être légitime. Mais n’y a-t-il pas une attitude tout à fait moderne que de regarder de haut les œuvres qui ne nous plaise pas immédiatement ? Si les œuvres portent en elles une certaine transcendance comme l’explique Cornellier, ne faut-il pas les mettre sur un certain piédestal ? Bref, il ne faut pas les vénérer, mais ne faut-il pas à tout le moins les révérer ?
Conclusion
Le livre de Louis Cornellier a été un réel plaisir à lire. Ceux qui aiment la lecture et les classiques seront servis par ce recueil qui fait parler les œuvres entre elles comme on a peu l’occasion de le lire dans les médias traditionnels. C’est une réflexion profonde et riche en référence, mais elle ne prend jamais les habits d’une écriture hermétique ou d’un ton pédant. Cornellier est en ce sens fidèle à ses idéaux de verticalité tout en ayant le souci d’être lu, compris et apprécié.
David Santarossa
Enseignant