Luc Lépine
Léo Major. Un héros résilient : l’homme qui libéra une ville à lui seul
Montréal, Hurtubise, 2019, 197 pages
On assiste, depuis quelques mois, à l’émergence d’une nouvelle figure historique québécoise : Léo Major, ce soldat canadien-français ayant combattu l’Allemagne hitlérienne ainsi que la Chine communiste. La biographie de Major par Luc Lépine arrive donc à point, mais déçoit grandement par sa forme. Dans un style rudimentaire et souvent agaçant, l’auteur écrit moins un livre qu’il ne nous donne accès à des documents militaires et des verbatims d’entrevues. Le « français parlé » et fonctionnarisé y abonde et plombe le plaisir des mots et de la lecture. Dommage, puisqu’il met en récit la vie d’un homme d’ici dont l’héroïsme et la témérité n’ont rien à envier aux guerriers mythiques qui parsèment la littérature mondiale. La critique du contenant étant faite, attardons-nous maintenant au contenu et à Major.
Fils d’une famille de 14 enfants dont le père n’avait de cesse de lui rappeler qu’il n’était qu’un couard et un paresseux, Léo Major joue les héros à de nombreuses reprises au cours de sa carrière militaire. La première prouesse de Major fut exécutée dans le tourbillon meurtrier de la Seconde Guerre mondiale. Après s’être brisé le dos, puis enfui de l’hôpital afin de ne pas être démobilisé, après avoir fait prisonniers 93 Allemands à lui seul, après avoir perdu un œil, après avoir assisté à la mort de son camarade le plus cher, le soldat Major s’en est allé libérer une ville entière. Seul, il entre dans la ville fortifiée de Zwolle en mitraillant et lançant des grenades afin de simuler une invasion d’envergure. Il incendie le QG de la Gestapo. En déroute, les officiers se rendent à Major : Zwolle est libéré. Le jeune Canadien français reçoit la Distinguished Conduct Medal (DCM). L’auteur nous assure qu’aujourd’hui encore, il ne se trouve pas un habitant de Zwolle qui ne connaisse le nom et l’exploit du héros.
Après la guerre, il enfile les petits emplois auxquels il ne porte que très peu d’intérêt. Le conflit en Corée lui fournit une occasion de quitter la vie monotone du travailleur et, accessoirement, décrocher sa seconde DCM. La retranscription du verbatim d’une entrevue permet à Lépine de prendre congé de l’écriture et de laisser le protagoniste raconter son énième exploit. Confessons que pendant de longues pages, l’envie est grande de prendre, à notre tour, congé du livre. Par respect pour son lecteur, Lépine aurait dû mettre lui-même en récit l’épopée asiatique de Major… Ainsi, le soldat raconte comment sa petite troupe et lui ont fait face à des milliers de soldats chinois dans le but de conserver la très stratégique « colline 355 ». Seul au front, Léo transmet des informations à son état-major afin qu’il dirige les obus vers l’ennemi avec précision. La joute dure trois jours et est finalement couronnée de succès. La colline 355 est sécurisée, les Chinois sont en déroute et Major ajoute à sa légende de Rambo québécois.
Non sans raison, j’ai introduit ce texte en comparant Major aux guerriers des légendes dont les exploits inspirent des peuples entiers. Ce qui m’a orienté vers ce personnage relève précisément de ce registre. Pourquoi un tel héroïsme s’accompagne-t-il d’une telle anamnèse ? Comment se fait-il que Léo Major ne figure pas dans notre panthéon national ? L’auteur donne plusieurs raisons : l’antimilitarisme québécois nous empêche de le célébrer, son grade de simple soldat le laisse quelque peu anonyme, le fait qu’il ne soit pas mort au combat ne favorise pas l’émergence d’une mystique, etc. Bien que pertinentes, ces explications sont parcellaires. L’oubli dont est l’objet Léo Major me semble relever davantage de la condition québécoise que de ces quelques aspects circonstanciels.
Un peuple en marge de l’histoire, donne inévitablement naissance à des individus en marge de l’histoire, même lorsque ceux-ci participent à des événements qui traverseront les siècles. Voilà un héros véritable, doué d’un courage extraordinaire – qui le nierait ? –, mais qui n’avait pas de destin. D’abord, cet incontestable leader refuse systématiquement d’être promu. Malgré ses prouesses et sa droiture, il préfère le rang de simple soldat aux responsabilités et aux honneurs d’un sergent. Ensuite, après avoir capturé seul 93 Allemands, il refuse la DCM puisque la cérémonie de décoration correspond à ses journées de permission. Major balaie du revers de la main une des plus prestigieuses médailles qu’un simple soldat puisse recevoir pour aller s’enivrer à Bruxelles. Finalement, tout au long de sa carrière, il aura ouvertement méprisé ses supérieurs et leur soi-disant incompétence. Pour Lépine, nous sommes en présence d’un homme humble, fêtard et de caractère tempétueux. Pour ma part, j’y vois un refus d’inscrire son parcours dans une cause qui le dépasse. Peut-on blâmer Léo Major ? Pour qui ou pour quoi se bat le fils d’un ouvrier humilié et violent dépêché en Europe pour défendre les intérêts de Sa Majesté ? Là se trouve peut-être la clé de voute de son oubli : ce sont les pays et leur armée nationale qui marquent l’histoire.
Alexis Tétrault