Martine Delvaux. Le boys club
Montréal, les Éditions du remue-ménage, 2019, 232 pages
Dès le premier chapitre, on est saisi, à la lecture du nouvel essai de Martine Delvaux, par la tentation inquisitrice de l’auteure. Elle y raconte qu’un homme lui aurait posé une question lors d’un entretien, lui demandant, sceptique, qui pouvait bien être derrière la domination des femmes tellement décriée par la professeure féministe.
Le décrivant comme un nonchalant « qui a tout compris », elle lui accole l’étiquette de « questionneur », c’est-à-dire d’homme qui « pos[e] des questions impossibles » (p. 10). Autrement dit, qui exige des réponses étayées avec des preuves empiriques. Car on ne discute pas avec Martine Delvaux : on suit le troupeau et on se tait. Elle répondra par ailleurs à notre questionneur de faire ses propres recherches, comme si celles-ci devaient inévitablement aboutir à la conclusion que le patriarcat s’incarne dans chaque facette de l’existence sociale.
Ainsi, la condescendance tellement détestée par l’égérie féministe de l’UQAM s’appliquera à son adversaire idéologique à qui elle fera une série de procès d’intention. Ironiquement, un peu plus loin, elle se plaindra qu’on ne peut questionner les Donald Trump et Brett Kavanaugh de ce monde, car à ce moment-là, « ils se gonflent comme des pigeons, rougissent et haussent le ton, frappent du poing sur la table » (p. 48). Un peu comme elle, au fond. Victimisme à tout va et exagérations époustouflantes couronneront le tout. Bref, le ton est donné. On sait qu’on aura deux cents pages de pur bonheur en vue.
L’amorce lancée, l’auteure se lance dans une enquête sur le boys club, entendu comme un dispositif d’hommes blancs hétérosexuels « qui fabriquent les États-Unis et le monde en général » (p. 66). Il s’agit plus précisément d’un « rouage du patriarcat », d’une mécanique permettant « à la domination masculine de s’actualiser chaque minute de chaque jour de notre vie » (p. 21). Mais comment vivre dans cette lourde atmosphère sans étouffer ? L’auteure a cru pouvoir s’en libérer en nous révélant les moindres secrets de ce pouvoir permanent, singeant de manière formidable les complotistes qui réduisent tout problème social à une seule caste bien protégée. Chez Delvaux, progrès oblige, les problèmes mondiaux ne se réduisent pas aux Juifs ou aux Illuminatis, mais aux hommes blancs.
C’est ainsi que Delvaux nous donne un petit cours d’histoire sur les boys clubs londoniens, vieilles institutions bourgeoises au XIXe siècle, véritables sources du grand complot patriarcal actuel. Elle reproche à ses adeptes, misogynes et homophobes, « de cacher leur propre désir homoérotique » et d’opérer un « troc des femmes entre groupes d’hommes » (p. 34). Refuges pour les masculinités blessées, de peau blanche de surcroît, ces clubs existeraient encore aujourd’hui et leur modèle se serait étendu aux équipes sportives, aux groupes d’amis, aux fraternités, aux corps de travail, dans lesquels se tiennent ceux qui détiennent les « organes génitaux assignés comme masculins » (p. 45).
C’était prévisible, l’auteure ne pouvait s’empêcher d’aborder la personne de Donald Trump après moins d’une cinquantaine de pages. On voit ici comment un certain féminisme universitaire se trouve absolument colonisé par l’Empire américain, incapable de penser en-dehors des catégories de l’actualité américaine. Pour preuve, l’ouvrage s’ouvre sur deux citations, toutes deux en anglais, dont la première est du président des États-Unis. Plusieurs citations en anglais ne seront d’ailleurs pas traduites, en plus de concepts tout droit issus des gender studies. On est en droit de se demander pourquoi notre auteure enseigne à l’Université du Québec, et non dans une école au sud de la frontière. Mais revenons à Trump : que lui trouve-t-elle donc de si misogyne ?
En lacanienne avertie, elle étalera la superbe de sa subtilité d’esprit en associant la Trump Tower au phallus. S’ensuit une critique convenue sur son traitement des femmes, des dénonciations contre lui, de propos choquants. Delvaux n’aura pu s’empêcher de faire preuve d’un dédain de l’électorat de Trump, « masculin, blanc et sans diplôme universitaire […] qui craint la perte de pouvoir […] de l’homme tel qu’il a toujours été » (p. 58). Un électorat dira-t-elle, qui, « plutôt que de perdre la blancheur […] choisit le meurtre. » (p. 60). Bref, la collection de paumés dont parlait Hillary Clinton, assassins en prime. Et où sont les preuves apportées à cette absurde psychologisation ? Nulle part : Delvaux ne fait que dans la spéculation, que dans l’application de sa grille idéologique sur les sans-dents de l’Amérique. Pour elle, nous vivrions dans un système machiste qui valoriserait les agissements du président.
L’ouvrage se poursuit par une dénonciation des micro-agressions, du manspreading, du male gaze – « le regard masculin qui scrute » (un visage féminin par exemple) et du male glance, « ce regard qui glisse furtivement sur un objet, qui ne prend pas le temps de s’y arrêter parce qu’il sait d’emblée à quoi s’attendre ». Le male glance serait appliqué aux œuvres de femmes, « qualifi[ées] rapidement d’intimiste[s], autobiographique[s], sensible[s] » (p. 117). On y recèle de plus une opposition à la mentifrication, ce dernier étant un néologisme équivalant à la gentrification, mais pour dire que la ville est « arpenté[e] par les hommes, conçu[e] pour eux, mais aussi nommé[e] par et pour eux. » (p. 76). Ainsi du sexisme des transports collectifs : ils seraient, selon l’auteure, inadaptés à l’horaire des femmes, d’autant plus que l’horrible manspreading y serait monnaie courante.
À l’intersectionnalité des luttes pour la reconnaissance, notre féministe n’hésitera pas à mêler son combat à celui des minorités culturelles, des Autochtones, des Noirs, des homosexuels et de tout ce qui fait le lit du multiculturalisme canadien. D’où, sans surprise, son antinationalisme débridé, soutenant les propos de l’anthropologue Serge Bouchard selon qui « le Québec traditionnel s’est bâti sur ces boys clubs » (p. 95) que sont les clubs de pêche privés. On est presque content qu’elle reconnaisse faire encore partie du territoire québécois tellement son petit pamphlet semble totalement déconnecté de notre réalité. Dans ce sillage, la chasse, élément important de la culture nord-américaine, ne serait pour elle qu’un « lieu d’alliances privilégié entre les hommes » (p. 95), puisque fraternel et barbare. De ce fait même, on se demande comment l’auteure concilie cette aversion pour la chasse et sa défense des peuples amérindiens, bien connus pour leurs relations intimes avec cette pratique sacrée. Peut-être que l’absence de blancheur pardonne bien des choses, qui sait ?
Chassant vite cette brève parenthèse québécoise, Delvaux retourne en terrain américain pour critiquer le film Munich de Steven Spielberg dont elle dira qu’il y a « peu de femmes […] et la plupart d’entre elles sont des mères » (p. 99). Ce sera une critique qu’elle systématisera à la machine Hollywood et ce qu’elle dénonce comme son féminisme de façade. Concernant les événements du 11 septembre 2001, elle se plaindra que la réaction ne fut le fruit que d’un souci pour l’homme, alors qu’« un désengagement généralisé » contre les violences faites aux femmes ferait « apparaître ces crimes comme banals » (p. 102). Bel exemple de comparaison fallacieuse.
Les chapitres d’après opèrent une attaque en règle contre l’architecture, le smoking, la pratique grammaticale du primat du masculin, la méritocratie, les trolls sur Internet, les incels, la pratique pornographique du bukkake, le rire des hommes (parce qu’on ne rit pas, avec Martine Delvaux) et, bien sûr, de la Schtroumpfette, « une femme trouble-fête » (p. 171), « blanche » (p. 170), stéréotypée, et source de zizanie dans le paisible village des petits bonhommes bleus.
Enfin, un chapitre important, toujours en territoire étatsunien, aborde le problème des viols sur les campus américains, qui seraient devenus, selon elle, la norme. Elle soutient son propos en affirmant qu’« une femme sur cinq sera agressée sexuellement au cours des quatre années passées sur un campus universitaire » (p. 145). Mais, qu’est-ce qu’une agression, selon l’auteure ? Considérant l’extension de sens que prend ce terme depuis la révolution #MeToo, nous sommes en droit de nous demander si certaines de ces « agressions » ne se limitaient pas qu’au commentaire déplacé ou encore, au terrible regard insistant…
En résumé, au pays de Martine Delvaux, l’homme est toujours en faute, peu importe ce qui se produit. Dans sa conclusion, elle généralisera en affirmant qu’il y a des « liens entre le boys club et le capitalisme […] l’argent et l’environnement » (p. 183). En toute partialité, l’essayiste n’abordera jamais les problèmes sociaux auxquels les hommes sont plus fortement touchés, comme le stress, l’itinérance, le suicide, le décrochage scolaire. Aucun cas, évidemment, ne sera fait sur le véritable machisme des banlieues européennes sclérosées par une forte immigration musulmane radicalisée, où les femmes sont devenues absentes des lieux publics. Chez Delvaux, le machisme est partout, sauf là où il est vraiment.
Philippe Lorange
Étudiant en science politique et philosophie à l’Université de Montréal