Martine Ouellet. Horizon 2030

Martine Ouellet
Horizon2030. Choisir un Québec climato-économique
Montréal, Québec Amérique, 2019, 117 pages

Martine Ouellet est ingénieure. Elle a œuvré chez Hydro-Québec en efficacité énergétique et a été députée du Parti québécois et ministre des Ressources naturelles. On peut sans risque la qualifier de « grosse pointure » en ce qui concerne le développement écologique. C’est aussi une fervente militante écologiste pour qui il ne fait pas de doute qu’Il y a urgence en la matière ; mais pour que le Québec puisse faire pleinement face à cette urgence, il est impératif qu’il fasse son indépendance.

Cette thématique constitue l’essentiel du propos de madame Ouellet dans l’opuscule d’une centaine de pages qu’elle a produit, assistée de Robert Laplante et de Gilbert Paquette. La Pasionaria de l’indépendance du Québec semble faire partie de ceux qu’on peut qualifier de « catastrophistes » écologistes. Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère : elle écarte résolument les thèses des climatosceptiques et trace un portrait cataclysmique du devenir de la planète. Elle n’hésite pas pour cela à emprunter la célèbre photo de l’ours polaire famélique sur son morceau de banquise et les propos de Greta Thunberg, la jeune égérie suédoise de la cause climatique. Comme beaucoup d’écologistes, elle succombe à une espèce d’idéalisation écologique des « premiers peuples » en déclarant :

Nous avons perdu un enseignement crucial des premiers Peuples, c’est-à-dire qu’il faut prendre nos décisions pour les sept générations qui vont suivre et non pas comme nous le faisons actuellement : en n’ayant à l’esprit que les bénéfices à très court terme et, trop souvent, des bénéfices destinés aux petits nombres de personnes à la tête de grosses multinationales. La Terre ne nous appartient pas ; elle nous est prêtée… (p. 12-13)

L’ancienne ministre des Ressources naturelles du gouvernement du PQ s’est donc fixé pour mission de rendre le Québec plus propre écologiquement. Pour ce faire, elle ne propose rien de moins qu’une révolution verte et se fixe comme horizon l’année2030. Cette révolution nécessite évidemment la rupture du lien fédéral puisque le « Canada pétrolier » est animé d’une logique de développement économique plutôt extractiviste, basée sur l’exploitation des énergies fossiles, chose incompatible avec la préservation des écosystèmes.

L’ancienne ministre propose que, dans un délai d’une dizaine d’années, le Québec passe massivement du pétrole à l’électricité. Le plan ambitionne d’atteindre la limite carbone0. Pour cela il faut viser trois grands objectifs : l’électrification et des investissements massifs des transports, un découplage de l’industrie et des énergies fossiles ainsi que le verdissement du parc immobilier.

Martine Ouellet fixe des points relativement précis et pour le moins ambitieux : la réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre) de ٤٠ % d’ici 2030. Des réductions qui devront passer par l’électrification de pas moins d’un million de voitures, de 6000 autobus scolaires et de 3000 autobus municipaux ainsi que de 150 000 camions légers. Le secteur manufacturier devra passer par une modernisation énergétique des usines. On recourra au besoin à la biométhanisation, c’est-à-dire une énergie produite à partir de la transformation de matière organique (p.61).

L’auteure parle également de bonifier le transport collectif, de verdir le parc immobilier ainsi que le chauffage des résidences. Le monde agricole lui-même n’échappera pas à ce grand chantier. Ce bouleversement énergétique sera créateur de milliers d’emplois (Ouellet projette 353 208emplois créés d’ici 2030, p.48). C’est bien sûr la fantastique réserve d’hydroélectricité dont il dispose qui permettra au Québec de réaliser cette révolution écologique, en plus de devenir un leader mondial dans le domaine des changements climatiques. Ce « plan de match » stimulera du même coup le développement d’entreprises de toutes tailles et d’emplois structurants pour les Québécois. Il ne faut pas oublier les possibilités d’exportations de notre savoir-faire et des technologies qui vont avec.

Martine Ouellet est réaliste, elle reconnait que ces grands changements structuraux dépendent des changements d’attitudes sociétales : aussi bien au niveau des grandes orientations collectives que de nos habitudes alimentaires. L’État doit être le grand instigateur de ce changement de paradigme. Il doit, par exemple, s’assurer que les projets nécessitant des fonds publics respectent l’empreinte carbonée. Cela inclut les projets industriels dans lesquels il est impliqué. Même dans les portefeuilles de la Caisse de dépôt et d’Investissement Québec les indices carbone doivent être indiqués. L’ancienne députée n’oublie pas le domaine agricole et elle suggère des initiatives à développer pour réduire les émissions de GES dans ce secteur de l’économie.

Il s’en trouvera évidemment pour rétorquer à la militante indépendantiste qu’il n’est nul besoin de rompre le lien fédéral canadien pour appliquer le projet Horizon2030 ; l’État québécois aurait assez de pouvoirs pour diriger cette « révolution ». Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Robert Laplante et Gilbert Paquette se chargent de démontrer qu’il est illusoire de penser qu’on peut concilier une philosophie « climato-économique » régionale dans un ensemble fédéral résolument « extractiviste » basé sur l’exploitation des énergies fossiles.

La logique extractiviste est au cœur de l’intérêt national du Canada, elle le façonne depuis le tout début. C’est une économie qui s’est construite sur l’exportation et le commerce de ses ressources naturelles (p. 90).

Robert Laplante, le directeur de LAction nationale, soutient qu’il est vain de penser sortir de la dépendance au pétrole sans sortir de celle du Canada. Le cadre constitutionnel canadien, avec la vision du développement qu’il induit, détermine les choix politicoécologiques du Québec. En effet, le pétrole est bien sur une affaire d’énergie, mais il regarde aussi l’infrastructure canadienne de transport. Cela concerne toutes les « infrastructures stratégiques » : ports, voies maritimes, chemins de fer et aéroports. Toutes choses sur lesquelles le pouvoir fédéral est déterminant. La politique économique extractiviste canadienne, basée sur le pétrole, concerne également le contrôle des accès au territoire. Cette politique vient en contradiction flagrante avec les velléités écologistes du gouvernement québécois, basées sur les énergies renouvelables et vertes et visant à une diminution des GES. Elle aboutit même à affaiblir l’économie du Québec. Gilbert Paquette, autre figure connue du mouvement indépendantiste québécois, abonde dans le même sens que Laplante. Il fait un procès sévère des politiques canadiennes en matière écologique. Il dénonce les énormes investissements dans les énergies fossiles, pétrole et gaz, parmi les plus élevés au monde. Intéressant, il dénonce trois mythes qui entoureraient le pétrole et le gaz au Québec : maintenant comme dans le futur, le Québec n’aurait aucun besoin de pétrole supplémentaire, l’oléoduc ne serait pas plus sécuritaire que le train et le développement des énergies fossiles ne contribuerait pas à l’enrichissement de la société québécoise. Il dénonce et démythifie le « chantage à la péréquation ». Enfin, Gilbert Paquette déplore les limites des pouvoirs provinciaux en matière, par exemple, de traités internationaux, de budgets et d’éco-fiscalité, de transports et les compétences fédérales en général.

Daniel Gomez
Sociologue