Maxime Blanchard. Le Québec n’existe pas

Maxime Blanchard
Le Québec n’existe pas, Montréal, Varia, coll. Proses de combat, 2017, 246 pages

Ma vie d’indépendantiste est, depuis quelques années, un crescendo de colère et d’exaspération. J’assiste avec mes compagnons de combat à la désintégration interminable de notre mouvement politique, à la dislocation de notre peuple et à l’affaissement pur et simple des élites politiques qui devraient mener publiquement et politiquement nos batailles. J’ai l’impression que tout, depuis Lionel Groulx jusqu’au décès de Jacques Parizeau, a été dit. Nous avons expliqué nos motivations, avons plus d’une fois détaillé nos intentions. Nous avons été deux fois au front dans l’espoir de réaliser notre projet. La seconde fois aurait dû être la bonne. Nous avions à notre tête un véritable chef d’État, quelqu’un qui ne se laissait effrayer ni par Standard & Poors, ni par les bravades puériles de Jean Chrétien et de son équipe. Malgré cela, nous n’avons pas gagné. 

L’échec référendaire a d’abord été ressenti comme un coup de poignard en plein cœur de notre nation, ce foyer lumineux de l’Amérique française dont parlait avec fierté le chanoine Groulx. Le temps qui passe, le délitement de nos politiciens et l’effondrement pathétique du Parti québécois nous permettent aujourd’hui non pas de dire que la défaite de 1995 était une blessure foudroyante, mais plutôt un meurtre perpétré à l’aide d’un couteau à beurre rouillé. La mort semble poindre inéluctablement à l’horizon, mais sa pathétique délivrance n’arrive jamais vraiment. Nous n’arrêtons plus d’agoniser, de râler, d’étouffer, de réclamer notre dose de morphine et de Propofol, de marijuana thérapeutique, de festivisme trudeauesque canadian. Au moment même où nous croyons avoir perdu tout le momentum de la partie politique, nous réalisons qu’il reste encore du terrain à perdre, que l’écrasement fatal n’a pas encore eu lieu et que l’agonie n’est pas terminée. 

Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi ne nous relevons-nous pas ? Pourquoi, d’abord, avons-nous perdu ? Ces questions sont essentielles si l’on veut espérer reprendre un jour l’avantage de la glace. Rares sont ceux qui se les posent avec sérieux, qui sont prêts à aller au fond d’elles. Maxime Blanchard l’a fait. Je crois en tout cas pouvoir l’affirmer après avoir refermé son dernier ouvrage intitulé Le Québec n’existe pas et publié à la collection « Proses de combat » des éditions Varia. C’est un livre tout à fait singulier. En aucun cas il ne s’agit d’un essai politique au sens classique du terme. Il s’agit d’un travail d’écrivain et non de théoricien. Plus encore, il s’agit de la prose d’un écrivain hors de lui, enragé, désespéré. Le Québec n’existe pas est une œuvre de colère, d’une noirceur presque indicible, d’une rage thérapeutique.

Blanchard touche avec sa prose enragée à l’essentiel du problème québécois : l’absence de colère de notre peuple, son épouvantable pacifisme, son obséquiosité envers ses ennemis vitaux, son incapacité à les identifier comme tels et à assumer avec maturité et force son existence devant la mièvrerie empoisonnée des dominateurs anglo-protestants qui l’affligent chaque jour un peu plus en étalant à grand coup de tolérance et d’ouverture au monde leur prétendue supériorité morale. Inutile de m’en cacher plus longtemps, j’ai dévoré Le Québec n’existe pas avec une avidité que je n’avais pas connue depuis des lustres.

L’œuvre n’a toutefois rien de révolutionnaire d’un point de vue littéraire et évoque la littérature engagée des années 1970. Imaginez, pour vous faire une idée, un Speak white actualisé, revu, augmenté. L’auteur n’a formellement rien osé et il faut le dire avant d’aller plus loin. La structure du livre est simple. Il s’agit d’un carnet, d’un enchaînement de courts textes. Certains font une demi page, d’autres cinq ou six. Chacun d’eux est une réflexion écrite ou un fragment d’existence du personnage créé par Blanchard, un dénommé Éric Langevin, Québécois exilé à New York. Notre lecture ne nous révèle rien de très profond sur l’existence de Langevin. On comprend toutefois une chose : il a quitté le Québec parce qu’il n’en pouvait plus, pour reprendre une expression bien connue, de mourir avec une « bande de caves ». La première vignette du livre donne le ton.

Il voudrait que toutes les maudites fraîches à raouts de patronnesses et que toutes les gribiches à surboums de bienfaitrices, qui dans les bals de charité se pactent la fraise en robes de guidons de comptoir colonial, poussent des hauts cris scandalisés ; il coudrait que leurs mafieux de jars et de verrats de maris à varices, qui sucent monsieusement la cenne dans les conseils d’administration de la junte fédéraliste du protectorat bloke, le mettent en demeure. Il voudrait aussi que tous les farfineurs du « socialisme » et que toutes les bavasseuses de « l’écologie », que tous ces licheux de balustres de la gaugauche gérante d’estrade qui se contrecâlissent de laisser élire la réaction impérialiste pourvu qu’ils puissent roucouler leur tolérance offusquée de toujours plus fins que les autres « qui n’ont pas voté pour ça » sur les ondes de la société d’État lui lancent au cul les avocats corrompus de la sous-préfecture canadienne-française. (p. 7).

On sent tout au long de notre lecture que le livre est éminemment personnel, qu’Éric Langevin est en fait simplement le haut parleur de l’exaspération sans fin de Blanchard, lui-même Québécois exilé aux États-Unis et enseignant en littérature à la City University of New York. L’auteur aurait pu, et c’est une des seules critiques que nous formulerons à son endroit, avoir le courage d’assumer sa colère sans se cacher derrière un personnage. En avançant à visage découvert, Maxime Blanchard aurait évité de s’engager lui-même sur la route qu’il reproche aux Québécois d’emprunter, soit celle de confirmer par leurs actes leur incapacité à exister. Cela aurait évité que l’on formule le moindre doute sur l’authenticité de sa démarche littéraire et aurait donné encore plus de force à son livre.

Blanchard, ou plutôt Éric Langevin, aborde quelques sujets importants dans ses textes : le multiculturalisme en tant que racisme, la trahison de la gauche, le festivisme mortifère, la fragmentation électorale de la majorité francophone. Il le fait toujours, je le répète, avec l’esprit d’un écrivain préoccupé non pas par la réinvention de la forme ou du langage, non pas par le fait d’accomplir un travail intellectuel rigoureux, mais simplement par le fait d’offrir aux lecteurs une expérience littéraire authentique, vraie et bien sentie. Si le procédé est ancien, éculé et sans intérêt diront certains, on reconnaîtra qu’il faut du courage pour y recourir de nos jours, surtout lorsqu’on est professeur de littérature, le snobisme littéraire atteignant des sommets ahurissants dans l’université d’aujourd’hui. On aimera donc Le Québec n’existe pas s’il nous rejoint dans notre ressentiment politique, on le détestera si l’on appartient à la race des colonisés fiers de l’être, on en rira si l’on appartient à l’intelligentsia cosmopolite, solidaire et métropolitaine. Tout est donc à sa place, et cela donne de la valeur au livre.

Le Québec n’existe pas est aussi un pamphlet virulent contre l’anglicisation et l’uniformisation de notre peuple. Il s’agit sans doute du fil conducteur le plus solide de l’œuvre. Plus on avance dans notre lecture, plus l’anglais prend de la place dans le texte. Loin de célébrer le franglais et le recours au globish pour s’exprimer, Blanchard l’inclut dans son livre pour nous enrager davantage. Les mots anglais qu’il utilise sont autant de crachats fielleux contre notre colonisation et notre assimilation culturelle.

Saint-Jean-Baptiste ou Fête nationale ou rien du tout, au milieu des ruines d’un entrepôt frigorifique, le directeur fransaskois d’un centre d’artistes, confédérationniste of course, sa soumission camouflée en tolérance et déguisée en branchitude, a invité le voisinage à des bombances sans feu de joie et sans fleurdelysé. Dans ce village Saint-Louis renommé Mile-End par prépondérance, les progressistes sapés néo-eighties et les écolos au lifestyle alternatif crash donc the party et parlent un anglais lourd. Bière attiédie américaine et playlist indie rock britannique, ces cutting edge, pour qui another world is possible, dansent obligions à tout Québec, unaware de tout Québec. In truth, ces trendsetters grass roots et ces activists open mindel vivent nocher. Quand il s’agit du Québec, elle est pleinement hégémonique la frange cultural sensitive à autocollants Free Tibet sur les vélos et, comme ses têtes carrées de grands-parents, elle enverrait sans hésitation l’armée pour juguler le nouveau pays souverain (p. 97).

Fulgurant. Tout y est. Cette espèce cosmopolite qui s’injecte de tolérance et de diversité à tous les coins de rue du McGill ghetto est montrée ici dans toute sa vulgarité. Jamais je n’ai aimé le franglais. La plume de Blanchard me fait l’haïr encore plus, et pour cela, je remercie chaleureusement l’auteur qui ose, tout au long de son livre, mettre en lumière le mauvais goût absolu de cette soumission culturelle à la mode qui nous afflige désormais à Montréal.

Le Québec n’existe pas adopte ce ton vitriolique du début à la fin. Jamais, toutefois, Blanchard ne donne dans la victimisation du peuple québécois. Jamais il ne le plaint, jamais il ne le traite en femme battue. Là réside clairement une autre qualité du livre. Pour l’auteur, le plus terrible élément de la condition québécoise réside en son consentement enthousiaste à la colonisation culturelle et politique. En ce sens, il parle du Québec comme d’une société adulescente, ce qui, à mon avis, est brillant de justesse. Le peuple québécois est à la fois assez grand pour prendre ses responsabilités et trop attaché à son statut de dépendance politique pour se prendre en main. Au même titre que ces insupportables enfants-gâtés que sont les milléniaux branchés, le Québec d’aujourd’hui, non content de se faire castrer par le régime fédéral, se penche, présente l’anus et se laisse paresseusement faire. Cela s’applique autant à son statut politique qu’au niveau culturel. Y a-t-il plus humiliant ? J’en doute, et Blanchard en doute aussi. Cet extrait le résume bien.

Le français peut-il être autre chose au Québec qu’une « langue menacée » par l’anglicisation ? demande un écrivain de « l’effervescence langagière montréalaise ». Il aime les « inflexion du serveur indien » qui lui apporte son cari et la « prosodie de la petite dame chinoise » qui lui vend des enveloppes au dépanneur ; il aime les « voyelles safranées » de son « boucher iranien » et les « consonnes diamantées » de son « horloger juif ». Entend-il aussi la cithare nippone dans l’accent de la « geisha » qui lui sert des sushis ?

Soy canadiense. Hablo francés y inglés. À l’Université de Montréal, dans un cours d’espagnol qu’il suit pendant une année sabbatique, Éric jauge ses jeunes camarades dont la « diversité » excite l’intelligentsia si curieuse d’autrui. Assises à leur pupitre, les pitounes de souche préoccupées de textos se mêlent aux grenaches néo-québécoises préoccupées de textos ; les gins pure laine, clones de rappeurs yo, côtoient les tapons importés, clones de rappeurs yo. Les nouveaux arrivants qui refusent de « s’intégrer » à la culture majoritaire, comme on dit, qui ne semblent pas vouloir « participer » à la société québécoise, comme on dit, ont cependant adopté, avec ardeur et sans retenue, les coutumes d’ores et déjà cosmiques du tape-à-l’œil euro trash et de l’ilotisme Jersey Shore, imitant parfaitement en cela les tarés congénitaux canadiens-français.

La soupane jouale cède devant les gibelottes raciales. Les bouis-bouis immigrants aillés, où dégoulinent les souvlakis, les falafels et les ego rolls, remplacent les bineries où s’envalaient tout rond les concoctions incolores de la tradition. Il paraît que le cari graisseux et les pakora huileux c’est mieux que la soupe aux gourganes et la guédille au chou. » (p. 38-39)

Ce livre est un chat à neuf queues dont on assène un coup violent à l’ectoplasme en lequel se transforme notre nation. Il ne s’agit pas d’une œuvre révolutionnaire et profonde appelée à devenir un classique de la littéraire, mais d’un témoignage précieux racontant l’état de délabrement national de notre époque. Il s’agit, en cela, d’un livre d’une grande pertinence et d’une grande valeur. Merci, Maxime Blanchard. Si votre démarche est honnête, viscérale et authentique, ce que je crois qu’elle est puisque je n’ai aucune bonne raison de soupçonner que vous soyez une fraude, je vous décerne la palme de l’œuvre politiquement engagée de l’année, et j’en conseille chaudement la lecture à tous ceux qui, comme moi, sont sur le point de mourir noyés dans leur propre colère politique.

David Leroux
Étudiant en géographie politique, Université McGill

Maxime Blanchard
Le Québec n’existe pas, Montréal, Varia, coll. Proses de combat, 2017, 246 pages

Ma vie d’indépendantiste est, depuis quelques années, un crescendo de colère et d’exaspération. J’assiste avec mes compagnons de combat à la désintégration interminable de notre mouvement politique, à la dislocation de notre peuple et à l’affaissement pur et simple des élites politiques qui devraient mener publiquement et politiquement nos batailles. J’ai l’impression que tout, depuis Lionel Groulx jusqu’au décès de Jacques Parizeau, a été dit. Nous avons expliqué nos motivations, avons plus d’une fois détaillé nos intentions. Nous avons été deux fois au front dans l’espoir de réaliser notre projet. La seconde fois aurait dû être la bonne. Nous avions à notre tête un véritable chef d’État, quelqu’un qui ne se laissait effrayer ni par Standard & Poors, ni par les bravades puériles de Jean Chrétien et de son équipe. Malgré cela, nous n’avons pas gagné. 

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