Mémoire présenté au Groupe d’action pour l’avenir de la langue française

Mémoire présenté à l’invitation du Groupe d’action pour l’avenir de la langue française de la Direction des affaires institutionnelles du ministère de la Langue française.

Présentation

La Ligue d’Action nationale est issue de la Ligue des droits du français, fondée en 1913 à la suite du Congrès de la langue française de 1912. Elle publie la revue L’Action nationale depuis 1917 et Les Cahiers de lecture de L’Action nationale depuis 2007. L’histoire plus que centenaire de L’Action nationale est en quelque sorte l’histoire de la nation québécoise dont elle a forgé l’identité par son action intellectuelle. Avec la publication de 1 000 numéros et plus de cent mille pages de textes, L’Action nationale a pris part à tous les combats qui ont fait l’histoire du Québec du XXe et du XXIe siècle. Le combat pour la pérennité et l’essor de la langue française est au cœur de notre action et la présentation de ce mémoire en fait partie.

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Les chercheurs en démolinguistique sont unanimes : la situation du français au Québec commande des mesures draconiennes que la loi 14 (projet de loi 96) ne contient pas, d’autant plus que cette loi est en péril devant les tribunaux canadiens. C’est dans cette optique que la Ligue d’Action nationale recommande :

  • Que le financement public des cégeps soit assorti de l’obligation de fréquenter les cégeps français pour tous à l’exception des étudiants de la minorité anglophone et que l’admission à tous les cégeps soit réalisée dans le cadre d’un système panquébécois d’admission des étudiants ; que le soutien public accordé aux études de premier cycle dans les universités anglaises soit établi en fonction du poids démographique des anglophones ;
  • Que le système des RUIS soit revu dans le prolongement direct de l’objectif de faire du français la seule langue du fonctionnement institutionnel dans la santé et les services sociaux ; que soit refusée la création de l’École de santé publique de Concordia et d’accorder à l’École de santé publique de l’Université de Montréal les ressources qui lui permettront de jouer un rôle pleinement national ; que soit autorisée la création d’une faculté de médecine à l’UQAM ;
  • Qu’en culture le gouvernement du Québec fasse de Télé-Québec le principal instrument de diffusion de ses politiques culturelles ; procède à la mise en place d’un groupe de travail pour établir des corpus culturels à l’intention des élèves et crée dans les écoles secondaires un poste d’animation culturelle chargé de la promotion de la culture québécoise ;
  • Que le transfert de 90 % des immigrants allophones au français devienne un objectif contraignant, doté d’un plan pour y arriver par étapes rapprochées et que le gouvernement s’assure d’une véritable connaissance d’usage du français au moment de l’admission à l’immigration ;
  • Qu’un mandat soit donné à Francisation Québec de mettre sur pied un réseau de Centres de francisation et d’intégration s’inspirant de la formule des COFI, offrant aux immigrants à la fois des cours obligatoires de français, d’initiation à la culture québécoise et d’assistance à l’intégration à la société québécoise ;
  • Que les voies rapides à la résidence permanente via des permis temporaires soient réservées aux diplômés des institutions francophones, tant dans le cadre du PEQ que du programme de mobilité internationale, et que le gouvernement assume pleinement ses responsabilités dans l’émission des permis d’étude et de travail pour les orienter en fonction de ses objectifs de francisation et d’intégration.

Le dualisme au cégep et son impact sur l’anglicisation

Adoptée en 2022, la loi 14 issue du projet de loi 96 propose de geler la proportion des étudiants dans le réseau collégial anglophone à 17,5 % de la population étudiante de tous les cégeps, soit son niveau de 2019-2020. Ce faisant, elle a consacré une anomalie, soit une clientèle collégiale anglophone deux fois plus importante que la proportion d’anglophones de langue maternelle au Québec. Mais ce chiffre pour tout le Québec maquille la gravité de la situation montréalaise, où près de la moitié des étudiants collégiaux fréquente un cégep anglophone. Et même en limitant à 8,7 % la part de la croissance de la clientèle collégiale qui sera attribuée aux cégeps anglophones (il n’y a donc pas « gel »), ces mesures leur assurent, pour encore de nombreuses décennies, une part disproportionnée des étudiants collégiaux. La loi 14 ne règle donc d’aucune façon le problème du déclin du français découlant de la surfréquentation des cégeps et des universités anglophones.

La fréquentation des cégeps anglophones est en passe de déclasser, si ce n’est déjà fait, l’offre collégiale en français à Montréal. Les enfants de la loi 101 comme les francophones dits de souche forment désormais la majorité des inscrits dans ces institutions. Il est contraire à toute logique d’assujettir le financement public de ces institutions à l’idéologie du libre choix individuel. Les fonds publics doivent servir la cohérence institutionnelle de notre système d’enseignement supérieur, pas à le dualiser en lui imposant de multiples distorsions qui en dénaturent les objectifs et en sabotent la portée.

L’anglicisation des francophones et des allophones au cégep anglais

En 2010, l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) a publié une vaste étude1 révélant la forte incidence de la fréquentation des cégeps anglais sur les comportements linguistiques et les préférences culturelles des étudiants francophones et allophones. On a ainsi pu déterminer que pas moins de 40 % des francophones ayant choisi le cégep anglophone préféraient utiliser la langue de Shakespeare au travail et 35 % allaient même jusqu’à utiliser l’anglais pour obtenir des services dans des commerces. Alors que plus de neuf étudiants de langue française sur dix qui étudiaient dans un cégep francophone utilisaient la langue de Molière au travail, moins de 60 % des francophones qui étudiaient en anglais en faisaient autant. Les chercheurs de l’INRS et de l’UQAM démontraient que l’attrait pour l’anglais se faisait même sentir jusqu’à la maison. Environ 27 % des francophones qui poursuivaient leurs études dans un cégep anglophone utilisaient l’anglais dans leurs relations avec la famille. En revanche, pratiquement 100 % de leurs camarades francophones qui étudient en français continuaient d’utiliser leur langue maternelle à la maison.

L’étude montrait également que moins de 5 % seulement des étudiants du cégep anglais préféraient écouter des films en français, alors qu’au cégep français, ce chiffre était d’un peu plus de 60 %. Pour les étudiants du cégep anglais, environ 20 % du temps d’écoute de télévision était consacré aux émissions de langue française, contre 64 % au cégep français. On observait aussi que 85 % des allophones étudiant au cégep français fréquentaient des amis francophones, contre 15 % seulement chez ceux au cégep anglais. Par ailleurs, 60 % des allophones qui étudiaient en anglais utilisaient cette langue au travail, contre 20 % pour ceux fréquentant un établissement collégial francophone. Quelque 95 % des répondants diplômés d’un cégep français travaillaient principalement en français, tandis que seulement 50 % des diplômés d’un cégep anglais avaient le français comme langue de travail.

Ce constat a été à nouveau fait par Statistique Canada en avril 20222. Comme le rapporte Frédéric Lacroix, au « Québec, les diplômés postsecondaires qui ont fréquenté un établissement de langue anglaise sont plus susceptibles d’utiliser l’anglais au travail après leurs études. Cette tendance est particulièrement marquée chez les diplômés de langue maternelle tierce, c’est-à-dire d’une langue autre que le français ou l’anglais. » En 2016, près de la moitié (48 %) des diplômés d’un établissement de langue anglaise utilisaient l’anglais de façon prédominante au travail, par rapport à 4 % de ceux dont le dernier diplôme provenait d’un établissement de langue française. Une personne scolarisée en anglais au postsecondaire a donc douze fois plus de chance de travailler en anglais que si elle est scolarisée en français.

Ces données sont cohérentes avec celles de l’enquête de l’OQLF de 2020 qui indiquait que si la moitié des entreprises à Montréal exigeaient l’anglais à l’embauche, c’était surtout pour des « fins internes », soit afin d’accommoder les anglophones pour que ceux-ci puissent travailler en anglais à Montréal. Cela force également quantité d’allophones et de francophones à travailler dans cette langue.

Le libre choix du cégep est injustifié

En 2021, le chercheur indépendant Frédéric Lacroix a déboulonné les mythes avancés par certains pour justifier le « libre-choix » en matière de langue des études collégiales qui est la cause cette situation aberrante3. Lacroix nous présente quelques chiffres récents : de 1995 à 2018, l’effectif collégial anglais au Québec passe de 14,9 % à 19 %, et à Montréal, on parle d’un effectif passant de 33,9 % à 39,9 % pour la même période. Dans ce contexte il faut constater que le cégep anglais capte 95 % de la progression de la communauté étudiante. À terme la marginalisation du cégep français est plus que prévisible. La langue des études collégiales devient celle des études universitaires et, très souvent, un choix de vie définitif.

On ne peut imaginer plus grave trahison des objectifs de la Révolution tranquille. Il faut en finir avec cette idéologie du libre choix qui n’est qu’une parade pour justifier le maintien d’un financement de privilèges en faisant semblant de n’y voir que la seule réponse à la « demande de la clientèle étudiante ». Le financement des institutions n’est pas une affaire commerciale soumise à la logique du marché, il doit être au service du développement national et des objectifs d’égalité des chances pour tous les citoyens. C’est au nom de ce principe de l’égalité de traitement qu’il faut mettre fin au libre choix et à ce qu’il produit comme effet direct sur l’architecture institutionnelle. C’est pour le maintenir que la dualisation draine ainsi des sommes indues.

Les arguments libertaires souvent invoqués pour justifier ce maintien du libre choix n’ont rien à voir avec les privations de liberté. N’importe quel citoyen peut fréquenter le cégep de son choix, là n’est pas la question. L’enjeu est celui de l’octroi des fonds publics qui doivent être gérés en toute cohérence. Il faut financer un seul réseau, incluant les institutions anglophones pour les ayants droit selon les principes établis depuis l’adoption de la Chartre du français, c’est une affaire de justice et d’équité. Il n’est pas question d’empêcher qui que ce soit de fréquenter ces institutions s’il n’y est pas habilité, il est simplement question qu’il assume la responsabilité financière de ses choix et préférences. Les étudiants qui ne voudront pas fréquenter les institutions régies selon les règles de l’universalité du financement public n’auront qu’à s’inscrire à leurs frais aux institutions anglophones de leurs choix. Il s’agira d’une décision privée et d’une dépense discrétionnaire que n’auront pas à assumer l’ensemble des contribuables.

Recommandation 1 – La Ligue d’Action nationale propose que le financement public des cégeps soit assorti de l’obligation de fréquenter les cégeps français pour tous, à l’exception des ayants droit tels qu’ils sont définis par nos lois et règlements d’aménagement linguistique depuis la loi 101.

La sélection des étudiants et la hiérarchisation des cégeps

La majorité des étudiants de cégeps anglais se compose de francophones et d’allophones qui souhaitent se fondre dans des institutions vues comme plus prestigieuses que les cégeps français. Ils y voient un atout pour la construction de leur avenir. Cette image de prestige n’est d’ailleurs pas une illusion puisque les cégeps anglais attirent surtout des élèves issus d’écoles secondaires privées ou publiques à programme particulier. Ce sont ainsi les cégeps anglais qui accueillent les étudiants aux meilleures « cote R », cette cote de rendement qui permet de calculer la performance d’un élève et qui lui ouvre les portes pour l’université. Lacroix souligne que « pour un anglophone qui choisit de se franciser au collégial, il y a 27 francophones qui choisissent de s’angliciser. » L’auteur nous rappelle que le collège Dawson, par exemple, est si attractif que malgré sa très grande population étudiante, il ne peut accepter que 30 % des demandes d’admission annuelles, poussant ainsi la direction à écrémer les candidatures pour ne choisir que les meilleurs. Alors que les allophones francotropes ont plus tendance à se franciser (ils sont entre 66 % et 76 % à s’inscrire au cégep français), l’inverse est vrai pour les allophones « anglotropes » qui s’inscrivent massivement au cégep anglais. Dawson jouit même du privilège de ne pas participer au système régional de gestion des admissions.

Parmi les distorsions les plus malsaines du surfinancement des cégeps anglais, figurent donc celles qui ont trait à la sélection des étudiants et à ses effets sur la hiérarchisation des institutions. Attirant les étudiants qui ont les meilleurs résultats et les cégeps anglophones consacrent et renforcent la la dualisation du système où les institutions francophones risquent d’ores et déjà d’apparaître comme des voies de relégation. L’argument suivant lequel, les allophones et francophones s’y dirigeant de plus en plus, le font pour améliorer leur anglais est évidemment spécieux. Les études supérieures requièrent d’entrée de jeu un niveau de maîtrise de la langue qui est une condition essentielle au succès. L’étude de l’Institut de recherche sur le français en Amérique4 mentionnée plus haut a clairement établi que le choix de poursuivre ses études en anglais est un choix de carrière et de vie : c’est la volonté de s’inscrire dans l’anglosphère qui motive ce choix qui porte ensuite la très grande majorité de ceux et celles qui le font à s’inscrire dans les universités anglaises pour la suite de leur parcours d’études supérieures.

Nous recommandons de faire en sorte que le recrutement et la sélection des étudiants admis aux cégeps anglais ne soient plus du ressort des directions des cégeps anglais. L’ensemble des cégeps montréalais devrait être intégré dans le Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM) où un système panquébécois d’admission au collégial effectuerait une répartition équitable des meilleurs postulants dans le respect des lois linguistiques du Québec.

Recommandation 2 – La Ligue d’Action nationale propose que l’admission à tous les cégeps soit réalisée dans le cadre d’un système panquébécois d’admission des étudiants sur la base de critères de répartition équitable des meilleurs étudiants et dans le respect des critères d’admissibilité définis par notre régime linguistique.

Le dualisme institutionnel dans les universités

Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, le monde universitaire anglophone bénéficie d’un soutien public bien supérieur au poids démographique de la minorité anglaise. C’est à hauteur de 200 millions par année que le gouvernement du Québec subventionne les étudiants étrangers qui s’inscrivent majoritairement à McGill, Concordia et Bishop. Et le banquet ne s’arrête pas là. Le Plan québécois des infrastructures (PQI) accorde 622 millions à McGill et Concordia, ce qui représente 60 % du 1,04 milliard prévu pour l’ensemble des universités5. De l’injustice on passe au scandale : le réseau de l’Université du Québec qui regroupe 30 % de la population étudiante se voit allouer 5 % du total.

S’il a été établi que le réseau collégial anglais est dimensionné au double du poids démographique des anglophones, le réseau universitaire de langue anglaise est dimensionné au triple6. C’est ce que le chercheur Frédéric Lacroix a appelé la « surcomplétude » institutionnelle, un concept qui décrit bien notre situation, celle d’une injustice qu’on pourrait qualifier de « systémique ».

Rien ne justifie une telle répartition des ressources publiques pour soutenir artificiellement une concurrence institutionnelle qui, à terme, va placer les institutions francophones sur une voie de relégation. Cela signifie que les conditions physiques et institutionnelles d’études (par exemple, la surface de laboratoire par étudiant) favorisent éhontément les universités anglophones au détriment des universités francophones. Voilà une raison supplémentaire qui attire les jeunes francophones et allophones vers l’enseignement universitaire anglophone. Dans pareil contexte, on ne peut se surprendre qu’au cours des vingt-sept dernières années, Concordia ait déclassé l’UQAM sur la grande majorité des indicateurs clés du développement institutionnel et que depuis 2014, les effectifs étudiants à l’UQAM soient en chute libre7.

À elles deux McGill et Concordia dominent désormais le monde universitaire francophone, profitant en outre d’un afflux d’étudiants étrangers venant étudier en anglais, ce qui confère à ces deux universités un avantageux bassin de recrutement, pour lequel le programme d’immobilisation offre des locaux adéquats contrairement aux autres universités qui peinent à combler le déficit d’entretien et le besoin de nouveaux locaux. À cela s’ajoute le fait que ces mêmes institutions peuvent toucher et conserver les juteux droits de scolarité que leur apporte la clientèle internationale. L’hégémonie de ces institutions à l’égard des étudiants internationaux et le volume anormalement gonflé de leurs effectifs en ont fait un immense dispositif d’anglicisation du centre-ville et, de là, de la vie métropolitaine.

Pas plus tard que le 24 avril dernier, un article du Journal de Montréal8 pointait une aberration criante : le Québec finance très généreusement la formation de plus de trois cents étudiants en provenance de l’extérieur. C’est à McGill qu’ils profitent d’une formidable aubaine, payant une insignifiante fraction du prix que cela leur coûterait ailleurs au Canada. Près de dix fois moins cher que pour ceux qui viennent d’Ontario ! Il en coûte au Québec autour de 17 millions de dollars par année, sans compter les dépenses d’immobilisation et les frais d’entretien requis pour l’aménagement de ces places en faculté.

Le professeur Martin Maltais, ex-directeur adjoint du cabinet du ministre Roberge alors responsable de l’Enseignement supérieur, qualifie la chose d’erreur à corriger. On se demande pourquoi cela n’a pas été fait alors qu’il était en poste ! Il n’est jamais trop tard pour bien faire, même si le constat du professeur Maltais est loin d’être nouveau9. Dès 200 910 la revue L’Action nationale dénonçait cette injustice qu’on pourrait bien qualifier de « systémique ». Frédéric Lacroix et Patrick Sabourin avaient alors dénoncé le fait que 40 % de ces diplômés de McGill quittaient le Québec au cours des cinq années suivant leur diplomation. Cette situation continue de se détériorer si l’on en juge par les chiffres plus récents cités dans l’article de Daphnée Dion-Viens qui établit ce pourcentage à 50 % en citant les chiffres de l’Institut canadien d’information sur la santé.

Ce ne sont pas des institutions au service de la minorité que le gouvernement du Québec finance, ce qui serait légitime, ce sont des instruments d’anglicisation de cohortes entières d’étudiants qui ne sont pas des ayants droit selon les termes de notre approche d’aménagement linguistique des droits de la minorité historique depuis la loi 101. Les fonds publics devraient pourtant être alloués à ces institutions en fonction de ce seul critère. Le financement public devrait pourtant être en tout point conforme à l’objectif de construction et de renforcement des institutions au service de la seule langue officielle du Québec.

Recommandation 3 – La Ligue d’Action nationale propose que soient revus la formule de financement et l’ensemble de ses modalités pour que le soutien public accordé aux universités anglaises aux études de premier cycle soit établi en fonction du poids démographique des anglophones et des ayants droit tels que définis dans le cadre de la loi 101. Ce même soutien doit également tenir compte du soutien à la recherche et aux études supérieures qui contribuent également à la surcomplétude institutionnelle.

Le dualisme institutionnel en santé

S’il est un domaine où la démagogie sévit dramatiquement chez les adversaires du Québec français, c’est bien celui de la santé. Les mensonges les plus odieux sont répandus dans la propagande des opposants avec une outrance déshonorante. Personne au Québec n’a jamais prôné le refus de soins pour des motifs de suprématie linguistique. Examiner l’impact du dualisme institutionnel sur la neutralisation et le dévoiement des objectifs de francisation exige une rigueur et une intégrité intellectuelle qui font malheureusement trop souvent défaut.

La création de deux mégahôpitaux universitaires a consacré la pérennité du fonctionnement d’un système de santé non seulement dualisé, mais structurellement inégalitaire. Il était injuste et indéfendable de partager à 50-50 les ressources budgétaires à consacrer à la construction de ces deux institutions. Aucun ratio démographique ne pouvait justifier un tel partage : il n’était justifié que pour maintenir les privilèges de l’Université McGill et lui offrir des places de stages et de résidences pour ses étudiants (en grande partie étrangers) qui ne parlent pas français et qui n’auraient pas à le faire. On a moins bien retenu que l’octroi immérité de ces ressources a eu deux conséquences majeures : la réduction du nombre de lits pour le CHUM (en raison de contraintes qu’il n’est pas utile d’exposer ici) et le report indu de la rénovation\construction de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, le plus important centre médical de l’Est de Montréal, desservant une population plus nombreuse et aux caractéristiques sociosanitaires justifiant d’en faire une priorité nationale11. Le MUHC continue à se développer alors que le CHUM reste en deçà de son potentiel et que le projet de Maisonneuve/Rosemont chambranle au gré des reports et révisions. Les ressources n’étant pas illimitées, il est clair que c’est la population de l’est de Montréal qui subit les conséquences de ce choix de développement séparé.

La création des RUISS (Réseaux universitaires intégrés de santé et services sociaux) a prolongé et consacré l’emprise de McGill sur le monde médical québécois. Le RUISS McGill s’est vu confier la responsabilité d’un immense territoire (7 régions administratives et 63 % du territoire du Québec) couvrant tout l’ouest du Québec jusqu’au Nunavik. C’est un non-sens qu’une telle responsabilité soit confiée à une université privée inscrite dans l’anglosphère. La chose a trouvé son expression caricaturale avec la création du campus médical de McGill en Outaouais, région où l’anglicisation progresse à cause de la proximité d’Ottawa. La surcomplétude institutionnelle se poursuit et se renforce, s’engraissant même d’une offre en français pour déclasser la médecine francophone.

Il est contraire à l’intérêt national et à la cohérence de l’architecture institutionnelle de maintenir le RUISS McGill dans son découpage actuel. C’est une force de bilinguisation et de drainage des ressources contraire aux besoins de la population et de l’objectif de francisation du Québec.

Recommandation 4 – La Ligue d’Action nationale propose de réorganiser les RUISS dans le prolongement direct de l’objectif de faire du français la seule langue du fonctionnement institutionnel dans la santé et les services sociaux sur l’ensemble du territoire québécois. Il faut distinguer la langue de fonctionnement organisationnel de celle de la prestation de services qui doivent être donnés aux personnes ayant des difficultés de compréhension du français.

Une étude parue en 201 012 a montré que le gouvernement du Québec, par le surfinancement des services publics de santé, d’éducation et d’administration publiques fonctionnant en langue anglaise, est le plus grand employeur de la région imposant de facto le bilinguisme dans ces milieux de travail. Dans la majorité des cas les postes sont occupés par des francophones et des allophones qui y entreprennent ou poursuivent leur processus d’anglicisation et renoncent à leur droit de travailler en français. Le discours du respect des droits de la minorité historique a ses limites : dans l’état actuel du réseau, c’est un leurre.

Le mouvement d’accroissement des institutions de l’anglosphère du Québec se poursuit avec le projet de création à l’Université Concordia de l’École de santé publique. Il est clair qu’un tel projet n’a d’autre objectif que d’étendre le marché du travail anglais en santé. Une telle école fera concurrence à celle de l’Université de Montréal et complètera un circuit de professionnalisation n’ayant que peu à faire avec l’écosystème francophone. Il deviendra encore plus facile de contourner le fait français à Montréal. C’est une dynamique de développement séparé qui se déploie avec le soutien actif du gouvernement du Québec et des ressources financières des contribuables québécois. Ce soutien contribue directement à dégrader l’offre de services en français et, de ce fait, à propager l’illusion que les services en anglais sont supérieurs.

Recommandation 5 – La Ligue d’Action nationale propose de ne pas autoriser la création de l’École de santé publique de Concordia et d’accorder plutôt à l’École de santé publique de l’Université de Montréal les ressources qui lui permettront de jouer un rôle pleinement national.

Afin de contrer la marginalisation de l’UQAM, il importe d’y ouvrir dans les plus brefs délais une faculté de médecine qui non seulement lui permettra l’accès à de meilleures conditions de financement, mais encore et surtout lui donnera un rôle dans la planification et la réponse aux besoins du système de santé à l’échelle nationale. Le déséquilibre inacceptable dans la prise en charge de plus du tiers des régions administratives par le RUISS McGill pourrait ainsi être corrigé sans compter que l’arrivée d’une nouvelle faculté renforcera la médecine en français dans son ensemble en créant des conditions d’émulation qui ne pourront qu’être bénéfiques. Le renforcement et la valorisation accrue de son usage et de son prestige passent par des gestes forts témoignant de sa puissance institutionnelle. C’est pourquoi il faut agir sur les structures d’abord si l’on veut que les comportements finissent par définir les conditions normales de la vie dans une société dont le français est la langue officielle et commune.

Recommandation 6 – La Ligue d’Action nationale propose la création d’une faculté de médecine à l’Université du Québec à Montréal en vue de corriger les déséquilibres institutionnels contribuant à la perte de prestige et d’attraction du français dans les services de santé et dans l’enseignement supérieur.

Promouvoir la culture pour faire vivre la langue française

L’attachement à la langue ne peut rester un fait de culture qu’à la condition d’être encouragé, encastré dans l’univers symbolique qui s’est construit ici au fil des siècles dans une grande diversité d’œuvres témoignant de notre rapport au monde et de la contribution que nous apportons à l’enrichissement de l’aventure humaine. Il faut donc insister sur la convergence et la plus grande cohérence possible entre la politique de la culture et les objectifs de politique linguistique.

Il n’est pas le lieu ici de traiter tous les aspects que devrait couvrir un pareil effort de convergence. Il faut cependant insister sur la nécessité d’accroître substantiellement les budgets du ministère de la Culture dévolus au développement des publics et à l’amélioration de l’accessibilité dans le but d’accroître et de faciliter la fréquentation des œuvres. À l’heure où les puissants moyens de diffusion et de production dont disposent les géants du numérique font peser sur toutes les nations une américanisation destructrice, il importe de renforcer les moyens de Télé-Québec pour en faire une véritable locomotive et un leader dans le déploiement de solutions de convergences des moyens de production et diffusion centrés sur la culture québécoise. À cet égard, il est urgent de rappeler que les institutions culturelles canadiennes travaillent directement à l’encontre des objectifs de développement de la culture québécoise. Ce sont des forces de marginalisation qui ne sont certes pas sans effet sur les milieux culturels, en les inscrivant dans des logiques et des structures qui consacrent sa mise en minorité et son assujettissement à la doctrine d’État du multiculturalisme.

Recommandation 7 – La Ligue d’Action nationale propose que le gouvernement du Québec consacre le leadership de Télé-Québec en matière de production et de diffusion et qu’il en fasse le principal instrument de convergence de ses politiques culturelles en accroissant ses budgets et ses attributions en lien avec les objectifs d’une politique linguistique déterminée à accroître la visibilité des œuvres.

L’annonce récente touchant les sommes consacrées par Ottawa à la protection et à la valorisation des langues officielles tient du plus pur cynisme. À quoi peut bien servir la reconnaissance par Ottawa que c’est le français qui est menacé au Canada, lorsqu’elle octroie près de 300 millions au soutien de l’anglais au Québec ? À rien d’autre que tenter d’endormir l’opinion publique.

Le ministre Roberge a beau se scandaliser et réclamer que ces sommes soient consacrées à la francisation, rien n’y fait. La rhétorique nationaliste aussi bien que les arguments logiques ne changeront rien aux contraintes qu’impose un régime voué à la minorisation du peuple québécois. Les millions consacrés à la prétendue protection de l’anglais au Québec ne servent en fait qu’à financer la concurrence des langues et des modèles d’intégration au Québec, soutenant le travail de sape des lois et politiques linguistiques qui visent à faire du Québec un pays français.

Il est évident dans l’esprit de la Ligue et de ses membres que le Québec restera toujours en matière de développement culturel comme dans le reste entravé par son statut de province dans un Canada tout entier déterminé à contenir aussi bien son expression que sa capacité à décider pour lui-même et par lui-même.

Ce statut de nation entravée a d’énormes conséquences sur la capacité de notre État et, plus globalement, de notre société, à agir avec cohérence dans tous les processus sociologiques en cause dans les mécanismes de socialisation et de transmission de notre langue, de nos héritages et de nos aspirations culturelles. S’il est un domaine où ces entraves peuvent être très lourdes de conséquences, c’est bien dans celui de la socialisation de la jeunesse où la concurrence des modèles d’intégration à l’univers culturel commun peut s’avérer particulièrement néfaste. Les illustrations de ces entraves sont innombrables et nul ne les a mieux caricaturées que Pierre Falardeau qui a fait d’Elvis Gratton un personnage emblématique de l’aliénation culturelle et de la confusion des repères identitaires. Cette confusion est au cœur de la lutte féroce que la confrontation du multiculturalisme et de la culture québécoise dresse en permanence pour établir les grands repères symboliques, qu’il s’agisse de ceux qu’il faut offrir à la jeunesse, aux nouveaux arrivants ou à quiconque tente de mettre du sens dans son rapport à notre vie nationale.

La jeunesse est particulièrement vulnérable aux effets néfastes ici évoqués et c’est par l’intermédiaire de l’école qu’il faut la convier à mieux aimer sa langue en se découvrant mieux dans les repères symboliques que lui offrent les multiples acquis de la culture québécoise. Il est évident que les programmes scolaires doivent faire une meilleure place à la culture québécoise dans la formation des jeunes. Il n’est pas le lieu ici d’explorer les multiples avenues que cela devrait pointer, mais il suffira, par exemple, d’évoquer la nécessité d’établir et d’offrir à tous les élèves un corpus des classiques de la littérature nationale afin de fournir à tous des repères communs. Ce corpus fait l’objet depuis trop longtemps de débats idéologiques parmi les diverses écoles pédagogiques. Le ministère devrait trancher.

Recommandation 8 – La Ligue d’Action nationale propose que le gouvernement du Québec procède à la mise en place d’un groupe de travail formé du ministère de l’Éducation et du ministère de la Culture pour établir en littérature comme dans les autres domaines des arts, des corpus à intégrer au parcours de tous les élèves. Les œuvres phares sont des repères essentiels à la construction de références communes.

Enfin, il est particulièrement impérieux d’offrir à la jeunesse québécoise des écoles secondaires des occasions de se familiariser et d’entrer en contact avec les œuvres des artistes d’hier et d’aujourd’hui dans un contexte favorisant des habitudes de vie nourries par la culture québécoise. C’est à ces âges que se forgent les préférences qui donnent les paramètres et les contours à l’identité. L’américanisation débilitante et la culture de masse standardisée ne se combattent pas par des imprécations. Il faut offrir des conditions réelles d’expériences culturelles authentiques pour que la jeunesse s’assume et s’épanouisse dans ses héritages comme dans la culture qui se fait dans son époque. Cela passe par un ambitieux programme d’animation culturelle qui exposera les jeunes à diverses expériences culturelles dans le cadre de la vie de l’école aussi bien que dans des activités parascolaires. Il est formateur et gratifiant qu’ils puissent grandir en sachant reconnaître un tableau de maître du Québec du 20e siècle, apprécier une création théâtrale du moment et se familiariser avec la chorégraphie ou l’architecture. On ne le dira jamais assez, la culture est fondamentale. Et l’on ne peut la servir qu’en la plaçant au fondement des pratiques de socialisation.

Le français trouve sa puissance, sa force de rayonnement et de partage dans l’exposition et le contact direct avec les œuvres qui en expriment toute la valeur. À l’heure où les nations de partout dans le monde font l’expérience des conséquences des effets corrosifs de l’uniformisation culturelle et des effets déstabilisateurs sur la vie sociale comme sur l’économie d’une mondialisation débridée, le combat québécois trouve plus que jamais la plénitude de son sens dans la promotion de notre culture.

Recommandation 9 – La Ligue d’Action nationale propose que le gouvernement du Québec prenne les dispositions nécessaires pour créer dans chacune des 384 écoles secondaires du Québec un poste d’animation culturelle essentiellement consacré à l’expérience des œuvres de la culture québécoise et que ce poste soit doté d’un budget conséquent afin d’assurer les meilleures convergences avec les institutions vouées à la promotion et à la diffusion de la culture québécoise (musées, théâtres, orchestres, etc.)

L’immigration : vitale pour la francisation du Québec

Traditionnellement au Canada, l’immigration a été utilisée pour réduire le poids démographique de la population francophone. Le Québec a toujours tenté de résister à toutes ces tentatives. La loi 96 ne fait pas exception en affirmant que « le français est la langue d’accueil et d’intégration des immigrants, celle de la communication interculturelle permettant à tous de participer à la vie publique au Québec et, enfin, la langue permettant l’adhésion et la contribution à la culture distincte de la population québécoise13. » Ce sont des principes que nous partageons, mais qui resteront tragiquement lettre morte sans des mesures extrêmement vigoureuses pour vaincre le contexte canadien hostile à la francisation.

Du point de vue d’un immigrant allophone, apprendre deux langues représente un défi qui s’ajoute aux autres difficultés qu’il éprouve pour s’intégrer dans une société nouvelle. Le pays d’accueil, le Canada, bien qu’il se prétende bilingue, fonctionne en anglais partout en dehors de la province du Québec. Même au Québec, on peut bien vivre avec une connaissance sommaire du français à cause de la dualité des réseaux d’éducation, de santé et de services sociaux, municipaux et gouvernementaux tous disponibles en anglais. Pourquoi apprendre deux langues en plus de la sienne, puisque l’immense majorité de la population canadienne se contente de n’en parler qu’une et que l’anglais domine toutes les sphères de la vie en société. Tant que les francophones du Québec seront une minorité au sein Canada, décroissante en plus, beaucoup d’immigrants résisteront à tous les appels pour s’intégrer au Québec en français.

Les limites des cours de francisation

Malheureusement, la loi 96 en matière d’immigration s’est limitée à proposer des mesures de francisation des immigrants après leur arrivée. Le gouvernement y demande beaucoup trop au nouvel organisme Francisation Québec chargé de « fournir des services d’apprentissage du français aux personnes domiciliées au Québec qui ne sont pas assujetties à l’obligation de fréquentation scolaire, afin de leur permettre d’acquérir des compétences suffisantes pour utiliser le français comme langue commune14. ». C’est là un énorme défi, surtout lorsque l’on constate les piètres résultats des cours de français aux immigrants, suivis d’ailleurs par une infime minorité d’entre eux.

Sur un autre plan, les données du ministère québécois de l’Immigration, de la francisation et de l’intégration montrent que la proportion des immigrants connaissant le français à l’arrivée serait passée de 56 % en 2015 à 60 % en 202 015. C’est une stagnation inquiétante d’autant plus que le progrès en un an de 49,8 % à ce 60 % peut être mis en doute, car il est fondé sur une correction dans la méthodologie du ministère de l’immigration canadien basé sur les déclarations des personnes concernées, sans compter que certains d’entre eux peuvent avoir intérêt à exagérer leur connaissance du français.

Recommandation 10 – La Ligue d’Action nationale propose que le gouvernement déplace ses efforts vers l’augmentation du nombre d’immigrants ayant une véritable connaissance d’usage du français avant leur arrivée, tout en investissant des efforts financiers importants pour améliorer l’offre de francisation pour celles et ceux qui en auront besoin.

Réformer la formation linguistique offerte aux immigrants

Dans son rapport de 2017, la Vérificatrice générale du Québec soulignait que « la vaste majorité des participants aux cours de français du ministère de l’Immigration n’ont pas atteint le seuil d’autonomie langagière, (…) n’atteignant ce seuil que dans une proportion de 9,1 % à l’oral et de 3,7 et 5,3 % à l’écrit16 ». Le fait que Francisation Québec s’adresse à l’ensemble de la population plutôt qu’aux besoins spécifiques des immigrants nuira à sa possible efficacité, de sorte qu’on peut douter que les résultats soient meilleurs à l’avenir. Pour les nouveaux Québécois, l’apprentissage du français doit être intégré à la connaissance de l’histoire, de la culture et des exigences de la vie courante au Québec. Il faudrait recréer des Centres d’orientation et de formation pour les immigrants (COFI) où les nouveaux arrivants pourraient bénéficier de cours de francisation intégrés à la culture et à l’histoire du Québec, tout en ayant accès à des services d’accompagnement et d’information quant aux ressources d’intégration à la société québécoise qui s’offrent à eux pour le travail, les études et la vie de tous les jours.

Recommandation 11 – La Ligue d’Action nationale propose qu’un mandat soit donné à Francisation Québec pour que ce nouvel organisme mette sur pied un réseau de Centres de francisation et d’intégration s’inspirant de la formule des COFI, offrant aux immigrants à la fois des cours obligatoires de français, d’initiation à la culture québécoise et d’assistance à l’intégration à la société québécoise.

Il est clair qu’on ne peut pas compter principalement sur les cours de français pour assurer l’usage de cette langue à la maison et dans la vie publique. Le gouvernement a déclaré qu’il fallait atteindre 90 % des transferts linguistiques des personnes immigrantes vers le français, niveau nécessaire pour éviter la décroissance de la population francophone du Québec. Une politique vigoureuse de francisation devrait d’abord commencer par rendre contraignant cet objectif malheureusement absent du projet de loi 96. Ensuite, il faut publier un plan vigoureux pour atteindre l’objectif en y reliant un ensemble de mesures chiffrées qui permettraient de franchir l’écart qui nous en sépare. Ce plan devrait être accompagné d’une obligation d’informer régulièrement la population des progrès vers cet objectif.

Recommandation 12 – La Ligue d’Action nationale propose de fixer par la loi et les règlements l’objectif d’un transfert de 90 % des immigrants vers le français d’ici au plus tard 2030, en spécifiant dès maintenant un plan par étapes regroupant l’ensemble des mesures nécessaires pour y parvenir, incluant l’obligation de transparence visant à informer régulièrement la population des progrès obtenus.

Encadrer l’immigration temporaire

Le gouvernement du Québec s’est fixé comme objectif d’accueillir 50 000 immigrants permanents au cours des prochaines années. Ce taux d’immigration permanente est presque deux fois plus élevé qu’aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni selon les chiffres de l’OCDE17, ce qui rend d’autant plus difficile l’atteinte des objectifs de francisation et d’intégration des personnes immigrantes. À ce seuil élevé fixé par Québec, il faut ajouter l’immigration temporaire dont le nombre est trois fois plus élevé. En 2021, l’immigration temporaire concernait 176 865 personnes dont 90 900 détentrices d’un permis d’études internationales (PEI), 62 700 inscriptions au Programme de mobilité internationale (PMI) géré uniquement par Ottawa et 23 795 au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) 18.

Ces programmes sont en croissance rapide, car le gouvernement canadien favorise de plus en plus un processus d’immigration en deux étapes, d’abord au moyen de permis temporaires et ensuite en offrant un passage rapide de ce statut à celui de résident permanent. De la sorte, les étudiants internationaux fréquentant majoritairement les cégeps et les universités de langue anglaise viendront grossir le contingent des personnes qui parlent l’anglais à la maison et au travail. Après la fin de leurs études, via le PMI où le Québec n’exerce actuellement aucun contrôle, Ottawa leur offrira, ainsi qu’à leurs conjoints ou conjointes, un permis de travail ouvert et renouvelable de trois ans, sans exigence linguistique, qui les mènera ensuite à la résidence permanente au Québec.

Une enquête a révélé que certains collèges privés avaient recours à des partenariats avec des firmes de recrutement d’étudiants étrangers dont l’intérêt principal n’était pas les études, mais l’immigration au Québec et au Canada19. Ces programmes « d’études » en anglais accueillaient surtout des personnes de la Chine ou de l’Inde. Par exemple, de 2017 à 2019, le nombre d’étudiants de l’Inde recrutés dans ces collèges est passé de 2 000 à 13 000. Ces personnes « anglotropes » viendront clairement grossir le contingent de ceux et celles qui parlent l’anglais à la maison ou au travail, précisément ce que les lois 101 et 96 voudraient éviter.

Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) créé en 2018 par l’actuel gouvernement du Québec offre lui aussi une voie rapide vers l’immigration permanente pour les diplômés et les travailleurs étrangers déjà au Québec. S’il faut favoriser la rétention permanente des diplômés des cégeps et des universités francophones, la croissance rapide des étudiants internationaux dans les institutions anglophones de Montréal favorise l’anglicisation de la métropole.

Le Québec utilise mal l’entente Canada-Québec qui lui permet de délivrer des permis temporaires d’étude et de travail. Il doit aussi exiger de prendre en charge l’émission des permis dans le programme de mobilité internationale créé par Ottawa pour en limiter l’usage pour l’accès à la résidence permanente. Il pourrait également délivrer majoritairement des permis d’études et de travail uniquement aux ressortissants de pays francophones et aux personnes intégrées dans des institutions francophones.

Recommandation 13 – La Ligue d’Action nationale propose de réserver les voies rapides à la résidence permanente aux diplômés des institutions francophones, tant dans le cadre du PEQ, dans le programme de mobilité internationale ; nous invitons le gouvernement à assumer ses responsabilités dans l’émission des permis d’étude et de travail en les orientant en fonction d’objectifs de francisation et d’intégration, et en favorisant une immigration exclusivement francophone ou francotrope.

Maintenir un seuil d’immigration compatible aux capacités d’intégration du Québec

Assurer une immigration à 90 % francophone est un objectif ambitieux, rendu davantage évanescent par la politique d’immigration massive du gouvernement canadien qui se propose d’accueillir 500 000 immigrants par année20, visant à faire passer la population canadienne à 100 millions à la fin du siècle. Selon une étude de Statistique Canada21, en combinant cet objectif canadien et celui de 50 000 immigrants permanents au Québec, le poids de la province chutera de 22,9 % actuellement à 18 % en 204 722. En extrapolant ces données, la population du Québec ne formerait plus que 10 % de celle du Canada en 2100. Cette minorisation accélérée du Québec aura des effets catastrophiques sur la francisation. Les revendications linguistiques du Québec seront davantage ignorées politiquement et rejetées du revers de la main comme c’est le cas maintenant.

Recommandation 14 – La Ligue d’Action nationale demande au gouvernement du Québec de maintenir sa propre politique d’immigration et de contrer la politique canadienne d’immigration ultra-massive qui minorise la nation québécoise et menace l’avenir du fait français.

Oser devenir un pays de langue française en Amérique

La répression linguistique au Canada à l’égard du français, surtout depuis 1840, a entrainé une forte assimilation des francophones en dehors du Québec, comme le démontre le recensement de 2021. Ce phénomène s’étend maintenant à la grande région de Montréal. C’est un fait qui explique notre position, et celle d’un grand nombre de Québécois et de Québécoises, de faire du Québec un pays, le seul endroit en Amérique du Nord où notre langue peut se maintenir et prendre son essor.

Dans son état actuel, la loi 14 issue du projet de li 96 veut « assurer la vitalité et la pérennité de la langue française au Québec », mais elle ne s’attaque pas aux causes profondes du déclin du français au Québec qui sont structurelles. Le législateur semble avoir voulu éviter toutes les mesures structurantes en faveur du français, d’abord parce qu’il n’en a pas les compétences constitutionnelles, mais aussi, sur le plan politique, par crainte de stimuler l’opposition au fait français, au sein du Québec comme au Canada.

C’est notre profonde conviction que le gouvernement du Québec, quel que soit le parti au pouvoir, même s’il était fortement déterminé, pourrait au mieux ralentir la décroissance du français au Québec dans le cadre constitutionnel canadien. Au cours des prochaines années, plutôt que de mettre toutes ses énergies à la francisation du Québec, notre gouvernement devra au contraire se battre devant les tribunaux canadiens pour faire respecter les lois votées démocratiquement par notre Assemblée nationale sur la langue et la laïcité. De plus, la politique d’immigration massive canadienne rendra de plus en plus difficile la défense de la langue française au Québec et au Canada. Dans ce contexte, l’État du Québec ne pourra atteindre son objectif de 90 % des transferts linguistiques vers le français, pourtant nécessaire au simple maintien du niveau du français au Québec.

Il faut cesser de nous illusionner sur notre capacité de maintenir la langue française au Québec en nous conformant au statut provincial qui nous a été imposé par la constitution de 1867 et la loi constitutionnelle de 1982.

La loi 14 a modifié la Loi constitutionnelle de 1867, en insérant dans la partie réservée au Québec des articles affirmant : « Les Québécoises et les Québécois forment une nation. Le français est la seule langue officielle du Québec. Il est aussi la langue commune de la nation québécoise. » Au Québec, près de 80 % des francophones, mais à peine 25,2 % des non-francophones se disent d’accord avec cette proposition de la loi 96. À l’extérieur du Québec, seulement 15 % des Canadiens l’approuvent et la résistance hors Québec s’est embrasée rapidement, même pour une mesure essentiellement symbolique. C’est une nième démonstration de l’incompatibilité des visions québécoise et canadienne, fondée sur le non-respect des droits politiques du peuple québécois tel qu’exprimé par la loi 99 de l’Assemblée nationale du Québec, qu’Ottawa a d’ailleurs combattu férocement devant les tribunaux.

C’est en interprétant la Constitution canadienne que la Cour suprême du Canada a prononcé six jugements (1979, 1980,198 4, 1988, 2007 et 2009) qui invalidaient morceau par morceau les principaux articles de la Charte de la langue française, lesquels résultaient pourtant d’une longue marche de la démocratie québécoise entreprise 20 ans plus tôt. C’est de la même façon que la loi 96 sera également réduite à sa plus simple expression par les tribunaux canadiens.

Le gouvernement du Québec s’est engagé ici dans une voie sans issue. Si à la fin du processus juridique devant les cours canadiennes la loi 96 était fortement modifiée ou déclarée inconstitutionnelle, que pourra faire l’Assemblée nationale privée de tout recours légal ? Le Québec ne doit plus accepter cette répression juridique qui met en péril son existence comme nation jusque dans la défense de sa langue.

Pour une Constitution du Québec français

Faire du français la langue commune et officielle du Québec est essentiel à la cohésion sociale, à l’inclusion et à la pleine participation de toutes et de tous à la même sphère de droits et de devoirs. C’est dans cet esprit pluraliste et inclusif que la Charte de la langue française et les amendements de la loi 96 ont d’ailleurs été adoptés. Dans un Québec indépendant, la capacité de parler français deviendra clairement pour tous un avantage pour travailler, s’éduquer, se divertir et participer à la vie de la nation sur tous les plans. Les immigrants s’intégreront naturellement à la majorité québécoise, participant à l’édification d’une nation de langue française en Amérique. L’indépendance du Québec consolidera définitivement la langue française comme facteur d’intégration et de promotion pour tous.

Tant que les Québécois accepteront le cadre constitutionnel canadien qui leur a été imposé, ils devront assister, impuissants, à leur déclin linguistique et national. Une politique linguistique pour être efficace doit s’appuyer sur la souveraineté de l’État. Elle ne peut être soumise au cadre légal d’un autre État.

Recommandation 15 – La Ligue d’Action nationale propose que le Gouvernement du Québec prépare un projet de Constitution du Québec hors du cadre canadien. Cette constitution affirmera que le Québec est une nation dont le français est la seule langue officielle et la langue commune. Elle intégrera la Charte de la langue française, étendue pour faire du français la seule langue de la législation et des tribunaux, de l’éducation, des services sociaux et de santé, de l’affichage, des affaires et du travail. Ce nouveau régime constitutionnel mettra fin à la concurrence des langues et à la dualité linguistique sur le territoire du Québec, tout en établissant les droits des peuples autochtones et de la minorité historique de langue anglaise.


1 Enquête sur les comportements linguistiques des étudiants du collégial (ECLEC), IRFA, 7 septembre 2010.

2 La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires de langue française, de langue anglaise ou bilingues, Statistique Canada, 5 avril 2022.

3 Frédéric Lacroix, Un libre choix ? Cégeps anglais et étudiants internationaux : détournement, anglicisation et fraude, Mouvement Québec français, 2021, 174 pages

4 https://www.irfa.ca/site/wp-content/uploads/2020/02/Rapport_CSQ_012011.pdf

6 Frédéric Lacroix, Pourquoi la loi 101 est un échec, Boréal, 2020.

7 Frédéric Lacroix, « La chute de la maison UQAM », L’Action nationale, mars 2023, p. 50-114.

8 Daphnée Dion-Viens « 300 étudiants non québécois formés en médecine à McGill à nos frais », Journal de Montréal, lundi 24 avril 2023

9 Il semble que la ministre Pascale Déry aurait l’intention de redresser la situation. Ce serait une bonne initiative, mais qui restera partielle. [Voir Journal de Montréal 24 avril 2023.]

10 Frédéric Lacroix et Patrick Sabourin, L’Action nationale, septembre 2005.

11 Des annonces récentes laissent entendre que le projet finira peut-être par se réaliser et par réparer un tant soit peu au moins deux décennies de services de piètre qualité et d’équipement désuet.

12 Henri Thibaudin, 2011, L’offre d’emploi de langue minoritaire des institutions publiques au Québec et au Canada, IREC ; https://irec.quebec/publications/rapports-de-recherche/loffre-demploi-de-langue-minoritaire-des-institutions-publiques-au-quebec-et-au-canada

13 Loi 14 [projet de loi 96] intégrant l’article 88.9 dans la Charte du français.

14 Loi 14 [projet de loi 96] intégrant l’article 88.12 dans la Charte du français.

15 MIFI [2020], Bulletin statistique sur l’immigration permanente au Québec, p. 5

16 Rapport du Vérificateur général du Québec, Automne 2017.

17 OCDE [2019] Perspectives des migrations internationales 2018, pour le Canada, recensement 2016.

18 A. M. Meggs, L’Aut’journal, octobre 2022, p. 7.

19 L. Leduc, « Québec s’attaque au recrutement frauduleux d’étudiants étrangers », La Presse, 4 juin 2021.

20 « Ottawa souhaite accueillir 500 000 immigrants par année d’ici 2025 », journal Les Affaires, 1er novembre 2022.

21 Statistique Canada, Centre de démographie, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/91-620-x/91-620-x2022001-fra.htm#a33, consulté le 15 décembre 2022.

22 Suzanne Colpron, « Le poids du Québec chutera à 18 % en 2047 », La Presse, 21 novembre 2022.