La création du Centre universitaire de santé McGill a été une désastreuse erreur. Non pas une erreur de gestion, une erreur politique. Rien ne justifiait de créer deux mégahôpitaux universitaires à Montréal. Rien ne justifiait de partager moitié-moitié les fonds publics pour soutenir les institutions d’une minorité d’à peine 7 % de la population. Rien sinon la logique du développement séparé, la logique de l’apartheid feutré qui tient McGill et nombre d’institutions anglophones à l’écart de la réalité nationale. En acceptant de laisser se développer un centre que la démographie ne justifie pas, que la logique institutionnelle désaffilie des grands choix nationaux et que sa dynamique culturelle tient dans la logique du ghetto, le Québec s’est enferré dans un ruineux carcan.
Le courage qui a manqué pour en refuser la création va maintenant être nécessaire pour limiter les dégâts que tout le Québec doit d’ores et déjà essuyer. Les tribulations du Dr Porter, les accusations de corruption et de malversation entourant les contrats de partenariat public-privé, les magouilles impliquant des promoteurs immobiliers aux réputations sulfureuses, l’explosion des coûts, tout cela ne suffira pas à venir à bout du premier scandale, celui de l’aplatventrisme démissionnaire qui a laissé s’ériger pareil monument à la bêtise. Il faut en finir avec la rhétorique du scientisme économiciste ou celle de la gloriole métropolitaine qui voudrait nous faire croire que la chose est un véritable joyau pour le Québec. Le CUSM est un instrument d’anglicisation de Montréal, il participe de la nébuleuse des institutions surfinancées pour maintenir une dynamique anglicisante qui ne carbure qu’à la démission des élites québécoises et à l’hypocrisie des positions concernant l’immigration. Sa vérité et sa pertinence ne tiennent qu’à la résignation collective devant un fait que personne ne veut regarder en face : la minorité anglophone du Québec n’a plus la démographie pour soutenir le complexe institutionnel qui a été déployé pour elle.
Ce complexe ne peut survivre qu’en prenant appui sur un bassin d’immigrants anglicisés qui forment l’essentiel de sa clientèle. Il est une force de désintégration de la loi 101 et de destruction du consensus qu’elle avait permis d’instaurer, consensus établissant que c’est en français et aux institutions françaises que doivent s’intégrer les nouveaux arrivants. Le travail d’érosion des tribunaux canadian et la guerre de propagande menée contre le Québec français ont fourni des conditions d’expansion à ce réseau hypertrophié. Le comble de l’affaire c’est que le complexe ne fonctionne en anglais que par le recrutement d’immigrants et de francophones qui lui fournissent la majorité de son personnel. Dans le cas des universités, la chose est aggravée par un surfinancement qui maintient une offre de services qui les avantage en accroissant leurs moyens et leur fournissant, du coup, une force d’attraction qui ne s’exerce qu’au détriment des universités françaises. Une offre qui leur permet également de recruter massivement à l’extérieur du Québec en comptant sur du financement fourni par les seuls contribuables du Québec.
Les Québécois refusent de le croire, mais c’est leur propre gouvernement – et avec leurs impôts – qui érode leurs positions, les minorise de plus en plus rapidement. Il en coûte plus de deux milliards par année au gouvernement du Québec pour maintenir cette offre absurde. C’est ce qu’il en coûte en fonds publics pour soutenir les dizaines de milliers d’emplois qui font tourner en anglais ces institutions qui devraient avoir été reconfigurées pour s’inscrire dans les réseaux français. Cela n’a plus rien à voir avec la préservation des droits de la minorité historique que personne, du reste, ne songe à remettre en cause. Cela tient essentiellement d’un rapport politique qui fait tout pour consolider à Montréal une structure d’accueil permettant d’y vivre en anglais à l’abri des inconvénients de composer avec le caractère français de la métropole.
Ce sont les fonds publics qui soutiennent une infrastructure qui systématiquement nourrit des déséquilibres incompatibles avec la justice fiscale et qui mine le service de l’intérêt national bien compris : le plus gros cégep du Québec est anglais (Dawson) ; Concordia et McGill en plus de recevoir des fonds sans commune mesure avec le poids de la communauté anglophone dans la démographie se font financer des places d’accueil d’étudiants étrangers qui permettent de soutenir artificiellement certains programmes dont les ressources devraient plutôt se retrouver dans les universités françaises ; les services de santé sont des vecteurs de bilinguisation forcée ; la moitié des villes bilingues ne devraient plus l’être, etc.
Le scandale de la corruption au CUSM participe très certainement d’un processus global de pourrissement des élites, processus qui a été provoqué et facilité par la guerre sans merci livrée au projet national et menée avec une campagne idéologique de tous les instants érigeant l’affairisme en vertu civique. Les libéraux y ont certes une responsabilité historique qui reste en droite ligne avec le rôle que leur réserve un régime qui ne les tolère qu’à la condition qu’ils agissent comme force de dissolution de la cohésion nationale. Mais il faut bien le reconnaître, ils ne sont pas les seuls, ils peuvent également compter sur une partie de l’élite souverainiste elle-même, velléitaire et plus prompte à la génuflexion qu’à la franche détermination.
Pour tenir le Québec dans la logique de minorisation, le régime – et ceux qui le soutiennent par veulerie ou intérêt, – a besoin d’un Anglo Compact dont les assises et les conditions de reproduction se définissent dans ce complexe institutionnel fournissant aux barons ethniques (au nombre desquels il faut compter quelques frincophônes de service) et à ce qui reste de l’élite WASP des moyens et une influence capables de contourner ou neutraliser les exigences de la cohésion nationale. Ces institutions fonctionnent d’abord et avant tout dans la référence canadian. Elles offrent des postes et des cheminements de carrière qui constituent autant de voies d’évitement des parcours qui seraient normalement prescrits par la participation aux institutions de la majorité légitime.
Cet Anglo Compact définit une zone de pouvoir et d’influence à part dans la société québécoise. C’est là que se fabriquent les relais de l’intégration forcée, c’est là que se réfugie une élite qui se concerte pour mettre en échec la volonté nationale et déployer des moyens d’encastrement des institutions qu’elle contrôle dans le réseau canadian. C’est à partir de lui que se peuvent mettre en œuvre les processus de marginalisation culturelle, ceux-là qui nous oblitèrent aussi bien que ceux-là qui nous transforment en présence anecdotique, voire exotique. On peut faire toutes ses études à Concordia ou à McGill sans rien apprendre du Québec. On peut y faire carrière en y trouvant les strapontins qui faciliteront le passage dans les circuits de l’élite canadian ou les sinécures pour faciliter la vie à ceux-là qui font carrière à encadrer le Québec français.
Ce que laisse voir l’affaire du CUSM, c’est un mince aperçu du fonctionnement en vase clos de cet Anglo Compact. Il faut vouloir ne rien voir pour s’imaginer que les magouilles ne sont l’affaire que de quelques individus. La complaisance et le laxisme sont des caractéristiques essentielles au fonctionnement de ces institutions dont une partie de la vocation reste centrée sur la préservation d’un espace de privilège, celui de pouvoir fonctionner comme avant-poste canadian et instrument de refus du statut de minoritaire dans une société française, comme lieu de contestation permanente de notre réalité nationale. Il serait naïf de se laisser berner par la désignation d’un bouc émissaire. Le conseil d’administration a été d’autant plus facile à manipuler qu’il baigne tout entier dans la culture du développement séparé, celle qui tient pour irritants les processus institutionnels du gouvernement du Québec, celle qui préfère les liens avec le big government, le seul gouvernement national. C’est pourquoi il est pusillanime de nommer un « accompagnateur » pour mettre de l’ordre dans ce qui imposerait de toute urgence une mise en tutelle. Il faut prendre le problème à la racine et commencer là où cela fera la différence. Il faut mettre fin à la logique d’apartheid et commencer par ramener le CUSM et le CHUM sous une seule et même autorité.
Il faut faire la lumière non seulement sur la corruption qui a entouré la formation du PPP du CUSM, mais encore sur ce deuxième PPP, baptisé CanCold, qui est venu se greffer sur le premier. La chose est passée comme une lettre à la poste et pourtant il est loin d’être évident que l’intérêt du Québec et celui de la médecine francophone soient bien servis par ce partenariat qui associe cinq grandes pharmaceutiques et des centres reliés aux Instituts de recherche en santé du Canada de quatre provinces canadiennes. Les infrastructures publiques du CUSM sont intégrées dans une aventure privée susceptible d’avoir des retombées commerciales d’envergure et l’on ne sait rien de la nature du contrat. La chose a été négociée à l’ombre du secret commercial par des cadres dont certains, a-t-on de bonnes raisons de penser, ont trempé jusqu’au trognon dans les magouilles dont les odeurs commencent à polluer l’atmosphère. Les dirigeants et les membres de cette élite entretenue brassent des grosses affaires avec l’argent des autres, celui de tous les Québécois dont ils usent et abusent avec une discrétion toute canadian.
Il y a des limites à laisser se développer des stratégies qui visent à désenclaver du Québec les institutions contrôlées par cet Anglo Compact et à les laisser se développer sans égard pour nos priorités nationales. Il y a des limites à laisser les Heather Munroe Bloom de ce monde se justifier de toucher des salaires indécents sous prétexte que McGill est une université de classe mondiale. Il y a des limites à l’endurer nous proposer le modèle américain en pleine crise étudiante sous prétexte de normaliser enfin notre différence continentale. Il y a des limites à faire semblant de croire que ce compact puisse servir à autre chose qu’à construire des réseaux d’évitement et des relais de minorisation. Il y a des limites à laisser cette élite s’auto-entretenir et s’auto-justifier en se jouant de la mentalité timorée d’une classe politique qui n’ose la confronter.
Il faut briser la culture du ghetto qui définit leur espace feutré où la loi du silence et de la discrétion soude ces happy few dans un commun rapport de condescendance avec les institutions et les exigences de la bourgade. Il faut casser ce complexe pour que la reddition de compte se fasse en toute lumière. Il faut en finir avec la complaisance. Il faut défaire cette enclave de résistance aux règles de la vie nationale et cette culture du stratagème de contournement des exigences que devrait imposer à des institutions minoritaires la vie normale sous les codes de la majorité légitime. Il faut mettre fin à leur impunité.