Nicolas Marceau
Une fois le Québec souverain
Montréal, VLB éditeur, 2022, 400 p.
Nicolas Marceau, élu trois fois sous la bannière du Parti québécois dans le comté de Rousseau, a été ministre des Finances sous le gouvernement Marois. Les électeurs l’ont retourné au département d’économie de l’UQAM où, avant d’entrer en politique, il s’était distingué autant par ses talents de pédagogue que par ses publications dans des revues académiques de grande réputation. Il publie ici son premier ouvrage destiné au grand public non sans trahir sa profession. Car tout au long du volume, en utilisant abondamment le « je », Marceau traite de la souveraineté, bien servi par ses connaissances académiques. Le lecteur comprendra qu’il ne pouvait deviner qu’à l’automne l’idée de la souveraineté allait un tant soit peu reprendre du poil de la bête, pas plus d’ailleurs que son éditeur. Un titre tel La souveraineté : pourquoi et comment au XXIe siècle ? aurait été de beaucoup plus opportun, car c’est bien ce dont s’applique à démontrer son auteur.
À ses yeux, si les Québécois (bien sûr avant l’arrivée de Paul St-Pierre Plamondon) n’écoutent plus les arguments des souverainistes, ce serait dû à l’approche pédagogique inefficace de la souveraineté de ces 25 dernières années. « Pendant que les Québécois changeaient, le mouvement souverainiste, lui, se cantonnait dans une vision figée et en perte de vitesse » (p. 189). L’économiste le démontre sans recourir à des tableaux sophistiqués où les courbes se croisent (avec ironie, certains de mes étudiants à l’UQTR définissaient l’économie comme étant la sciences des courbes qui se croisent). Mais bien sûr, il lui faut des chiffres qu’il insère dans une gamme très variée de tableaux auxquels porteront surtout attention les étudiants en sciences humaines. Trois parties, à savoir : « Les fondements de la souveraineté », « Où en sommes-nous ? » et « Comment faire ? » se partagent huit chapitres. Le tout prend son appui sur trois axes ayant chacun deux pôles : 1– axe de la question nationale ; pôles souverainiste et fédéraliste, 2– axe économique ; pôles gauche et droite, 3– axe identitaire ; pôle nationaliste et multiculturaliste.
D’entrée de jeu, dans son avant-propos, Marceau évoque la nécessité d’un rassemblement des forces souverainistes sur lequel il va revenir incessamment. On comprendra qu’à ses yeux, le Parti québécois qu’il a connu ne représente plus l’acteur clé. Ce rassemblement ne devrait viser qu’un seul but : la souveraineté. Aucun autre projet de société ne devra se trouver dans la mire de ce rassemblement. Ainsi, ne pourront y trouver place ceux qui logent à la gauche du spectre électoral se faisant fort d’appuyer l’idéal de la souveraineté pour autant que soit rejeté le modèle socio-économique en vigueur. Sans le mentionner, l’auteur rappelle au lecteur la métaphore qu’aimait utiliser René Lévesque en faisant allusion au type de plomberie que l’on adopterait une fois la souveraineté obtenue. En d’autres mots, par ce volume, les Québécois sont invités à ne pas viser plusieurs lièvres à la fois. À chaque étape suffit sa peine. Toutefois, pour rassurer les sceptiques, un chapitre porte sur le mécanisme d’adoption des projets de société appelés à faire l’objet de débats dans un Québec déjà souverain.
La première des trois parties de l’ouvrage « Les fondements de la souveraineté » se rapporte à six éléments fondamentaux qui vont d’une société démocratique et laïque aux possibilités d’amender la constitution en passant par le fonctionnement des trois pouvoirs (judiciaire, législatif, exécutif). Faut-il s’étonner de retrouver ici et là (p. 48, 118, 167) le sempiternel argument des chevauchements et dédoublements de responsabilités vus comme autant de gaspillages de ressources ? À ce qui faisait déjà débat lors de la campagne électorale de 1970, repris lors des deux campagnes référendaires, s’ajoute l’incontournable question monétaire. Les plus vieux se rappelleront l’argument massue des fédéralistes à gros grains avec leur image de la « piasse à Lévesque » (0,60 du $ américain) qui deviendra une réalité avec le retour de Bourassa au pouvoir. L’auteur, en bon économiste, élabore la question dans une annexe fouillée sans l’imposer à ses lecteurs empressés de poursuivre la lecture. Cependant, ceux-ci, comme les autres, ne manqueront pas de prendre connaissance de la préférence de l’auteur : l’adoption d’une monnaie québécoise, ce dont j’ai toujours été partisan. En la situant dans le cadre des taux de change flottants dans les économies de marché depuis plus de cinquante ans, notre monnaie en arriverait à trouver sa voie, comme ici démontré en trois étapes.
Après avoir souligné les désavantages d’un Québec sous la dépendance d’un gouvernement toujours plus empressé de favoriser l’Ontario et le pétrole albertain que d’aider Bombardier ou notre secteur laitier, Marceau s’attarde sur le rôle de l’État. Comme au temps de la Révolution tranquille, l’État s’avère notre outil d’intervention indispensable contrairement à ce qu’en pensent Éric Duhaime et ses partisans. En bon disciple de mon maître à penser, John Maynard Keynes, le professeur de l’UQAM ne cache pas son parti-pris pour l’État-providence malgré toutes les critiques formulées à son encontre depuis l’essor du néo-libéralisme au début des années 1980. La nécessité de trouver le juste équilibre entre trop ou trop peu d’État se retrouve tout au long de l’ouvrage. Ainsi, Jean Lesage se mérite une citation tirée de la lecture du budget de 1962 : « Ce levier commun, c’est notre gouvernement, il ne faut pas oublier que c’est la plus puissante institution dont nous disposons… » (p. 204). Notre problème, tel que signalé par l’auteur 60 ans plus tard, c’est que le Québec ne dispose que d’un demi-État. En conséquence, des choix collectifs nous glissent entre les mains quand ils risquent de nous passer à travers la gorge. Marceau donne l’exemple de notre propension à favoriser les énergies propres aux dépens des énergies fossiles à l’encontre des préférences d’Ottawa. Il en veut comme preuve très récente les milliards accordés à Terre-Neuve pour développer le projet de Muskrat Falls qui ne manquera pas de concurrencer Hydro-Québec.
En insistant sur l’avantage – par rapport à l’Alberta –, que présente notre économie diversifiée, Marceau situe le Québec avantageusement au sein d’un aréopage de pays tels le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, la Nouvelle-Zélande et le Japon (p. 150)1. Voler de nos propres ailes à l’instar de ces pays ? Impossible vont dire les plus irréductibles opposants à la souveraineté avec leur argument se rapportant à notre soi-disant dépendance à la péréquation. À ce propos, on imagine Marceau prendre plaisir à paraphraser Bernard Drainville : « Lâchez-moi avec la péréquation ! » L’argument se voit rejeté du revers de la main à l’aide d’une savoureuse image impliquant Bill Gates faisant son entrée dans un bar où se trouve réuni un groupe de neuf joyeux drilles bien argentés et pratiquant entre eux la péréquation. Parce que le fondateur de Microsoft se voit forcé de tirer les goussets de sa bourse fait-il de ceux qui en reçoivent des individus marqués soudainement du sceau de la pauvreté ? (p. 160).
La deuxième partie : « Où en sommes-nous ? » dresse le portrait du chemin parcouru à travers le XXe siècle pour nous conduire à ce qui sera requis comme souhaité par Marceau et l’auteur de ces lignes, un État social-démocrate. En s’appuyant d’abord sur l’axe socio-économique et ses pôles gauche-droite et ensuite sur l’axe de la question nationale (nationalisme-multiculturalisme) cinq éléments démontrent de façon convaincante que : « l’éveil des Québécois aux enjeux de l’efficacité plaide en faveur de la souveraineté » (p. 230). Pour y parvenir, à l’aide d’un nécessaire rassemblement, il importerait d’oublier Québec solidaire trop identifié à la gauche radicale.
Avec la troisième partie « Comment faire ? » L’auteur aborde le mécanisme qui devrait conduire à notre accessible étoile à la faveur d’un premier référendum sur une proposition de constitution possiblement suivi d’un deuxième qui officialiserait le tout. Dans cette longue et laborieuse marche, il importe d’éviter un nationalisme de réaction tel qu’observé lors du rejet de Meech (p. 304) et qui se poursuit toujours avec le Quebec bashing. Les raisons d’un nationalisme positif ne manquant pas, Marceau attire l’attention sur le danger de croire à un fédéralisme renouvelé. Or, sous le règne de Justin Trudeau, avec les velléités irréversibles de centralisation des champs de compétence des provinces, ces dernières sont appelées à devenir de simples sous-divisions d’un État central. Pour en sortir, ll faudra convaincre, ce sur quoi insiste l’auteur dans les dernières pages.
Par cet ouvrage le professeur d’université, enrichi de plusieurs années vécues dans les plus hautes sphères de la politique, démontre à la fois une grande sensibilité assortie d’une vaste culture. Une bibliographie de plus de 18 pages témoigne de son érudition. Concernant cette dernière, cependant, l’ancien militant du RIN que je suis déplore l’absence de Pierre Bourgault dont, à tout le moins, son Moi, je m’en souviens aurait dû faire partie de lectures de Nicolas Marceau même s’il n’avait que quelques mois lors du « Samedi de la matraque ». L’essentiel de l’ouvrage fut rédigé quand la pandémie de la COVID-19 battait son plein. Marceau ne pouvait connaître le caractère alarmant des dernières données démographiques. En plus, il ne pouvait deviner qu’un jeune homme de 45 ans était sur le point de se distinguer en parlant non pas de souveraineté, mais d’indépendance, faisant en sorte que le PQ n’allait pas tarder à prendre le dessus sur QS selon un sondage. Il faudra donc y faire une place dans le rassemblement que l’auteur souhaite de tous ses vœux.
Un livre que tout indépendantiste se doit de conserver à la portée de main.
André Joyal
Professeur retraité d’économie, UQTR