Noura Karazivan et Jean Leclair (dir.) L’héritage politique et constitutionnel de Pierre Elliott Trudeau

Noura Karazivan et Jean Leclair (dir.)L’héritage politique et constitutionnel de Pierre Elliott TrudeauToronto, Lexis Nexis, 2020, 567 pages Issu d’un colloque organisé au moment du 100e anniversaire de naissance de Pierre Elliott Trudeau, ce livre est un ouvrage collectif bilingue regroupant une vingtaine d’auteurs. Il aborde les thèmes du fédéralisme, du nationalisme, des peuples autochtones, […]

Noura Karazivan et Jean Leclair (dir.)
L’héritage politique et constitutionnel de Pierre Elliott Trudeau
Toronto, Lexis Nexis, 2020, 567 pages

Issu d’un colloque organisé au moment du 100e anniversaire de naissance de Pierre Elliott Trudeau, ce livre est un ouvrage collectif bilingue regroupant une vingtaine d’auteurs. Il aborde les thèmes du fédéralisme, du nationalisme, des peuples autochtones, du multiculturalisme, du bilinguisme et enfin de la légitimité constitutionnelle, du rapatriement de la Constitution et de la Charte canadienne des droits.

Le premier texte, signé par le constitutionnaliste écossais Stephen Tierney, remarque que Trudeau père défend un fédéralisme moniste refusant le pluralisme territorial et misant donc sur le bilinguisme plutôt que l’autonomie québécoise pour préserver le français. À la lumière du fait que seule une approche territoriale peut assurer l’épanouissement d’une langue minoritaire dans un plus grand ensemble, on ne peut qu’être d’accord avec Tierney qui critique sa sociologie de la nation confuse et superficielle. Le texte suivant, de Jean Leclair, va un peu dans le même sens en soulignant que sa pensée fédérale était marquée au fer de l’antinationalisme québécois, au point où il accusait le Québec d’être indifférent, voire hostile, envers les droits de francophones des autres provinces ; ce que Leclair semble considérer comme vrai, en nuançant toutefois par un rappel que ces droits étaient d’abord de la responsabilité des autres provinces (mais oubliant de souligner que des francophones des autres provinces se sont souvent opposés au droit du Québec de promouvoir le français). Parlant de nuance, André Lecours, Daniel Béland et Gregory P. Marchildon affirment dans leur chapitre que malgré son image de centralisateur liée à son usage du pouvoir fédéral de dépenser, en matière de fédéralisme fiscal Trudeau père aurait été plus décentralisateur.

Dans le chapitre suivant, l’avant-dernier de la partie sur le fédéralisme et non le dernier comme l’affirme l’introduction, Jeremy Webber remarque que Trudeau l’intellectuel était décentralisateur, alors que Trudeau le politique était centralisateur, et plaide quant à lui pour une action citoyenne aux deux niveaux de gouvernement afin de relever des défis d’ampleur comme la réduction des inégalités économiques. Enfin, Alexander Pless explique que Trudeau père était favorable au fédéralisme coopératif, des programmes sociaux provinciaux pouvant être un premier pas vers des programmes sociaux « nationaux ».

La partie II sur le nationalisme s’ouvre sur un texte de Dominique Leydet portant sur l’idée qu’elle attribue à Trudeau père selon laquelle le sentiment d’appartenance des citoyens envers l’État multinational peut se développer grâce à un calcul rationnel sur les bienfaits d’un tel État, combiné à un élément émotif que des symboles associés à un tel État peuvent susciter (drapeaux, etc.). Elle évoque ensuite l’échec de cette idée en Europe, sans toutefois insister sur le fait qu’au contraire ce genre de symboles ont pu nuire à la cause européenne en irritant nombre de Britanniques pour qui l’Europe ne devait pas être plus qu’un espace de libre-échange. Elle complète son propos par une analyse de l’importance des partis politiques pour l’intégration.

La contribution de Frédérick Boily souligne que si Pierre Trudeau était plus dur dans ses propos contre le nationalisme québécois, qu’il associait au fascisme et au nazisme, que dans ses propos contre le régionalisme de l’ouest, en revanche sa réponse politique aux deux était similaire : plus de nationalisme canadien et de centralisation. Dave Guénette et Félix Mathieu résument de leur côté l’horizon normatif de Trudeau père : Charte canadienne, bilinguisme, multiculturalisme, fédéralisme territorial symétrique, plutôt que fédéralisme multinational asymétrique, et gouvernement « national » fort. Puis, ils démontrent que son opposition à un droit de veto constitutionnel et un statut distinct pour le Québec a affaibli ce dernier.

La troisième partie, consacrée aux peuples autochtones, regroupe des textes d’Aimée Craft et de Geneviève Motard qui insistent, pour l’un, sur l’impact du livre blanc de Trudeau proposant l’abolition des réserves indiennes, qui a été à l’origine d’une mobilisation sans précédent des peuples autochtones, et, pour l’autre, sur l’arrêt Calder ayant reconnu une valeur juridique aux titres ancestraux, ce qui a mené à la politique de règlement des revendications territoriales du gouvernement Trudeau père.

La partie IV portant sur le multiculturalisme s’ouvre sur un texte de Dia Dabby qui analyse différentes interprétations du multiculturalisme, notamment dans le contexte de décisions judiciaires relatives à la religion. Elle parle juste avant du multiculturalisme de Trudeau père, axé sur la lutte aux discriminations et l’identité individuelle (et auquel son fils adhère, mais en insistant davantage sur la diversité religieuse), et aux multiculturalismes des universitaires qui varient un peu ; Will Kimlycka souhaitant moins d’intervention judiciaire dans ce domaine que Gérard Bouchard. Le texte de Luc B. Tremblay qui suit argumente que l’article 27 de la Charte canadienne sur le multiculturalisme peut subordonner l’interprétation de cette charte à l’obtention de résultats, en termes de promotion de la diversité, ou plus simplement imposer aux tribunaux de tenir compte de la diversité. Seule cette dernière conception serait conforme à la pensée de Trudeau père, mais c’est la première que la Cour suprême aurait retenue. Enfin, Richard Moon situe la jurisprudence canadienne relative à la neutralité religieuse de l’État dans la foulée de la pensée trudeauiste.

La partie V consacrée au bilinguisme débute par une contribution d’Emmanuelle Richez et Emilie Weidl sur la vision du bilinguisme de Trudeau père fondée sur le principe de personnalité linguistique et donc hostile au renforcement du français au Québec. Dans ce domaine, Trudeau le politicien aura été fidèle à Trudeau l’intellectuel, car sa Loi sur les langues officielles et son droit à l’éducation dans la langue de la minorité provinciale sont conformes à cette vision. Paul Daly défend pour sa part le bilinguisme législatif, non pas tant pour favoriser la connaissance du droit, qui avoue-t-il est rendue plus ardue par ce bilinguisme, ou pour avoir une loi meilleure ou qui reflète mieux les rapports de force politiques, mais parce qu’un tel bilinguisme serait une marque de respect envers les membres des groupes linguistiques concernés, du moins dans la pensée trudeauiste.

La sixième partie qui clôt l’ouvrage s’ouvre par un texte original dans lequel Hoi Kong présente la pensée de Trudeau père comme étant proche de la pensée républicaine de Philip Pettit. Richard Albert évoque ensuite le choix de Trudeau de ne pas tenir de référendum au moment du rapatriement de la Constitution et le fait que cela limite sa légitimité sociologique. Noura Karazivan et Jean-François Gaudreault-Desbiens soulignent que ce déficit démocratique est particulièrement fort au Québec, qui n’a pas consenti à ce rapatriement, ce qui pourrait expliquer son usage plus fréquent de la disposition de souveraineté parlementaire dite de dérogation, notamment dans la loi 21. Lise Brun s’attarde aux influences internationales ayant affecté Trudeau et sa charte, de sa conception à sa jurisprudence récente en matière de droit de vote. Et Richard Bellamy conclut en abordant le constitutionnalisme politique britannique et en comparant le rapatriement et le Brexit.

Bref, il s’agit d’un ouvrage collectif sur la pensée politique et constitutionnelle de Pierre Elliott Trudeau globalement honnête, même s’il se présente comme étant critique sans inclure une contribution qui le serait radicalement. Il permet d’approfondir les réflexions sur cette pensée pourtant déjà bien documentée. Ne serait-ce que pour cette raison, il fait ressortir que la pensée politique et constitutionnelle de René Lévesque, un peu moins bien documentée, mériterait un ouvrage du genre.

Guillaume Rousseau
Professeur titulaire

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