Au moment d’écrire ces lignes, mi-février, un seul mot s’impose pour décrire l’état de l’opinion publique à la veille du Sommet sur l’enseignement supérieur : fatigue. « Qu’on en finisse ! » c’est à peu près ce qu’on peut entendre partout où la politique austéritaire fait ses ravages. Ce n’est pas l’élévation qui s’impose, mais bien le renoncement.
Qu’on en finisse certes, mais ce ne sera que pour mieux passer à un autre motif d’épuisement ! Le Québec tourne en rond dans sa servitude et le fardeau de son inachèvement continue, telle une meule abrasive, de moudre chacune de ses espérances. L’horizon baisse désormais si vite que l’expression même de Sommet – un héritage des temps anciens – est devenue dérisoire. Elle n’appelle plus personne à s’élever au-dessus de la grisaille des jours. On l’a entendu de mille manières, l’événement ne conviera qu’à trouver le meilleur moyen de passer sous la barre comptable, qu’à forer avec rage dans l’amas de démissions le tunnel du prochain renoncement. L’université québécoise restera en sursis.
Tout n’est pas mauvais dans les propositions lancées d’un peu partout. Il est probable qu’un compromis émerge sur la question des droits de scolarité. La lutte étudiante aura été un déclencheur et toute une fraction de la jeunesse s’est soudain levée pour dire qu’elle en a assez du rapetissement. Les choses, hélas, n’en restent qu’aux premiers effets de la lutte et aux symptômes qu’elle a révélés. C’est ce qui explique cette lassitude qui gagne. Le refus d’aller au fond des choses condamne aux atermoiements.
Le gouvernement du Québec a d’ores et déjà raté l’occasion de faire saisir à quoi nous condamne la soumission provinciale. Il ne faut pas se conter d’histoires, sous couvert de comptabilité raisonnable et sous prétexte de gouvernement minoritaire, le Sommet a contribué à reconduire et renforcer la terrible censure qui pèse sur notre condition de dépendance. On peut toujours espérer que le ministre surprenne et qu’il tente de forcer le jeu. Et qu’il ose en appeler au dépassement, qu’il ait l’audace de dire que l’avenir de notre système universitaire repose sur sa capacité à assumer sa différence et non pas sur la soumission aux moyennes canadian. Il pourrait toujours conclure que les insuffisances du Sommet nous font l’obligation d’une réforme que le contexte de crispation n’a pas permis d’envisager.
L’idée d’un nouveau mode de financement qui reposerait sur les taux de fréquentation étudiante de première génération pourrait être porteuse et servir à ouvrir un vaste chantier. D’autres suggestions auraient mérité un meilleur sort. Il s’en trouve encore des gens qui croient que notre différence peut être un atout. Mais il ne sert à rien de travailler à la pièce. Le rapport Parent que le ministre se plaît à citer pourrait l’inspirer et l’on aimerait qu’il surprenne en annonçant la formation d’une grande commission d’enquête pour faire le point et nettoyer le paysage de toutes les scories idéologiques que le culte du tout au marché a laissé traîner dans le débat public. Il faudrait pour cela une volonté de briser les carcans que rien ne laisse percevoir. Tout n’est pas la faute du gouvernement, mais il faut bien reconnaître qu’un consensus mou sous-tend l’exercice, celui de se bien garder de ne pas voir la vérité dérangeante.
La vérité que personne n’a voulu énoncer c’est que la province de Québec ne peut penser les finalités de son système universitaire parce qu’elle ne contrôle pas l’essentiel de ses moyens. Penser l’université au cours des derniers mois n’aura signifié que rechercher les moyens de la mouler à notre statut et non de la placer en phase avec nos idéaux et nos valeurs. Cela couvait déjà sous le printemps érable, c’est devenu criant d’évidence : tout le monde essaie de penser l’université comme si le Québec avait les moyens et la puissance de considérer toutes les options de développement. Rien n’est plus faux.
Le Québec est plus que jamais condamné à se penser avec les moyens que le Canada lui laisse. Des moyens qu’au surplus les dérives idéologiques néo-libérales auront encore réduits en sabrant dans les revenus de la province par de suicidaires réductions d’impôt. L’intériorisation des contraintes n’aura qu’un seul effet : disloquer un système universitaire qui n’avait même pas encore trouvé sa cohésion d’institution nationale. Les établissements vont surnager tant bien que mal et cela ne fera que renforcer la recherche des voies de contournement au nom du sauve-qui-peut. Dérives clientélistes et commerciales, recours à des expédients bureaucratiques pour se rapprocher des lieux où le gouvernement canadian laissera tomber des miettes, tous les scénarios, hélas, sont possibles.
Le refus de voir aura été tout simplement camouflé par les affrontements de boutiquiers. Et ils ont été nombreux les commentateurs à nous décortiquer, ici, la position des recteurs, là, les tactiques des étudiants et, partout, la rhétorique des intérêts sectoriels. La profusion du verbiage a bien recouvert l’éléphant qui trônait partout dans les salles de délibération. Nous devons penser des solutions en renonçant à l’usage de la moitié de nos impôts.
Au surplus, les interventions destructurantes du gouvernement fédéral, qui a littéralement confisqué les finalités et les modes de financement de la recherche et déstabilisé les budgets de fonctionnement et d’immobilisation, n’ont guère été abordées autrement que sous la fausse rhétorique de la conciliation et des complémentarités. Il était vraiment difficile de nommer la carte que tous les recteurs gardent dans leur manche pour tenter de venir à bout de ce que la gestion provinciale leur infligera. Tous les épanchements sur la recherche aussi bien que les inquiétudes véritables ne pèseront rien devant les choix qu’Ottawa fait et fera sans nous, avec sa vision du rôle et de la place des universités québécoises dans le système universitaire que l’État canadian souhaite configurer en fonction de ses priorités nationales. Et dire que l’objectif opérationnel du Sommet ne visera qu’à ramener sinon la paix du moins la torpeur sur les campus…
À cette censure sur les limitations du régime, s’en ajoute une autre, aussi perverse. Plusieurs se sont indignés des déclarations de quelques idolâtres de la performance concurrentielle souhaitant la création d’un système universitaire à deux vitesses, réunissant d’un côté les happy few de « classe mondiale » et de l’autre les tâcherons de la formation de la main-d’œuvre universitaire. Heather Munroe-Blum nous a servi sa morgue rhodésienne habituelle. We are very Québec, a-t-elle dit pour mieux nous servir son discours de normalisation des universités québécoises et surtout pour mieux nous faire accepter l’apartheid universitaire dans lequel se drape McGill qui revendique et pratique des standards différents de ceux de la bourgade. Sa condescendance et son mépris ont bien fait réagir en quelques chaumières, mais il n’a pas été question de soulever la seule interrogation que sa arrogance chauvine soulève pourtant avec une criante évidence : le système universitaire québécois n’est-il pas déjà un système dual, un système à deux vitesses ?
Personne dans ces savantes assemblées n’a osé s’interroger sur le surfinancement des universités anglaises et sur les injustices qu’il consacre. Est-il normal dans une société où les anglophones ne forment tout au plus que 5 à 8 % de la population que les universités anglaises reçoivent près du tiers des revenus et emploient le tiers des professeurs d’université ? La seule répartition plus équitable des revenus suffirait à résoudre bien des problèmes budgétaires. Ce sont des dizaines de milliers d’étudiants supplémentaires qui fréquenteraient les universités françaises, près de deux mille postes de professeurs pourraient y être créés. Et madame la rectrice de venir plaider pour placer le réseau de l’Université du Québec sur une voie de relégation régionale ! La chose est obscène. Comme le CUSM est obscène. Comme l’attribution du quart des places en médecine à McGill est obscène. Comme Concordia est à l’image même de l’échec de la loi 101.
La vérité que personne ne veut voir, c’est que notre système universitaire est bilingue. Et que la suprématie des institutions anglaises est entièrement soutenue par le financement public et les distorsions d’un régime que plus personne ne veut sérieusement mettre en procès. La vérité, c’est que ce système dual donne aux universités anglaises une force et un rôle d’anglicisation de Montréal et du Québec. La vérité, c’est qu’il n’est pas normal que le plus gros cégep du Québec soit anglophone et qu’il serve de passerelle vers des universités qui tournent le dos au Québec français. Il n’y a que les naïfs pour ne pas voir que McGill et Concordia ne sont Very Québec qu’au détriment de la majorité et qu’en raison de la perpétuation d’une injustice fiscale scandaleuse. C’est à même les impôts de la majorité que se perpétue cette dualisation. Il y a des limites à l’autoaveuglement.
Mais il n’y en a pas à la soumission. On les entend ces « frincophônes » qui bombent le torse en nous chantant la fierté qu’ils éprouvent à voir McGill faire rayonner son Very Québec. On les voit ces notables et ces bureaucrates à la bouche pleine de lieux communs sur la mondialisation et l’ouverture au monde plastronner pour prêcher la normalisation de nos institutions. Et mieux nous imposer des standards qui nous condamnent à toujours traîner derrière. Leur volonté de se conformer aux dictats du marché est telle qu’elle les empêche de comprendre qu’à vouloir imiter le modèle de l’université américanisée, le simple jeu de la concurrence nous condamne à être des perdants. Même serviles, nous ne pourrons jamais mobiliser les moyens requis pour jouer à ce jeu. Nous ne produirons que des ersatz, de pâles copies que se mettront sous la dent les concierges de notre assimilation. Obsédés par les palmarès et les classements, ils ne cessent de s’inquiéter de toutes sortes d’écarts sauf de celui-là qui nous conduit tout droit sur la voie de la marginalisation et de la folklorisation. Ce sont des grenouilles qui croassent dans la marmite chauffante. Ils sont les premières victimes de la lassitude. Des victimes bien soulagées de s’engourdir. Vite qu’on en finisse !
Nous avons mieux à faire. L’heure est venue d’en finir avec les demi-mesures et les tergiversations. Le spectacle de la pensée mollassonne a assez duré. Il faut retrouver les voies d’une politique de l’intransigeance qui nous débarrassera de l’envie de céder qui tient lieu de programme de société pour tous ceux qui trouvent trop exigeant le devoir de s’assumer. Il faut continuer de construire l’originalité de notre système d’enseignement supérieur. q