Le Port de Québec est l’un des plus anciens d’Amérique. Il bénéficie d’une position privilégiée, car il est le dernier, en provenance de l’Atlantique, à bénéficier d’une eau assez profonde pour accueillir les gros navires. Depuis le début du XIXe siècle, il a pu développer sans trop d’entraves sa vocation de port de transbordement : le bois en partance pour l’Angleterre au début du XIXe siècle, le blé de l’ouest au XXe siècle, les hydrocarbures par la suite. Une telle vocation ne nécessite pas de très vastes espaces terrestres, ce dont d’ailleurs il ne dispose pas. C’est effectivement son principal handicap.
Au fil des ans en effet, de façon inéluctable, la ville a graduellement encerclé les anciennes infrastructures portuaires. Si bien que pour continuer à développer le volume des marchandises transitées, il est aujourd’hui contraint de concentrer ses ambitions de développement sur le transit des vracs liquides, les seules marchandises qui peuvent être entreposées directement aux abords des quais, en hauteur, au moyen de réservoirs. Actuellement, plus de 80 % des activités de transbordement sont effectués selon le mode « de bateaux à bateaux » en direction de terminaux plus en amont dans le corridor Saint-Laurent–Grands-Lacs. Pour pouvoir franchir la Voie maritime du Saint-Laurent qui débute avec le système des écluses de Montréal, ces navires de cabotage ou de desserte intermédiaire ne peuvent en effet dépasser 24 mètres de largeur, l’espace maximum permis par les écluses.
En décembre 2015, le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM) prenait fermement position contre le projet d’agrandissement du port de Québec annoncé en début d’année. Pour l’organisme, qui s’intéresse depuis plusieurs années au dossier maritime, cet agrandissement devant prétendument répondre à un accroissement de la demande sur l’axe Atlantique/Grands Lacs, ne repose sur aucune logique de développement à long terme, ni sur aucune justification économique.
L’étranglement du port est déjà un fait. Pour assurer son avenir comme grand « hub » portuaire ou « port-pivot », statut auquel rêvent les dirigeants de l’APQ, on est contraint de concentrer les projets de développement dans les activités de transit des hydrocarbures (risques écologiques) et des vracs solides (problème de poussières). Mais un trop grand nombre d’obstacles se dressent devant de telles ambitions. Sur le plan maritime, le port de Québec manque aussi d’espaces de mouillage en eau profonde ; il est de plus à proximité d’un carrefour étroit où circulent plus de 5000 navires/an.
Sur le plan de la desserte terrestre, contrairement au port de Montréal, Québec ne dispose que d’une seule voie ferrée pour assurer la desserte terrestre vers le centre du continent. Et encore, cette dernière doit traverser des zones hautement sensibles. Quotidiennement, les convois empruntent un étroit corridor, à quelques mètres à peine d’un CÉGEP, d’écoles primaires et de CPE, d’habitations à haute densité. En 2005, pour l’implantation du CHUM, le ministère de la Sécurité publique n’avait-il pas fortement conseillé de rejeter le site d’Outremont « en raison de la hausse des risques pour la sécurité due à la proximité avec les convois ferroviaires transportant des matières toxiques » ?
En bref, ce qui est principalement questionné, c’est cette orientation non avenue de faire du port de Québec, un pivot du transbordement d’hydrocarbures et de marchandises dangereuses en zone habitée et en face de la capitale du Québec. Toutes les villes anciennes ont été construites en littoral fluvial ou maritime. Elles ont donc un port. Pourtant, en 2017, la plupart de ces villes, que ce soit Barcelone, Marseille, Lisbonne, Porto, n’ont pas maintenu en façade des infrastructures portuaires impliquant des activités de manutention lourde (matières explosives, toxiques ou polluantes). Un peu partout, au cours de dernières décennies, on a procédé à d’importants travaux de reconversion et de relocalisation territoriale. À Marseille par exemple, le transbordement des hydrocarbures se fait maintenant à 60 km du site urbain, lequel est reconverti en terminal de croisières maritimes et de produits alimentaires.
Dans sa critique du projet Beauport 2020, le GIRAM a délibérément choisi de considérer la forêt menacée et non l’arbre qui la cache. Qu’est-ce qui se dissimule derrière ce projet Beauport 2020 qu’on tente, depuis deux ans, de vendre de façon racoleuse ? Voilà la principale question posée et adressée à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE), étape incontournable avant qu’infrastructures Canada accepte de financer l’aventure.
1/ Un projet qui ne repose sur aucun argumentaire solide
[…] le Port de Québec a connu une forte croissance au cours de la dernière décennie et opère maintenant au maximum de sa capacité. Le taux d’occupation des quais a atteint un seuil commercial critique ce qui fait en sorte que les navires en attente se multiplient (prétention énoncée dans l’étude d’impact produite par l’APQ).
Les données que l’APQ a de fournies au Comité d’analyse TERMPOL (Transport Canada) se veulent encore plus convaincantes. Le port y affirme que les accostages à quai ont augmenté depuis dix ans, non pas de 25 %, 50 % ou 100 %, mais de plus de 400 %.
Véridiques ces données et ces prétentions ? Pas si sûr. Pourtant, elles représentent le socle premier sur lequel s’appuie la demande d’agrandissement du port de Québec.
Premier élément d’interrogation à propos de cette prétendue augmentation de 400 % :
- le niveau de trafic moyen de navires faisant le passage Escoumins – Québec et inversement, n’a pas changé depuis 10 ans (5000 passages) ;
- la moitié des pétroliers remontant cette zone ont pour destination les quais de l’entreprise de raffinage Valero (Lévis), donc en dehors de la zone de Beauport qu’on veut agrandir.
L’APQ en serait-elle venue à comptabiliser les amarrages de petits bateaux de plaisance pour enrichir ses statistiques ?
Deuxième élément d’interrogation : les données sur les quantités de vrac transbordé au port de Québec n’appuient pas elles non plus, une telle prétendue augmentation. Le niveau de transbordement de vrac liquide (excluant le pétrole Valero qui dispose de ses propres quais) est étonnamment stable depuis dix ans.
2/ Un projet qui ne s’appuie que sur des « simulations » et des « scénarios hypothétiques » ?
Puisque l’APQ ne connaît pas encore les clients qui utiliseront la nouvelle portion du quai, le concept d’aménagement, d’entreposage et d’équipements de manutention proposé est uniquement hypothétique (Étude d’impact 3.2.4).
Le PDG du Port répète depuis 2015 qu’il n’a aucune idée de ses futurs clients. L’analyse d’impact laisse également le lecteur dans le flou le plus total, du début à la fin. On n’utilise jamais le futur simple, toujours le conditionnel. Plutôt curieux pour une demande d’approbation environnementale.
Quelle valeur accorder alors à un tel « scénario hypothétique » de construction de quatre dômes d’un diamètre de 48 m au sol, occupant une superficie d’environ 15 570 m2 et permettant un volume d’entreposage de près de 256 164 m3 ?
Hypothétique, aussi la construction de sept réservoirs en arrière-quai, occupant une superficie de 54 285 m2 et permettant un volume d’entreposage de près de 287 561 m3 ? Sur quoi se base-t-on pour annoncer l’aménagement d’une cour de transit ferroviaire (capacité minimale de 194 wagons) et d’une station de déchargement reliée par conduite en direction des réservoirs ? « Les installations de manutention et d’entreposage seraient conçues pour recevoir du vrac liquide par navires, trains et camions et pour les charger par ces mêmes trois types de transport. » Est-on en train de nous annoncer que du pétrole brut pourrait être amené par camions à travers la ville, vers des navires-citernes amarrés aux quais de Beauport ?
3/ Un scénario pétrole derrière le rideau « Beauport 2020 » ?
Les nouvelles infrastructures planifiées par le Port de Québec à la baie de Beauport permettraient d’exporter du pétrole brut provenant des sables bitumineux de l ‘Ouest canadien (Mario Girard au journal Le Soleil 11 octobre 2014).
Exprimée de façon imprudente sans doute le 11 octobre 2014, l’intention est pourtant de nouveau rappelée lors d’un entretien avec le journal Le Devoir, le 18 avril suivant. « Les nouvelles installations portuaires consolideront la capacité canadienne d’exportation ». C’était avant la mi-avril 2015. La conjoncture change alors drastiquement. TransCanada est forcée d’abandonner son projet de terminal d’exportation pétrolier de Cacouna. Le transport de brut par de gros navires-citernes sur le Saint-Laurent apparaît dès lors suspect dans l’opinion publique québécoise. Il devient de plus en plus évident qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour de tels projets. On ne reviendra donc plus jamais publiquement sur ce scénario d’exportation de pétrole brut.
Mais si le Port de Québec n’envisage que l’accroissement de ses activités actuelles, sans scénario de transports plus massifs de pétrole ou de gaz, pour quelle raison a-t-il soumis son projet d’agrandissement au processus d’évaluation TERMPOL (Transport Canada) ? Un tel processus d’analyse n’est en effet absolument pas requis pour le transport fluvial du bois, des conteneurs, de minerai ou de canne à sucre. C’est un processus d’analyse essentiellement instauré pour évaluer les risques de navigation en lien avec des projets de terminaux maritimes devant accueillir de gros navires-citernes de pétrole et de gaz.
Selon le guide de référence de Transport Canada, le processus d’analyse s’applique :
- aux terminaux maritimes et aux sites de transbordement proposés pour les hydrocarbures, les produits chimiques ou le gaz liquéfié en vrac et toute autre cargaison assimilée pouvant présenter un problème pour la sécurité du transport maritime ou un risque pour la sécurité publique ou le milieu marin ;
- aux terminaux maritimes ou aux sites de transbordement désignés existants pour ces substances lorsque des modifications proposées entraîneraient un changement important dans leurs activités maritimes.
La raison d’être de TERMPOL :
La construction et l’exploitation d’un site de transbordement ou d’un terminal maritime nouveau, modifié ou remis en service entraînant des changements dans les activités maritimes régionales. Le fait que des navires transportent des cargaisons comme des hydrocarbures, des produits chimiques et des gaz liquéfiés peut représenter une menace pour l’environnement ou la sécurité des collectivités se trouvant à proximité des routes proposées à destination ou en provenance du terminal ou du site de transbordement.
Le rapport TERMPOL réalisé par Transport Canada pour le compte de l’APQ nous rappelle en outre que Beauport 2020 n’en est qu’à sa première phase. La phase 2 consiste à ajouter un autre quai pétrolier à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, avec une installation à ducs-d’Albe pouvant accueillir deux superpétroliers en même temps. « Avantage hautement stratégique, le duc-d’Albe offrira une solution compétitive pour le Port de Québec afin de devenir un point de sortie pour les exportations de produits pétroliers canadiens » (L’APQ, Le Devoir, 18 avril 2015).
On se retrouve, selon bien des apparences, en face d’un potentiel terminal pétrolier. Il serait de toute évidence affecté à l’exportation puisque les deux centres de raffinages en terre québécoise (Valero et Suncor) ont déjà leurs clients et disposent maintenant d’une forte capacité d’approvisionnement à partir des gisements du continent.
Selon les données fournies à TERMPOL, il faut anticiper une augmentation de navires pouvant atteindre le nombre de 250-300/an, et ce, uniquement pour la première phase. On peut donc anticiper qu’à terme (phases 1 et 2), le nombre supplémentaire de gros navires-citernes pourrait atteindre 300-400.
Il semble donc qu’on soit devant un réel changement de vocation du port de Québec et non une simple opération de modernisation ou d’augmentation de capacité comme le prétend l’APQ.
Et si un tel projet devait s’avérer, par quels moyens serait acheminé ce pétrole brut au terminal de Beauport ?
- Par voie ferrée via Limoilou et Sainte-Foy ? (on décuplerait alors le nombre de wagons). Quotidiennement 3 convois de 100 wagons de 1,6 km de long, aller et retour). Aucune possibilité de voie de contournement du type de celle réclamée par la population de Lac-Mégantic.
- Qu’arrivera-t-il des activités du transport des passagers (VIA Rail utilise la même voie ferrée) ?
- Par de plus petits navires chargés au port de Montréal Est (oléoduc 9 B) ou peut-être plus loin en amont dans la zone des Grand-Lacs (port de Thunder Bay) ? (Dans la documentation fournie à Transport Canada pour l’examen TERMPOL, l’APQ indique en effet que « l’approvisionnement des réservoirs pourrait venir “d’en amont” de Québec ».
Voilà l’ensemble de questions essentielles auxquelles doivent absolument répondre les élus à Ottawa, et ceux de l’Assemblée nationale du Québec et de la ville de Québec.
4/ De nombreux risques passés sous silence dans l’étude d’impact du port
Risques qu’un « accident devienne incontrôlable »
Selon l’étude TERMPOL, le risque qu’un accident mettant en cause un pétrolier devienne incontrôlable est qualifié de « minime ». Pour en arriver à une telle affirmation, on s’appuie uniquement sur le fait que « le pilotage est obligatoire » et que tous les navires sont construits à double coque. Une telle conclusion est par ailleurs impossible puisqu’un risque doit s’évaluer non seulement en termes de probabilité d’occurrence, mais également en termes de niveau d’impact en cas d’occurrence. Comme il est impossible de dire qu’une telle occurrence aurait un impact minime, il est tout aussi impossible de dire que le risque est minime. Tous les assureurs le confirmeront.
Il est de plus reconnu qu’en matière de transport de matières dangereuses, malgré toute l’attention que l’on puisse porter à l’évaluation des ressources et à la fiabilité des équipements, l’occurrence d’« événements externes » (qui ne se calcule pas) et l’entrée en scène de nombreux facteurs dits « anormaux », ne peuvent jamais être entièrement prévus, évalués, ou gardés sous contrôle. Avec l’accroissement exponentiel de la fréquence et du volume du transport de pétrole, que ce soit par voie ferrée ou via les eaux du Saint-Laurent, c’est la loi du nombre qui, inexorablement, déterminera où et quand se produira la catastrophe appréhendée.
Rappelons simplement qu’en 1999, selon Transport Canada, il aura suffi d’une simple perte de gouvernail d’une durée de 15 secondes pour conduire à l’échouement du vraquier Alcor (poudre de ciment) avec tous les effets qui s’en sont suivis sur le plan environnemental et consécutivement à une interruption du trafic maritime dans la Traverse du Nord.
Ce n’est donc pas sans raison que, selon la Garde côtière, les activités de navigation sur le Saint-Laurent « figurent parmi les plus dangereuses ou hasardeuses au monde ». (Nathalie Legendre, Garde-côtière canadienne, citée dans le mémoire soumis au Comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes. Groupe Océan. Juin 2013. p. 4). Dans l’hypothèse d’un échouement dans la Traverse du nord, le Groupe Océan affirme que
[…] les contraintes exercées sur la coque d’un navire à marée basse pourraient le fracturer. En pareil cas, une double coque pourrait ne s’avérer d’aucun secours contre un déversement majeur […] Un échouement dans la zone « extrêmement périlleuse » de la Traverse du Nord nécessitera des opérations de remise à flot pouvant durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines (Mémoire du Groupe Océan).
Quant à la prise en charge des navires par les pilotes du Saint-Laurent, elle ne satisfait pas entièrement le principe de précaution puisque, selon les statistiques, les erreurs humaines comptent pour plus de 75 % des accidents maritimes (Bulletin d’information des Armateurs du Saint-Laurent, décembre 2011).
Le rapport TERMPOL/Beauport 2020 ne nous convainc pas non plus à ce chapitre.
Pollution de l’air résultant de l’arrivée de 300 à 400 navires-citernes supplémentaires
L’étude d’impact et l’analyse TERMPOL ne traitent que des effets de pollution des opérations de chargement/déchargement à quais. Qu’en est-il des effets associés à l’accroissement de l’activité portuaire elle-même ? Le documentaire La face cachée du fret (http://www.telequebec.tv/documentaire/cargos-la-face-cachee-du-fret/) nous informe que les gros navires fonctionnent avec du « fuel résiduel », le carburant le plus primitif, le plus polluant et le plus cheap qui soit sur le marché. Son utilisation a des effets de contamination particulièrement incisifs sur les populations vivant à proximité des zones portuaires. Avec les activités associées (transbordement par camions et trains diesel, il se forme un coquetel nocif que l’étude d’impact de l’APQ n’a pas du tout évalué.
Une étude réalisée dans la vallée du Bas-Fraser (B.-C.) corrobore les données de ce documentaire : les polluants atmosphériques des navires représentent 33 % des émissions totales d’oxyde de soufre, 22 % des émissions d’azote et 12 % des émissions de particules fines (PM2.5) des villes portuaires (Environnement Canada).
Le Port de Québec n’a-t-il pas comme particularité dominante d’être partie prenante de la trame urbaine de Québec ?
Génération des nuisances en dehors de la stricte zone portuaire, notamment sur le milieu marin
En plus de minimiser les facteurs de bruit et de pollution de l’air de ces nouvelles activités en les fondant dans le contexte urbain ambiant (autoroutes, papetières), l’étude d’impact n’aborde aucunement les effets délétères que les 300-400 super navires-citernes supplémentaires pourront entraîner tout au long leur trajectoire sur le Saint-Laurent. Il fallait notamment évaluer l’effet du bruit provoqué par le passage des navires sur les comportements vitaux des bélugas et des baleines, les impacts possibles sur les femelles et leurs veaux lors de la période critique. Aucune mesure proposée pour protéger l’habitat de ces espèces dont le béluga qui est en voie de disparition, un statut qui aura à lui seul réussi à disqualifier le Port de Cacouna comme terminal d’exportation de pétrole.
Faiblesse des hypothèses et des mesures pour réduire la vulnérabilité des collectivités riveraines en aval de la zone portuaire en cas de déversements
Autant l’étude d’impact que le Rapport TERMPOL accusent une évidente faiblesse d’analyse à ce chapitre. On induit un trafic supplémentaire pouvant aller jusqu’à 300-400 navires-citernes de pétrole brut supplémentaires sur la route du Saint-Laurent et on se restreint volontairement à l’évaluation des seuls scénarios de déversement relatifs à la zone portuaire ou à la zone de la Traverse du Nord (quelques kilomètres à l’est). Pourquoi avoir exclu de l’étude la route en aval des Escoumins ?
Le GIRAM l’a déjà souligné, le risque pétrolier sur le Saint-Laurent laisse présager des impacts catastrophiques. En cas de déversement majeur, c’est plus de 1 400 kilomètres de rivage qui pourraient être contaminés sous l’effet des courants et du flux et reflux des marées. Avant d’arriver à se fixer au rivage, une nappe de pétrole pourra voyager pendant des jours, voire des semaines sans pouvoir être contenue. Selon la plupart des experts, la rive sud de l’estuaire serait particulièrement touchée et l’ampleur des dommages serait multipliée en hiver sous l’action de la dérive constante des glaces. Les analyses les plus optimistes évaluent à moins de 10 % la part de résidus de pétrole pouvant être récupérée alors que les moyens disponibles sur ce plan demeureront toujours extrêmement limités. On estime que les coûts des dégâts d’un Exxon Valdez seraient décuplés dans le Saint-Laurent. Qui paiera la note ?
5/ Un tel complexe industrialo-pétrolier serait-il imaginable dans l’environnement spatial de la Colline du Parlement à Ottawa ?
Partout dans le monde, une capitale est un lieu protégé, rarement un lieu d’industries lourdes et polluantes. À Ottawa, la Commission de la Capitale nationale agit conformément à ce qu’on attend d’une telle autorité ; elle a l’obligation de veiller au « respect des plus hautes normes d’excellence en matière d’aménagement et mettre de l’avant des pratiques exemplaires et de développement durable ». Jamais un projet comme Beauport 2020 n’aurait l’appui de la Commission de la capitale fédérale et le soutien actif d’un premier ministre et d’un maire d’Ottawa.
Qu’en est-il de notre Commission de la capitale nationale à Québec ?
Il semble qu’on ait perdu la mémoire là aussi. Il y a à peine de 25 ans de cela, s’amorçait un immense chantier de décontamination et de démantèlement du vaste ensemble de réservoirs pétroliers construits sur la façade ouest de Québec. Ces installations avaient nécessité des dragages, des voies et des quais pour accueillir des navires à fort tirant d’eau. Pourquoi une telle opération de démantèlement ? Parce qu’au cours des années 1980, on se décide enfin à penser capitale nationale et qualité. Aujourd’hui, où sont les préoccupations en regard des grues géantes et des réservoirs de produits toxiques, explosifs, de même que des amas de minerais et de rebuts de ferraille, qu’on veut installer dans sa façade est. La ville de Québec est-elle toujours reconnue comme ville du patrimoine mondial par l’UNESCO ? Où sont nos élus de l’Assemblée nationale ?
Chez les gestionnaires de l’APQ, les projets douteux ne sont pas nouveaux. En 1993, sous la direction du PDG Ross Gaudreault, on projetait d’ériger sur les battures de Sillery, d’immenses silos d’alumine devant alimenter l’usine Alcoa à Deschambault. Le transport terrestre vers l’aluminerie aurait été réalisé par des convois d’une centaine de gros camions-citernes qui auraient emprunté ce qui est par la suite devenu la Promenade Champlain. « L’histoire du futur », ce n’est réellement pas notre force.
Et qu’en est-il des lois du Québec ?
Dans ce dossier Beauport 2020, le gouvernement fédéral va-t-il aller de l’avant sans tenir compte de la Loi québécoise sur la qualité de l’environnement ? À la base de cette législation réside un régime préventif obligeant les projets de ce type à obtenir une autorisation préalable du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Changements climatiques. En vertu de l’article 22 (c.-à-d. certificats d’autorisation pour les projets en milieu aquatique et riverain) et des articles 31.1 à 31,9 (évaluations environnementales), les activités de dragage dans le Saint-Laurent doivent être soumis à la procédure d’évaluation environnementale du Québec :
[…] tout programme ou projet de dragage, creusage, remplissage, redressement ou remblayage à quelque fin que ce soit dans un cours d’eau cité à l’annexe A ou dans un lac, à l’intérieur de la limite des hautes eaux printanières moyennes, sur une distance de 300 mètres ou plus ou sur une superficie de 5000 mètres carrés ou plus, et tout programme ou projet de dragage, creusage, remplissage, redressement ou remblayage, à quelque fin que ce soit, égalant ou excédant de façon cumulative les seuils précités, pour un même cours d’eau visé à l’Annexe A2.
La démonstration du GIRAM est sans détour, L’ACEE et le fédéral ne peuvent raisonnablement octroyer une autorisation à un projet industriel essentiellement basé sur des scénarios hypothétiques dont ni le public ni les élus ne connaissent vraiment tous les tenants et tous les aboutissants réels. Ils doivent par-dessus tout fonder leur appréciation sur le fait que ce projet « d’augmentation de capacité » est en réalité une transformation en profondeur du port « urbain » de Québec et une mutation de sa vocation principale en possibles opérations pétrolières. Ils doivent également centrer leur appréciation sur le fait qu’il doit exister de réelles « raisons d’être du projet », tel que spécifié à l’article 19-1 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale.