Pas de laïcité sans indépendance

Professeur de philosophie à la retraite. Auteure de Une charte pour la nation : la laïcite, un projet d’avenir publié aux Éditions du Renouveau québecois

Le 18 octobre 2017, dix ans après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor et quelques tentatives avortées de légiférer sur ces questions d’accommodements et de laïcité (projet de loi 94 en 2010, Charte des valeurs en 2013), l’Assemblée nationale du Québec, grâce à la seule majorité libérale, adopte la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État, auparavant appelée projet de loi 62. Les députés libéraux ayant rejeté tous les amendements proposés par les trois partis d’opposition, le Parti québécois (PQ), la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS) ont donc voté unanimement contre cette loi qu’ils ont qualifiée de loi du Parti libéral.

Une loi, dit l’opposition, où nulle part il n’est question de laïcité et qui, par le biais des accommodements, ouvre toutes grandes les portes au religieux dans les institutions publiques, proposant même des accommodements à la règle du visage découvert (port du niqab) dans la prestation et la réception de services publics. Exactement le contraire de ce que souhaitent les Québécois.

Voilà la réponse libérale à dix ans de tergiversations sur ces épineuses questions. Une réponse qui refuse même ce qui fait consensus chez les autres partis, à savoir d’interdire le port de signes religieux pour les agents de l’État en position d’autorité coercitive, que sont les magistrats et procureurs de la Couronne, les policiers, les gardiens de prison, le président et le vice-président de l’Assemblée nationale, tel que recommandé dans le rapport Bouchard-Taylor de 2008.

Adoptée dans la controverse, cette loi sera aussitôt contestée devant les tribunaux, trois semaines plus tard. Le 7 novembre 2017, le Conseil national musulman canadien (CNMC), l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et Marie-Michelle Lacoste, une Québécoise convertie à l’islam et portant le niqab, ont déposé conjointement devant la Cour supérieure du Québec une demande visant à faire suspendre l’article 10 de la loi qui prévoit que les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert, et ultimement à faire déclarer cet article inconstitutionnel. L’argument étant que celui-ci est discriminatoire envers les femmes musulmanes en raison de leur religion et de leur sexe puisqu’il porte atteinte à la liberté de religion et au droit à l’égalité garantis par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés.

À la suite de l’adoption de la loi, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a été incapable d’expliquer clairement quelles seront les modalités d’application de la loi concernant l’obligation d’avoir le visage découvert, particulièrement lorsqu’il s’agit de recevoir un service public, par exemple, celui d’avoir accès aux transports en commun. Avec la plus grande des maladresses, la ministre se perdra dans des explications contradictoires, confuses et incohérentes, faisant preuve d’un rare niveau d’incompétence. Ce qui donnera de l’eau au moulin pour les plaignants qui réclament que l’article 10 soit suspendu puisque l’on ne connaît pas clairement les modalités d’application de la loi alors que celle-ci est entrée en vigueur à la mi-octobre.

Le 1er décembre 2017, le juge Babak Barin de la Cour supérieure ordonne donc de suspendre l’article 10 de la loi sur la neutralité religieuse de l’État jusqu’à ce que le gouvernement ait précisé les modalités d’application de celle-ci.

Le 10 mai 2018, la ministre Vallée fait connaître les lignes directrices devant servir de guide pour les accommodements pour un motif religieux, précisant que celles-ci seront effectives à compter du 1er juillet.

Le 28 juin, le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure maintient la suspension de l’article 10 de la loi sur la neutralité religieuse de l’État considérant que, malgré les directives rendues publiques par la ministre en mai dernier, le processus d’accommodements n’est toujours pas défini avec précision et que si cet article entrait en vigueur, il pourrait causer des torts irréparables aux femmes musulmanes portant le voile intégral.

Le gouvernement avait jusqu’au 28 juillet pour faire appel de cette décision et il a choisi de ne pas le faire. L’affaire reviendra donc devant les tribunaux ultérieurement, cette fois-ci pour trancher sur le fond, c’est-à-dire juger de la constitutionnalité de l’article 10.

Mentionnons qu’à la prochaine audience, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), de même que la Concordia Students Association et la Fédération des femmes du Québec (FFQ) interviendront en faveur de la partie demanderesse en plaidant que le port du voile intégral fait partie du droit à l’égalité des femmes alors que Pour les droits des femmes (PDF-Québec) interviendra en faveur de la partie défenderesse en faisant valoir la neutralité de l’État, le droit à la dignité des femmes et leur droit à l’égalité. PDF est représenté par Me Christiane Pelchat, avocate féministe et ex-présidente du Conseil du statut de la femme.

Dans l’hypothèse où cet article serait déclaré inconstitutionnel, cela pourrait vouloir signifier que dans l’avenir, aucun gouvernement provincial ou fédéral canadien ne pourrait adopter une législation visant à interdire que les services publics soient donnés et reçus à visage découvert. Ce qui est fort probablement l’objectif du Conseil national musulman canadien, un des lobbys politiques musulmans les plus actifs et les plus influents au Canada.

Voilà pour les faits. Voilà où nous en sommes au moment d’écrire ces lignes.

Un dossier hautement politique qui a rapidement emprunté la voie juridique et qui, vu son importance, risque fort de se rendre jusqu’en Cour suprême. Au cœur de l’affrontement, le niqab des femmes musulmanes. L’islam et les femmes, une fois de plus, comme en 2013 avec la Charte des valeurs. « Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence ! » dirait Ionesco.

Avec la différence que cette fois-ci, nous n’entendons pas crier au racisme et à l’islamophobie et même qu’aucun journaliste n’a osé dire que les libéraux étaient en train de diviser le Québec. « Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence ! ».

Nous ne connaîtrons pas le dénouement de ce dossier d’ici les élections du 1er octobre, mais cela donne tout de même le ton pour la campagne électorale qui débute. En juin 2015, lors du dépôt du projet de loi 62, Jean-Marc Fournier, voulant railler les péquistes, avait fanfaronné que cette loi ne serait pas une charte sur le linge et qu’elle n’empêcherait pas les gens de travailler. Et voilà que maintenant le gouvernement libéral se retrouve devant les tribunaux faisant face à plusieurs mètres de tissu alors que les plaignants allèguent que l’interdiction du voile intégral va empêcher les femmes musulmanes de travailler dans les institutions publiques. « Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence ! ».

La loi sur la neutralité de l’État : une loi pour neutraliser la laïcité

Malgré tout, il y avait une part de vérité dans ce que disait Jean-Marc Fournier parce que ce qui est au cœur de la loi 62 n’est pas l’interdiction du visage couvert comme les journalistes ont voulu nous le faire croire, mais bien plutôt la question de la neutralité de l’État et celle des accommodements. Toute cette attention médiatique concentrée sur le niqab, dont l’interdiction fait consensus dans la population, a fait oublier la raison véritable pour laquelle cette loi a été préparée ; tuer dans l’œuf toute velléité d’une éventuelle législation sur la laïcité, semblable à celle de la Charte des valeurs, par l’adoption d’une loi qui met en place les conditions idéales à une ouverture optimale à la présence du religieux dans les institutions publiques. C’est, de l’aveu même de la ministre Vallée, l’une des principales finalités de cette loi, en réponse à la proposition controversée de la Charte des valeurs concernant l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour les membres du personnel de l’État.

Ici, c’est l’État qui doit être neutre, non pas les individus. L’État ne peut donc favoriser une religion aux dépens d’une autre, mais il peut en revanche les accueillir toutes en autorisant, par exemple, le port de signes religieux pour les employés de l’État. La récitation de huit prières de confessions différentes avant le début des assemblées au parlement ontarien de Queenspark illustre parfaitement cette conception de la neutralité que l’on retrouve dans la loi 62.

Nous reconnaissons dans cette formule la posture multiculturaliste, si répandue au Canada anglais, qui impose une neutralité institutionnelle tout en « ouvrant » ces mêmes institutions aux différentes manifestations du religieux. Alors qu’en vertu du principe de séparation entre l’État et les religions, la laïcité commande de ne favoriser aucune religion, la neutralité, à l’inverse, permet de les favoriser toutes. Voilà pourquoi le concept de laïcité ne figure pas dans la loi 62 et pourquoi la ministre a refusé tous les amendements allant dans ce sens. Il ne faut surtout pas croire que cette législation constitue une avancée en matière de laïcité alors qu’elle érige un barrage contre celle-ci.

Le 5 septembre 2013, quelques jours seulement avant le dépôt du projet de loi 60 (Charte des valeurs), Philippe Couillard annonce que le Parti libéral est en faveur d’une laïcité ouverte, que son parti, s’il était au pouvoir, enchâsserait le principe de neutralité religieuse dans la Charte québécoise des droits de la personne, mais que ce principe ne s’appliquerait pas aux individus.

En matière d’accommodements, poursuit Philippe Couillard, les libéraux ne feraient pas de compromis sur le principe d’égalité entre les femmes et les hommes et son parti proposerait l’adoption d’une loi définissant les balises et les critères d’application pour les accommodements raisonnables, précisant également que les services publics soient donnés et reçus à visage découvert.

Philippe Couillard ajoutera que la position défendue par le PLQ est en ligne directe avec le rapport Bouchard-Taylor (B-T).

Ces positions annoncées en septembre 2013 sont exactement celles que nous retrouvons dans l’actuelle loi 62, à part le fait que la neutralité religieuse de l’État ne soit pas enchâssée dans la charte québécoise. Une laïcité dite « ouverte », comme recommandé par B-T, et qui n’est en fait que du sécularisme d’État. Tout le contraire de la laïcité. Non seulement les libéraux ont tenu promesse et livré la marchandise, mais ils ont effectivement légiféré en parfaite conformité avec le rapport Bouchard-Taylor.

La loi 62, une mise en œuvre du rapport Bouchard-Taylor

Plusieurs politiciens et journalistes ont dit de cette loi qu’elle se situe à des années-lumière du rapport B-T puisqu’elle n’interdit même pas le port de signes religieux pour les employés en position d’autorité coercitive alors que c’était l’une des recommandations du rapport B-T. Or, à moins de résumer ce rapport, qui fait près de 300 pages, à cette seule recommandation, ce qui serait fort simpliste, on constate que l’ensemble des recommandations de B-T au chapitre de la laïcité se décline selon l’idée que c’est l’État qui doit être neutre et non pas les individus. En voici quelques exemples :

  • Défendre la conception ouverte de la laïcité choisie et mise en œuvre par le Québec.

    Concernant le port de signes religieux par les agents de l’État :

  • Qu’il soit interdit aux les magistrats et procureurs de la Couronne, aux policiers, aux gardiens de prison, aux président et vice-présidents de l’Assemblée nationale.
  • Qu’il soit autorisé aux enseignants, aux fonctionnaires, aux professionnels de la santé et à tous les autres agents de l’État.
  • Que des mesures soient prises afin de rendre certaines pratiques en cours dans nos institutions publiques conformes aux principes de laïcité ouverte. En conséquence, au nom de la séparation entre l’État et les Églises et au nom de la neutralité de l’État, nous recommandons que :
  • Le crucifix au-dessus du siège du président de l’Assemblée nationale soit retiré et replacé dans l’Hôtel du Parlement à un endroit qui puisse mettre en valeur sa signification patrimoniale ;
  • Les conseils municipaux abandonnent la récitation de la prière durant leurs séances publiques.

Quant à la recommandation concernant les personnes en autorité coercitive pour laquelle Charles Taylor a fait une volte-face l’automne dernier dans le but de venir prêter main-forte aux libéraux, nous croyons que cette interdiction était un compromis, une sucette enduite de miel pour mieux endormir et faire taire cette majorité francophone dont les écoles publiques avaient été déconfessionnalisées en 2005 et qui s’était vue imposer, l’année suivante, dans un jugement de la Cour suprême, l’autorisation du port du kirpan pour un élève sikh dans une école publique de Montréal.

Les accommodements religieux, le poison multiculturaliste

Le rapport B-T repose sur une vision postnationale qui conduit au recul et à l’effacement de l’État-nation pour le remplacer par la politique des droits. B-T considère que les lois de l’État ne sont pas neutres puisqu’elles reflètent le point de vue de la majorité, qu’elles sont donc discriminatoires et même tyranniques, comme l’affirmait Tocqueville, à l’égard des minorités. D’où la nécessité de contourner cet État, ses lois, ses règles et ses normes en recourant à l’outil juridique de destruction massive ; l’accommodement raisonnable.

S’en remettre aux droits individuels protégés par les chartes pour contourner l’État et passer outre aux décisions de ses représentants. Voilà la nouvelle conception de la démocratie selon B-T. C’est même pour eux la seule façon de garantir le respect des droits fondamentaux de chacun. Sacraliser la politique des droits pour mieux disqualifier l’État.

Afin d’illustrer ce que trop de gens semblent ignorer, laissons ici la parole à nos deux sages :

« Sociologiquement, on observe que plusieurs normes, en apparence neutres et universelles, reproduisent en réalité des visions du monde, des valeurs, des normes implicites qui sont celles de la culture ou de la population majoritaire (par exemple : les menus dans les restaurants, dans les avions ou dans les cafétérias qui, jadis, ne tenaient pas compte des personnes végétariennes ou souffrant d’allergies alimentaires). Il s’ensuit que la rigueur absolue dans l’application des lois et des règlements n’est pas toujours garante d’équité. » B-T. p. 161

« Dans toute société où se rencontrent deux ou plusieurs cultures surgit inévitablement la question de la diversité ou de la différence. Cette question s’est posée de tout temps. Jusqu’à récemment, elle était le plus souvent résolue de façon autoritaire : une culture, plus puissante, tentait ou bien de dominer les autres en les marginalisant, ou bien de les supprimer en les assimilant. Le mode de gestion du vivre-ensemble qui prend forme désormais est fondé sur un idéal général d’harmonisation interculturelle. » p. 160

« Cette nouvelle vision ou sensibilité fonde le principe des pratiques d’harmonisation. On constate qu’elle a fait son chemin progressivement parmi les élites intellectuelles et politiques ainsi que chez les militants qui ont animé les grands mouvements sociaux de l’Occident. » p. 160

« On doit à la nouvelle diversité culturelle […] une critique des anciens mythes fondateurs qui servaient autant à exclure qu’à inclure, un renouvellement de la démocratie et une culture plus vive des droits. » p. 128

« Une nouvelle tradition a pris forme dans le domaine du droit. La conception classique de l’égalité, qui supposait l’uniformité de traitement, a fait place à une conception plus attentive des différences. Peu à peu, le droit a été amené à reconnaître que la règle de l’égalité commande parfois des traitements différenciés. Au cours des vingt-cinq dernières années, cette évolution s’est concrétisée notamment dans un outil ou une disposition juridique qu’on appelle l’accommodement raisonnable. Celui-ci est fondamentalement dicté par le principe général d’égalité et d’équité. En effet, l’obligation d’accommodement vise à rendre les règles du jeu équitables, en conformité avec l’article 10 de la charte québécoise et avec l’article 15 de la charte canadienne. » p.161

« Ajoutons que les tribunaux n’interviennent qu’à la demande des interlocuteurs qui n’arrivent pas à s’entendre. D’autre part, dès qu’il est question de définir des droits fondamentaux, il est imprudent de confier à la majorité ce pouvoir sur les minorités. » p. 280

En clair, cela signifie que B-T se méfie de l’État québécois, qu’ils le considèrent comme l’ennemi de la liberté et donc qu’il vaut mieux s’en remettre aux chartes et à la Cour suprême plutôt qu’à l’Assemblée nationale pour garantir la démocratie en matière de laïcité.

Ce parti-pris repose sur deux postulats fondamentaux du libéralisme ; le premier étant que les points de vue de chacun sont irréconciliables, à ce point qu’il devient impossible de partager une vision commune, le second découlant du premier, veut que l’État ne contrarie pas l’individu, qu’il ne dise surtout pas aux femmes comment s’habiller, disait Jean-Marc Fournier.

Que l’État se fasse discret, minimaliste et se limite dans ses politiques à des éléments normatifs faibles. B-T le veut en coulisse plutôt qu’à l’avant-scène. Un État formel, procédural, rachitique, amputé de sa chair, sans histoire, sans valeurs et sans culture. Un État désincarné, déraciné, sans peuple et sans nation avec pour seul emploi, celui de gérer les différences dans le but de préserver la paix sociale. L’État minimum, non plus l’État du Québec, mais plutôt l’État du P’tit Québec, comme le fromage, sans saveur pour que tout le monde mange !

L’accommodement raisonnable constitue une pièce centrale dans l’armature du rapport B-T. Ce concept qui est une invention du monde juridique s’est progressivement imposé dans la sphère politique sans même y avoir été discuté. Il est au cœur de la politique des droits et se fonde dans le droit des chartes. Il a essentiellement pour fonction d’accorder à un individu une dérogation à une norme, une règle commune qui serait discriminatoire en vertu des chartes. C’est d’ailleurs à propos d’un accommodement pour motif religieux que la Cour suprême a reconnu officiellement « l’accommodement raisonnable ».

« Le jugement qui a consacré l’existence de l’accommodement raisonnable est celui rendu par la Cour suprême du Canada en 1985 dans l’affaire O’Malley. Une employée disait subir de la discrimination, car son employeur l’obligeait à travailler le samedi, ce que sa religion lui interdisait (Église adventiste du Septième Jour). Le tribunal lui a donné raison. Par la suite, l’accommodement raisonnable s’est étendu à d’autres organismes de la sphère privée ainsi qu’aux institutions publiques. » B-T p. 161

Les commissaires Bouchard-Taylor sont bien conscients que l’on ne peut pas passer son temps devant les tribunaux et préconisent donc la déjudiciarisation des demandes d’accommodement, recommandant d’emprunter la voie citoyenne au lieu de la voie judiciaire. Celle des « ajustements concertés » qui engagent les parties au dialogue, à une approche contextuelle et délibérative plutôt qu’à l’affrontement devant un juge.

Des ajustements au cas par cas, gérés par un personnel ayant reçu une formation à la philosophie des droits et à ses aspects juridiques. Travailler en amont, pour que cela glisse comme dans « interculturalisse… ». Que cela glisse loin des médias et de la Cour suprême. Après on viendra nous dire avec le plus grand sérieux du monde qu’il n’y a presque pas de demandes d’accommodement. On nous en dira tant !

Accommoder au cas par cas. N’est-ce pas précisément ce qu’a proposé la ministre Vallée au sujet de la loi 62 ? On a beaucoup critiqué la ministre, et avec raison, mais elle n’a rien inventé. Elle n’a fait que mettre en application ces recommandations du rapport B-T, datant de 2008, et légaliser ces pratiques qui ont cours dans le milieu scolaire depuis de nombreuses années déjà.

L’accommodement religieux constitue la pire des menaces à l’universalisme des droits sur lequel se fonde la laïcité. L’égalité entre citoyens qui se définissent au-delà des particularismes religieux suppose les mêmes droits et les mêmes responsabilités pour chacun, alors que l’accommodement permet de se soustraire à la règle commune pour un motif religieux, minant du même coup toute tentative de partager les mêmes valeurs et un horizon commun. L’accommodement religieux, c’est le délitement du lien social, la dissolution de la nation et l’éclatant succès du multiculturalisme, là où chaque individu est renvoyé à sa communauté et où au nom de ses droits, il peut cracher dans la soupe collective.

Mais c’est aussi et surtout le plus sûr moyen de combattre la laïcité en rendant nos institutions publiques vulnérables et perméables à la religion. Malheureusement, notre classe politique tient pour acquise cette prétendue obligation d’accommodement, si bien qu’elle leur semble aller de soi.

De deux choses l’une, ou bien certains politiciens sont conscients de la dangerosité de cette pratique, mais ils se sentent impuissants à la contrer, ou bien ils sont carrément inconscients du caractère dommageable de l’accommodement et pensent alors qu’il suffit d’imposer quelques balises, par exemple le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes, pour contenir ce religieux dans les limites de l’acceptable.

Le rapport Bouchard-Taylor, Ground Zero de la laïcité

Depuis l’épisode de la Charte des valeurs et surtout depuis l’attentat à la mosquée de Québec, en janvier 2017, les politiciens se sont entichés du rapport B-T au point où on a l’impression que celui-ci est soudainement devenu La Mecque de la laïcité. De minimaliste qu’il était en 2008, ce rapport est maintenant considéré comme la référence incontournable en matière de laïcité, l’étalon véritable de celle-ci. Quand on sait que le but de ce rapport est précisément de contrer cette laïcité en créant une ouverture aux religions dans nos institutions publiques, cette attitude des politiciens est tout simplement navrante.

Les partis d’opposition ne semblent avoir retenu du rapport B-T que l’interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’État en position d’autorité coercitive pour laquelle il existe un consensus. En fait, ces politiciens semblent bien davantage préoccupés par l’idée de consensus, pressés qu’ils étaient de dépolitiser un enjeu sensible dans la population, que par la proposition elle-même. N’oublions pas que ce consensus a été proposé à la suite de l’attentat de Québec, bien davantage pour faire montre de bonne foi dans la volonté d’apaiser le climat social que dans un réel souci de légiférer sur la laïcité. C’était pour la CAQ et le PQ faire marche arrière sur les propositions qu’ils avaient défendues jusqu’alors. Il fallait bien que quelqu’un expie les péchés de Bissonnette. On appelle cela faire de la politique !

Si ce rapport B-T a tellement pris du galon depuis un an, c’est parce qu’il sert de caution à la respectabilité et représente le plus sûr et le plus solide rempart pour se prémunir contre les accusations de racisme, de xénophobie et d’islamophobie. Une aubaine pour les partis en ce début de campagne électorale.

Le programme des partis au chapitre de la laïcité

Au moment d’écrire ces lignes, nous ne connaissons pas encore la plate-forme électorale des principaux partis, sauf pour le Parti québécois. La seule information officielle dont nous disposons est donc celle que l’on retrouve sur les sites de chacun des partis.

Parti libéral du Québec

Aucune proposition ne réfère à la laïcité. Ce mot semble même avoir été banni du vocabulaire libéral.

Coalition avenir Québec

Voici la seule proposition que nous retrouvons actuellement sur le site de la CAQ :

Port de signes religieux

Après 10 années de débat sur les signes et les accommodements religieux, il est plus que temps d’agir véritablement. C’est ce que fera un gouvernement de la CAQ en faisant interdire le port de signes religieux au personnel en position d’autorité, incluant les enseignants.

À noter toutefois que le 18 octobre 2017, jour de l’adoption de la loi 62, la CAQ annonçait ceci :

Un gouvernement de la CAQ va abroger la Loi 62 en la remplaçant par une véritable Charte de la laïcité de l’État

Cette loi d’un gouvernement de la CAQ stipulera clairement que :

  1. Le Québec est un État laïque (rapport Bouchard-Taylor) ;
  2. Le port de signes religieux doit être interdit aux employés de l’État en position d’autorité coercitive, que sont les juges, les procureurs de la Couronne, les policiers, les gardiens de prison (rapport Bouchard-Taylor). La CAQ ajoute à cette liste les enseignants du primaire et du secondaire ;
  3. Dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, aucune exception ne doit leur être accordée pour des motifs religieux ;
  4. Tout membre du personnel de l’État ne pourra porter un tchador, un niqab ou une burqa dans l’exercice de leurs fonctions, puisqu’ils sont des symboles de soumission et d’asservissement qui vont à l’encontre du droit à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Québec solidaire

Nous voulons vivre dans un Québec laïque qui consacre la séparation des institutions religieuses et de l’État.

Ainsi, Québec solidaire propose un modèle de laïcité conçu comme la combinaison de la neutralité des institutions publiques sur le plan des croyances (incluant le scepticisme et l’incroyance) avec la liberté, pour l’individu, d’exprimer ses propres convictions, dans un contexte favorisant l’échange et le dialogue.

Le processus de laïcisation des institutions du Québec n’est toujours pas terminé. L’avancement de ce processus dépend autant d’une politique d’État claire que d’une volonté de l’ensemble de la société d’établir sans concession et de façon définitive la neutralité de l’État sur le plan de la religion.

L’État étant laïque, les signes religieux ne sont pas admis dans les institutions publiques (ex. : croix dans le salon de l’Assemblée nationale) ni les manifestations religieuses lors des activités institutionnelles (ex. : prière lors d’une rencontre d’un conseil municipal).

C’est l’État qui est laïque, pas les individus. Le port de signes religieux est accepté pour les usagers et les usagères des services offerts par l’État. En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instrument de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. Le port de signes religieux peut également être restreint s’ils entravent l’exercice de la fonction ou contreviennent à des normes de sécurité.

Parti québécois

• Inscrire dans la loi les éléments qui font consensus en matière de laïcité :

Baliser, dans la Charte des droits et libertés de la personne, les paramètres encadrant les accommodements religieux ;

Exclure les accommodements incompatibles avec l’égalité entre les hommes et les femmes ;

Faire figurer le principe de la laïcité de l’État dans la Charte des droits et libertés de la personne ;

Élaborer, pour les institutions publiques et parapubliques, des balises claires pour répondre aux demandes d’accommodement ;

Promouvoir le devoir de réserve chez les employés de l’État pendant les heures de travail ;

Obliger tous les fonctionnaires, employés et agents de l’État à avoir le visage découvert dans le cadre de leurs fonctions – sauf, bien sûr, pour un motif de santé ou de sécurité impératif et avéré ;

Obliger tous les citoyens à recevoir des services de l’État à visage découvert sauf, bien sûr, pour un motif de santé ou de sécurité impératif et avéré ;

Interdire aux personnes qui ont un pouvoir de contrainte – juges, procureurs, gardiens de prison et policiers – d’afficher leurs convictions, y compris religieuses.

• Protéger la liberté de conscience des élèves, notamment en :

Remplaçant le cours Éthique et culture religieuse par un cours d’éthique et de citoyenneté québécoise ;

Interdisant aux personnes en autorité, aux éducateurs en garderie ou en CPE et aux enseignants des niveaux préscolaire, primaire et secondaire d’afficher leurs convictions, y compris religieuses (un droit acquis s’appliquera).

  • Lancer un mandat d’enquête sur le rôle et les responsabilités de l’État face au phénomène des groupes à dérives sectaires.

    D’une manière générale, lorsque l’on compare les propositions de chacun des partis, on constate un consensus chez tous les partis concernant les services donnés et reçus à visage découvert, sauf pour la CAQ qui s’en tient uniquement aux services donnés. Il y a également un consensus chez les partis d’opposition sur le fait d’interdire le port de signes religieux pour les personnes en autorité coercitive, le PLQ ayant refusé de se rallier à cette position, probablement par calcul politique, pour se démarquer des autres partis et, au besoin, les accuser de souffler sur les braises de l’intolérance. Un argument qui pourrait s’avérer utile dans une campagne électorale.

    Nous constatons aussi que le PQ et la CAQ ont ciblé avec justesse le milieu de l’éducation dans le fait d’interdire le port de signes religieux, le PQ montrant ici davantage de cohérence que la CAQ en incluant le préscolaire et les garderies. Quant à QS, il défend sur cette question exactement la même position que le PLQ et celle proposée dans le rapport B-T. D’ailleurs, quand on relit attentivement les recommandations de B-T, on constate que l’ensemble des propositions de QS sont un copier-coller de celles de B-T.

    Mais là où il semble y avoir le plus fort consensus, c’est sur le fait de fournir des balises pour encadrer les accommodements religieux, le PQ allant même jusqu’à vouloir en inscrire les paramètres dans la charte québécoise afin de rendre cet encadrement uniforme et ainsi éviter la variabilité du cas par cas, voulu exprès pour contourner l’État, et défendu par le PLQ, par QS et par B-T. On peut comprendre l’intention du PQ, mais cette position recèle tout de même un bien grand danger qui est celui de donner au concept d’accommodement raisonnable une valeur quasi constitutionnelle.

    Notre classe politique tient pour acquise cette notion d’accommodement sans jamais se questionner sur ses réelles conséquences. Cela dénote à quel point l’idéologie de la politique des droits a pénétré les mentalités. D’accepter des accommodements pour des motifs religieux, c’est consentir à l’intrusion de la religion dans nos institutions publiques et augmenter son influence alors que nous venons à peine de déconfessionnaliser notre système scolaire en 2005. Comment peut-on admettre pareille chose après tous les difficiles combats que nous avons menés depuis la Révolution tranquille pour éloigner la religion catholique de la chose publique ? Sommes-nous tombés sur la tête ? Sommes-nous à ce point oublieux de notre histoire et si peu fiers de nos victoires ?

    De normaliser ces demandes va contribuer à ancrer dans toutes les institutions publiques une culture des accommodements religieux, fragilisant alors la culture laïque de celles-ci, de même que les droits des femmes que les religions ont toujours infériorisés. C’est permettre que le droit individuel s’impose comme élément structurant dans nos institutions publiques et ruiner les efforts et les avancées collectifs que nous avons obtenus au Québec en matière de laïcité.

    Accommoder signifie également d’offrir aux plus radicaux, aux plus conservateurs et aux plus intégristes la possibilité d’ouvrir une brèche dans nos institutions laïques pour déstabiliser et détruire patiemment de l’intérieur, l’un des principes fondateurs de la laïcité ; celui de la stricte séparation de l’État d’avec les religions.

    Dans le contexte mondial actuel, où nous sommes témoins de la montée de l’islamisme et où bien des pays occidentaux sont confrontés à de nouveaux défis sur la laïcité, cette normalisation de l’accommodement religieux témoigne d’un aveuglement inouï et d’une grave inconséquence.

    Nous savons tous qu’il existe ici même au Québec des associations qui se réclament de la pensée des Frères musulmans. Nous savons également qu’il existe des associations qui sont prokhomeynistes. Ces gens sont actifs dans leur communauté et auprès des politiciens. Ils ont en commun de vouloir imposer ultimement l’islam et la charia et ils utilisent différentes stratégies pour parvenir à leurs fins. L’entrisme du religieux dans nos institutions publiques par différentes demandes d’accommodement est l’une de leurs stratégies préférées alors qu’il suffit d’un seul individu pour modifier la culture laïque d’une institution publique.

    Pour vous rassurer, on vous dira que l’accommodement ne concerne justement qu’un seul individu. Ah bon ? Mais dites-moi, depuis le jugement de la Cour suprême ayant autorisé le kirpan pour le jeune sikh Multani, quelle commission scolaire va à nouveau interdire le kirpan et s’engager dans une telle bataille ? Le message est clair, si vous ouvrez la porte à un seul, n’espérez pas la refermer. Jurisprudence oblige !

    La judiciarisation du politique

    En novembre 1976, le Parti québécois est élu majoritairement pour former le prochain gouvernement du Québec. Son objectif est de faire l’indépendance. Portées au pouvoir par une ferveur nationaliste grandissante, les forces fédéralistes seront alarmées par cette situation et tenteront de planifier une stratégie visant à contrer ce mouvement indépendantiste.

    La solution est venue six ans plus tard, en 1982, avec le rapatriement de la constitution, dans laquelle le gouvernement de P.-E. Trudeau a enchâssé la Charte canadienne des droits et libertés. Une très habile manœuvre qui allait mettre les politiciens des deux ordres, tant provincial que fédéral, à la remorque des juges et des tribunaux et donner à la Cour suprême du Canada un pouvoir politique sans précédent.

    Dorénavant, les décisions prises par les élus devraient se conformer à la Charte canadienne au risque d’être invalidées par les juges de la Cour suprême. La démocratie parlementaire était ainsi mise en tutelle et infantilisée au point où les décisions des élus pouvaient faire l’objet d’une contestation devant les tribunaux par n’importe quel citoyen canadien. C’est ce que l’on appelle la judiciarisation du politique.

    Consacrant la primauté du droit individuel sur la démocratie parlementaire et la suprématie du juridique sur le politique, la Charte canadienne a ainsi fait barrage à l’affirmation d’un État national québécois. Pensons, par exemple, aux nombreuses contestations devant les tribunaux dont la loi 101 a fait l’objet. Quand on sait à quel point la langue est au cœur de l’identité nationale.

    Exproprier l’État national, neutraliser l’institution politique de tout un peuple, cette majorité prétendument tyrannique à l’endroit de ses minorités, au bénéfice d’un gouvernement des juges. Cela ne vous rappelle-t-il pas le rapport B-T ?

    B-T nous a dit que c’était pour améliorer la démocratie, la rendre plus progressiste. Remplacer l’Assemblée nationale où les députés sont élus au suffrage universel par des juges de la Cour suprême dont aucun n’est élu et qui ne sont en rien redevables de leurs décisions devant la population. Quelle ironie ! On a presque envie de rire, mais la vérité, c’est que le Québec est enfermé dans ce cadre aliénant, où le gouvernement fédéral a confisqué la démocratie dans le plus grand mépris du peuple québécois.

    Voilà pourquoi, trois semaines seulement après l’adoption de la loi 62, l’interdiction du niqab dans les institutions publiques s’est rapidement retrouvée devant les tribunaux alors qu’elle fait l’objet d’un consensus dans toute la classe politique et qu’elle obtient un aussi large consensus au sein de la population. Le politique a cédé son pouvoir au juridique, les politiciens, leur parole aux avocats et qui va finalement prendre la décision ? Les juges. Si cela n’est pas usurper la démocratie et évincer le peuple, alors dites-moi ce que c’est ?

    Et la célèbre Charte des valeurs ? On a dit bien des choses sur ce projet de loi, blâmant le PQ d’avoir été trop ambitieux et trop gourmand en voulant interdire le port de signes religieux dans toutes les institutions publiques, le blâmant aussi de n’avoir pas su faire en temps opportun de compromis avec la CAQ et sans surprise, de porter en lui l’ADN du racisme, de la xénophobie et de l’islamophobie. Merci QS !

    Mais dites-moi alors, pourquoi le PLQ se retrouve-t-il maintenant devant les tribunaux ? Ce parti qui est celui des libertés, comme l’affirme Philippe Couillard, et qui se targue d’être ouvert, non raciste, non xénophobe et non islamophobe. Ce parti qui a inclus dans sa loi 62 un article plus que minimaliste exigeant que les services reçus et donnés dans les institutions publiques le soient à visage découvert, avec en prime une possibilité d’accommodement.

    Vous vous rendez compte ? On veut interdire à des employés de l’État de travailler masqués et l’on se retrouve devant les tribunaux pour cela, confronté à l’argument disant que l’on va alors discriminer les femmes musulmanes d’un emploi dans la fonction publique. Misère, si nos morts pouvaient se réveiller et entendre cela, ils retomberaient assurément raides morts ! On disait exactement la même chose en 2013 avec le hijab. Vous allez leur interdire un emploi dans la fonction publique. « Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence ! »

    La vérité, c’est qu’il ne faut pas toucher aux religions et surtout pas à l’islam. Que les lobbys politico-religieux et islamistes sont organisés et actifs auprès des politiciens, qu’ils ont le vent en poupe et qu’ils n’hésiteront pas à instrumentaliser les chartes et les tribunaux pour imposer leurs vues et contester la moindre avancée en faveur de la laïcité. S’intégrant bien au discours multiculturaliste d’ouverture à la diversité, ils sont d’ailleurs pour le gouvernement de Justin Trudeau, une occasion inespérée d’asseoir et de consolider un État postnational.

    Pas de laïcité sans indépendance

    Le temps est maintenant venu de tirer des leçons du chemin parcouru depuis 2005 en matière de laïcité au Québec, question d’y voir un peu plus clair et surtout pour cesser de tourner en rond pendant que d’autres s’en vont en ligne droite…

    2005 : le Québec complète la déconfessionnalisation de son système scolaire en mettant fin à l’enseignement religieux dans les écoles publiques, réalisant par-là, l’une des grandes recommandations du rapport Parent des années 60.

    2006 : la Cour suprême du Canada infirme un jugement de la Cour d’appel du Québec et autorise le port du kirpan pour un élève sikh dans une école publique de Montréal.

    2007 : proclamation du code de vie d’Hérouxville qui, pour des raisons électoralistes, obligera le PLQ à instituer la commission de consultation Bouchard-Taylor.

    2008 : dépôt du rapport Bouchard-Taylor visant à mettre en place une stratégie multiculturaliste favorisant le maximum d’ouverture pour les religions dans nos institutions publiques.

    2009 : la Fédération des femmes du Québec se prononce contre l’interdiction du hijab dans les institutions publiques.

    2010 : le PLQ présente le projet de loi 94 visant à établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé de même qu’à exiger que les services publics soient donnés et reçus à visage découvert. C’est en fait la première mouture de l’actuelle loi 62. Le PLQ ne donnera pas suite à ce projet de loi.

    2013 : le PQ présente le projet de loi 60 (Charte des valeurs), projet le plus substantiel et le plus cohérent en matière de laïcité, qui mourra au feuilleton par suite du déclenchement des élections d’avril 2014.

    Juin 2015 : le PLQ déposera conjointement son projet de loi 59 disant vouloir lutter contre les discours haineux et son projet de loi 62.

    Octobre 2015 : une motion condamnant l’islamophobie sera présentée par QS à l’Assemblée nationale et adoptée à l’unanimité. Merci QS !

    Mai 2016 : faisant face à une forte opposition de la société civile, le PLQ abandonne son projet de loi 59, jugé liberticide.

    Septembre 2016 : Amir Khadir dépose à l’Assemblée nationale une pétition demandant la mise sur pied d’une commission sur le racisme systémique (merci QS !) auquel le PLQ ne donnera pas suite.

    Octobre 2017 : adoption de la loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État qui établit non pas la laïcité, mais bien les conditions d’ouverture maximale aux religions dans les institutions publiques.

    Novembre 2017 : l’article 10 de la loi 62 est contesté devant les tribunaux par le Conseil national musulman canadien (CNMC), etc.

    Mai 2018 : Ève Torres, ancienne conseillère aux sffaires publiques pour le Conseil national musulman canadien (CNMC), ceux-là mêmes qui contestent l’interdiction du niqab dans les services publics et qui ont réclamé une Journée nationale contre l’islamophobie, se déclare candidate pour QS aux élections d’octobre prochain. Elle porte le hijab et nie avoir des liens avec des islamistes. On la soupçonne d’être là pour défendre les bélugas ! Merci QS !

    Alors, avons-nous avancé en matière de laïcité ? La réponse est non. Nous avons même régressé. Nous devons enfin comprendre que l’on ne pourra jamais progresser et faire respecter le principe de séparation de l’État et des religions en s’appuyant sur les piliers du multiculturalisme que sont le rapport Bouchard-Taylor, les accommodements religieux et la loi 62.

    Cela aura pris dix ans, depuis B-T, pour qu’un gouvernement puisse adopter une loi, une mauvaise loi, alors qu’il n’a fallu que trois semaines pour qu’un article de cette même loi soit contesté devant les tribunaux. Rappelez-vous en 2013, tout juste une heure après que le ministre Drainville ait déposé son projet de Charte des valeurs, l’ensemble des partis politiques fédéralistes brandissaient déjà la charte canadienne comme chien de garde des libertés fondamentales de tous les Canadiens, se disant prêt à amener le Québec en Cour suprême, s’il le faut.

    Le message est clair. Peu importe ce que les partis proposent et ce qu’un gouvernement pourrait interdire en matière de laïcité, il devra faire face aux tribunaux et ultimement à la Cour suprême qui aura toujours le dernier mot. Que la Cour suprême du Canada remplace l’Assemblée nationale du Québec et que les décisions en matière de laïcité reviennent aux juges plutôt qu’aux élus traduit l’étendue et la gravité de notre aliénation.

    Il est urgent que nos politiciens se prononcent franchement sur ce carcan constitutionnel et que chaque parti fasse connaître ses intentions pour garantir au Québec sa pleine autonomie en matière de laïcité. Deux choix se présentent alors, soit celui de légiférer et d’invoquer la clause dérogatoire renouvelable aux cinq ans ou mieux, de se comporter comme une nation fière, mature et responsable et faire enfin l’indépendance du Québec.

    On gagne peut-être une élection en proposant des baisses d’impôt, mais on ne fera jamais l’histoire d’un peuple en permettant à d’autres de décider à sa place.

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    Professeur de philosophie à la retraite. Auteure de Une charte pour la nation : la laïcite, un projet d’avenir publié aux Éditions du Renouveau québecois

    Le 18 octobre 2017, dix ans après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor et quelques tentatives avortées de légiférer sur ces questions d’accommodements et de laïcité (projet de loi 94 en 2010, Charte des valeurs en 2013), l’Assemblée nationale du Québec, grâce à la seule majorité libérale, adopte la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État, auparavant appelée projet de loi 62. Les députés libéraux ayant rejeté tous les amendements proposés par les trois partis d’opposition, le Parti québécois (PQ), la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS) ont donc voté unanimement contre cette loi qu’ils ont qualifiée de loi du Parti libéral.

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