Patrick Dionne. Claude-Henri Grignon alias Valdombre

Patrick Dionne
Claude-Henri Grignon alias Valdombre. Un conservateur enragé
Éditions Synoptique, 2018, 204 pages

J’ai lu ces pamphlets en pleine canicule. Ce fut une erreur. J’aurais dû attendre le froid glacial de janvier, confortablement assis dans un banc de neige ou les pieds sur la bavette du poêle. Je ne l’ai pas fait et je l’ai regretté. Cette lecture a eu pour effet d’accélérer mon flot sanguin, de faire bouillonner mon cerveau et d’exciter mon esprit. C’était comme si tout mon être mijotait. Mais je n’en veux pas à Patrick Dionne. Il a eu la bonne idée de visiter notre grenier pour en ressortir quelques pamphlets de Valdombre, nom de plume de Claude-Henri Grignon, celui-là même qui nous a donné l’une des œuvres les plus importantes de notre histoire littéraire  : Un homme et son péché. Depuis, c’est comme si cette œuvre nous collait à la peau. Séraphin et ses compagnons sont des intimes pour les quatre dernières générations de Québécois. Grignon peut se vanter d’avoir laissé une marque indélébile dans l’esprit de son peuple. À ce titre, seul Michel Tremblay souffre la comparaison.

Patrick Dionne
Claude-Henri Grignon alias Valdombre. Un conservateur enragé
Éditions Synoptique, 2018, 204 pages

J’ai lu ces pamphlets en pleine canicule. Ce fut une erreur. J’aurais dû attendre le froid glacial de janvier, confortablement assis dans un banc de neige ou les pieds sur la bavette du poêle. Je ne l’ai pas fait et je l’ai regretté. Cette lecture a eu pour effet d’accélérer mon flot sanguin, de faire bouillonner mon cerveau et d’exciter mon esprit. C’était comme si tout mon être mijotait. Mais je n’en veux pas à Patrick Dionne. Il a eu la bonne idée de visiter notre grenier pour en ressortir quelques pamphlets de Valdombre, nom de plume de Claude-Henri Grignon, celui-là même qui nous a donné l’une des œuvres les plus importantes de notre histoire littéraire  : Un homme et son péché. Depuis, c’est comme si cette œuvre nous collait à la peau. Séraphin et ses compagnons sont des intimes pour les quatre dernières générations de Québécois. Grignon peut se vanter d’avoir laissé une marque indélébile dans l’esprit de son peuple. À ce titre, seul Michel Tremblay souffre la comparaison.

Dans sa préface, lumineuse, Dionne nous rappelle que Grignon avait aussi des idées politiques bien arrêtées. Pour les faire connaître, il a publié, entre 1936 et 1943, de nombreux textes sous le pseudonyme de Valdombre. J’ai écrit « des textes », mais, pour être exact, Valdombre a choisi le pamphlet, un genre littéraire plus approprié à son caractère bouillant. Mais pourquoi ressusciter une prose aussi robuste alors que nous nous consumons un peu plus chaque jour dans le consensus, pour ne pas dire dans notre impuissance collective ? « [N] ul doute, répond Dionne, que ce nectar clandestin ou semi-clandestin puisse être bénéfique. Qu’importe si, à la mention de Valdombre, tel lettré a les jambes molles » (p. 8) ? Cela pour dire que la préface signée par Dionne est à ce point juste qu’elle nous prépare l’esprit à la tempête qui s’en vient…

Faut-il le dire, le pamphlétaire ne connaît pas les demi-mesures. Il aime passionnément ou déteste follement. Son rêve est de purger le monde de la bêtise et du mensonge. Vaste programme. « Je n’ambitionne qu’une chose, nous dit Valdombre  : défendre la cause de la vérité. Défendre la lumière. La lumière est une, perpendiculaire, brutale et foudroyante » (p. 21). C’est un adepte de la vendetta et ne fait pas de quartier. À la différence de l’essayiste, le pamphlétaire ne se contente pas de combattre des idées. Il invite en un duel terrible les hommes qui les portent, ou, pour le dire comme l’écrivain, « il paraît essentiel et très urgent de juger les hommes et les idées et les faits. Les juger, c’est-à-dire les marquer au fer rouge » (p. 22). Il avertit ses lecteurs de la technique, fort simple, qu’il emploiera  : « je fesserai » (p. 23). On serait tenté de penser que c’est la haine qui incite Valdombre à user de cette prose incandescente. Ce n’est pas le cas  : « On peut être assuré que la sainte colère ne résidera que dans le style, jamais dans mon cœur, car c’est bien mal me connaître que de me juger capable de haine » (p. 23). Puis, Valdombre d’ajouter que « le pamphlet peut être parfois tout amour, même s’il garde, comme objet principal, de supplicier les lâches. » Dans un style plus poétique que pamphlétaire, il justifie ainsi l’emploi d’un vocabulaire robuste  : « je ne saurais me priver de certaines violences de langage et des beaux vocables de l’invective qui allument les étoiles ou font éclater la foudre » (p. 27).

Nul doute que ceux qui font carrière à tout mélanger me diraient que les médias sociaux renouvellent cette veine pamphlétaire d’antan. Ce serait ajouter une autre sottise dans une époque qui en compte déjà beaucoup. Manier l’insulte à tort et à travers est une chose, savoir écrire en est une autre ; c’est facile d’insulter, c’est plus difficile d’avoir des idées, de les exprimer clairement et de les défendre de bonne foi. Dans l’histoire, les Voltaire, les Rochefort, les Bloy, et, plus près de nous, les Buies, les Fournier et les Asselin ont tous été de grands pamphlétaires. Mais ils étaient d’abord et avant tout de grands écrivains.

Le titre de cet ouvrage est fort bien trouvé  : « Un conservateur enragé », car, conservateur et enragé, Valdombre l’est. Contrairement à ce que l’on pense, le conservateur n’est pas effrayé par le changement. Au contraire, Valdombre, aussi conservateur soit-il, l’exige sans détour  : « Je suis las moi-même de me trouver en face de la patience d’un petit peuple, d’une patience passée à l’état de nature, d’une patience ou d’un avachissement que l’on finira par considérer comme une vertu nationale » (p. 26). Comme solution, il ne penche ni pour la révolution ni pour les idéologies, mais plutôt « à la seule forme de journalisme que je puisse concevoir  : le pamphlet » (p. 26). Pour lui, il n’y a pas meilleur antidote que la littérature « que je mets bien au-dessus de la politique, car un peuple sans littérature est un peuple sans histoire et un peuple qui ne s’occupe pas de littérature est un peuple d’idiots » (p. 27-28). Tous les conservateurs dignes de ce nom, d’Edmund Burke à Patrick Buisson, en passant par Mathieu Bock-Côté, ont ce rapport intime avec la littérature. Valdombre n’est toutefois pas du genre à suivre le troupeau. Ainsi, il condamne la duplicité de Maurice Duplessis qui a installé le crucifix dans l’Assemblée législative tout en proposant la loi des Pensions de vieillesse, une loi, selon lui, communiste !nbsp;! « Voici un parti “national” qui se dit catholique, dénonce-t-il, et qui gouverne comme s’il eut été à l’école d’un Lénine, d’un Karl Marx ou d’un Staline » (p. 37).

Dans un très beau texte intitulé « Qu’avez-vous à dire aux étudiants ? », Valdombre leur donne ces simples conseils. Il leur dit  : « Vous êtes nés Canadiens français, restez Canadiens français » (p. 161). Il leur dit aussi de ne pas s’abandonner aux idées abstraites qui ne servent qu’à remplir des « grosses têtes, chavirées de théories et de systèmes » (p. 164). En lieu et place, il leur dicte « Soyez catholiques. Soyez-le rondement, absolument. » Tout en leur rappelant que « L’homme est une charogne, une pourriture. Lavez-vous souvent. Confessez-vous. C’est la seule hygiène véritable. Luttez, ne désespérez pas. Soyez des catholiques convaincus, non des cagots » (p. 167). Le nationalisme, l’attachement à la religion et la conception de l’homme de Valdombre sont des éléments faisant partie de la doctrine conservatrice.

Le pamphlet intitulé « Bourassa et l’abbé Groulx devant les pendus » vaut à lui seul le détour. C’est d’ailleurs à ce moment où le pamphlétaire se confond avec l’écrivain. En le lisant, on comprend que nos difficultés à commémorer les événements et les personnages de notre histoire ne sont pas un phénomène nouveau. Pour Valdombre, « Il faut conserver l’élan à la mystique de l’histoire » (p. 87). Par contre, « nous avons la Saint-Jean-Baptiste, mais cette kermesse demeure d’une telle banalité et les Canayens des faubourgs ont tellement peur d’ouvrir la bouche, qu’un enterrement conditionné de vie de garçon nous en dira toujours plus » (p. 88). Ce texte a été écrit en 1937, soit cent après le début des Rébellions. L’occasion était donc belle pour une commémoration digne de ce nom. Mais notre écrivain a été déçu  : « Nous avons laissé s’évanouir la seule occasion qui s’offrait de montrer que nous ne sommes pas des trembleurs » (p. 89). Entre une fête dans Rosemont, « un pétard de paroisse » (p. 88) et une autre à Saint-Eustache, « marqué encore du sang de l’histoire et des boulets des despotes » (p. 89) qui se mue en « une farce colossale et nous précipite définitivement dans les ténèbres. Il ne nous reste plus qu’à présenter notre derrière à la botte des Anglais » (p. 90).

Au-delà des commémorations, il y a les interprétations des Rébellions de 1837-38. Valdombre nous propose une analyse comparative entre celles d’Henri Bourassa et de Lionel Groulx. Sur le fond et sur la forme, c’est un texte admirable. Valdombre conteste la vision d’Henri Bourassa, le « conciliateur » (p. 90), « devenu pour son propre châtiment, l’idole des Anglais » (p. 91). Il ajoute que « ce serait manquer à la justice la plus élémentaire si on allait accepter pour des flots de vérité et d’éloquence les radotages de cette old british lady » (p. 92) !nbsp;! Il est d’avis que les Canadiens, « sous la botte des Anglais, ces étrangers » non seulement « se faisaient voler systématiquement les terres », mais encore « se voyaient constamment les vaincus en butte à la haine des oppresseurs qui ne rêvaient pas moins de leur couper la langue et de saboter les églises. » Malgré tout, Bourassa aurait été d’avis « que les Patriotes n’avaient aucune raison de se rebeller » (p. 112).

Lorsqu’il est question de l’interprétation du chanoine Groulx, notre pamphlétaire desserre sa plume ; notre « conservateur enragé » cède le pas à « l’écrivain engagé ». Lionel Groulx, « qu’inspirera toujours le patriotisme le plus pur » (p. 114) « suit toujours une ligne droite de lumière qui conduit infailliblement à la vérité, même à la vérité qui fait mal, surtout à la vérité qui fait mal » (p. 115). Dans l’esprit de Valdombre, le chanoine est « le seul de nos historiens » tout simplement « parce qu’il est propre et foncièrement honnête dans l’exposé des faits ; deuxièmement, parce qu’il écrit, je veux bien dire parce qu’il est vivant, plein de souffle, de tempête, puis d’aurores consolatrices et de paix bienfaisante » (p. 115). « Ses idées, ajoute Valdombre, toujours bien rangées, sont étincelantes, personnelles. Il fait clair dans ce cerveau-là. Il sait composer un livre ; il sait composer une conférence » (p. 116). Sur le fond des choses, Groulx et Valdombre ont la même interprétation, soit que « nos pères ont tout tenté au moyen de la constitution, au moyen de paroles de paix et de persuasion avant de s’engager dans une aventure que je trouve, moi, admirable et la plus belle de notre histoire » (p. 121).

Il y a tellement de bêtises qui se font, se disent et s’écrivent qu’il m’apparaît étrange que le genre pamphlétaire ne soit pas plus en vogue. Il semble que le consensus mollasson et la dictature du politiquement correct soient plus performants que les anciennes censures royales ou religieuses. Cet ouvrage nous fait aussi prendre conscience que, sur le fond, et malgré les années, la situation québécoise n’a guère changé. En 2018, un pamphlétaire pourrait justifier le recours à une prose vigoureuse pour les mêmes raisons que Valdombre l’a fait à son époque  : « je me jugerais le dernier des hommes, si je ne faisais pas entendre les plaintes et l’indignation d’une modeste partie du peuple qui n’a pas encore accepté de mourir » (p. 26).

Ce compte-rendu sera probablement publié en hiver. J’invite le lecteur intéressé à se procurer cet ouvrage singulier. Non seulement pourra-t-il se réchauffer le cœur et l’esprit, mais il pourra aussi comprendre que, parfois, la colère est bonne conseillère.

Martin Lemay
Essayiste

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