Paul St-Pierre Plamondon. Les orphelins politiques

Paul St-Pierre Plamondon
Les orphelins politiques, Boréal, 2014, 252 pages

Devenu une figure relativement connue grâce à son ascension au sein de la bazzosphère et à la couverture médiatique entourant son groupe Génération d’idées, Paul St-Pierre Plamondon ne peut être ignoré, malgré le caractère inégal de ses interventions. Après un premier essai moins impressionnant, il nous revient avec un deuxième plus fouillé. Entre les deux, il semble que l’auteur ait pris de la maturité et que sa réflexion se soit approfondie.

En quelques mots, sa thèse est que les Québécois sont majoritairement progressistes et que l’offre des partis politiques ne répond pas à leur demande, d’où le titre du livre « Les orphelins politiques ». La démonstration à l’appui de cette thèse est faible. Il faut dire que l’auteur lui-même rappelle qu’en 2014 plus de 60 % des électeurs ont voté pour un parti de droite, le PLQ ou la CAQ. À un moment, il suggère que même le PQ pourrait être considéré comme un parti de droite, ce qui porterait à 85 % l’appui des Québécois, pourtant présumément progressistes, à des partis de droite. Certes, St-Pierre Plamondon reconnait à ce parti, et surtout au gouvernement Lévesque, certains mérites progressistes. Toutefois, ceux-ci seraient aujourd’hui occultés par le projet souverainiste, et surtout par la date du prochain référendum (ici, reconnaissons l’honnêteté intellectuelle de l’auteur qui, malgré sa vive opposition à la charte des valeurs, attribue la défaite de 2014 non pas à cette dernière, mais à l’ambiguïté autour du référendum). Quant aux autres partis, ils ne trouvent pas plus grâce à ses yeux. Pour lui, le PLQ est corrompu, QS n’est pas crédible en matière économique et la CAQ trop faible, simpliste et changeante en matière de contenu. S’il a raison dans les trois cas, il est moins convaincant au sujet de la CAQ, car jamais il ne se donne la peine d’analyser en profondeur son programme, préférant se référer à des articles portant sur des déclarations ou des tweets de François Legault.

De manière générale, c’est là une des faiblesses du livre : les références à des sites web et des articles de journaux sont légion, celles à des programmes, des lois ou des livres sont rarissimes. En même temps, c’est peut-être mieux ainsi, car lorsque l’auteur s’aventure à citer un classique, le résultat n’est pas toujours heureux. Par exemple, il se réfère à L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Max Weber pour faire un contre-sens en expliquant que le catholicisme favoriserait l’émergence de sociétés inégalitaires, alors que le protestantisme favoriserait des sociétés plus égalitaires. Entre autres à la lumière de cette réflexion, il juge que les très nombreux Québécois progressistes ne se retrouvent pas dans l’offre de la gauche politique actuelle, parce que celle-ci serait prise entre le radicalisme marxiste de QS et un gauchisme catholique misant trop sur le don de soi et pas assez sur l’intérêt personnel qu’aurait chaque citoyen à soutenir la gauche. Selon St-Pierre Plamondon, ce contexte rendrait difficile l’émergence d’une gauche politique modérée telle qu’il en a existé à quelques reprises depuis la Révolution tranquille. Ici, l’auteur semble ignorer à quel point cette révolution a été influencée positivement par le catholicisme comme l’a démontré Michel Gauvreau ; qu’on pense au climat créé par Vatican II, à la commission présidée par Mgr Parent, ou encore au personnalisme de plusieurs révolutionnaires tranquilles, dont André Laurendeau et Fernand Dumont.

Outre sa thèse sur les orphelins politiques, ce livre contient plusieurs chapitres plus programmatiques. Il y est question des défis que le Québec doit relever : corruption, environnement, transports, dette publique, monopoles, inégalités, syndicalisme, éducation, égalité homme-femme, tout y passe. Ces défis sont généralement décrits correctement, quoique trop rapidement. Suprenamment, le défi du français à Montréal fait l’objet d’un développement assez poussé. St-Pierre Plamondon raconte quelques épisodes qui l’ont dérangé, à propos de publicités en anglais dans la Petite-Bourgogne ou de ses proches qui utilisent l’anglais plus souvent que le français lors des fêtes de famille suite à l’arrivée de conjoints anglophones. Lire de tels propos sous la plume d’un jeune montréalais branché a quelque chose de réjouissant pour le lecteur qui se soucie de l’avenir de la langue française. La réjouissance est toutefois de courte durée. Car à tous les défis l’auteur répond par une même orientation fort intéressante : le progressisme, soit concrètement une plus grande intervention de l’État qui soit efficace et basée sur des données scientifiques, comme cela se fait dans les pays scandinaves. Cette approche serait de mise pour tous les défis sauf un : celui de la langue. Dans ce domaine, exceptionnellement, la simple modification de comportements individuels serait préférable, car il ne faudrait pas que les droits et libertés soient « inutilement limités ».

De manière quelque peu comparable, l’auteur botte en touche au sujet de la question nationale. Il le fait en se prononçant pour une mise sur la glace prenant la forme d’une loi exigeant une pétition d’initiative populaire nécessitant un très haut pourcentage de la population, 30 % ou 40 %, avant qu’un référendum puisse être tenu. Évidemment, une telle loi aurait pour effet d’ajouter une étape quasi insurmontable à un processus étapiste déjà complexe. Sans parler qu’elle n’empêcherait pas les fédéralistes de faire porter l’élection sur la « menace référendaire ».

Non vraiment, on peinera à trouver dans ce livre beaucoup de voies d’avenir fécondes pour le Québec, du moins dans les domaines liés à l’identité nationale. L’intérêt du livre réside plutôt dans le fait qu’il nous en apprend au sujet d’un courant de pensée à la fois minoritaire dans la population et très présent médiatiquement. Ce courant pourrait être qualifié de centre-gauche progressiste ni nationaliste, ni hostile aux nationalistes. Ne serait-ce qu’en raison de cette forte présence médiatique, ces derniers devront sans doute composer avec ce courant, comme l’illustre aussi le succès d’estime d’Alexandre Cloutier dans la course à la chefferie du PQ.

Néanmoins, contrairement à ce que semble croire St-Pierre Plamondon, ce courant ne saurait constituer la base d’une coalition pouvant prendre le pouvoir et faire avancer le Québec. Le PLQ pourra toujours compter sur une partie du vote de droite et la quasi-totalité du vote des anglophones et des personnes en voie d’anglicisation, y compris des progressistes parmi ceux-ci. C’est pourquoi tout parti décidé à le battre devra faire le plein du vote francophone, qu’il soit progressiste ou conservateur. Autrement dit, la coalition à même de battre le PLQ sera fort probablement nationaliste et progressiste, dans cet ordre, et non l’inverse. Et comme dans les années 1880, 1930 et 1960, elle se fera à partir d’un ou de plusieurs partis déjà existants et non à partir d’un regroupement autogénéré d’orphelins politiques… aussi médiatique soit-il.

Guillaume Rousseau
Professeur de droit Université de Sherbrooke