Le niveau de développement de la recherche scientifique et de l’innovation sont des indices révélateurs du dynamisme des sociétés et des cultures. La science participe à nos existences de nombreuses manières, elle ouvre à nos imaginations et à nos intelligences de nouveaux horizons. Ses applications transforment profondément notre vie quotidienne. À partir de la recherche scientifique, et par l’innovation transformant les travaux de recherche en objets et services utilisables, le devenir de notre nation est en cause, autant son développement culturel et social que son développement économique. Voilà pourquoi il faut dès maintenant imaginer le rôle qu’aura la recherche scientifique et de l’innovation technologique dans un Québec indépendant, un domaine qui sera enfin sous le plein contrôle de notre nation.
1. Où en est la recherche et l’innovation au Québec ?
En préface du livre vert sur la politique québécoise de la recherche scientifique, Camille Laurin demandait en 1978 que le Québec ne se limite plus à être « complémentaire d’une politique fédérale sans rapport avec ses besoins propres, réduit à compenser avec des miettes les carences d’une politique qui lui est imposée de l’extérieur1. »
Malgré notre statut de province encore inféodé à un autre pays, un incroyable dynamisme en recherche scientifique et en innovation industrielle s’est développé ici depuis quarante ans. Le Québec de 2025 a plus que compensé le retard qui était le sien au début des années quatre-vingt, la part de la dépense consacrée à la R-D passant de 0,7 % du PIB en 1978 à 2,6 % en 2008, pour reculer à 2,3 % en 2021. Le Québec a ainsi dépassé la moyenne canadienne dès 1988 et le niveau ontarien en ce domaine depuis 1992.
1.1 L’évolution de la politique scientifique et technologique du Québec
En examinant l’histoire des Sciences au Québec2, on découvre que le Québec a accordé très tardivement à la science toute l’importance qu’elle mérite. Il faudra attendre l’élection du Parti québécois en 1976 pour que le Québec se dote en 1979 de sa première politique scientifique sous l’impulsion du ministre Camille Laurin3. Par la suite, un premier ministère de la Science et de la Technologie est créé en 1982 par le gouvernement Lévesque, encadrant un Conseil de la Science et de la Technologie et des Fonds québécois de soutien à la recherche universitaire. En même temps, la première politique d’innovation au Québec, le virage technologique4, est élaborée à l’initiative du ministre Bernard Landry, consacrant l’importance des relations universités-entreprises pour l’innovation industrielle. Elle sera elle aussi mise en œuvre par le ministère de la Science et de la Technologie qui en créera plusieurs instruments : Centres universitaires de liaison et de transfert, Agence québécoise de valorisation industrielle de la recherche, programme de soutien à l’emploi scientifique dans les PME, politiques de Recherche-développement sectorielles dans plusieurs ministères, dont ceux de l’Environnement, des Transports et de l’Agriculture.
En 2001, le ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec (MRST) prend la relève de ce premier ministère et publie une nouvelle Politique québécoise de la science et de l’innovation (PQSI), intitulée Savoir changer le monde5. Cette politique se déploie selon trois axes : la formation des personnes et le partage démocratique du savoir, le développement des connaissances par la recherche, la promotion de l’innovation.
En 2006, une révision de la PQSI conduit à la publication de la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI) intitulée Un Québec innovant et prospère (MDEIE, 2006). Quatre étapes de cette stratégie caractérisent la chaîne de valorisation de la recherche : la recherche universitaire, la valorisation de la recherche en milieu universitaire (qualifiée de « mobilisation des connaissances »), le transfert de la recherche en entreprise et la commercialisation des innovations. La science et la technologie deviennent des facteurs déterminants dans le positionnement économique du Québec, notamment dans des secteurs de pointe tels que l’aérospatiale, les technologies de l’information, les jeux vidéo et l’intelligence artificielle, les biotechnologies et les technologies énergétiques.
1.2 La recherche-développement recule au Canada
Les données internationales nous montrent cependant tout le chemin qui reste à parcourir. Bien que le Québec affiche une dépense en R-D par habitant supérieure à celle du Canada et de certains pays européens, celle-ci n’est que la moitié de celles des pays de tête comme la Suisse, Israël, les États-Unis ou la Corée du Sud.
Le Québec n’arrive pas à atteindre l’objectif de la SQRI consistant à atteindre 3 % de son PIB en R-D. Cela s’explique par plusieurs facteurs. D’une part, la concurrence mondiale s’est exacerbée. D’autre part, les efforts du Québec sont plombés par le recul des investissements canadiens en recherche, et la concentration des dépenses d’Ottawa en Ontario.
Au Canada, la proportion du PIB investie en R-D a reculé de 1,86 % à 1,55 % de 2000 à 2022. Durant la même période, la moyenne des investissements en recherche des pays de l’OCDE6 augmentait de 2,12 % à 2,72 % de leur PIB. (voir figure 1)
Part du PIB consacré à la R-D de 2000 à 2021 par divers pays

Figure 1 – Évolution des dépenses en R-D au Canada comparée à celles d’autres pays. Source : OCDE
Dans un rapport7 déposé en mars 2023 au terme de consultations auprès de la communauté de recherche canadienne, mais aussi à l’étranger, le Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche (CCSFSR) affirme que « le soutien actuel aux étudiants chercheurs, notre relève en recherche, est à un point de rupture. […] Le Canada se retrouve dans un risque de fuites des cerveaux qu’on n’a pas vu depuis longtemps », soulignait le président du CCSFSR, Frédéric Bouchard, doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal.
2. Deux politiques nationales en concurrence au Québec
La recherche et l’innovation étant des domaines de juridiction partagée dans le système canadien, nous subissons deux politiques nationales en concurrence en matière de recherche et d’innovation, celle d’Ottawa et celle du Québec. Les provinces hors Québec s’en accommodent facilement puisqu’Ottawa est « leur » gouvernement national, ce qui n’est pas le cas au Québec qui a sa propre politique nationale depuis la fin des années quatre-vingt, orientée en fonction de ses propres objectifs de société.
2.1 Le Québec paie cher son intégration au système de recherche du Canada
Misant sur le déséquilibre fiscal qui le dote d’un plus grand pouvoir de dépenser, Ottawa est le gouvernement majeur en R-D et en innovation, domaine dans lequel il investit 3,5 fois plus que les administrations publiques provinciales. Au Québec en 2021 les deux gouvernements investissaient respectivement 1 826 M$ et 761 M$. En Ontario, le déséquilibre est encore plus grand, Ottawa y investissant 7 fois plus que le gouvernement ontarien (respectivement 3 678 M$ et 561 M$), de sorte qu’il y dépense deux fois plus qu’au Québec.
Dans une économie mondialisée, pour maintenir la compétitivité de son économie, le Québec doit miser à fond sur la R-D dans ses secteurs d’expertise, en fonction des besoins sociaux et culturels de sa population. Bien que le gouvernement du Québec soit le gouvernement provincial qui investissait le plus en R-D en 2021, soit 36 % de l’ensemble des investissements provinciaux contre 27 % pour l’Ontario, les taxes et impôts que le Québec envoie à Ottawa financent une politique canadienne de R-D8 orientée principalement en faveur de l’Ontario qui accapare 47 % des fonds fédéraux et reçoit 57 % de l’exécution de la recherche financée par Ottawa (figure 2).

Figure 2 – Investissement d’Ottawa selon le secteur de financement et le secteur d’exécution9
Ottawa exerce une influence majeure dans les deux secteurs principaux d’exécution de la recherche que sont les entreprises commerciales et les institutions d’enseignement supérieur. Malgré les efforts remarquables du Québec, la faiblesse des investissements publics d’Ottawa en R-D au Québec explique en grande partie la difficulté actuelle du Québec à atteindre l’objectif de 3 % de son PIB.
Plus généralement, le développement économique du Québec est défavorisé par le fait que seulement 17,9 %10 des investissements globaux du gouvernement canadien sont effectués au Québec. Les dépenses des gouvernements en biens et services jouent en effet un rôle majeur pour soutenir les entreprises dans leurs activités de R-D industrielle et d’innovation. Actuellement, seulement 14,3 %11 de tous les actifs fédéraux réalisés depuis 150 ans sont situés au Québec, ce qui démontre que le Québec a contribué beaucoup plus que sa part au développement économique du Canada vers l’Ouest.
2.2 L’innovation dans les entreprises et l’économie du savoir
Tant qu’il est dans le Canada, le Québec doit compter, pour une part importante, sur le financement du gouvernement canadien pour soutenir les activités de recherche de ses universités et le cycle de l’innovation dans les entreprises du Québec. Ce financement d’Ottawa, en plus de défavoriser le Québec, se coordonne difficilement avec sa propre politique de recherche et d’innovation, les priorités pancanadiennes différant de celles du Québec.
Le Québec est riche en énergie renouvelable. Sa politique de recherche et d’innovation priorise l’élimination du pétrole et des énergies fossiles dans son économie. À l’inverse, Ottawa utilise une partie importante des 82 milliards de taxes et d’impôts que le Québec lui envoie chaque année, au profit de l’industrie pétrolière canadienne. Une partie de ces fonds servent à des activités de recherche qui n’ont aucune utilité pour le Québec, notamment celles portant sur la captation du carbone.
Par ailleurs, le Québec n’a pas d’industrie automobile, mais il a tout ce qu’il faut pour développer son expertise et sa capacité de recherche et d’innovation dans l’aérospatiale, largement concentrée au Québec, ainsi que dans le transport en commun. Un autre secteur de recherche et d’innovation où le Québec se doit d’investir est le domaine des biotechnologies et de ses applications en médecine et en agriculture.
Enfin, selon une étude internationale récente12, le Québec se situait en 2022 au 7e rang mondial en Intelligence artificielle (IA) et 5e en matière de recherche dans ce domaine, une avancée impressionnante pour un pays de 8 millions d’habitants. Toutefois, la même étude soulignait les faiblesses de l’environnement opérationnel au Québec, en matière de brevets et dans le traitement des visas des travailleurs qualifiés dont la mobilité internationale est vitale dans ce secteur. Elle soulignait aussi le manque d’infrastructures de super calcul à partir des données massives, un processus central en IA où Ottawa investit davantage hors Québec puisque le Canada est 17e et le Québec 34e à ce chapitre sur 63 pays.
2.3 Les fonds canadiens et les choix stratégiques des universités
Même si l’enseignement supérieur est une compétence exclusive du Québec, selon la constitution canadienne, la stratégie d’Ottawa en matière de recherche et d’innovation influence fortement les choix stratégiques des universités, de sorte que l’enseignement supérieur est devenu dans les faits un domaine partagé.
À titre d’exemple, le programme des Chaires de recherche du Canada crée des obligations nouvelles pour les universités qui doivent réorienter leurs propres fonds pour payer les infrastructures de support et adapter leurs politiques d’embauche. Avant l’octroi d’une chaire de recherche à une université, Ottawa exige la présentation d’un « plan stratégique de recherche », lequel servira de base à Ottawa pour juger de la pertinence des demandes de cette université. Les universités du Québec sont en compétition entre elles pour obtenir ces fonds. Elles n’ont pas le choix d’établir de nouveaux processus conformes aux exigences d’Ottawa.
En concentrant d’importantes ressources financières dans les universités d’accueil des chaires, Ottawa crée aussi a un effet d’appauvrissement des petites universités, non seulement on ne leur donnant rien, mais en leur enlevant leurs meilleures ressources, attirées dans d’autres universités mieux favorisées.
Les mesures de discrimination positive de type EDI (Équité, Diversité, Inclusion) ont aussi envahi tous les programmes de recherche financés par Ottawa, introduisant une préoccupation excessive quant au genre ou à la racialité des chercheurs plutôt qu’à leurs compétences. On force les universités et les ministères québécois à s’y conformer sous peine de se voir priver des fonds d’Ottawa.
Ottawa a aussi multiplié les structures parallèles en confiant l’octroi de ses fonds à des fondations, instruments de sa politique de recherche et d’innovation. La vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser, a dénoncé cette pratique dans son rapport de 2005, soulignant que le gouvernement canadien avait transféré 9 milliards de dollars dans quinze fondations depuis 1998, au lendemain du référendum sur l’indépendance de 1995 où le gouvernement canadien a eu très peur de voir le Québec quitter le Canada. Ottawa utilise ses fondations pour dépenser dans les champs de compétences du Québec, par exemple via la célèbre Fondation des bourses du millénaire, dotée en 1998 d’un fonds de 2,5 milliards de dollars, qui les a distribués jusqu’en 2010 directement aux étudiants plutôt que d’intégrer ces fonds au système de prêts et bourses québécois.
La Fondation pour l’innovation est un autre exemple d’une fondation qui contrôle les dépenses du Québec et des universités à partir d’Ottawa. La FCI, avec des fonds d’Ottawa, finance les infrastructures de recherche à hauteur de 40 %, un autre 40 % devant être fourni par le ministère provincial concerné et l’autre 20 % par l’institution bénéficiaire. Dans un tel système, la FCI décide qui sera financé. Québec et les universités et collèges bénéficiaires n’ont qu’à adapter leurs priorités en conséquence.
2.4 Le sous-financement de la recherche dans les universités francophones
L’Association francophone pour le savoir (ACFAS), le réseau des universités du Québec (UQ), des chercheurs, des professeurs d’université et des recteurs du Québec sont tous montés au front en septembre 2024 pour dénoncer le système fédéral de financement de la recherche qui désavantage les universités québécoises et francophones. Quelque 80 % de l’argent fédéral consacré à la recherche est versé à 15 universités, dont seulement deux francophones, l’Université de Montréal et l’Université Laval13.
Par ailleurs, le magazine de l’ACFAS souligne que la concentration du financement des fonds subventionnaires canadiens envers les chercheurs les mieux financés ne garantit pas la qualité des recherches. L’analyse des données montre plutôt que cette concentration a un impact décroissant sur le nombre d’articles publiés et la moyenne des citations relatives, généralement considérés comme de bons indicateurs de l’activité de recherche et de leur impact scientifique. L’article conclut, sans tomber dans la suggestion extrême de financer sans discernement tous les chercheurs, « qu’en finançant le plus de chercheurs possible afin qu’ils poursuivent leurs travaux, on augmente les chances que certains d’entre eux réalisent des découvertes majeures14. »
Soulignant le système injuste qui perdure depuis plus de 20 ans dans le financement des universités, l’économiste Pierre Fortin a démontré que l’Université de Montréal était sous-financée pour l’année 2018-2019 de 46 % relativement à McGill et de 20 % relativement à Concordia15. Ce déséquilibre ne date pas d’hier. En 2010, le fédéral allouait 36,7 % de ses subventions aux universités anglophones du Québec, soit plus de quatre fois le poids démographique des anglophones. En 2004, il a 20 ans, les chiffres démontraient que les universités de langue française étaient financées en dessous du poids des francophones au Québec. La Fondation canadienne pour l’innovation versait en 2002-2003, 33 % de son financement au Québec aux universités anglophones, plus du quadruple de leur poids démographique. Ce déséquilibre existait également dans l’attribution des chaires de recherche du Canada, les universités anglophones du Québec obtenant 72 chaires sur 302, soit 23,8 % du total en 2002.
2.5 Le recul du français en sciences au Canada
Le printemps dernier, le comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche du Canada soulignait « qu’il est impératif que les demandes de financement soumises à tout organisme de financement fédéral soient traitées et soutenues de la même manière, quelle que soit la langue officielle dans laquelle elles sont rédigées16. »
Parmi toutes les subventions accordées par les organismes subventionnaires canadiens de 2019 à 2022, 95 % ont été versées à des projets rédigés en anglais, ce qui amène les chercheurs francophones à soumettre leurs demandes de subventions dans cette langue pour augmenter leurs chances de financement. Par ailleurs, les jurys qui décident des subventions n’ont pas majoritairement une connaissance suffisante du français pour juger adéquatement des demandes qui leur sont soumises dans notre langue, ce qui ne serait pas le cas si le système de soutien à la recherche était entièrement québécois.
Sur un autre plan, les revues scientifiques canadiennes financées par le Conseil national de recherches du Canada (CNRC/NRCC) ont entrepris d’éliminer le résumé en français de chaque article. Étant donné le petit nombre d’articles écrits en français (moins de 5 % de tous les articles) certaines revues semblent voir un avantage à ne pas imposer aux auteurs anglophones la rédaction d’un résumé de leur article en français. Également, le site Web de chaque revue canadienne est maintenant unilingue anglophone.
3. L’intégration au Québec des responsabilités du gouvernement canadien en recherche et innovation
Les paragraphes qui précèdent nous ont montré l’urgence de rapatrier au Québec de l’ensemble des compétences, des budgets et des traités internationaux en matière de recherche et d’innovation. Voyons maintenant comment pourrait se faire ce rapatriement des compétences de l’État canadien dans un Québec indépendant.
3.1 Répartition des activités scientifiques du gouvernement canadien
Comme c’est aussi le cas au sein de l’État québécois, les activités scientifiques et technologiques et le soutien externe à la recherche et l’innovation sont répartis entre plusieurs ministères et organismes au sein du gouvernement canadien.
Le ministère Innovation, Science et Développement économique (ISDE), ex-ministère de l’Industrie, qui assume les principales responsabilités du gouvernement canadien en matière de recherche et d’innovation, examiné dans les sections suivantes.
Outre ce ministère central, la plupart des ministères canadiens effectuent des dépenses en activités scientifiques et technologiques. Les ministères qui dépensent plus de 2 % de leur budget dans ce type de dépense sont indiqués dans le tableau de la figure 3.
Globalement, le gouvernement canadien dépensait en 2022-2023 un peu plus de 15 milliards de dollars en activités scientifiques et technologiques. De ce total, 7,6 milliards étaient effectués intra-muros, 7,4 milliards étaient dépensés en subvention et en contribution externes et 1,2 milliard en sous-traitances externes.
On remarque qu’à l’exception des ministères de la Défense nationale et d’Affaires mondiales Canada, les principaux ministères font tous double emploi avec des ministères du gouvernement du Québec.
La troisième colonne de la figure 3 reprend la proportion des dépenses effectuées au Québec dans chacun de ces ministères17. La plupart dépensent au Québec une proportion de leur budget inférieure à 22 % qui représente notre pourcentage de la population du Canada. C’est le cas des ministères de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, de l’Environnement ou de la Défense nationale.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Sans faire l’analyse détaillée des dépenses scientifiques et technologiques de chaque ministère, on peut supposer que le Québec indépendant voudra sans doute augmenter d’au moins ces proportions les budgets des ministères québécois correspondants et en doter les deux ministères à créer pour la défense et les affaires étrangères.
Principaux organismes effectuant des dépenses en R-D et en activités scientifiques connexes |
Dépense 2022-23 en Millions $ |
Personnel en S-T |
% de dépenses au Québec |
Agriculture et Agroalimentaire Canada |
460 |
2302 |
11,44 |
Environnement et changement climatique Canada |
996 |
3850 |
15,17 |
Pêches et Océans Canada |
470 |
2817 |
2,25 |
Affaires mondiales Canada |
928 |
435 |
21,04 |
Santé Canada |
567 |
3866 |
21,83 |
Défense nationale |
632 |
1911 |
14,4 |
Ressources naturelles Canada |
809 |
3102 |
10,46 |
Agence de la santé publique du Canada |
436 |
2063 |
… |
Innovation, Sciences et Développement Économique |
885 |
1058 |
23,36 |
Autres ministères et organismes |
2164 |
6682 |
… |
TOTAL des ministères et organismes* |
15 397 |
42520 | |
* Le total inclut tous les ministères qui dépensent plus de 2% de leur budget en sciences, technologie et activités connexe, la dernière colonne présente le % de l’ensemble des dépenses du ministère au Québec |
Figure 3 – Principaux ministères dépensant plus de 2 % de leur budget en science et technologie18
3.2 Innovation, Science et Développement économique (ISDE)
Le ministère Innovation, Science et Développement économique (ISDE) gère un énorme portefeuille qui regroupe, outre le ministère, dix-huit organismes principaux et 5 autres organismes associés19.
Principaux organismes de soutient à la R-D et l’innovation du gouvernement canadien |
Dépenses en 2022-2023 en M$ |
Personnel en Science et Technologie |
Ministère de l’ISDE (budgétaire) |
5 890 |
1058 |
Ministère de l’SDE (investissment) |
4 654 |
… |
Dév. écon.du Canada pour les régions du Québec |
212 |
… |
Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie |
1 381 |
502 |
Conseil de recherches en sciences humaines |
1 062 |
343 |
Instituts de recherche en santé du Canada |
1 362 |
590 |
Fondation canadienne pour l’innovation |
400 |
72 |
Conseil national de recherches du Canada |
1 470 |
4256 |
Office de la propriété intellectuelle du Canada |
207 |
… |
Statistique Canada |
682 |
7838 |
Agence spatiale canadienne |
156 |
833 |
Génome Canada |
79 |
… |
CIFAR – Stratégie en Intelligence artificielle |
115 |
… |
TOTAL du portefeuille ISDE |
12 395 |
42520 |
Figure 4 – Dépenses et personnel des principaux organismes canadiens de recherche et d’innovation
De ces organismes, nous excluons de notre analyse les agences de développement économique régional hors Québec et d’autres organismes comme la Banque de développement du Canada (BDC) qui relèvent de la mission économique d’ISDE, débordant le cadre du présent dossier. Nous incluons dans notre analyse les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) bien qu’ils relèvent du ministère de la Santé. Les organismes faisant partie de notre analyse sont énumérés dans le tableau de la figure 4 qui indique pour chaque organisme le total des dépenses en 2022-2023 et le nombre d’employés en science et technologies (lorsque disponible)20.
Ces organismes seront présentés et analysés plus loin quant aux hypothèses d’intégration au Québec. Pour le moment nous nous concentrons sur le ministère ISDE Canada lui-même qui a pour objectif premier de soutenir la recherche et l’innovation en vue de la création de produits et de services dans l’économie canadienne. Cet objectif s’intègre à la mission économique de ce ministère qui supervise également le développement économique régional, le commerce extérieur, le soutien à la croissance des PME et le financement des grandes initiatives de développement économique.
EN 2022-2023, outre des dépenses budgétaires totalisant près de 6 milliards de $ et employant 1058 personnes, ISDE investissait la même année un total de près de 5 milliards de dollars en extra-muros. Les plus importantes subventions étaient attribuées à un Fonds stratégique pour l’innovation (1364 M$), à un Fonds pour la communication large bande universelle (955 M$), au Programme canadien d’adoption du numérique (405 M$), à l’Initiative des super-grappes d’innovation (318 M$), à la Stratégie pour l’infrastructure de recherche numérique (227 M$), à MITACS qui finance des projets d’innovation université-entreprise (201 M$), et à CANARIE (47 M$), l’internet canadien qui dessert toutes les installations de recherche des universités, des entreprises et des autres organisations.
Outre ces interventions, l’organisme Développement économique Canada pour les régions du Québec (DEC), relèvant aussi d’ISDE Canada, a pour mission d’effectuer des investissements stratégiques pour le développement économique à long terme des régions du Québec. En 2023, il offrait notamment un appui à l’innovation par les PME en matière d’IA, à l’innovation dans la construction résidentielle et à des initiatives pour les communautés nordiques isolées.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
En récupérant la totalité de nos impôts à Ottawa, estimés à 82,3 milliards de dollars pour 2024, le Québec disposera des ressources nécessaires pour maintenir le financement des initiatives d’ISDE s’appliquant au Québec. Dans le document sur les finances d’un Québec Indépendant21, les économistes du Parti québécois ont estimé le budget d’ISDE à 9 milliards 720 millions de $ dont 23,36 % était attribuable au Québec pour 2021-2022, ce qui rendrait disponible une somme de 2,270 milliards de $ pouvant être consacrée au financement de la partie de ces initiatives s’appliquant au Québec.
L’intégration de ces nouvelles responsabilités se ferait principalement au sein du ministère québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie qui exerce des responsabilités semblables à ISDE Canada. Ce ministère québécois, jusqu’à tout récemment dirigé par le ministre Pierre Fitzgibbon, « a pour mission de soutenir la croissance durable de l’économie du Québec, de contribuer à l’essor de la recherche et de l’innovation ainsi que de s’assurer d’une gouvernance responsable des ressources énergétiques22. »
L’intégration des organismes du portefeuille d’ISDE ferait de ce ministère québécois un énorme ministère dont les responsabilités sont déjà trop vastes aux yeux de nombreux commentateurs. Actuellement, l’organigramme du ministère indique qu’il s’occupe à la fois du commerce extérieur, du développement économique régional, de l’énergie, des infrastructures stratégiques et des projets économiques majeurs en plus de la Science et de l’innovation. Les trois Fonds de recherche du Québec et la Commission de l’éthique en science et en technologie sont sous sa responsabilité, sans compter ces organismes vitaux pour le Québec que sont Hydro-Québec, Investissement Québec et la Régie de l’Énergie.
Le rapatriement des compétences d’Ottawa amènera vraisemblablement le Québec à restructurer l’organisation gouvernementale dans plusieurs domaines. Nous supposons que le Québec indépendant voudra alléger cet énorme ministère et le recentrer sur la mission Science, Innovation et Développement économique. Il faudrait pour cela confier le dossier de l’Énergie à un autre ministère, centré sur la transition énergétique et la lutte pour le climat, le développement d’une nouvelle économie décarbonée et le développement d’Hydro-Québec qui y jouera un rôle central.
Par ailleurs, le développement économique régional pourrait être confié au ministère des Ressources naturelles et Forêts qui s’occupe déjà de la valorisation des richesses naturelles. C’est ce ministère qui intégrerait les initiatives de l’organisme canadien Développement économique Canada pour les régions du Québec (DEC).
Tous les autres organismes sous la responsabilité d’ISDE seraient intégrés aux missions attribuées au ministère actuel de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, délesté des dossiers de l’énergie et du développement régional. Ce ministère pourrait être rebaptisé ministère de la Science, de l’Innovation et du Développement économique.
Le MSIDE se verrait attribuer un financement additionnel correspondant à environ 23 % des dépenses budgétaires d’ISDE, ainsi qu’un pourcentage semblable des dépenses non budgétaires de ce ministère canadien qui seraient ajoutées en partie aux fonds d’Investissement Québec qui seraient eux aussi sous la responsabilité de MSIDE.
Il pourrait être judicieux de créer d’autres organismes spécialisés pour soutenir tout le cycle de l’innovation, en partant de la recherche universitaire jusqu’à la commercialisation des produits de la recherche, tant au Québec qu’à l’international, le MSIDE demeurera responsable du commerce international.
Nous examinerons dans les sections suivantes comment pourrait se faire l’intégration au Québec des autres organismes du portefeuille d’ISDE Canada.
3.3 Les fonds subventionnaires à la recherche universitaire.
Nous avons vu qu’actuellement ISDE Canada finance la recherche universitaire via trois conseils ou instituts de recherche : Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), les Instituts de recherche en Santé du Canada (IRSC) regroupent 13 instituts spécialisés, et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).
Comme indiqué dans le tableau de la figure 4, ces trois fonds subventionnaires disposent chacun de budgets importants dépassant le milliard de dollars. Ces fonds sont distribués dans l’ensemble des universités et organismes de recherche au Canada. Pour l’année 2022-2023, les trois fonds subventionnaires canadiens ont distribué au Québec environ 23 % de leur financement, ce qui correspond approximativement à la proportion des impôts que les contribuables québécois envoient à Ottawa. Ces trois fonds exercent une influence considérable sur les orientations et les investissements des universités et des collèges du Québec, car ils y dépensent quatre fois plus que leurs correspondants québécois (FRQNT, FRQS et FRQSC). Ces derniers ont été regroupés depuis l’adoption de la loi 44, le 1er juin 2024, en tant que secteurs du Fonds de Recherches du Québec (FRQ), actuellement sous la responsabilité du mégaministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Le FRQ serait le lieu naturel d’intégration des budgets et des activités au Québec des trois fonds canadiens de soutien à la recherche. Pour 2022-2023, l’intégration de la partie québécoise des trois fonds canadiens aurait augmenté le budget du FRQ de 872 millions pour atteindre 1 milliard 136 millions de $. Le budget du secteur Nature et technologie du FRQ serait passé de 85 millions à 420 millions, celui du secteur Société et Culture, de 50 à 289 millions et celui du secteur Santé, de 130 à 433 millions.
L’intégration de la partie québécoise des Fonds canadiens devrait être l’occasion d’une révision importante des programmes de ces organismes et de ceux du FRQ pour les arrimer davantage aux besoins du Québec et opérer une simplification bureaucratique qui serait plus que bienvenue des chercheurs et des institutions, grâce à l’existence d’une structure intégrée au Québec comme le FRQ.
Un rapport canadien mentionné plus haut23 déplore d’ailleurs la fragmentation du système canadien et propose également une étude des modèles d’intégration dans le monde pouvant mieux tenir compte de l’interdisciplinarité croissante de la recherche et de l’innovation. On pourrait s’inspirer de ce rapport dans le réaménagement de l’appui gouvernemental aux chercheurs et aux institutions de l’enseignement supérieur au Québec.
3.4 Le financement des infrastructures de recherche et d’innovation
La fondation canadienne pour l’innovation (FCI) est l’organisme de transfert des investissements canadiens dans les infrastructures de recherche des universités, des hôpitaux universitaires et des collèges ; elle finance également les infrastructures des chaires de recherches du Canada, y compris celles attribuées au Québec.
Pour obtenir une subvention de la FCI, les chercheurs québécois doivent obtenir du ministère québécois de l’Enseignement supérieur une subvention équivalente à celle d’Ottawa et obtenir de leur université et/ou d’autres sources un montant équivalent à 20 % de la subvention demandée. C’est un travail considérable qui doit être coordonné avec les recherches parfois très variées qui seront effectuées sur ces infrastructures, ainsi qu’avec les acquisitions d’infrastructure de l’université pour l’enseignement, lesquelles sont financées par le gouvernement du Québec.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
On ne devrait pas recréer au Québec un organisme comme la FCI qui résulte principalement des préoccupations de visibilité du gouvernement canadien. Comme souligné plus haut, plutôt que de créer une Fondation, Ottawa aurait pu se contenter de transférer les fonds au gouvernement du Québec dont c’est censé être la responsabilité constitutionnelle. Une Fondation des infrastructures de recherche de l’enseignement supérieur au Québec pourrait entrer en conflit avec le programme général de financement des infrastructures du ministère de l’Enseignement supérieur auquel il suffirait de verser 23 % des fonds rapatriés de la FCI dans un volet dédié spécifiquement aux installations de recherche.
Le rapatriement au Québec des fonds que les contribuables québécois envoient à Ottawa permettra une meilleure coordination des orientations en fonction des besoins du Québec. Il provoquera une simplification de la bureaucratie qui sera grandement appréciée par les chercheurs et les institutions. Il fournira un appui accru à la Science et à l’innovation en français, dans le respect de l’autonomie des universités et des collèges et de la compétence du Québec en Éducation supérieure.
3.5 Le Conseil national des recherches du Canada
Le Conseil national de recherches Canada (CNRC) maintient plusieurs initiatives de soutien à l’innovation technologique au Canada24. Cet organisme disposait en 2022-2023 d’un budget de 1 milliard 470 millions de $, soutenant 4256 chercheurs, techniciens et administrateurs.
Le CNRC offre du financement et des conseils aux organisations à travers son programme d’aide à la recherche industrielle (PARI) afin d’accélérer le développement de produits innovateurs pour les amener au marché. Il finance 12 centres de recherche, des usines pilotes, des installations d’essai et de test, ainsi que des services techniques et d’aide à la propriété intellectuelle. Le CNRC offre également de l’appui pour l’application des normes, des codes et de l’évaluation des produits en cours de prototypage. Ses programmes Défi de recherche collaborative, notamment dans les domaines de l’énergie quantique, des véhicules électriques et de l’intelligence artificielle, associent le CRNC à des organismes de recherche des secteurs public et privé de la recherche au Canada et à l’étranger.
Le CNRC dispose de 144 installations au Canada qui vont des dispositifs de test industriels aux usines pilotes et aux Centres de recherche spécialisés. De ce nombre, 50 se trouvent à Ottawa, 3 ailleurs en Ontario, 7 au Québec et 20 dans d’autres provinces canadiennes.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Les installations du CNRC au Québec se concentrent dans les transports, l’aluminium, les énergies propres et la thérapeutique en santé humaine. Elles seraient en principe prises en charge par le Québec lors du partage des actifs et des passifs au moment de l’indépendance du Québec. Le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) apparait comme l’organisme québécois le mieux placé pour accueillir ces installations et l’ensemble budgets du CNRC rapatriés au Québec suite à l’indépendance.
Le CRIQ est une société d’État constituée en 1969 qui a fait ses preuves comme expert technique et comme partenaire d’innovation et de transformation des entreprises québécoises, se définissant comme le bras technologique de l’État québécois. Depuis le 1er avril 2020 et à la suite de l’adoption de la loi 27, le CRIQ a été intégré depuis le 6 décembre 2019 au sein d’Investissement Québec, où il fournit l’expertise technique nécessaire à l’évaluation des investissements dans des projets d’innovation au Québec.
Le Québec pourra choisir d’intégrer les sept installations du CRNC au Québec sous la responsabilité du CRIQ et d’utiliser les budgets rapatriés d’Ottawa pour augmenter le financement aux chercheurs et aux industriels québécois qui désireraient continuer à utiliser l’ensemble des installations du CNRC intégrées au CRIQ pour leurs projets en cours ou à venir.
3.6 Statistiques Canada
Statistique Canada (StatCan) est également placé sous la responsabilité d’ISDE Canada. Disposant en 2022-2023 d’un budget annuel de 682 millions, il regroupe un effectif de 7838 scientifiques, techniciens et assistants. À titre d’organisme central de la statistique du Canada, StatCan est tenu par la Loi canadienne sur la statistique de s’acquitter de cette tâche pour l’ensemble du pays ainsi que pour chaque province et territoire, incluant le Québec. Outre le recensement que Statistique Canada effectue tous les cinq ans, il existe plus de 350 enquêtes actives sur pratiquement tous les aspects de la vie au Canada. Les renseignements statistiques objectifs produits par StatCan fournissent aux représentants élus, aux entreprises, aux syndicats et aux organisations sans but lucratif, ainsi qu’à chaque personne au Canada, une base solide leur permettant de prendre des décisions éclairées. StatCan produit également de nombreuses analyses, revues et rapports à partir des données statistiques dont plus de 10 000 sont répertoriés sur le site25.
L’Institut de la statistique du Québec (ISQ), créé par une loi du Québec en 1998, est l’organisme gouvernemental ayant pour mission de fournir des informations statistiques fiables et objectives quant à tous les aspects de la société québécoise. L’Institut constitue le lieu privilégié de production et de diffusion de l’information statistique pour les ministères et organismes du gouvernement du Québec. Il est aussi le responsable de toutes les enquêtes statistiques d’intérêt général. L’Institut a également pour mission d’assurer la communication aux chercheurs et aux autres utilisateurs des renseignements détenus par des organismes publics.
À titre d’agence statistique gouvernementale, l’Institut représente le Québec auprès de Statistique Canada et auprès des responsables statistiques des autres provinces et territoires canadiens. Afin de produire des analyses spécifiques au Québec ou de comparer la réalité québécoise avec celles d’autres régions ou pays, l’Institut utilise régulièrement des données d’enquêtes produites par d’autres organismes, dont évidemment celles produites par Statistique Canada. L’Institut est aussi parfois partenaire de ces organismes pour mener le volet québécois des enquêtes de plus grande envergure, dont celles de Statistique Canada.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
L’indépendance modifiera quelque peu les relations entre l’ISQ et StatCan. Cette dernière n’aura plus d’obligation envers le Québec qui ne sera plus une province canadienne. L’ISQ y gagnera la responsabilité de réaliser les recensements au Québec et toutes les autres enquêtes statistiques concernant Québec, tâche dont il s’occupe déjà largement, notamment les bilans démographiques qu’elle publie annuellement. La récupération de nos impôts à Ottawa augmentera le budget d’ISQ de plus de 300 millions annuellement qui serviront à financer les nouvelles activités de l’ISQ incluant les recensements auprès de la population du Québec. La récupération au Québec des archives québécois de StatCan fournira une base d’informations utiles à l’ISQ, ainsi qu’aux chercheurs et aux entreprises du Québec.
3.7 Les organismes spécialisés de recherche et de soutien à l’innovation
ISDE Canada soutient actuellement trois organisations de recherche et d’innovation spécialisées dans des domaines particulièrement importants pour le Québec : l’Agence spatiale canadienne (ASC), Génome Canada et CIFAR, l’organisme responsable de la stratégie pancanadienne en Intelligence artificielle.
L’agence spatiale canadienne (ASC), fondée le 1er mars 1989 par la Loi sur l’Agence spatiale canadienne, emploie 600 personnes et gère un budget annuel d’environ 400 millions de dollars. Le principal programme d’ASC est constitué par la série des satellites d’observation de la Terre Radarsat, activité qui mobilise plus d’un tiers de ses investissements. Les autres projets de l’agence canadienne sont essentiellement des participations à des projets d’autres agences spatiales dont la Station spatiale internationale et la réalisation d’instruments scientifiques embarqués dans des missions européennes ou de la NASA.
Le siège de l’agence est situé au Centre spatial John H. Chapman, à Longueuil, inauguré au Québec en 1992, dans lequel se trouve environ 90 % des effectifs totaux de l’Agence. Le centre abrite le bureau canadien des astronautes et la plupart des unités administratives et techniques soutenant les programmes du Canada en sciences et techniques spatiales. Il comprend des salles de contrôle de satellites et des simulateurs pour le Canadarm 2. En tant que siège de l’agence spatiale, il regroupe les bureaux d’administration générale et des programmes spécifiques d’échange avec la NASA, l’ESA et d’autres agences spatiales nationales. L’agence dispose également d’un établissement à Ottawa qui est principalement un centre technique, ainsi que de bureaux de liaison avec la NASA aux États-Unis à Washington, à Cap Canaveral et à Houston, et avec l’Agence spatiale européenne à Paris.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Lors de l’indépendance du Québec, les installations de l’Agence feront partie des actifs rapatriés au Québec et l’Agence passera sous le contrôle du ministère québécois de la Science, de l’Innovation et du Développement économique (MSIDE).
Génome Canada26 est un organisme sans but lucratif, financé par le gouvernement canadien sous la responsabilité d’ISDE Canada, travaillant en étroite collaboration avec ce ministère pour réaliser les priorités fédérales en matière de génomique.
Depuis 2008, le gouvernement canadien a engagé annuellement entre 60 et 140 millions de $ annuellement dans le financement de Génome Canada. Génome Canada trouve du cofinancement auprès d’autres bailleurs de fonds dans le secteur public, le secteur privé et les organismes sans but lucratif27. L’organisme investit dans la recherche, l’innovation, les données et les talents en génomique. Il coordonne un réseau pancanadien de six centres régionaux de génomique, dont celui du Québec.
Le centre régional du Québec, Génome Québec, a ses bureaux principaux à Montréal et une antenne à Chicoutimi. Le rapport 2022 de Génome Québec indique un budget annuel de plus de 78 millions, dont 54 millions en investissements à court terme, de 2 millions à long terme et un capital de 6,5 millions. L’organisme bénéficie de contributions du Gouvernement du Québec et de Génome Canada.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Lors de l’indépendance, le rapatriement au Québec de nos contributions actuelles au budget canadien permettra de financer entièrement Génome Québec qui passera sous la responsabilité du ministère québécois de la Science, de l’Innovation et du Développement économique (MSIDE). L’organisme devenu le centre national de génomique du Québec sera chargé de conseiller le ministère sur la stratégie de développement de ce domaine de recherche, soutenant et coordonnant les partenariats de recherche et d’innovation en génomique.
CIFAR et l’intelligence artificielle. En 2017, le gouvernement du Canada a chargé l’Institut canadien de recherches avancées (CIFAR) de concevoir et de diriger la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle28. Fondé en 1982, le CIFAR reçoit un financement du gouvernement du Canada, de l’Alberta et du Québec, ainsi que de particuliers, de fondations et d’entreprises.
Le CIFAR soutient les trois instituts de recherche nationaux qui constituent les pôles de l’écosystème de l’IA au Canada : Amii à Edmonton, Mila à Montréal29 et l’Institut Vecteur à Toronto. Il accorde des fonds de recherche dédiés à long terme pour soutenir les programmes de recherche de pointe de ces trois instituts et les aide à former la prochaine génération de leaders en IA. Un programme de chaires en IA Canada-CIFAR finance plus de 100 titulaires qui s’intègrent dans l’un ou l’autre des trois instituts, dont 47 à l’Institut Mila. Ces titulaires font avancer la recherche dans un vaste éventail de domaines d’application tels que la découverte de médicaments, l’apprentissage automatique au service de la santé, les véhicules autonomes, la découverte des matériaux, l’interaction humain-IA ou le traitement du langage naturel.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Le gouvernement Québec a déjà investi par ses propres programmes plus de 1 milliard de $ en intelligence artificielle. Le Québec indépendant voudra maintenir et accroître le soutien offert à Mila, l’Institut québécois d’intelligence artificielle, fondée par Yoshua Bengio, ainsi qu’à la communauté croissante de plus de 1 300 chercheurs spécialisés en IA et de plus de 140 partenaires industriels.
Il faudra examiner si ce soutien a avantage à passer en partie par le CIFAR où le Québec continuerait son implication financière ou totalement par un financement de la part du MSIDE et des budgets d’infrastructures et de développement économique du gouvernement du Québec. Sur le plan scientifique, les collaborations sur le plan international, y compris avec les institutions canadiennes, devront se poursuivre et s’intensifier, dans ce domaine comme dans les autres domaines de recherche de pointe.
3.8 La protection de la propriété intellectuelle et les brevets
Au Canada, la protection de la propriété intellectuelle est principalement gérée au niveau fédéral par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC)30 un organisme de service qui relève aussi d’ISDE. Dans le système canadien, les provinces peuvent avoir leurs propres lois et programmes complémentaires, mais l’OPIC reste l’organisme décisionnel central.
En 2022-2023, les dépenses de l’OPIC se sont élevées à 207 millions. En 2023-2024, un total de 39,105 demandes de brevets ont été déposées, dont seulement 908 en langue française, et 25,711 ont été accordés, dont 2,733 provenaient du Canada et 603 du Québec. L’OPIC a aussi enregistré 53,318 marques de commerce dont 3,717 du Québec, 7,706 dessins industriels et 9,464 droits d’auteur dont 1,423 du Québec.
Selon l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI), 82 % des 25,562 demandes de brevets par des Canadiens ont été déposées à l’étranger, ainsi que 73 % des 202,119 demandes de marques de commerce et 95 % des 15,352 demandes de dessins industriels, principalement aux États-Unis, en Chine et en Europe.
Sur un plan international, l’idée d’un bureau des brevets mondial n’a jamais été mise en place parce que les lois et les systèmes de propriété intellectuelle varient considérablement d’un pays à l’autre, reflétant des différences culturelles, économiques et juridiques. Le même raisonnement s’applique au Québec par rapport au Canada qui, en tant que nation distincte du reste du Canada, devrait disposer de son propre Office.
Hypothèses d’intégration à la République du Québec
Lorsqu’il sera un pays indépendant, le Québec voudra créer son propre Office de propriété intellectuelle du Québec (OPIQ) incluant un Bureau des brevets, en le finançant avec nos impôts rapatriés d’Ottawa, ce qui représente une somme relativement modeste. Il faudra mettre en place l’infrastructure nécessaire et la création d’un cadre juridique tenant compte du droit civil et du Code criminel qui sera lui aussi rapatrié d’Ottawa. Il faudra aussi implanter des procédures d’enregistrement et d’évaluation et engager les personnes qui en ont acquis l’expertise technique dans des services canadiens comme l’OPIC ou québécois comme Innovation Québec, le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) et le Registre des entreprises. Il faudra enfin inscrire le Québec comme successeur du Canada dans ses relations avec les organismes internationaux de protection de la propriété intellectuelle, dont l’OMPI.
Deux organismes complètent le dispositif de protection de la propriété intellectuelle au niveau fédéral dont il faudra implanter l’équivalent au Québec. La Commission du droit d’auteur Canada (CDAC)31 est un tribunal administratif indépendant relevant d’ISDE dont le mandat est de « fixer des redevances et des modalités afférentes qui sont justes et équitables. Le Conseil canadien des normes (CCN)32 est le principal organisme de normalisation et d’accréditation du Canada, établi comme Société d’État en 1970. Ces deux organismes sont des composantes incontournables du processus d’innovation et de commercialisation.
Pour gérer entièrement le droit d’auteur au Québec, il faudra créer un tribunal administratif québécois analogue à la CDAC. Également, pour ce qui est du CCN, il existe un Bureau de normalisation du Québec – BNQ33. Cette unité d’affaires d’Investissement Québec offre actuellement quatre catégories de services : l’élaboration de normes, la certification, l’évaluation de laboratoires et la vérification de déclarations d’émissions de gaz à effet de serre. Ce bureau pourra prendre la relève du CCN dont il détient les accréditations de calibre international qui garantissent que les procédures et les méthodes du BNQ sont en conformité avec les règles de l’ISO et de l’OMC.
4. Conclusion – Ce que le Québec indépendant pourra faire de plus
Le Québec indépendant pourra intensifier ses investissements dans la recherche-développement pour atteindre un niveau global supérieur à 3 % du PIB, devenant compétitif avec les pays les plus développés, ce que le Canada n’arrive pas à faire actuellement.
Il pourra accroître, intégrer et mieux coordonner que maintenant la recherche dans les ministères et des sociétés d’État, l’aide à la recherche dans les universités et les collèges, et l’appui à l’innovation dans les entreprises du Québec
En détenant l’ensemble des pouvoirs de recherche-développement, d’innovation et de valorisation industrielle et commerciale de produits innovateurs, le Québec se donnera les moyens concrets d’une politique complète de recherche-développement et d’innovation, adaptée à la réalité et aux besoins du Québec, ainsi qu’aux exigences de l’économie du savoir, du développement culturel et social, et de la lutte pour le climat.
1 Gouvernement du Québec, Pour une politique québécoise de la recherche scientifique, 1979, p. 3
2 Luc Chartrand, Raymond Duchesne et Yves Gingras, Histoire des sciences au Québec, de la Nouvelle-France à nos jours, Boréal, nouvelle édition, 2008, 535 p.
3 Ministère d’État au Développement culturel du Québec, 1979, Pour une politique québécoise de la recherche scientifique, Québec, Éditeur officiel du Québec, 222 p.
4 Ministère d’État au Développement économique du Québec, 1982, Le virage technologique. Bâtir le Québec phase 2, Québec, MEDE, 248 p.
5 MRST (Ministère de la Recherche, de la Science et de la Technologie du Québec), 2001, Politique québécoise de la science et de l’innovation. Savoir changer le monde, Québec, MRST, 169 p.
6 OCDE, Dépenses intérieures brutes de R-D, https://www.oecd.org/fr/data/indicators/gross-domestic-spending-on-r-d.html
7 Gouvernement du Canada, Rapport du Comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche, mars 2023, https://ised-isde.canada.ca/site/comite-soutien-federal-recherche/fr/rapport-comite-consultatif-systeme-federal-soutien-recherche
8 Benoit Rigaud, « La politique économique québécoise entre libéralisme et coordination », Observation de l’administration publique, printemps 2008. http://cerberus.enap.ca/Observatoire/docs/Etat_quebecois/a-pp-economie.pdf
9 Statistique Canada, 2023, Dépenses intérieures brutes en R-D, selon le secteur de financement et le secteur d’exécution, https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=2710027301
10 Maxime Duchesne. Finances d’un Québec indépendant. L’Action nationale Éditeur, 2016, p. 13.
11 Maxime Duchesne, op. cit., p. 63.
12 Karim Benessaieh, « Intelligence artificielle : Le Québec se classe 7e au monde », La Presse, 9 mars 2022.
13 Mathieu-Robert Sauvé, « La science québécoise est sous-financée par Ottawa », Journal de Montréal, 30 septembre 2024.
14 Vincent Larivière, Acfas Magazine, 2 septembre 2013, https://www.acfas.ca/publications/magazine/2013/09/concentration-fonds-recherche-ses-effets
15 Frédéric Lacroix et Marc Chevier, « Le sous-financement des universités francophones est un mal profond », Le Devoir, 24 octobre 2023.
16 Gouvernement du Canada, 2023, Rapport du comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche, https://ised-isde.canada.ca/site/comite-soutien-federal-recherche/fr/rapport-comite-consultatif-systeme-federal-soutien-recherche#a
17 Parti québécois, octobre 2023, Un Québec libre de ses choix – Finances d’un Québec Indépendant, tableau 10, p. 48, https://pq.org/finances-du-quebec-independant/
18 Statistique Canada. Tableau 27-10-0026-01 Dépenses de l’administration fédérale en activités scientifiques et technologiques, selon les principaux ministères et organismes – Perspectives, DOI : https://doi.org/10.25318/2710002601-fra et Tableau 27-10-0028-01 et Personnel de l’administration fédérale affecté aux activités scientifiques et technologiques, selon la catégorie professionnelle et les principaux ministères et organismes – Perspectives, DOI : https://doi.org/10.25318/2710002801-fra
19 Gouvernement du Canada, Portefeuille de l’Innovation, Sciences et Développement économique, https://ised-isde.canada.ca/site/isde/fr/notre-organisation/portefeuille-linnovation-sciences-developpement-economique
20 Comptes publics du Canada, 2023, Volume II, section 16 -Industrie et section 24 -Santé, https://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/recgen/cpc-pac/2023/vol2/isde-ised/ap-pa-fra.html
21 Un Québec libre de ses choix – Finances d’un Québec Indépendant, op.cit.
22 Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/economie/mission-et-mandats
23 Rapport du comité consultatif sur le système fédéral de soutien à la recherche, 2023, op. cit.
24 Gouvernement du Canada, CRNC, https://nrc.canada.ca/fr, consulté le 27 novembre 2024.
25 Statistique Canada, https://www.statcan.gc.ca/fr/debut , consulté le 27 novembre 2024.
26 Génome Canada, https://genomecanada.ca/fr/apropos/, consulté le 29 novembre 2024.
27 Génome Canada, plan directeur 2012-2023, https://genomecanada.ca/wp-content/uploads/2022/03/genome_canada_plan_directeur_2022-2023_fr.pdf
28 Stratégie canadienne en intelligence artificielle, https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr
29 Institut Mila, https://mila.quebec/en
30 Office de la propriété intellectuelle du Canada, https://ised-isde.canada.ca/site/office-propriete-intellectuelle-canada/fr
31 Commission du droit d’auteur Canada, https://cb-cda.gc.ca/fr
32 Conseil canadien des normes, http://www.scc.ca/fr
33 Bureau de normalisation du Québec, https://bnq.qc.ca/fr/
* Professeur émérite, Institut de recherche en IA appliquée, Université Téluq. Ministre de la Science et de la Technologie dans le gouvernement Lévesque.