Philippe Schnobb. Louise Harel sans compromis

Philippe Schnobb
Louise Harel sans compromis
Anjou, Les éditions La Presse, 2023, 371 pages

Philippe Scnobb reconstitue ici le parcours de celle qui a représenté les citoyens d’Hochelaga-Maisonneuve pendant 28 ans sans interruption et a laissé sa marque dans l’histoire du Québec. Entrevues avec 70 témoins, émissions de radio et de télévision, articles de journaux ou de revues, nombreuses publications de collègues ou d’analystes : toutes ces sources sont utilisées dans ce livre très bien documenté pour faire découvrir ou mieux connaître cette « bonne tacticienne très habile qui sait convaincre avec le sourire et sa voix douce », mais qui exprime parfois ses convictions sans filtre, « si bien qu’elle surprend, déstabilise, blesse parfois et dérange souvent ».

Louise Harel est née en 1946 dans un quartier ouvrier de Sainte-Thérèse-de-Blainville. Son père était enseignant, sa mère tenait un salon de coiffure et tous deux ont transmis à leur fille l’importance de l’éducation. Enfant sage, souvent présidente de sa classe, Louise s’est impliquée dans plusieurs activités parascolaires dès le primaire.

Au collège Marie-Anne, à Montréal, elle découvre le plaisir de parler en public et prend conscience de l’inégalité entre hommes et femmes. Lorsque le Séminaire Sainte-Thérèse s’ouvre aux filles en 1962, elle revient dans sa région pour y continuer ses études secondaires. Elle devient vice-présidente des affaires extérieures de l’association étudiante en 1965 ; et rédactrice en chef du journal Le Thérésien en même temps que Bernard Descôteaux en est le directeur. Elle milite aussi dans le RIN dès l’âge de 16 ans.

À l’automne de 1967, la voilà étudiante en sociologie à l’Université de Montréal. Avec Gilles Duceppe, Claude Charron et Louis Falardeau, eux aussi membres de l’exécutif de l’UGEQ, elle est au cœur de la grève de 1968 entreprise pour obtenir entre autres la gratuité scolaire ; elle joue aussi un rôle dans la dissolution de l’Union l’année suivante.

En 1970, elle fait partie de l’aile progressiste du Parti québécois. Non seulement elle accompagne le chef en tournée, mais elle fait aussi campagne pour Robert Burns dans Maisonneuve. Avec l’aide de Jean Doré, elle participe à la syndicalisation des employés de la permanence du parti. Cela irrite René Lévesque, qui la congédie du secrétariat. Commence entre les deux une longue période de relations distantes et parfois houleuses.

En 1974, Harel devient présidente de la région Montréal-centre. À ce poste stratégique, elle exerce une grande influence pendant cinq années. C’est cette région qui envoie la majorité des députés à l’Assemblée nationale. Harel y fréquente les personnalités du Rassemblement des citoyens de Montréal, le parti politique municipal de gauche de Jean Doré, et les principaux décideurs des centrales syndicales. René Lévesque se méfie. Il faut dire que Montréal-centre soutient des propositions trop radicales pour lui : l’indépendance par élection référendaire plutôt que par referendum, l’unilinguisme scolaire, l’avortement sur demande.

En 1977, au congrès de Montréal-centre, Lévesque invite les « révolutionnaires » à quitter le PQ. Mais l’équipe en place fait plutôt élire cinq des siens à l’exécutif national. Ayant terminé sa formation au Barreau, Harel se lance dans la course à la vice-présidence du parti et elle l’emporte. Lévesque doit composer avec ses positions sociales-démocrates campées à gauche, son militantisme féministe et son combat pour la justice sociale.

En 1979, Harel siège au très important comité de préparation du référendum. En 1981, Lévesque ne la nomme pas ministre, et elle-même refuse le poste de présidente de l’Assemblée nationale pour ne pas avoir à démissionner de la vice-présidence du parti. En décembre de la même année, au 8e congrès du PQ qui s’ouvre un mois à peine après la « nuit des longs couteaux », Michel Bourdon (époux de Louise Harel) propose l’abandon de l’étapisme, René Lévesque s’y oppose, Harel vote à main levée contre lui, la proposition est adoptée. On connaît la suite : Lévesque annonce aussitôt qu’il songe à quitter son poste de chef et de président du Parti, puis il convoque un congrès spécial (qualifié ironiquement de « renérendum ») pour faire confirmer son leadership.

Schnobb décrit avec moult détails les prises de position de Louise Harel pendant le second gouvernement du Parti québécois, jusqu’en 1985. Elle s’oppose aux mesures draconiennes de réduction des dépenses en cette période de crise économique ; elle finit tout de même par obtenir un poste de ministre, celui des Communautés culturelles et de l’Immigration ; mais elle démissionne quand Lévesque veut faire prendre au parti et au Québec le « beau risque » du fédéralisme renouvelé proposé par le nouveau premier ministre fédéral Brian Mulroney ; elle a ensuite nombre de démêlés avec Pierre-Marc Johnson, très brièvement premier ministre du Québec à l’automne de 1985, et qui est prêt à se contenter d’« affirmation nationale » au lieu de lutter pour la souveraineté.

Puis Schnobb raconte le rôle de Louise Harel dans le retour de Jacques Parizeau au Parti québécois. Jouissant de sa confiance, elle siège au comité des priorités du gouvernement quand le PQ prend le pouvoir en 1994. Puis, sous le gouvernement de Lucien Bouchard, Harel redevient ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration en plus de conserver son ministère d’État à la Concertation et son ministère de l’Emploi. Autant de postes d’où elle peut conduire d’importantes réformes touchant la sécurité du revenu, la Régie des rentes, l’équité salariale. Elle refuse de couper le budget de l’aide sociale malgré les pressions de Bouchard. Quand elle devient ministre des Affaires municipales, c’est elle qui pilote l’explosif dossier des fusions ; de retour au pouvoir à partir de 2003, les libéraux de Jean Charest déferont en partie son travail. Louise Harel devient en 2002 la première femme à présider l’Assemblée nationale. De ce poste, elle contribue à la création du Secrétariat des femmes parlementaires de la francophonie. Puis, après le départ du chef Bernard Landry en 2005, elle assume brièvement l’intérim de la direction du Parti québécois. Elle ne fait pas la campagne électorale de 2008.

S’ouvre alors une nouvelle période de sa vie publique : ses deux vaines tentatives de se faire élire comme mairesse de Montréal, en 2009 d’abord, puis en 2013. Pour Schnobb, 2009 doit être vue comme « une année qui aura été la plus difficile de sa vie politique ». Élue conseillère municipale dans l’opposition, Harel réclame une enquête de Québec sur la manière dont la Ville octroie les contrats de construction, dénonce les manigances de Frank Zampino, numéro deux de l’administration du maire Gérard Tremblay et exige la démission de ce dernier. Après l’échec de 2013, Louise Harel quitte la vie politique.

Dans un dernier chapitre trop rapide, intitulé « Survivre… sans la politique », Scnobb énumère sans analyse critique certaines activités de cette citoyenne d’honneur de Montréal, comme son rôle au comité créé par Valérie Plante pour veiller à la valorisation du français.

Cette biographie en fait connaître beaucoup sur cette femme engagée, tenace et exigeante, qui a su gagner d’importantes batailles en s’appuyant sur ses réseaux très diversifiés autant au sein de l’Assemblée nationale que dans la société civile.

Robert Comeau
Historien, professeur retraité de l’UQAM

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