Christian Boyer, maîtrise es art en éducation, consultant en pédagogie et en orthopédagogie
Normand Baillargeon, Ph. D. en philosophie et Ph. D. en pédagogie, philosophe et essayiste
Jérôme Saint-Amand, Ph D. en éducation, professeur en psychologie de l’éducation à l’UQO
David Santarossa, maîtrise en philosophie et maîtrise en enseignement, enseignant au secondaire
Marc St-Pierre, maîtrise en administration scolaire et études des politiques en éducation, directeur général adjoint retraité du Centre de service scolaire de la Rivière-du-Nord, consultant en éducation et administration scolaire
Il y a une douzaine d’années, un rapport déposé au ministère de l’Éducation proposait la création d’Instituts universitaires voués à la formation du personnel enseignant en adaptation scolaire. Ces instituts auraient été déployés sur tout le territoire québécois et auraient relevé de commissions scolaires, plutôt que des universités.
Secret de polichinelle, les universités ont réservé un accueil plutôt froid à ce projet, peut-être parce qu’il pouvait les priver d’une clientèle captive et peu coûteuse — il faut savoir que le mercantilisme est hélas désormais confortablement installé à demeure à l’université. Nombre de doyens et professeurs d’université ne sautèrent pas de joie devant l’idée de tels instituts, ce projet étant en soi une critique sévère de la qualité et de la pertinence de la formation offerte en adaptation scolaire dans les facultés d’éducation. Le rapport semble avoir été enterré dans le tumulte de la grève étudiante de 2012 et l’aversion générale du monde universitaire. Rien là d’étonnant : les poulets ne se portant que rarement volontaires pour aller à l’abattoir.
Quatre ans plus tard, en 2016, des professeurs des facultés d’éducation eurent une occasion de manifester où ils logent. Cette année-là, madame Monique Brodeur, professeure et ex-doyenne de l’UQAM, et des universitaires d’ailleurs, proposèrent la création d’un Institut national en éducation (INÉ) qui aurait eu pour mandat d’éclairer le monde scolaire sur les pratiques pédagogiques efficaces en se fondant pour ce faire sur des données probantes tirées de la recherche scientifique la plus crédible. Cette fois, ce furent plus de deux cent cinquante universitaires québécois qui signèrent une pétition contre la création de cet INÉ. Même si cet institut n’était pas destiné à faire la formation initiale du personnel enseignant, cela n’empêcha pas son rejet pour des raisons similaires au tablettage du rapport des Instituts universitaires en adaptation scolaire.
Le 3 avril 2021 (https://www.journaldemontreal.com/2021/04/03/creons-un-institut-national-dedie-a-la-formation-des-enseignants), rebelote : monsieur Jérôme Saint-Amand, professeur à l’Université du Québec en Outaouais propose de repenser le modèle actuel de la formation enseignante en créant des Instituts nationaux de formation du personnel enseignant. Selon lui, ces instituts nationaux, visant d’abord à redonner à la profession enseignante un peu de lustre, pourraient prendre graduellement la relève (ou en partie) des facultés d’éducation et auraient trois composantes de base : (1) utiliser les données probantes comme élément central de la formation pratique en éducation ; (2) s’assurer de l’embauche de professeurs œuvrant à la formation pratique ayant d’abord une expérience de terrain suffisante, crédible et pertinente ; (3) rattacher ces instituts à des centres de services scolaires pour répondre directement à leurs besoins concrets. Pour le professeur Saint-Amand, l’acte de naissance de ces instituts devrait explicitement mettre en exergue l’importance de la soumission à l’épreuve de l’expérimentation les nouvelles pratiques pédagogiques préconisées avant de les implanter, ce qui est largement contraire aux usages des facultés québécoises d’éducation, et ce depuis toujours.
La nécessité d’un Institut de formation
Mais pourquoi retirer ou diminuer la responsabilité de la formation du personnel enseignant qui incombe présentement aux universités ? Dans un texte récemment paru dans le JDM (https://www.journaldemontreal.com/2021/04/19/la-faiblesse-des-facultes-deducation), des questions importantes ont été soulevées concernant le fait que l’on enseigne aux étudiantes et étudiants en éducation des idées ou théories invalidées, fausses ou non appuyées par les données probantes, en les présentant pourtant comme si elles étaient des connaissances valides et éprouvées. Par exemple, les théories des styles d’apprentissage, des intelligences multiples, des pré-requis instrumentaux et d’autres théories bancales de même acabit ont été, dans plusieurs universités au cours des dernières années, présentées aux futurs enseignantes et enseignants comme étant des connaissances établies. Et selon une récente étude (Blanchette Sarrasin, Riopel et Masson, 2019), les enseignantes et enseignants indiquent que leur formation universitaire est la source de leurs croyances fautives, et cela dans une proportion qui varie, selon les croyances, de 26 % à 55 %. Que le futur personnel enseignant puisse acquérir de fausses croyances en fréquentant une faculté d’éducation est, en soi, choquant.
Ce n’est pas tout.
Certaines facultés d’éducation ont diplômé des gens ayant rédigé des mémoires et des essais reposant sur des théories superlativement fantaisistes — comme l’astrologie dans un cas particulièrement pathétique. Cette situation inacceptable perdure depuis des dizaines d’années. L’adhésion à des degrés variables d’une partie importante du corps professoral, et probablement des doyens, au postmodernisme et au constructivisme explique en grande partie la triste et inacceptable réalité que nous venons de décrire. Ces influents courants philosophiques relativisent en effet les notions de connaissance, de vérité, d’objectivité et de preuve scientifique, et tendent dès lors à considérer les croyances culturelles, personnelles ou religieuses comme aussi valables que les connaissances obtenues par la méthode scientifique. Dans ce retour à un cadre conceptuel du Moyen-Âge, les plus obnubilés adoptent des postures idéologiques, sinon religieuses, lesquelles se manifestent notamment par les distributions d’anathèmes, généralement à saveur morale, à ceux qui questionnent ou critiquent leurs perspectives.
Devant la passivité et la tolérance des facultés d’éducation en ce qui a trait à l’enseignement de tant de faussetés, sans oublier une indifférence nonchalante devant l’importance d’enseigner aux futures enseignantes et enseignants des contenus relevant d’une pratique bien enracinée sur le plancher des veaux[1], le concept des Instituts nationaux de formation qui ne dépendraient pas des universités nous paraît s’imposer.
Une position de moins en moins marginale
Nous nous réjouissons que notre position soit désormais partagée par certains acteurs et penseurs du monde de l’éducation, même s’ils restent encore trop rares. Par exemple, un document publié en 2019 sous l’égide de l’Association des doyens, doyennes et directeurs, directrices pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ) a posé un regard fort critique sur la recherche pratiquée dans les facultés d’éducation, un regard qui aurait facilement pu aussi valoir pour l’enseignement dispensé dans ces facultés : « (…) les conceptions de la recherche sont relativisées : les perspectives individuelles deviennent des absolus, chacun construit son école de pensée, son épistémologie et devient son propre juge avec le rejet du tiers témoin, tout arbitrage externe devenant un arbitraire. Une question se pose alors : n’assiste-t-on pas dans la recherche en éducation au retour du religieux sous une forme laïcisée[2] ? Cela ne se marque-t-il pas d’autant plus que des résultats de ces recherches sont appelés à servir de propagande à différents courants éducatifs qui adoptent parfois des positions sectaires (…) » (p. 12 ; Van der Maren et ses collègues, 2019).
Hélas, trop peu d’acteurs des facultés de l’éducation partagent ouvertement cette position. Une des raisons de ce silence est que les coûts pour les sceptiques du constructivisme et du postmodernisme sont très élevés, comme plusieurs pourraient en témoigner. Critiquer les facultés d’éducation, la qualité des formations qu’elles dispensent, les croyances que plusieurs membres du corps professoral et plusieurs doyens professent (comme l’appui massif, mais injustifié à la réforme scolaire des années 2000), tout cela vaudra à qui l’ose de l’ostracisme de ses collègues, des remontrances des autorités et des représailles de toutes sortes. La liberté d’expression dans les facultés de l’éducation est ainsi contrôlée par des réprimandes à peine voilées (ex. : « vous avez droit à vos opinions, mais vos prises de position peuvent compromettre nos projets… ») ou pas voilées du tout et sans classe comme celles qu’a subi Normand Baillargeon par son doyen de l’époque, Marc Turgeon, pour avoir jugé défavorablement et ouvertement la réforme de l’an 2000 et pour avoir réfléchi dans le sens contraire du courant dominant.
Pour la qualité, avant tout
Les Instituts de formation du personnel enseignant existent dans d’autres pays, sous diverses formules. Les motivations sous-jacentes à leur structure et leur existence peuvent varier, mais ils répondent tous à des besoins spécifiques de la formation particulière en éducation.
Est-ce que les facultés de l’éducation peuvent se réformer et répondre à des critères de qualité qu’elles n’effleurent même pas présentement ? Il est peut-être encore possible d’imaginer un échange franc avec les facultés d’éducation où elles auraient la chance de répondre de leurs orientations qui permettent une certaine culture de l’ignorance, mais au final, il faut se rappeler que l’abandon des écoles normales au Québec ne fut pas décidé par ceux qui y œuvraient, que la reprise du contrôle de l’éducation et de la santé par l’État québécois le fut sans l’autorisation du clergé et que la diminution du fait religieux dans la société québécoise ne fut pas, non plus, l’actualisation des désirs irrépressibles du même clergé. Le renouvellement des facultés d’éducation par leur dynamique interne nous semble malheureusement très peu plausible compte tenu de la culture qui y prévaut, laquelle est hautement réfractaire à toute forme de critiques, à la science, aux données probantes, compte tenu également de la place qu’y prend le constructivisme depuis un siècle et le postmodernisme plus récemment, des courants de pensée qui rejettent l’idée même de rationalité et les exigences qui s’y rattachent.
Et c’est pourquoi il faudra fort probablement, selon nous, afin d’en rehausser la qualité, retirer aux universités la formation du personnel enseignant. Et cela devrait être fait le plus vite possible pour le bien de nos enfants, nos écoles, nos institutions et notre société tout entière.
Blanchette Sarrasin, J., Riopel, M. et Masson, S. (2019). Neuromyths and their origin among teachers in Quebec, Mind, Brain, and Education, 13(2), pp. 100-109.
[1] Ex.: Quoi faire devant les pressions parentales pour exempter leur enfant de certains volets de contenu scolaire ? Quoi faire face à un enfant qui vous envoie littéralement kier [sic] ? Quelle est la meilleure approche actuelle pour enseigner à lire ? Quoi faire face à une jeune fille qui vous confie qu’elle ne supporte pas les contraintes religieuses que sa famille lui impose ? Comment gérer une classe désorganisée et rebelle ? Quoi faire lorsqu’un enfant vous confie ses idées suicidaires ? Comment aider les enfants de la classe qui présentent un retard d’apprentissage ? etc.
[2] Nous le mettons en gras.