L’auteur est maire d’Amqui
Le gouvernement canadien par l’entremise de Transports Canada (TC) est l’autorité responsable de tout ce qui touche le transport des personnes et des marchandises à travers le Canada. Une autorité qui semble faillir à sa responsabilité en matière de protection publique et qui fait preuve d’un sérieux laxisme en matière de sécurité. Rappelons que depuis 2010, les dépenses pour la sécurité maritime ont chuté de 27 %, alors que celles en matière de sécurité ferroviaire ont diminué de plus de 20 %, dont une baisse de 10 % en 2014. À la lumière de ces données, comment pouvons-nous croire que Transports Canada remplit efficacement son mandat au chapitre de la sécurité du transport de matières dangereuses par rail ? Ce ministère dont la mission stratégique ne fait pas de doute n’a pas même utilisé le montant de quatre millions $ inscrit dans son enveloppe budgétaire 2013-2014. Comment interpréter une telle décision dans un contexte où les populations directement impactées par le transport du pétrole lourd par rail sont aux abois ? De surcroît, la ministre fédérale des Transports, Lisa Raitt, n’est pas en mesure d’expliquer clairement cette situation. Laxisme ?
À l’heure où le volume de pétrole sale des sables bitumineux albertains transporté par rail prend de plus en plus d’ampleur, les citoyens de nos villes et de nos villages doivent sérieusement se questionner sur la signification et les impacts de ce nouveau phénomène ; en même temps se pose la question de la sécurité. Par exemple, le nombre de wagons transportant du bitume a plus que triplé depuis 2011, passant de 5000 à plus de 17 000 en janvier 2014.
Connivence avec l’industrie ?
Depuis le drame de Lac-Mégantic, la ministre fédérale des transports tente de rassurer la population en disséminant les pansements ici et là sur les différents manquements ou faiblesses du système ferroviaire, mais ces cataplasmes ne sont en rien convaincants. Par exemple, elle oblige dorénavant les compagnies à respecter les lois en vigueur ! Toute une nouvelle ! Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Laxisme ? Pathétique ! Qui devons-nous tenir responsable des nombreux accidents qui surviennent au Canada en matière de transport par rail ? Plus de 1000 accidents (mineurs ou majeurs) dans l’industrie du rail surviennent chaque année. Est-ce là une situation normale ?
Deux autres « nouvelles » mesures ont été proposées par la ministre fédérale : les transporteurs doivent désormais se munir d’un plan d’intervention d’urgence et ils doivent aviser les autorités locales du passage de matières dangereuses dans leur secteur. Rien de nouveau, car la loi prévoyait déjà de telles actions. Quant à la directive sur l’avis de passage dans les municipalités, émise en 2014, elle laisse le fardeau aux autorités locales responsables de la sécurité civile de s’inscrire auprès du Canadien National pour obtenir les informations.
Le 19 novembre 2014, la ministre Raitt proposait une autre mesure qui tient du ridicule : les compagnies auront désormais « jusqu’à deux ans » pour remplir un formulaire. Un formulaire qui prend tout au plus une heure à compléter. Ce document certifie que l’entreprise se conforme « à un niveau acceptable de sécurité ferroviaire », sans que l’entreprise ait à fournir de preuves qu’elle se pliera aux règles de sécurité. La cerise sur le gâteau : on assure que les chefs de ces entreprises seront protégés contre toute poursuite judiciaire advenant un accident ou un désastre. Mais en cas de catastrophe ou de désastre, qui paiera finalement la facture ? Il semble que ce sera encore une fois le même : le contribuable.
Du pétrole avant les céréales ?
En mars 2014, en raison d’une production exceptionnelle de grain en 2013 dans l’Ouest canadien, le gouvernement conservateur a promulgué une loi obligeant les compagnies ferroviaires Canadien National (CN) et Canadien Pacifique (CP) à en assurer un transport minimum vers les marchés, sous peine d’une pénalité pouvant aller jusqu’à 100 000 $ par semaine. Or, malgré de très nombreuses plaintes formulées par des producteurs de céréales, il semblerait qu’aucune amende n’ait encore été imposée par Transports Canada à l’un ou l’autre de ces transporteurs. Deux poids, deux mesures ? De toute évidence, le gouvernement fédéral semble faire fi carrément des matières agricoles, dans un contexte où les compagnies ferroviaires préfèrent transporter du pétrole sale albertain. Une activité sans doute plus rentable et plus séduisante pour les actionnaires.
Récemment, le CN offrait « généreusement » dans la localité de Mont-Joli, au bénéfice des pompiers et des premiers répondants de la région de l’Est-du-Québec, une formation sur les mesures à suivre en cas d’accidents. Est-ce que le CN ne chercherait pas avant tout une « forme de partenariat » afin que nos pompiers soient en mesure de réaliser aux frais des contribuables son travail en cas de déversement de matières dangereuses, alors que la loi affirme clairement que les transporteurs ferroviaires sont à 100 % responsables de leurs chargements ? Où sont les ententes formelles qui protègent les municipalités québécoises lors de désastres ?
Les tristes évènements de Lac-Mégantic nous en ont beaucoup appris à cet égard ! À nous de réclamer des ententes solides et équitables permettant aux populations l’accès à des fonds de compensation adéquats pour faire face à de telles catastrophes. Ces ententes devraient par exemple déterminer qui paiera pour les formations et qui fournira l’équipement et la machinerie nécessaires dans le cas d’un déversement majeur.
Bientôt, deux convois quotidiens de 110 citernes remplies de pétrole sale circuleront par rail via la Matapédia vers le port pétrolier de Belledune au Nouveau-Brunswick. Ce terminal, qui a accueilli son premier navire en janvier 2015, pourra entraîner le passage quotidien d’au moins deux convois de 110 wagons-citernes de pétrole albertain par plusieurs de nos localités du Bas-Saint-Laurent, dont la ville d’Amqui, centre économique et agricole. De surcroît, les wagons qui seront utilisés pour ces importantes activités de transit seront du même type que ceux du sinistre accident de Lac-Mégantic, les fameux DOT 111, maintenant connus pour entraîner une propagation très rapide du feu en cas de perte de confinement. La Ville d’Amqui, ainsi que la MRC de la Matapédia et d’autres municipalités de l’Est-du-Québec, elles aussi traversées par cette même ligne de chemin de fer, sont vraiment inquiètes des dangers que représente cette activité de transport pétrolier pour leur population. On parle même de cinq ou six convois de ce type par jour à destination de Belledune, puis retour à vide, ce qui totalise plus de douze longs convois chaque jour. Peut-on s’imaginer le temps nécessaire aux traverses à niveau, par exemple ici à Amqui ? En tant qu’élus et gardiens du bien commun, incluant la santé et la sécurité des citoyennes et des citoyens, il nous faut absolument réclamer, voire exiger des garanties et des ententes solides avant d’accepter bêtement une telle opération. Un moratoire sur ce type de transport et une étude du BAPE sont nécessaires ; elles devraient nous permettre de mieux guider nos choix et d’obtenir des ententes protégeant les populations locales.