À une époque où la critique légitime des profits exagérés devient souvent une critique des profits tout court, il est indéniable que la publication d’états financiers d’entreprises cotées en bourse mérite une analyse et des débats à la fois rationnels et éclairés. Ça semble évidemment encore plus pertinent lorsqu’il s’agit de « big pharma » nous vendant des vaccins essentiels. A cet égard, le récent texte des professeurs Alepin et Zogning (dans La Presse) et leurs questions sur les profits et prix des vaccins Moderna sont pertinents. Une telle critique requiert sans ambages une connaissance approfondie du secteur et un coup d’œil à l’apport total à la société dans laquelle elle évolue, qu’il s’agisse d’un secteur caractérisé par la présence de filiales de groupes mondiaux ou d’entreprise locales.
Cette connaissance du secteur permet de relativiser les généralisations hâtives, comme de comparer les marges bénéficiaires d’une entreprise ou industrie donnée avec la « moyenne » canadienne pour en tirer des conclusions immédiates, piège que les auteurs n’ont pas évité, même s’ils tentent de nous en prévenir. En effet, l’inutilité de ce ratio décontextualisé et trompeur comme mesure d’acceptabilité n’a d’égal que le risque d’induire les gens en erreur dans un jeu de comparaison entre pomme et orange.
Comme le suggèrent les auteurs, l’industrie pharmaceutique et de bioproduction a été sur la sellette, sans surprise, depuis le début de la pandémie. De plus, la crise nous a ouvert les yeux sur l’état lamentable de celle-ci au Canada et sur les relations froides sinon inexistantes entre le gouvernement fédéral et l’industrie. Avec les pressions continues pour faire abaisser les prix des médicaments brevetés au Canada lors des dernières décennies, notre gouvernement fédéral a contribué à la fuite graduelle des sites de production vers l’Asie et à un désinvestissement généralisé de l’industrie au Canada. Aussi, il a indirectement promu un réflexe malsain des entreprises biopharmaceutique à maximiser le profit à court terme pour se prémunir face à la disparition prochaine de leur médicament au profit de versions génériques.
Récemment, le changement de ton que le dynamique ministre Champagne a voulu instaurer de bonne foi n’a donné aucun résultat escompté. Par exemple, la célébration triomphale et en grande pompe du ministre lors d’un investissement pour une nouvelle usine canadienne de la française Sanofi à Toronto en mars 2021 a été suivie par l’annonce de la fermeture des activités montréalaises de cette même société. D’aucuns diront que ceci constitue un énième exemple de l’incompétence du gouvernement fédéral et de l’urgence de laisser les provinces gérer la totalité des leviers de santé, quitte à se coordonner pour des achats de groupe ponctuels nécessaires et au bénéfice de chacune.
Quant à l’inquiétude légitime des auteurs sur le « bon prix » à payer pour les médicaments, ils se rassureront partiellement en sachant que les États-Unis trouvent nos prix si bas que plusieurs ont publiquement affirmé le souhait d’acheter leurs médicaments chez nous. Il leur saura peut-être aussi utile d’entendre que l’industrie (manufacturiers et distributeurs compris) poussa un grand soupir de soulagement à la suite de l’annonce du ministre Duclos de reporter une nouvelle baisse obligée des prix de médicaments brevetés. Il faut souhaiter que ce répit favorise de nouveaux investissements autres qu’à somme nulle et la création d’emplois payants dans un secteur qui mérite une politique sectorielle audacieuse et consciente des bénéfices de l’innovation et des besoins en approvisionnement continu de médicaments comme biens essentiels.
Finalement, il est à souligner la significative valeur des emplois dans le secteur manufacturier biopharmaceutique. Pendant que nos lobbys d’affaires sont obnubilés par les vieilles recettes et leur revendication d’une immigration massive de cheap labour qu’ils refusent de nommer, on a une opportunité unique d’ouvrir le dialogue avec les leaders de cette industrie au Québec pour les accompagner dans la formation et le développement de talents locaux avec des emplois payants. Bref, voici une industrie avec un contexte industriel particulier, tout sauf « moyen », et qui bénéficierait d’une vraie politique sectorielle éclairée au bénéfice des Québécois. L’analyse et le débat devraient comprendre les ratios de profitabilité de ces entreprises cotées en bourse, mais s’y limiter continuera de nous enliser dans une politique bancale et sans vision.