« Tant qu’il n’y a pas d’indépendance, c’est la nuit ».
Franche et saisissante, cette citation de Rosaire Morin, inscrite sur la médaille du prix qui m’est attribuée ce soir. En une demi-ligne, tout est dit. Elle rappelle et appelle en même temps, la résistance et la mobilisation pour contrer les assauts d’invisibilisation du Québec et d’effacement de son identité.
Invisibiliser – éroder l’identité – éteindre le goût de la liberté.
La liberté est le sentiment le plus lointain et le plus universel de l’humanité. Pour son plus grand malheur, l’instinct de domination l’est tout autant.
Pour contrer cette aspiration à la liberté, le dominant aura trouvé une méthode infaillible : d’abord invisibiliser le sujet, puis le dépouiller de sa personnalité, de son identité.
Sans la résistance, l’invisibilisation programmée est une condamnation implacable à la disparition. Nous n’existons dans ce monde que dans et par le regard des autres.
L’exemple de l’invisibilisation des femmes vivant sous régime théocratique ou politico-religieux est particulièrement éloquent à ce chapitre.
On procède d’abord par l’enfermement vestimentaire. Suit l’enfermement juridique : un contrat de mariage dont elles n’auront jamais tracé une seule ligne les fait passer d’un statut de citoyenne à celui de sujet.
Privées de la liberté sacrée de circuler librement en public, sans gardien de la moralité, dépersonnalisées, dépouillées de la liberté que procure l’argent, ces pauvres femmes se retrouvent sous la dépendance d’un mari, d’un tuteur mâle, d’un clan… de mâles.
Le clan est le gardien des valeurs. Il appelle à des sanctions le cas échéant. Il est partout, voit tout, sait tout. Déshonorant pour l’humanité.
Le plan invisibilisation du Québec en quelques séquences.
Loin de moi l’idée de comparer le niveau de détresse de ces millions de femmes avec celui des Québécoises et des Québécois. Un monde existe entre ces deux réalités.
Dans le cadre de ce propos, c’est le procédé, la méthode que je veux faire ressortir : invisibiliser – dépersonnaliser – éteindre le goût de la liberté.
Épisodes les plus marquants.
– Confiscation de notre Parlement en 1849. Le but est évident : éradiquer d’un trait le caractère national déjà bien réel du peuple québécois du Bas-Canada. Sans institutions, pas de nation.
– Suivront le vol et la réappropriation de ses symboles identitaires (feuille d’érable, castor, hymne national). Lionel Groulx avait bien saisi l’enjeu « Le canadianisme n’aboutit qu’à la suppression d’une nationalité, la nôtre ».
– Le plan d’assimilation linguistique de la fin du XIXe siècle. Quand on perd sa langue, on est inéluctablement dépouillé de son histoire.
L’objectif à l’époque : assurer la suprématie de la civilisation britannique à l’ouest de la Rivière des Outaouais et faire échec à l’émergence d’un peuple métis francophone allié naturel du peuple canadien-français (illégalité des écoles de langue française coiffée d’une immigration de masse en provenance des Iles britanniques). Opération réussie : 1870, le Manitoba est à 80 % francophone, aujourd’hui, à 2,8 %, et je suis généreux.
Pour les Premières Nations, on en ajoutera une couche : la réclusion, doublée d’une politique de rééducation culturelle des enfants.
– L’enfermement juridique de la Loi constitutionnelle de 1982. Véritable piège à cons déguisé en « Renouveau conjugal ». Tout aura été concocté dans les officines d’Ottawa, puis ratifié par le clan canadien, dans le déshonneur et l’enthousiasme. Évaporée la notion de peuple fondateur, illusoire la négociation de nation à nation. On passe de statut de nation à sujet (comme pour la femme du régime théocratique).
Dans ce contrat, le multiculturalisme est, ici aussi, érigé en véritable religion d’État. Aucun accommodement possible sans l’accord du clan, gardien de l’orthodoxie. Avec la loi 21, voilà que le clan s’élargit aux villes canadiennes.
– Comme l’Ouest francophone canadien, mais un siècle et demi plus tard, voici maintenant le Québec confronté à une opération d’immigration de masse qui risque de faire basculer de façon irréversible sa métropole hors de la sphère francophone.
– Le détournement fiscal par l’État central. Je conclus sur ce point. Une portion toujours plus importante de l’argent québécois est habilement transmutée en « argent d’Ottawa ». Manœuvre que Bernard Landry appelait « déséquilibre fiscal. » Résultat : l’envahissement des juridictions du Québec et l’appropriation de sa légitime visibilité institutionnelle auprès des citoyens. Le Québec en est rendu à quêter sa pitance. Humiliant.
Ces coups fourrés auraient pu s’avérer absolument fatals. Le miracle, c’est qu’on soit toujours là. Pour combien de temps ? La question se pose plus que jamais en 2024.
Un peu moins de sécurité et beaucoup plus de liberté. (discours de Pierre Bourgault de 1971).
Notre vie est constamment confrontée au risque. La sécurité n’est, paradoxalement, pas toujours… sécuritaire. Elle peut même s’avérer fatale si on en fait une obsession.
Gilles Vigneault avait repris cette idée lors de la campagne référendaire de 1995. « Il faut, disait-il, savoir faire la distinction, entre le goût du risque et le sens du risque ». Dans le second cas, il y a, au départ, une vision constructive et libératrice, un objectif, un désir, un plan, une stratégie. La réussite en affaires, les avancées individuelles et collectives ne reposent-elles pas essentiellement sur le sens du risque ?
À se tenir trop longtemps loin du large, à se confiner dans les eaux tranquilles et peu profondes des rivages, on risque comme peuple, de se retrouver un jour échoué sur les hauts fonds… ou bien empêtré dans une pêche à fascines. Au fin bout de la pêche, c’est l’ansillon, puis le coffre dont on ne sort plus, sinon pour la friture.
Comment reprendre la direction du large ?
Comment réanimer « l’âme commune du Québec » pour reprendre la belle expression de Gabriel Attal ? Les « moments de l’histoire » comme on les appelle et qu’on appelle de ses vœux, ne sont pas si nombreux. Ils ne se produisent pas par génération spontanée. Raison pour laquelle, il nous faut les créer.
Telle est la mission du militantisme comme le rappelait souvent Jean Garon. L’action militante sur le terrain, l’action militante dans la recherche et la promotion des idées, l’action militante dans l’organisation d’événements aux couleurs bleu azur du Québec.
L’État québécois a un rôle clé à jouer dans la promotion permanente et le rayonnement de l’identité nationale du Québec. Il n’y a aucune partisanerie là-dedans. Ce n’est pas qu’une question de responsabilité, c’est une obligation absolue. Des propositions d’action ? Il y en a tout plein déjà d’identifiées. Il ne manque que la décision de passer à l’acte.
En tout état de cause, il faudra toujours plaider cette aventure quasi surhumaine qui est la nôtre en terre d’Amérique. Une aventure de quatre siècles, avec ses mille et un orages, ses mille et une nuits, ses vents contraires, tantôt brûlants, tantôt glacials. C’est dans méandre et tourmente que s’est construit le Québec. C’est sur le sens du risque que repose son devenir.
Ce pays est unique par son accent, unique de ses valeurs de son génie. Il faut rêver du jour où tout citoyen, né ici ou ailleurs, finisse par se réclamer de cette histoire. À nous de faire ce qu’il faut.
Oui, il fait nuit à l’extérieur, nous disait Rosaire Morin. C’est long. Mais, à l’intérieur, il reste encore et toujours de la lumière.
Merci à L’Action nationale pour cette reconnaissance.
Merci à ses artisans, administrateurs et collaborateurs.
Grand merci à ses infatigables capitaines, les Rosaire Morin et les Robert Laplante.
Longue vie à L’Action nationale.
Vive le Québec.
Vive le Québec libre.