Chers amis, bonsoir,
L’automne dernier, il n’y a pas eu de souper-conférence parce que le festival des Coups de cœur francophones avait fait du Lion d’Or l’une de ses scènes principales et avait réservé toutes nos dates potentielles. Je suis donc d’autant plus heureux de vous voir ici ce soir si nombreux et si fidèles à L’Action nationale. Et je vous en remercie.
ll est maintenant temps de remettre le Prix Rosaire-Morin 2024 de L’Action nationale. L’objectif de ce prix est de reconnaître l’ensemble de l’œuvre d’un militant ou d’une militante indépendantiste qui, par ses écrits et son action, a contribué de façon significative au développement de la conscience nationale. L’homme dont je vais vous entretenir pourrait être qualifié de récipiendaire idéal. Laissez-moi vous parler de Pierre-Paul Sénéchal.
C’est en 1961 que la mère du tout jeune Pierre-Paul l’emmène à une assemblée de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Alma pour y entendre Marcel Chaput, alors président du Rassemblement pour l’indépendance nationale, le RIN. Le brillant orateur vient parler de son livre intitulé Pourquoi je suis séparatiste. L’adolescent Pierre-Paul Sénéchal en ressortira avec la piqûre du militantisme indépendantiste. L’année suivante, jeune étudiant, il participera à la création de la première cellule du RIN au Lac-Saint-Jean, au sein de laquelle il sera responsable de projet jusqu’en 1966. Après ses études à l’Externat classique d’Alma, Pierre-Paul Sénéchal quittera l’Université de Montréal avec une maîtrise en science politique. Il intégrera ensuite l’administration publique québécoise.
De 1970 à 1974, M. Sénéchal sera agent de recherche et de planification, et responsable de différents groupes d’études visant la création et la mise en œuvre de programmes et de plans d’action ministériels au sein du Conseil supérieur de l’éducation du Québec, puis du ministère des Affaires sociales. Puis, en 1976, arrive au pouvoir le Parti Québécois. M. Sénéchal devient conseiller économique et coordonnateur des études et du déroulement des conférences socio-économiques et des sommets organisés par le gouvernement de René Lévesque. ll le demeurera jusqu’en 1986. Lors du référendum de 1980, M. Sénéchal milite localement dans la circonscription de Montmorency du péquiste Clément Richard.
Après huit années de gouvernance libérale, le PQ revient au pouvoir en 1994, avec Jacques Parizeau, qui s’entoure aussitôt d’indépendantistes aussi déterminés que lui. Pierre-Paul Sénéchal est appelé au front. Sous Louis Bernard, il sera chargé de projet dans la mise sur pied des dix-sept Commissions régionales sur l’avenir du Québec chargées d’une consultation nationale sur le projet de Loi sur l’avenir du Québec, préalablement au référendum de 1995. ll sera ensuite secrétaire de la Commission nationale sur l’avenir du Québec et chargé de la rédaction du rapport final de cette Commission. Mais à l’été et l’automne 1995, il est aussi responsable d’un très discret secrétariat ad hoc dont la mission est pudiquement désignée « communication publique gouvernementale ». Il s’agit en fait de préparer intensément le référendum du 30 octobre.
À la toute fin de la campagne, M. Sénéchal mobilise les partisans du OUI de la région de Québec-Lévis pour les transporter par autobus jusqu’au dernier grand rassemblement, à l’Aréna de Verdun. La défaite, dans les circonstances qu’on connaîtra mieux plus tard, est amère. Mais les plus courageux ne baissent pas les bras.
Jusqu’en 1998, Pierre-Paul Sénéchal continuera d’œuvrer au sein de l’administration publique québécoise à titre de conseiller socio-économique, puis comme gestionnaire d’unités spécialisées dans l’élaboration de politiques d’emploi et de développement régional.
En 2000, M. Sénéchal dépose aux États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec – la Commission Larose – son mémoire intitulé « Pour une meilleure intégration des raisons sociales au paysage identitaire québécois ». De 2002 à 2009, il sera membre de l’exécutif national du Conseil de la souveraineté du Québec, présidé par ce même Gérald Larose.
Petite anecdote amusante : en décembre 2002, Pierre-Paul Sénéchal porte plainte pour conflit d’intérêts au Conseil de presse contre l’hebdomadaire La Voix du Sud et contre son rédacteur en chef André Poulin qui, dans ses pages, faisait l’éloge de sa conjointe, Dominique Vien, devenue candidate libérale dans Bellechasse. Mme Vien était aussi directrice de la programmation de la station Radio-Bellechasse CFIN-FM et avait utilisé un télécopieur identifié à la station Radio-Bellechasse pour inviter tous les maires de Bellechasse et des Etchemins à une rencontre de nature partisane. Le Conseil de presse n’a finalement pas blâmé Mme Vien, mais tel David contre Goliath, M. Sénéchal a néanmoins tenu à lui seul le PLQ de Jean Charest en haleine pendant quatre longs mois précédant l’élection de 2003.
Puis l’année 2004 est marquée par le lancement du projet Rabaska, consistant à construire à Lévis, en face de l’Île d’Orléans, un gazoduc de 42 km et surtout, un vaste port méthanier pour accueillir d’immenses navires transportant le gaz liquéfié vers l’étranger. Le projet aurait fait de notre fleuve Saint-Laurent une véritable autoroute d’exportation des hydrocarbures de l’Alberta. Pierre-Paul Sénéchal est outré et en fera son combat des nombreuses années à venir. ll mènera en particulier ce combat au sein du Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu, le GIRAM, un organisme bénévole visant à promouvoir les valeurs patrimoniales et environnementales ainsi que l’aménagement durable du territoire dont M. Sénéchal deviendra vite le vice-président.
C’est aussi à cette époque, soit en 2006, qu’il devient membre de la Ligue d’Action nationale et de l’équipe de rédaction de la revue. Il demeure un collaborateur régulier de la revue et des Cahiers de lecture depuis lors.
En janvier 2007, c’est lui qui se présentera au nom du GIRAM aux audiences du BAPE pour s’opposer au projet Rabaska. Pas de demi-mesures : la même année, il se fait élire conseiller municipal de Beaumont, où il siégera jusqu’en 2010. C’est que Rabaska doit s’installer à la limite lévisienne de Beaumont. Cette nouvelle fonction d’élu le force à quitter les comités d’urbanisme de Saint-Vallier et de Beaumont qu’il présidait depuis 1996.
Pendant des années, il alimentera abondamment Le Devoir, La Presse, Le Soleil, L’Aut’ journal et bien sûr, L’Action nationale de son argumentation serrée contre Rabaska, sans compter ses nombreuses entrevues télévisuelles et radiophoniques. Mais Pierre-Paul Sénéchal n’est pas du tout l’homme d’une seule cause.
En janvier 2008, s’appuyant sur plusieurs images médias, M. Sénéchal se rend compte que lors de rencontres officielles, le drapeau de Montréal trône au côté de celui du Canada, en l’absence totale du drapeau du Québec. Pourtant, les municipalités relèvent entièrement de la juridiction du Québec. M. Sénéchal apprend par la suite que le fleurdelisé a également été retiré de la salle du conseil. Le sang de l’ex-conseiller du gouvernement du Québec en matière de politique d’identification visuelle ne fait qu’un tour. Il écrit à la ministre libérale de la Justice Stéphanie Vallée, avec copies conformes à la mairesse Plante et aux oppositions, une lettre coup-de-poing lui demandant un rappel à l’ordre légal. La lettre est publiée sur le site de L’Action nationale, ce qui alerte des militants de Montréal et lui donne tout un retentissement médiatique. Finalement, malgré une certaine résistance, la mairesse s’est soumise à la demande de la ministre de se conformer aux dispositions promulguées par le Règlement sur le drapeau du Québec. La Ville a par la suite revu complètement son protocole de pavoisement. Du bout de son clavier, David venait à nouveau de vaincre Goliath.
Cette même année 2008, le gouvernement Charest lance des célébrations du 400e anniversaire de Québec dénuées de toute référence historique, de tout drapeau fleurdelisé. La Société du 400e, organisateur officiel, est noyautée par le gouvernement fédéral et le ministre responsable de la région, un certain Philippe Couillard, en est fort aise. Pierre-Paul Sénéchal devient alors président du collectif Commémoration 1608-2008. Il est notamment accompagné des historiens Gaston Deschênes et Michel Lessard ainsi que par de nombreuses personnalités du monde culturel. L’idée du collectif a germé au lendemain du coup d’envoi, à la vue des grandes affiches roses déployées par l’organisation sur le territoire de la ville. M. Sénéchal déclaré alors au Devoir « Tout le visuel du 400e a extirpé toute référence au passé et à la mémoire des Québécois. […] Est-ce qu’on a honte ? Est-ce que c’est gênant ? Tabou ? Est-ce qu’on veut éradiquer la mémoire ? » La vice-présidente du collectif, Francine Lavoie, résumera plus tard la situation : « Aurons-nous donc deux fêtes du Canada en juillet ? » C’est donc Commémoration 1608-2008 qui, avec beaucoup moins de moyens que la Société du 400e, organisera bénévolement et avec succès, des événements pour célébrer 400 ans de résistance d’une langue, d’une culture, d’une société et d’une nation francophone en Amérique. Et c’est l’essentiel Pierre-Paul Sénéchal qui a piloté, au nom du collectif, le dossier « La mémoire usurpée » de L’Action nationale.
Mais l’industrie des hydrocarbures de l’Ouest n’est pas débarrassée de Pierre-Paul Sénéchal. Coauteur de Rabaska. Autopsie d’un projet insensé (Fides, ٢٠٠٩), M. Sénéchal accède en 2011 à la présidence du GIRAM et poursuit avec d’autant plus de vigueur son combat contre Rabaska. Puisqu’il ne semble pas dormir la nuit, il deviendra aussi, la même année, président de la Société nationale des Québécois de Chaudière-Appalaches, où il se sera notamment un grand défenseur du patrimoine bâti jusqu’en 2016.
Sous la présidence de Pierre-Paul Sénéchal, le GIRAM réalisera des études incontournables pour promouvoir la conservation du patrimoine bâti, l’aménagement durable et la protection de l’environnement. Il dénoncera la prédation de plus en plus fréquente de sites naturels à des fins commerciales. Il portera plusieurs décisions du comité de démolition de la Ville de Lévis en appel pour protéger la spécificité du patrimoine lévisien et son héritage industriel, ouvrier et entrepreneurial.
En 2013, Pierre-Paul Sénéchal et ses collègues crient enfin victoire lorsque le projet de terminal méthanier Rabaska sur les territoires de Beaumont et Lévis est officiellement abandonné.
Le GIRAM a fêté ses 40 années d’existence en 2023. Le président du GIRAM, Pierre-Paul Sénéchal, a souligné cet anniversaire en déclarant, « Si on n’avait pas été là, le paysage de la grande région de Québec-Lévis serait différent. Même quand le Groupe n’a pas réussi à être un élément de changement, les combats qu’on a initiés ont changé beaucoup de choses ». C’est le moins qu’on puisse dire. Mais Pierre-Paul Sénéchal ne se repose pas. Il poursuit la bataille pour la restitution en zone agricole des terres antérieurement destinées au projet Rabaska.
En cours de ses 30 ans de carrière dans la fonction publique et bien que tenu a l’obligation de réserve durant les périodes électorales, M. Sénéchal n’a ménagé aucun effort pour soutenir les indépendantistes. Il est difficile d’imaginer une personne plus dévouée à ses causes, qui s’adonnent à être NOS causes. Comme on dit au hockey, un joueur comme Pierre-Paul Sénéchal, on préfère l’avoir dans notre équipe. En quelques mots, il pourrait être qualifié de grand mobilisateur en chef. Mesdames et messieurs, je vous demande d’accueillir sur scène le récipiendaire du Prix Rosaire-Morin 2024, monsieur Pierre-Paul Sénéchal.