Que voulez-vous qu’il fit contre trois ?

Tout homme qui se tient debout est le plus beau des monuments (Georges Dor).

Le climat d’affaissement et d’érosion de l’espoir de l’indépendance du Québec, résultante de la défaite du référendum de 1995, n’est pas irréversible. Elle est tributaire d’un élément imprévisible, le temps en Histoire.

La lecture d’une pensée du sculpteur Alfred Laliberté1 m’apparaît paradoxalement un excellent message d’espoir pour ceux que la naissance d’un pays appelé Québec ont jugé qu’elle était devenue une utopie. Écrite dans les années 1930, la réflexion du sculpteur Laliberté, n’est pas étrangère au passage du temps et peut facilement s’insérer dans les réflexions négatives de nos adversaires des deux référendums sur l’indépendance du Québec, mais aussi dans une prise de conscience positive de l’avancement de la future réalisation de celle-ci :

Incompréhensible la folie d’un groupe qui organise une démonstration au Monument-National.
Il y a pourtant des hommes sérieux dans ce groupe. Ils vont parler de l’indépendance du Canada en parlant du Statut de Westminster.
Comment le Canada pourrait-il devenir indépendant ?
Se figurent-ils que les Anglais cèderaient un pays qui leur est tout acquis ?
Comment ensuite le pays pourrait-il se défendre contre toute convoitise étrangère ?2

N’en déplaise à notre ami Laliberté, le Canada devint indépendant le 11 décembre 19313.

Revoyons sa réflexion, elle nous semble un calque des arguments que nous avons vu surgir dans les deux référendums de 1980 et 19954 : Laliberté s’étonne « de ces gens sérieux ».

Nos adversaires politiques ont aussi toujours été impressionnés par la qualité de nos dirigeants, de nos chefs politiques, mais sans qu’ils renoncent pour autant à leur opinion teintée de la recherche du pouvoir, de l’intérêt, plutôt que des idées, l’avoir prédominant l’être.

Laliberté n’a pas la vision du temps, de la géopolitique, sinon il comprendrait que les Britanniques sont dans le fractionnement de leur empire, de l’effritement de leur pouvoir et de leur économie, ce sera le cas en 1947 avec l’indépendance de l’Inde.

Mais la réflexion la plus pertinente et la plus naïve de Laliberté, témoignant de son peu de confiance aux ressources humaines et économiques du Québec, ici entendre le Canada, lorsqu’il mentionne :

Comment le pays pourrait-il se défendre contre toute convoitise étrangère ?

Laliberté pense ici aux États-Unis sans aucun doute. N’avons-nous pas entendu cet argument facile et sans démonstration intellectuelle, tout au long des deux référendums ? Puisque l’objet de cet écrit est la dimension temps, il manque une force à notre démarche indépendantiste : la patience.

Nous n’acceptons malheureusement pas le temps, voilà le piège, nous voulons que l’indépendance soit de notre temps, légitime et normal bien sûr. L’indépendance adviendra, mais pas nécessairement dans le temps présent, il faut comprendre que les conjonctures ne se fabriquent pas.

Les grandes idées naissent, se propagent, se discutent, s’établissent, émergent, triomphent ou s’estompent, mais ne disparaissent pas, elles se transforment, puis selon la conjoncture des hommes et des événements, elles réapparaissent et souvent plus fortes.

Le temps est là, prêt à saisir l’opportunité de ramener dans l’espace l’idée d’indépendance et même sa réalisation.

Un exemple marquant : le mur de Berlin. Mur de la honte pour les Allemands de l’Est, érigé dans la nuit du 12 au 13 août 1961 par la République démocratique allemande, RDA, comprendre plutôt les soviétiques, ce mur séparera Berlin pendant vingt-huit ans, devenant le symbole du rideau de fer. Ce mur, un réseau complexe de miradors, de dispositifs d’alarme jumelés à 14 000 gardes militaires, 300 chiens et des barbelés rappelant ceux des camps de concentration. L’affaiblissement de l’Union soviétique, la perestroïka conduite par Mikhaïl Gorbatchev et la détermination des Allemands de l’Est qui organisèrent de grandes manifestations provoquèrent le 9 novembre 1989 la chute du mur de Berlin, suscitant l’admiration incrédule du monde libre et ouvrant la voie à la réunification allemande. Symbole matériel et intellectuel détruit, puis nouvelle Allemagne avec ses forces, ses faiblesses et ses cicatrices. Le temps s’inscrivait dans l’Histoire.

Sommes-nous face à un mur de Berlin comparable à l’effritement de l’accession à l’indépendance ?

Oui, psychologiquement une grande partie de la population adhère à un armistice à la Pétain, acceptant de tendre la main, dans la bonne entente des vaincus, et surtout dans la passivité de ceux qui acceptent les illusions du nationalisme courtois, sans bruit, à demi-voix, tout en symboles, mais sans l’essence d’une nation, sans complète indépendance. Même certains de ceux qui prônent l’indépendance acceptent la défaite inconsciemment, oubliant malheureusement qu’une conjoncture peut survenir subrepticement par le cheminement des idées, par un événement marqueur, par ses porteurs.

Présentement, elle est toutefois fragile parce qu’absente du discours, ensevelie sous le doux manteau du nationalisme courtois et d’une prison dorée. Le passé toujours présent nous enseigne toutefois, par un des nôtres, il y a cent-quatre-vingt-quatre ans, qui avait compris ce qui devrait être notre force, favorisant le respect et le cheminement des idées :

Peuples, soyez peuples et l’on vous respectera.
Soyez courtisans et l’on vous méprisera, et vous l’aurez bien mérité.

Louis-Joseph Papineau avocat, seigneur, et chef du parti patriote.


1 Laliberté Alfred (Sainte-Élisabeth-de-Warwick, 19 mai 1877– Montréal, 13 janvier 1853) Sculpeur, peintre et auteur. Acquit une réputation enviable de son vivant. Il a réalisé quelque 925 sculptures en bronze, marbre, plâtre et bois, sans compter environ 500 toiles jugées de moindre intérêt. Ses monuments commémoratifs et funéraires de même que ses statues de personnages historiques peuvent être admirés un peu partout au Québec. Il est l’un des sculpteurs québécois les plus représentés dans les collections muséales québécoises et canadiennes.

2 Laliberté Alfred. Pensées et réflexions. Présentées par Odette Legendre, Septentrion, Québec 2008, p 28.

3 Comme tous les pays membres de l’Empire britannique : Australie, Irlande, Nouvelle-Zélande, ils étaient des Dominions. À la suite de la ratification de ce Statut, le gouvernement britannique ne pouvait plus légiférer pour un Dominion (comme le Canada) sauf à sa demande, le Canada devient indépendant, mais ne pouvait modifier sa Constitution sans l’accord du Parlement britannique (un certain Pierre-Elliot Trudeau en fera la demande avec tromperie et corruption intellectuelle : « Au moins deux juges, dont le juge en chef, ont partagé de l’information en temps réel avec les gouvernements fédéral et britannique. Cela constituant une violation du principe fondamental de la séparation des pouvoirs. Le plus haut tribunal devait se prononcer sur la constitutionnalité du rapatriement et il a tranché que notre consentement n’était pas nécessaire, ce qui a permis à Trudeau d’isoler sa propre province, et ce, avec l’appui du Canada anglais ». Voir à ce sujet de l’historien Frédéric Bastien. La bataille de Londres, dessous secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel. Boréal, 2013.

4 À la souveraineté-association, je préfère le qualificatif indépendance, qui est le contraire de dépendance, qui aurait été un symbole fort au débat, le terme souveraineté est plutôt féodal sans pour autant juger le choix des stratèges de l’époque. Quant à l’association, tous les pays ont des ententes, des traités, des lois, des tarifs, des contrats communs sans pour autant restreindre leur indépendance.