Raymond Garneau
De Lesage à Bourassa. Ma vie politique dans un Québec en mouvement, Les Éditions Transcontinentales, 2014, 319 pages
De Lesage à Bourassa. Ma vie politique dans un Québec en mouvement, l’autobiographie de Raymond Garneau, est un livre qui en contient deux : le récit réussi d’une vie politique et une tentative ratée d’essai politique !
Le récit autobiographique comme tel est intéressant, puisqu’il nous plonge dans le Québec de Duplessis, puis dans celui de la Révolution tranquille et de ses suites. Les élections, les courses à la chefferie libérale, la crise d’octobre, les Olympiques, tout y passe. En général, le fin connaisseur de l’histoire du Québec en apprend peu. Font toutefois exception les passages concernant les finances publiques, entre autres avec la création du Conseil du Trésor dont l’auteur fut le premier titulaire. L’histoire du Québec d’avant les années 1960 étant moins connue, le début du livre contient aussi certaines informations inédites ou oubliées ; qu’on pense à l’alliance entre les libéraux et les créditistes lors de l’élection de 1956.
Cependant, dès qu’il s’agit de détails, même importants, le lecteur se demande s’il peut se fier aux souvenirs de l’ancien ministre des Finances. C’est que les erreurs factuelles pullulent : face à Adélard Godbout se trouvait l’Action libérale nationale dirigée par Maurice Duplessis et non par Paul Gouin ; Pierre Laporte se serait fait élire dans Verdun, alors qu’il l’a plutôt été dans Chambly ; le juge Louis-Philippe Pigeon devient Louis-Joseph Pigeon ; le Parti national populaire est rebaptisé le Parti national québécois ; en 1973 les libéraux remportent 102 sièges sur 108 plutôt que sur 110 ; et surtout, le général de Gaulle crie « Vive le Québec libre ! » non pas en 1967, mais en 1976 soit six ans après sa mort ! Parfois, sans être erronées à leur face même, certaines affirmations n’en sont pas moins douteuses. Par exemple, l’auteur tente de nous faire croire que la victoire de Bourassa lors de la course à la chefferie de 1969 est due à la force de son organisation. Dans sa biographie de Pierre Laporte parue récemment, Jean-Charles Panneton défend de manière beaucoup plus convaincante la thèse selon laquelle cette victoire s’expliquerait plutôt par l’appui apporté par l’establishment du parti au jeune prodige.
Malgré l’abondance et la gravité des erreurs, le pire se trouve ailleurs. D’abord, il y a quelques attaques personnelles dont le lecteur aurait pu se passer. Raymond Garneau raconte que René Lévesque n’arrivait pas à rembourser ses dettes, « ce qui humiliait beaucoup son épouse » au point de la faire pleurer. Il écrit aussi des phrases du genre « Robert Bourassa connaissait Jacques Parizeau, un homme qui n’était pas présent lorsque l’humilité est passée ». Certes, l’auteur a été ministre des Finances presque aussi longtemps que ce dernier, sans toutefois avoir eu l’ombre de sa stature, de sa réputation ou de son destin. Et contrairement au premier, malgré sa tentative, il n’a jamais été premier ministre, ni même chef de parti. Mais est-ce une raison pour être aussi mesquin ?
Outre cet aspect plus personnel, cette mesquinerie s’explique également par des motifs plus politiques, puisque l’auteur insère dans son autobiographie une espèce de tentative d’essai politique qui vire très souvent au pamphlet bêtement antipéquiste et plus largement antinationaliste. Garneau utilise d’ailleurs systématiquement l’expression « ultranationalistes » pour décrire ses adversaires. À certains moments, cela devient carrément obsessif, comme l’illustre l’utilisation de cette expression à neuf reprises dans une seule et même page. Et comme si ce n’était pas assez, l’auteur associe le Parti québécois au nazisme en écrivant ceci : « les ultranationalistes, que l’on peut considérer comme les grands-pères des péquistes d’aujourd’hui, s’opposaient à la participation des Canadiens français à la guerre. La plupart d’entre eux soutenaient Pétain contre le général de Gaulle. C’est pourquoi j’ai toujours trouvé ridicule de voir sur l’estrade d’honneur, le 11 novembre de chaque année, les chefs péquistes ». Le procédé est évidemment aussi grossier que malhonnête. On sait aujourd’hui que les nationalistes du siècle dernier étaient justifiés de s’opposer à la boucherie insensée que fut la Première Guerre mondiale. Quant à la seconde, ils ne se sont pas opposés à « la participation » des Canadiens français comme tente de nous le faire croire Garneau, mais à la conscription et plus particulièrement à la conscription outre-mer. Plus loin, l’auteur associe le père de Jacques Lanctôt à Adrien Arcand, affirme que le FLQ aurait voulu enlever un diplomate juif et ajoute « René Lévesque n’était pas antisémite, mais beaucoup de tirailleurs péquistes l’étaient ». Étrangement, il oublie de mentionner qu’Arcand était un ardent fédéraliste qui reçut l’appui de Pierre Elliot Trudeau.
Évidemment, il n’est pas interdit d’y aller de quelques remarques relevant davantage de l’essai dans l’autobiographie d’un homme politique, notamment afin de tirer des leçons sociologiques ou historiques d’un événement. Encore faut-il que la remarque soit justifiée par des faits pertinents ou au moins par le contexte. Or, sous la plume de Garneau, c’est rarement le cas. Parfois, son vécu personnel vient même contredire son propos d’essayiste idéologue. Ainsi, il critique violemment le chanoine Groulx notamment en raison de sa propension à valoriser l’agriculture, juste avant de nous raconter que sa famille a été épargnée des souffrances de la crise des années 30… parce qu’elle vivait sur une ferme !
Dans ce contexte, il serait tentant de prendre ce livre à la légère, de n’y voir que le fiel d’un homme qui, après un début de carrière prometteur comme chef de cabinet de Jean Lesage, a connu des ratés : course à la chefferie perdue face au très charismatique Claude Ryan, carrière en politique fédérale ne menant nulle part… au point où elle n’est pas racontée dans son autobiographie, etc. Malheureusement, ce livre est plus que cela, car il illustre que l’antinationalisme primaire, dont la nazification du Parti québécois n’est qu’un symptôme, est désormais chose courante dans les hautes sphères libérales. Dans la préface de ce livre, Philippe Couillard reprend certaines de ses idées, notamment en critiquant les élites nationalistes d’antan pour leur valorisation du monde rural, ou en présentant Adélard Godbout comme « l’un des hommes politiques les plus courageux que le Québec ait connus », car « C’est lui qui ose affirmer l’urgence et la nécessité pour le Québec de se joindre au combat mondial contre le nazisme et il en paie le prix politique ». Quand on sait que Godbout s’est fait élire en promettant qu’il n’y aurait pas de conscription et que dans cette histoire il n’a fait que se soumettre à Ottawa, au point de ne rien faire contre l’utilisation de Canadiens-français comme chair à canon à Dieppe et ailleurs, cette affirmation est douteuse, voire carrément fausse. Sans compter qu’elle sous-entend que les Québécois auraient voté contre Godbout parce qu’il était antinazi ! Manifestement, pour l’axe Outremont/Haute-ville que Couillard et Garneau représentent, la vérité et la rigueur ne doivent pas constituer des obstacles dans leur lutte pour éradiquer le nationalisme québécois.
Guillaume Rousseau