Robyn Maynard (traduit de l’anglais par Catherine Ego)
NoirEs sous surveillance : esclavage, répression, violence d’état au Canada
Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, 350 pages
C’est maintenant connu de tous : le Canada est un pays multiculturaliste et jamais en reste pour se lancer dans une nouvelle bataille pour la défense des marginalisés de ce monde. Ce que l’on connaît moins, ce sont les conséquences de cette doctrine sur le corps social. Le dernier ouvrage de Robyn Maynard, Canadienne anglaise se décrivant comme « activiste noire », peut nous en donner une petite idée. Cette égérie de la mouvance antiraciste accumule les luttes pour la reconnaissance des minorités, montrant là toute la désagrégation du tissu social causée par l’idéologie canadian. Tout au long de son essai, elle ne semble, à aucun moment, s’intéresser au point de vue de ceux qu’elle dégrade continuellement. Les policiers, les juges, les agents frontaliers sont calomniés comme des bourreaux perpétuant l’œuvre raciste de leurs pères : leurs versions des faits ne l’intéressent nullement.
Dès l’introduction, on apprend, sans surprise, que Maynard s’identifie à la mouvance intersectionnelle, affirmant que « [t]rès souvent, les débats sur le racisme étatique anti-Noir.e.s [sic] présupposent qu’il vise surtout les hommes. » (p. 20-21) Autrement dit, il y aurait de multiples oppressions auxquelles certaines personnes seraient confrontées. Robyn Maynard parle en l’occurrence de la femme noire et du trans noir, qui vivraient à la fois le sexisme, la transphobie et le racisme, sans jamais être réellement défendus par leurs organisations de défense de droits respectives. À lire son ouvrage, on comprend que, pour elle, au contraire de René Lévesque, le Canada, c’est le goulag.
Au premier chapitre, l’auteure fait un récapitulatif de l’histoire de l’esclavage en Amérique du Nord. Elle parle entre autres des loyalistes noirs qui s’étaient fait promettre l’égalité par rapport aux autres citoyens britanniques, complémenté d’une terre après leur lutte pour la Couronne. Après la guerre, ils auraient immigré au Canada pour, certes, trouver la liberté, mais être victimes de racisme et ne pas obtenir leur terre promise pour la plupart. Une situation similaire se serait produite après la guerre de 1812. Ces aspects de l’histoire canadienne ainsi que l’avènement de la première émeute raciale au pays en 1784 font conclure à Maynard que « [l]a nation et l’identité nationale du Canada se sont érigées sur la suprématie blanche » (p. 47) Rien de moins. Dans ce même chapitre, au sujet de Montréal, elle affirme qu’en 1941, 80 % des femmes noires adultes travaillaient comme domestiques sous des conditions exécrables, et ce, dans « des foyers blancs » (p. 57).
Mais de quels Blancs parle-t-on ici ? Car c’est là que la lecture antiraciste de Maynard fait défaut : en englobant tous les peuples occidentaux sous le seul vocable de « Blanc », on ne fait plus la nuance, pourtant fondamentale, entre un Canadien anglais et un Canadien français. On devine, par exemple, que les dites domestiques ne travaillaient pas pour les ouvriers canadiens-français, alors exploités par leurs patrons anglophones.
Ensuite, dans le deuxième chapitre, Maynard aborde le programme actuel de recrutement de domestiques antillaises, qui seraient sous-payées et vivraient sous la crainte de l’expulsion, ainsi que les travailleurs temporaires dans le domaine agricole. Le troisième chapitre aborde le fameux thème du profilage racial dans la police, qui consisterait à cibler plus souvent les Noirs que les Blancs lors d’arrestations, d’interventions et d’emprisonnements. Elle relate notamment l’histoire de Bony Jean-Pierre, tué accidentellement par la police de Montréal en 2016. Si les tirs injustifiés contre une personne sont parfaitement condamnables, nous sommes tout de même en droit de nous poser la question à savoir si le profilage racial est un phénomène réellement problématique. En 2008, le sociologue américain Paul Hollander notait qu’après les attentats du 11 septembre 2001, les policiers dans les aéroports faisaient des fouilles aléatoires chez les passagers afin de détecter s’ils n’étaient pas des terroristes potentiels. Par crainte de se faire accuser de profilage racial, on pouvait les voir fouiller des dames octogénaires, bien connues, en effet, pour être les premières à joindre les rangs djihadistes avec enthousiasme. Dans ce cas précis, Hollander affirmait que le profilage a l’avantage d’être simplement plus efficace (The Only Super Power, 2008).
Poursuivant sur sa lancée, Robyn Maynard dénonce la surreprésentation des Noirs dans les prisons, et affirme que l’avènement de la lutte anti-drogues par l’ex-premier ministre du Canada Brian Mulroney cachait, dans les faits, une stratégie politique raciste. Citons l’auteure : « […] la guerre contre les drogues enclenchée dans les années 1980 visait un but politique très précis. […] l’objectif consiste à donner un sens au chaos provoqué par les répercussions économiques et sociales du colonialisme » (p. 128).
Le cinquième chapitre aborde un terme peu connu de « misogynoire » qui se définirait par l’invisibilité de la haine contre les femmes noires. À l’aide de ce concept, l’auteure déplore plusieurs images stéréotypées, notamment celle de la femme noire monoparentale qui fraude le service d’assistance sociale ou encore celle de la mule au compte des trafiquants de drogue. Elle s’inquiète des femmes noires qui se sentent obligées de rester avec un mari violent, étant donné l’état de pauvreté dans lesquelles elles se trouvent, et des travailleuses qui trimbalent l’épée de Damoclès de l’expulsion, qui les oblige à se taire face à des conditions de travail intolérables.
Le sixième chapitre concerne le thème de l’immigration. L’auteure dénonce les durées abusives de détention de migrants illégaux, par exemple dans le cas de Michael Mvogo, incarcéré pendant presque une décennie pour simple possession de drogue d’une valeur de 10 $. La version des faits de la police affirmait que la difficulté à confirmer son identité empêchait une expulsion en bonne et due forme. Une excuse qui ne satisfait pas notre auteure, voyant là un prétexte pour ne pas avouer qu’ils voyaient le migrant comme un « danger qu’il aurait représenté pour la société » (p. 230). Elle dénonce de même ce qu’elle voit comme une panique généralisée, soutenue par les médias, contre les criminels noirs nés à l’étranger, ainsi que contre les femmes noires accouchant de « bébés passeport » en sol canadien afin d’obtenir leur citoyenneté.
Dans le septième chapitre, Maynard s’en prend à l’Open Door Society de Montréal, qui encourageait les adoptions interraciales dès les années 1950, croyant bien faire pour mieux intégrer les Noirs. L’auteure n’y voit qu’un préjugé quant à l’infériorité des familles noires, et ne semble indiquer aucune compréhension devant cette manifestation de bonne foi de l’organisme. Plus loin, elle semble glisser vers un essentialisme qui la pousse à critiquer les adoptions transraciales actuelles, où elle relate les propos d’un organisme qui y voyait carrément un génocide culturel. Bonjour le vivre-ensemble !
Le dernier chapitre s’ouvre sur une psychologisation à outrance de policiers qui seraient intervenus trop brutalement envers une fillette noire d’une école primaire à Mississauga en 2016. Sans preuve ou propos relayés, elle n’explique cette violence que par « l’omniprésence d’un racisme anti-Noir.e.s [sic] profondément enraciné », montrant que pour « la société blanche et [l]es institutions étatiques, les enfants noirs ne sont pas des enfants : ce sont des êtres dangereux possédant des facultés surnaturelles […] » (p. 282). Elle écrit plus loin, avec forte modération, que « [d]ès sa fondation, le système éducatif public canadien s’est explicitement imposé comme un outil de promotion de la suprématie blanche […] » (p. 286). C’est sur ces propos qu’elle finit par conclure son ouvrage, en appelant à un « changement radical », notant que « la plupart des dimensions essentielles de l’esclavage persistent aujourd’hui » (p. 309).
On lira donc l’ouvrage de Robyn Maynard comme une vaste enquête, certes, bien documentée, mais dont la lunette idéologique est telle qu’elle nous empêche de saisir les subtilités des défis auxquels font encore face les Noirs au Canada aujourd’hui. Ce réquisitoire qui se veut un appel à la révolte contre l’ordre établi n’est, au fond, qu’un encensoir parmi tant d’autres de l’idéologie multiculturaliste canadienne et de sa vedette Justin Trudeau qui y verra probablement une occasion de plus de sortir les mouchoirs à la Chambre des communes.
Philippe Lorange
Étudiant en science politique et philosophie à l’Université de Montréal