Été 2022 – Si la tendance se maintient

Les articles surgissent périodiquement comme pour redire un étonnement : la croissance des ventes de livres québécois se maintient. L’effet pandémie aurait donc été durable. Un nombre grandissant de lecteurs et lectrices trouvent leur miel dans la littérature, dans les essais aussi bien que dans les livres pratiques qui paraissent ici. Ce genre d’étonnement ne cesse […]

Les articles surgissent périodiquement comme pour redire un étonnement : la croissance des ventes de livres québécois se maintient. L’effet pandémie aurait donc été durable. Un nombre grandissant de lecteurs et lectrices trouvent leur miel dans la littérature, dans les essais aussi bien que dans les livres pratiques qui paraissent ici. Ce genre d’étonnement ne cesse d’être étonnant !

Le monde de l’édition se rapproche de la normalité. Les habitudes de lecture se déploient de plus en plus franchement dans un espace culturel « normal », un espace où la référence à la création locale est de moins en moins en moins exotique pour elle-même. Le Québec serait donc en train de devenir son propre centre de gravité ? En toute discrétion, les choses sont donc en train de bouger. Quelque chose se passe qui relève de la logique des tendances de fond. Le développement culturel suit son cours. Un espace symbolique, un champ de significations et de questionnements partagés se découpe dans la fréquentation des œuvres, dans les pratiques de consommation des « produits culturels ». Il faut s’en réjouir.

La crise pandémique aura donc rempli sa fonction de crise, elle aura provoqué l’accélération de phénomènes qui, sans être nécessairement latents, n’avaient pas la même la vitesse de croissance. On en a beaucoup parlé à propos des technologies et des dispositifs de communication. Les Zoom et autres Teams ont gagné en popularité et transformé de manière durable les façons d’échanger. Il en va de même de phénomènes culturels et c’est, espérons-le, probablement le cas en ce qui concerne la lecture et son recentrage sur la production nationale.

Il faut cependant se garder de pavoiser trop vite. Les avancées sont significatives, mais certainement pas définitives. D’une part, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour occuper tout l’espace qui devrait normalement être celui de la production nationale, c’est-à-dire la part majoritaire. Ce chemin ne se dessine que par le dynamisme culturel lui-même, c’est-à-dire par la capacité instituante de notre culture. D’autre part, les réalités du commerce, de la domination commerciale et de la domination culturelle uniformisante vont continuer d’imposer des conditions de concurrence féroces. Cela ne se combat que par la mobilisation citoyenne et par un effort de tous les instants pour que les institutions et les politiques publiques gardent le cap.

Pour ce qui est de la mobilisation citoyenne, s’agissant de lecture et de priorité à l’édition québécoise, il faut comprendre un effort à déployer non seulement par les personnes, mais bien par l’ensemble de la société civile. Il faut que les organisations de toutes sortes intègrent la lecture et la référence aux livres dans le déroulement des activités courantes : ajouts de chroniques de lecture dans les journaux et sites de liaison, clubs de lecture, prix littéraire, etc.

En matière institutionnelle, évidemment, il faut donner des moyens conséquents aux bibliothèques publiques. Il faut des plans lectures non seulement sur le plan national, mais bien dans chaque MRC ou même municipalité. Il faut donner des ancrages solides pour que les habitudes culturelles puissent résister aux grands vents de l’uniformisation et de la marginalisation des cultures nationales.

Fort heureusement, le Québec a une longue habitude de lutte à la marginalisation et les réflexes aussi bien que les moyens de combattre ne sont pas trop émoussés. Devant l’adversité générée par la crise pandémique et les confinements, ces réflexes ont été stimulés de manière inédite. La créativité reste une force exceptionnelle dans la société québécoise. Les auteurs, les libraires, les bibliothécaires, tous les artisans de la chaîne du livre peuvent être mis davantage à contribution. Le potentiel est immense.

Il faut soutenir les initiatives que les appels au dépassement sont susceptibles de faire naître. En ces matières, le volontarisme et l’esprit d’ouverture peuvent compter sur une remarquable disponibilité de réponse populaire. Il faut miser sur cette complicité spontanée. L’initiative des libraires de Rimouski a transformé nos mois d’août ! Chaque été les lecteurs et lectrices marquent le coup et achètent un livre québécois. Et tout indique que ce n’est pas seulement par solidarité avec les libraires, mais bien par une adhésion enthousiaste aux enjeux culturels que la journée du 12 août sert et révèle.

Ce n’est pas le cas, malheureusement, pour tous les domaines de la culture qui ne se sortent pas tous avec un égal bonheur de cette crise et de la conjoncture qu’elle a révélée et souvent aggravée. Mais on est en droit d’espérer que les succès dans le domaine de la lecture et de l’édition puissent devenir sources d’inspiration et d’émulation. Le développement culturel du Québec mérite d’être abordé avec la confiance que peuvent nous inspirer nos moyens et nos réalisations. Le discours de crise ajoute à la crise, trop souvent.

La présente livraison en témoigne, nous osons le croire, la production des essais est plus qu’inspirante. La qualité est au rendez-vous et l’été qui vient nous réserve des heures de plaisir et d’enrichissement à fréquenter les livres et à les commenter pour mieux les partager.

Bon été. Bonne lecture.

Robert Laplante
Directeur des Cahiers de lecture

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