Simon Jolin-Barette
J’ai confiance. Réflexions sans cynisme d’un jeune politicien, Montréal, Québec Amérique, 2018, 122 pages
Nommé parlementaire de l’année par l’Assemblée nationale du Québec en 2016, le député caquiste et avocat Simon Jolin-Barrette se positionne, dans l’esprit de plusieurs, comme un politicien exemplaire. Il semble avoir tout pour lui. Jeune dans un univers obsédé par la jeunesse. Caquiste sur une scène politique où le PQ semble condamné à perdre son titre de représentant officiel des bleus à Québec au profit du parti de François Legault. Fédéraliste à une époque où la mode est à rire de ceux qui croient encore que la question nationale doit être réglée dans le sens de l’indépendance. C’est fort de sa propre luminosité dans le firmament politique que Jolin-Barrette s’est attelé, récemment, à la rédaction d’un court essai intitulé J’ai confiance. Réflexions sans cynisme d’un jeune politicien.
Ainsi donc, Simon Jolin-Barrette a confiance. Le contraire eût été étonnant, considérant la position dans laquelle ce dernier se trouve. À quoi s’attendre du livre d’un élu ? À ce qu’y soit présenté le projet qu’il porte. L’essai du jeune député ne répond pas totalement à cette attente, malgré qu’on y sente clairement que le projet caquiste y est avancé comme porteur d’une bonne partie de la confiance de l’auteur en l’avenir. Non, l’écrit de Jolin-Barrette se présente plutôt comme la mise en marché de l’image de son auteur. Cela est, d’ailleurs, totalement en phase avec l’époque. Parmi les quelques idées politiques avancées et qui tiennent l’auteur à cœur, on retrouve beaucoup de propos personnels. Le style est simple. Pas de grandes idées, pas de philosophie politique, pas de risques. Des propos dans l’air du temps doublés de descriptions montrant un politicien jeune et sympathique. Le Justin Trudeau en puissance de la CAQ, multiculturalisme radical et déguisements ethniques en moins.
Dans le premier chapitre de son essai, Simon Jolin-Barrette parle des raisons l’ayant poussé vers la politique active. Il y mentionne abondamment Lucien Bouchard en le décrivant comme une influence déterminante pour lui. J’ai confiance et l’engagement même de SJB y sont d’ailleurs présentés comme deux réponses aux Lettres à un jeune politicien parues il y a quelques années et écrites par l’ex-premier ministre du Québec.
L’auteur continue toutefois en mentionnant que c’est sa vie de tous les jours, ses soupers entre amis qui l’ont aussi fortement inspiré. Ainsi, il mentionne qu’il « suffit de tendre l’oreille et d’écouter : entre deux commentaires politiques, de quoi est-il question ? Un tel parle de ses difficultés à l’achat d’une première maison, une autre évoque le manque de flexibilité à son travail. Une nouvelle mère soupire en se disant déçue du manque de service aux familles et de la modulation du tarif des services de garde » (p. 15).
C’est l’idéologie des « vraies affaires » et du « vrai monde » qui pointe ici son nez. Tout au long de l’essai, on sentira cet appel des « vraies affaires » au détriment des « fausses affaires », comme la « vieille querelle de la souveraineté et du fédéralisme […] qui empêche tout débat d’émerger » (p. 41). C’est animé du désir de « cesser les chicanes et les divisions pour recommencer à construire un Québec plus fort » (p. 41) que Jolin-Barrette s’est donc engagé. Malheureusement pour le député auteur, c’est plutôt l’idéologie des « vraies affaires » et l’incapacité à assumer « la chicane » et la mésentente politique qui sclérose le Québec depuis 15 ans, et non la question nationale dont on ne parle, depuis le départ de Bernard Landry, que pour mentionner qu’il s’agit d’un débat suranné.
L’idée que l’on se fait de la politique et de l’État, au Québec, est malheureusement rabougrie par cet exact discours que tient le député de Borduas dans les premiers chapitres de son essai. On ne suscite pas l’enthousiasme en résumant les affaires publiques à des questions de modulations tarifaires. Ces questions ont certainement leur importance, mais elles n’inspirent aucun grand sentiment et aucune adhésion passionnée. Elles relèvent de préoccupations immédiates et à court terme des citoyens. Mais l’État n’est pas qu’une succursale rendant des services que l’auteur et son parti qualifient d’inefficaces. Il s’agit de bien plus que cela. Le politicien d’aujourd’hui doit chercher à inspirer, à aller au-delà de l’immédiat. C’est, hélas, ce que ne fait pas Jolin-Barrette dans son essai.
Dans le second chapitre, Simon Jolin-Barrette paraphrase la papauté et invite le Québec à « bâtir des ponts ». Des ponts avec qui, et avec quoi ? D’abord avec les États-Unis « en raison de la force de leurs institutions et de la société civile » (p. 47). La fédération américaine est en effet impressionnante. Un point positif pour le député de Borduas : le patriotisme américain l’inspire. Voudrait-il que le Québec soit aussi patriote ? Ou que le patriotisme ressenti ici soit fièrement canadien ? Dieu seul le sait, car SJB ne précise pas sa pensée à cet égard. On peut toutefois croire que sa position que reflète fidèlement celle de la CAQ en ce qui a trait à la relation d’appartenance au Québec et au Canada : la confusion. Le patriotisme américain, notons-le, ne s’est pas auto-engendré. Il est le fruit d’un peuple qui s’est pris en main, qui s’est libéré, et qui a conquis son indépendance. On ne voit pas comment cela pourra arriver au Québec avec la position constitutionnelle caquiste.
Jolin-Barrette continue en invitant la société à construire des ponts entre les générations de manière à intégrer à cette dernière les mentalités propres aux générations X et Y. L’auteur croit en effet que :
Les générations X et Y se font souvent accuser d’être plus individualistes que les générations qui les ont précédées. Je crois que ce procès est mal fondé. Par ailleurs, un peu d’individualisme ne fait pas de mal, à mon avis. On n’est pas obligé de le voir comme un défaut. On peut aussi le voir autrement : comme la preuve d’une indépendance d’esprit, d’un désir de se prendre en main et d’être le principal responsable de son sort. On peut faire preuve d’individualisme et n’en être pas moins solidaire de nos concitoyens (p. 57).
Plusieurs problèmes se posent ici. D’abord l’individualisme est le pôle opposé de la solidarité et de l’esprit de communauté. Les deux se concilient autant que deux aimants qui se repoussent naturellement. L’individualisme donc SJB fait l’éloge est, au contraire de ce qu’il prétend, le contraire de l’indépendance d’esprit. Individualisé, atomisé, le citoyen devient immensément plus perméable à toutes les modes et, conséquemment, perd beaucoup de sa capacité à se tenir debout pour ce qu’il est profondément. Le citoyen déconnecté de sa communauté est plus fragile et parfaitement influençable. À qui cela profite-t-il ? À la société civile ? Au bien commun ? Au marché, plutôt, et aux publicitaires.
Dans son troisième chapitre intitulé « Parce que le Québec a changé » SJB nous dit, à la manière de Justin Trudeau, ce que devrait être le monde politique : « Parce qu’on est en 2018 ». C’est l’heure des prises de position féministes et anti « culture machiste » (p. 75) propre à l’Ancien Monde.
Les femmes sont des agents de changement. Elles ont une vision différente de celle des hommes. Le comportement de la plupart des politiciens tend à se modifier positivement au contact de collègues féminines. Le boys’club et la mentalité qu’il véhicule pousse les hommes à se refermer sur leurs idées. À l’opposé, un environnement mixte fait d’eux des politiciens plus ouverts et créatifs. C’est du moins ce que mon expérience m’a enseigné (p. 73-74).
C’est l’expression politique du féminisme que l’on enseigne à l’université : celui selon lequel l’implication des femmes rend, en elle-même, le monde meilleur. Cela revient à dire que les hommes sont intrinsèquement inaptes à gouverner sans les femmes, que ces derniers auraient des lacunes naturelles inhérentes à leur statut d’homme. Une telle prise de position surprend venant d’un député en vue d’un parti représentant le conservatisme au Québec.
Le dernier chapitre du livre lance quelques pistes pour rendre la politique plus conviviale afin d’y attirer davantage de jeunes issus des générations X et Y. Tel un Alexandre Cloutier, tel un millenial face à un patron exigeant, SJB demande aux institutions de s’adapter à ses besoins :
J’avoue que j’ai été souvent envahi par le doute en regardant mon horaire. Avec une petite fille, je n’ai plus la marge de manœuvre de jadis. L’Assemblée nationale pourrait s’adapter. Après tout, comment convaincre des jeunes hommes et femmes qui sont pères et mères de famille de venir nous rejoindre, si nos institutions refusent de s’adapter à leur réalité ? (p. 109)
Peut-être est-il correct que le monde politique soit plus invitant pour des personnes possédant une plus grande expérience de vie que celle que possède un jeune trentenaire ?
Pour tout dire, l’essai de SJB me laisse sur ma faim. Sans grandes idées politiques, le jeune député qu’on espérerait visionnaire et fougueux me semble plutôt impuissant politiquement. Porté par les modes, flottant au gré des vents changeant de notre époque déracinée, il ne cherche pas à faire l’histoire, mais à s’y soumettre. Au contraire de me donner confiance, cela me fait craindre pour l’avenir.
Jenny Langevin