Simon-Pierre Savard-Tremblay. L’État succursale. La démission politique du Québec

Simon-Pierre Savard-Tremblay
L’État succursale. La démission politique du Québec, VLB éditeur, 2016, 234 pages

À l’heure du renouveau du libre-échange, notamment avec le traité Canada-Union européenne et le traité transpacifique, et surtout à l’heure de sa remise en cause en Europe et aux États-Unis, une réflexion proprement québécoise sur cet enjeu et plus globalement sur celui de l’État-nation dans la mondialisation s’impose. Le dernier essai de Simon-Pierre Savard-Tremblay, L’État succursale. La démission politique du Québec, qui porte sur ces questions, arrive donc à point.

En résumé, la thèse de l’auteur est que les États ont progressivement abandonné leur mission de servir leurs nations et leurs citoyens pour plutôt se mettre au service des entreprises, particulièrement des multinationales, effectuant ainsi une terrible régression. Pour étayer cette thèse, SPST puise notamment dans des publications d’organisations internationales et dans l’histoire du Québec ou du Canada.

Il raconte comment l’économie canadienne, fondée au départ sur la production de denrées de base (staples), n’a jamais complètement rompu avec cette origine. Encore aujourd’hui, elle est basée sur des ressources naturelles que, très souvent, les multinationales préfèrent transformer ailleurs. Dans ce contexte, les élites canadiennes seraient passées d’une inféodation aux élites britanniques et à une inféodation aux élites mondiales plus largement, que SPST désigne sous le vocable « d’overclass ».

C’est cette élite mondiale qui serait à l’origine des pressions exercées à l’encontre des États pour qu’ils deviennent des États succursales. Au Québec, ce processus débute au lendemain de l’échec référendaire de 1980 et s’accélère sous le gouvernement Bourassa II. Outre le rapport Gobeil favorable à l’État-Provigo, Savard-Tremblay déterre les rapports Fortier et Scowen favorables à la privatisation et à la déréglementation. Puis, il révèle que le rapport Fortier, en particulier, a été suivi de mesures de désengagement de l’État dans divers domaines (minier, forestier, agroalimentaire, amiante, transport, etc.). Sans qu’on sache trop pourquoi, l’auteur n’aborde toutefois pas nombre d’autres documents gouvernementaux de l’époque tout aussi pertinents qui pourraient renforcer ou nuancer sa thèse : qu’on pense à ceux pilotés par Marc-Yvan Côté ou Yvon Picotte qui, pour soutenir le développement régional, proposèrent de miser prioritairement sur l’entreprise privée et dans une moindre mesure sur un État se contentant d’être stratège.

L’auteur s’attarde aussi au gouvernement Bouchard qui, sous la pression d’Ottawa et des marchés financiers, a poursuivi dans cette voie. En plus du déficit zéro, il y eut la réforme de la Loi sur l’administration publique qui, influencée par le courant mondial du nouveau management public, proposa que le public s’inspire du privé, notamment avec des ministères ou organismes plus autonomes ayant leurs propres objectifs et des contrats de performance. SPST semble juger sévèrement cette démarche, en s’appuyant sur l’échec du nouveau management public en Occident davantage que sur celui de cette réforme en particulier. Et il se montre encore plus critique des réformes de l’ère Charest, que ce soit la promotion des PPP ou la réforme de la gouvernance des sociétés d’État. Cette dernière visait à introduire dans les conseils d’administration de ces sociétés une majorité de membres dits indépendants, plutôt que des employés du secteur public, de manière à ce que, sans devoir procéder à des privatisations, des pans entiers de l’État soient gérés par des administrateurs du privé. Aujourd’hui, le gouvernement Couillard poursuivrait dans cette voie, en s’attaquant à plusieurs organismes de l’État ou de l’économie sociale qui contribuent à la spécificité du Québec par rapport au Canada (délégations à l’étranger, conférences régionales des élus, forums jeunesse, etc.).

Dans la foulée, Savard-Tremblay consacre le chapitre suivant à Hydro-Québec qui a été divisé en plusieurs entités pour mieux remplir sa nouvelle mission consistant, non plus à fournir de l’électricité à bon marché aux Québécois, mais à en exporter. Poussant sa logique d’intégration continentale encore plus loin, Hydro-Québec alla jusqu’à s’impliquer dans le domaine du gaz et du pétrole. De manière comparable, en plus d’investir dans le pétrole, la Caisse de dépôt et placement a priorisé le rendement aux dépens du développement économique du Québec, investissant davantage dans le monde financier que dans celui de la production. Avec pour conséquence une plus grande vulnérabilité face aux crises du capitalisme international, comme on l’a vu en 2008 avec ses pertes de 40 milliards. Cette démission de la Caisse de dépôt s’ajoutant à celle du gouvernement, de nombreux sièges sociaux ont été perdus, l’État ne se donnant même plus la peine de tenter de contrebalancer le pouvoir des multinationales.

Évidemment, le libre-échange et ses traités permettant aux compagnies de poursuivre les États qui adoptent des mesures sociales ou environnementales aggravent la situation. SPST a raison de le souligner, les nouveaux traités visent moins à diminuer les barrières tarifaires, déjà très basses, qu’à harmoniser les normes et à ouvrir les marchés publics, au détriment de la démocratie et de l’économie locale. Dans tout ce contexte, plus rien ni personne n’est à l’abri de la logique de marchandisation, pas même les universités qui privilégient la recherche utile aux entreprises aux dépens de l’enseignement et de la formation de citoyens.

Face à ces constats, on pourrait croire que la gauche est plus pertinente que jamais. Malheureusement, comme l’auteur le démontre habilement, elle préfère trop souvent se concentrer sur des utopies compensatoires, telles celle des Cités-États ou des minorités salvatrices, aux dépens des régions et de la nation. C’est pourquoi en conclusion il en appelle à une autre gauche, qui serait celle du réinvestissement des institutions démocratiques afin que l’État-nation québécois, idéalement souverain, se mette au service de la démondialisation.

On l’aura compris, cet essai percutant frappe juste. Si parfois il se contente de traiter de questions déjà bien connues et d’en offrir des synthèses intéressantes, ce qui est déjà pas mal, plus souvent il se montre original et aborde des sujets négligés, comme la « privatisation » en douce de sociétés d’État. Sa critique du libre-échange est pertinente et audacieuse, entre autres parce qu’elle a devancé la plus récente vague de critiques à l’encontre des traités commerciaux. Ne serait-ce que pour ces raisons, il s’agit d’un essai essentiel. Il aurait certes pu répondre plus longuement aux arguments contraires, aisés à imager, pensons aux succès à l’international d’entreprises québécoises facilités par la succursalisation d’États étrangers, mais ce sera sans doute pour une prochaine fois. Car avec cet essai, Savard-Tremblay ne fait que débuter une vaste réflexion qui s’annonce des plus prometteuses.

Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke