Survol de l’histoire de la radio au Québec

De Fessenden à Internet
En hommage à l’Amérindien Oscar Bastien, pionnier des « annonceurs » au Québec.

Qui a inventé la radio ? Guglielmo Marconi, Roger Baulu, Édouard Branly, Ferdinand Braun, Alexander Popov ou Reginald Fessenden ?

Toutes ces réponses sont bonnes, sauf pour Roger Baulu qui n’était pas encore né. Mais pour répondre complètement à la question, il faudrait nommer une dizaine de personnes sur un cycle de vingt ans entre la fin du dix-neuvième siècle et le début du vingtième. La boucle de ces vingt glorieuses s’ouvre en 1887 sur la première transmission sans fil d’ondes électromagnétiques par l’Allemand Rudolf Hertz dans son laboratoire – les ondes hertziennes, c’est lui ! – et cette boucle se referme sur la première transmission sans fil de la parole par Reginald Aubrey Fessenden au soir de Noël 1906.

Fessenden est né à Austin, tout près de Magog, mais c’est aux États-Unis qu’il a mené ses essais et a réussi l’exploit de la « téléphonie sans fil », la transmission de la voix humaine. Une première fois en 1900, et quelques autres jusqu’à cette fameuse veille de Noël 1906 où il lit la Bible, joue du violon, chante et envoie ses bons vœux dans une brève émission captée par plusieurs navires au large de la Nouvelle-Angleterre.

C’est cette date, décembre 1906, qu’on retient comme le début de la radio parlée, mais c’est aussi 1896, dix ans plus tôt, qu’on retient pour la TSF, la « télégraphie sans fil » de Marconi, qui, entre 1895 et 1901, multiplie ses essais de plus en plus impressionnants. L’Italien Guglielmo Marconi a reçu le prix Nobel de physique en 1909, conjointement avec l’Allemand Ferdinand Braun qui avait lui aussi développé avec succès la TSF.

Il ne faut pas croire qu’au Québec pendant ce temps on était coupé du reste du monde radiophonique en devenir. Pas du tout ! Et ici je me réfère à cet ouvrage fondamental de Pierre Pagé, Histoire de la radio au Québec, Information, éducation, culture, paru chez Fides en 2007.

Dès 1899, nous dit Pierre Pagé, le physicien Henri Simard expérimentait la télégraphie sans fil à l’Université Laval. En 1900, à l’Exposition universelle de Paris, il y a des Québécois qui assistent aux expériences de TSF présentées par Édouard Branly, dont Trefflé Berthiaume, le directeur du quotidien La Presse. En 1904, Berthiaume fait ériger dans le parc du collège de Joliette une grande antenne de réception de la TSF pour permettre à La Presse de capter les nouvelles internationales. En 1905, l’abbé Henri Simard, qui s’était perfectionné auprès d’Édouard Branly, donne en amphithéâtre à l’Université Laval des cours de TSF ouverts au public et publie un Traité de physique, destiné aux collèges de l’époque et qui comprenait un chapitre sur la TSF.

De Montréal à Gaspé, de chaque côté du fleuve, dans les collèges et séminaires on enseigne le code morse aux futurs opérateurs de TSF, parce que les navires marchands qui sillonnent le Saint-Laurent sont presque tous équipés d’un poste de télégraphie.

En 1908, un jeune technicien formé à l’académie Girouard de Saint-Hyacinthe, Joseph-Narcisse Cartier, se rend en Nouvelle-Écosse rencontrer Guglielmo Marconi. Marconi avait obtenu du gouvernement fédéral de Wilfrid Laurier le monopole des installations de TSF destinées à la marine marchande canadienne et qui transmettaient déjà le fameux signal horaire, reçu d’Ottawa par fil téléphonique. Toujours est-il que Marconi prend Cartier dans son équipe de télégraphistes, ce même Joseph-Narcisse Cartier qui allait fonder CKAC-Montréal en 1922.

Il faudrait parler aussi de l’abbé Georges Désilets, du Séminaire de Nicolet, qui a développé dès 1912 un réseau de stations expérimentales dans toute la Mauricie.

1912, c’est le naufrage du Titanic : 1500 morts, mais aussi 700 personnes rescapées grâce à la TSF, qui permet à des navires présents dans l’Atlantique Nord de leur porter secours.

1912, c’est également la conférence de Londres, où 46 pays s’entendent minimalement sur un premier partage des lettres d’appel. Pour le Canada, et donc le Québec, ce sera CF, CH, CJ et CK pour les premières lettres.

Le gouvernement fédéral accorde des licences expérimentales, si bien qu’il y en avait déjà 18 au Québec lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Tous les gouvernements engagés dans le conflit ont alors interdit l’utilisation des ondes hertziennes, sauf pour leurs propres besoins militaires ou stratégiques.

Les licences expérimentales redeviennent possibles après la guerre, et plusieurs établissements d’enseignement s’y remettent. Guglielmo Marconi en obtient une et lance XWA à la fin de 1918, qui deviendra CFCF l’année suivante. Mais c’est surtout 1922 qui marque les grands débuts, comme à peu près partout ailleurs dans le monde.

Une vingtaine de licences radio sont octroyées au Canada cette année-là et, signe des temps, les grands quotidiens en veulent tous. Le Toronto Star, le Winnipeg Tribune, le Calgary Herald, le Edmonton Journal, le Vancouver Province et, à Montréal, le quotidien La Presse, qui lance CKAC. Plusieurs abandonneront rapidement, mais CKAC-La Presse connaîtra une très longue vie. D’autres quotidiens québécois lancent leur propre station : CKCI-Le Soleil à Québec en 1924, à Montréal CHLP-La Patrie en 1932, CKCH à Hull en 1933, qui sera bientôt associé au quotidien Le Droit d’Ottawa, et en 1937 CHLT-La Tribune à Sherbrooke et CHLN-Le Nouvelliste à Trois-Rivières. En quelque sorte, la presse écrite voit la radio comme un média d’avenir, mais aussi comme un concurrent qu’il vaut mieux domestiquer de l’intérieur.

En 1922, La Presse confie le lancement de CKAC à Jacques-Narcisse Cartier, qui avait fait ses classes auprès de Marconi avant de devenir télégraphiste expert pendant la guerre. Il avait aussi travaillé avec l’Américain David Sarnoff, qui deviendra le grand manitou de RCA, Radio Corporation of America. Jacques-Narcisse Cartier – expert technicien et journaliste – va développer CKAC très rapidement, avec l’aide de Joseph-Arthur Dupont, partisans des nouvelles économiques et sportives. Cartier quitte CKAC en 1928 et Dupont poursuit l’aventure.

Un joueur étrange s’insère dans le paysage radiophonique dès 1923 : c’est le Canadian National Railway, qui diffuse ses propres émissions en achetant du temps d’antenne aux radios des grandes villes du Canada aux heures de passage de ses trains. Le CN se donne ses propres lettres d’appel dans chacune des villes, CNRM pour Montréal, CNRQ pour Québec, qu’on appelait des stations « fantômes » dans le milieu et que le CN alimentait en utilisant ses lignes télégraphiques le long des voies ferrées. C’était avant tout une astuce commerciale pour attirer à bord les voyageurs en leur offrant des wagons munis de casque d’écoute, un coup de marketing avant la lettre !

Au début, CKAC-La Presse, CFCF-Marconi et CHYC-Northern Electric se partagent à Montréal la même antenne, ce qui est courant un peu partout. Northern Electric abandonne la partie en 1928 et, en 1929, CKAC et CFCF obtiennent chacune leur fréquence individuelle.

À Québec, il semble bien que le quotidien Le Soleil n’ait pas beaucoup soutenu CKCI, lancée en 1924 et qui a très tôt partagé l’antenne avec CKCV, créée le 26 août de la même année par Charles Vandry – CK… CV, CV pour Charles Vandry ! CHRC voit le jour le 1er avril 1926 et partage aussi l’antenne avec CKCV, qui héberge également à ses heures la station fantôme du CN, CNRQ. À partir de 1930, CHRC et CKCV ont exploité chacune leur propre fréquence, et ont marqué pendant très longtemps le paysage radiophonique de la Capitale.

Pour Radio-Canada, c’est une plus longue histoire et les débuts ont été laborieux !

Durant les années 1920, la radio se développait partout au Canada selon le modèle commercial américain. Même que plusieurs stations relayaient en partie les stations américaines. Devant les inquiétudes que soulevait une telle situation, le gouvernement fédéral crée une commission royale en 1928, la commission Aird, du nom de son président. Son rapport recommande, un an plus tard, la création d’une radio d’État inspiré de la BBC en Angleterre.

La crise économique qui suit le krach de 1929, la défaite du gouvernement libéral en 1930 par les conservateurs retarde un peu la suite, mais finalement le fédéral crée en 1932 la Commission canadienne de radiodiffusion, qui fait office à la fois de diffuseur public et d’organisme réglementaire. Les premières équipes de production viendront en partie du Canadien National qui avait décidé de mettre fin à son aventure radio. Et pour assumer la direction de la programmation en français, le fédéral recrute nul autre que Joseph-Arthur Dupont, le directeur de CKAC-La Presse !

Le 2 novembre 1936, la Commission canadienne de radiodiffusion – CRBC en anglais – est remplacée par la CBC, la Société Radio-Canada. À Montréal, c’est d’abord CBM, Canadian Broadcasting Montréal, une radio bilingue, comme celle qui existait déjà à l’époque de la Commission canadienne. Cette question de bilinguisme était fortement critiquée dans la population francophone, et même concernant CKAC, surtout que le nouveau directeur, Louis-Philippe Lalonde, avait eu la bonne – ou la mauvaise – idée d’élargir une entente d’affiliation avec la Columbia Broadcasting System pour ajouter les CBS news aux nombreuses émissions américaines déjà à l’horaire.

C’est dans ce contexte que CBF – Canadian Broadcasting français – est lancée à Montréal le 1er décembre 1937 et en 1938, ce seront CBV à Québec et CBJ à Chicoutimi. La guerre pointe de nouveau à l’horizon européen, et Radio-Canada aura à jouer son rôle…

Les radios ne seront pas interdites pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elles devront se soumettre à la censure militaire et soutenir la propagande ! Servir l’effort de guerre, ne pas trop parler du front quand les nouvelles sont mauvaises, et maintenir le moral de la population à partir de ce qui avait commencé à se développer avec succès, les radioromans, qui ont connu un essor extraordinaire pendant cette période, tant à CKAC qu’à Radio-Canada.

En comptant les radios privées qui lui sont affiliées, Radio-Canada rejoint en 1940 les trois quarts de la population québécoise. C’est donc elle qui donne le ton. Mais CKAC à Montréal, CKCV et CHRC à Québec, ont aussi misé sur l’information dès leurs débuts. Les bulletins de nouvelles occupent une bonne place aux heures de grande écoute, et on a appris à confier à des commentateurs le soin d’analyser l’actualité. La tradition et l’expérience ne manquent donc pas. Mais c’est surtout avec le reportage de guerre, avec les Gérard Arthur, Marcel Ouimet, Jacques Desbaillets et jusqu’à René Lévesque que la radio s’illustre, parfois même jusqu’aux lignes de front. Les journalistes « embarqués » avec les militaires, c’était déjà un peu le cas !

Plus personne ne doute maintenant de la toute-puissance de la radio : information, divertissement, culture et… éducation ! Un mot sur la radio éducative.

Elle est apparue pour la première fois de par la volonté du gouvernement du Québec qui, avant même la fin des travaux de la commission Bird mandatée par le fédéral, fait adopter en avril 1929 la Loi relative à la radiodiffusion dans cette province. Avec un budget de départ de 30 000 $ pour la première année, l’économiste Édouard Montpetit de l’Université de Montréal est chargé de constituer l’équipe de conférenciers de L’Heure provinciale, qui sera diffusée à CKAC pendant dix ans, jusqu’en 1939 donc. Édouard Montpetit s’adjoint le talentueux et polyvalent Henri Letondal comme directeur artistique.

La suite, si l’on peut dire, viendra deux ans plus tard de Radio-Canada, qui crée en 1941 le service de Radio-Collège, un formidable corpus de conférences, de tables rondes et même de cours de base. Pendant quinze ans, la population québécoise a eu accès à la connaissance universelle par le biais d’émissions éducatives savamment retravaillées par des réalisateurs qui comprenaient intuitivement ce qu’il convient d’appeler le langage radiophonique.

Mais la radio privée se développe, et rapidement. À Montréal CKVL entre en ondes le 3 novembre 1946, CK…VL, VL pour Verdun Lakeshore, c’est donc une radio bilingue au début.

Il faut dire que l’année précédente, notre ami Joseph-Arthur Dupont, l’ancien de CKAC, avait quitté ses fonctions de direction à Radio-Canada pour fonder CJAD-Montreal, C…JAD pour Joseph-Arthur Dupont. Une radio anglophone de plus. Imité à Québec en 1950 par l’un de pionniers de CHRC, Joseph-Narcisse Thivierge, qui lance CJNT, C…JNT pour ? Joseph-Narcisse Thivierge ! Ce jeu dans les lettres d’appel est assez courant : en 1954 à Montréal, CJMS, C…JMS pour Je me souviens !, la devise du Québec, certains osant même Canada, je me souviens !

L’important de la période 1945-1970, qu’on a parfois appelé l’âge d’or de la radio, c’est que non seulement elle se développe partout sur le territoire québécois, mais c’est aussi qu’elle est terriblement créative. Chez les auteurs dramatiques, les femmes y tiennent une bonne place, et les personnages féminins des radioromans influenceront grandement l’émergence de ce qu’on appellera plus tard l’émancipation des femmes, pour ne pas dire le féminisme.

Bien sûr, quand la télévision arrive en 1952, elle secoue la radio, et de deux façons : elle lui prend une partie du public, surtout en soirée, mais en plus elle recrute ses principaux artisans à la radio, au théâtre aussi, puisque le savoir-faire artistique est là. La radio doit retrouver rapidement un second souffle et ce sera fait avec l’arrivée du transistor, qui permet aux adolescents d’écouter la radio hors du duo parental, aussi la généralisation du récepteur radio dans les automobiles et, pour ce qui est de la programmation, le début des tribunes téléphoniques et l’exploitation à outrance du 45 tours.

Plusieurs phénomènes à connotation économique marquent la radio au milieu des années 1960. Avec l’arrivée en 1962 de CKLM 1570 au cadran (LM pour Laval-Montréal), il n’y avait plus aucune fréquence AM disponible à Montréal, ce qui veut dire que le marché est saturé. Si bien que quand Jean-Pierre Coallier lance la radio CFGL, il doit accepter d’aller sur la bande FM. Quelle bonne idée ! Parce que si les stations de radio privées ont leur fréquence FM depuis un bon moment, CKVL-FM, CJMS-FM, il ne s’y passe rien. Avec « la radio qui parle et qui chante », comme le proclamait Jean-Pierre Coallier sur CFGL-FM, c’est un grand déblocage qui se produit.

L’autre phénomène, c’est la création des réseaux radiophoniques Radiomutuel et Télémédia.

Raymond Crépault, déjà propriétaire de CJMS à Montréal, rachète en 1967 des stations existantes à Québec et à Hull, puis en ouvre deux autres en 1968, à Sherbrooke et à Trois-Rivières. Tout de suite, il les regroupe au sein du réseau Radiomutuel avec CJMS comme tête de pont. C’est une première au Québec, et Radiomutuel connaît beaucoup de succès avec ses bulletins d’information aux demi-heures et ses reportages « sur les lieux » !

L’idée de réseau radiophonique est rapidement reprise par Philippe de Gaspé-Beaubien, qui crée Télémédia et rachète des stations radio pionnières dans leurs villes, les mêmes villes en fait que les stations de Radiomutuel, sauf pour ce qui est de Québec. Pour Télémédia, la tête de réseau sera CKAC Montréal, acquise en 1968 au moment du rachat du quotidien La Presse par Paul Desmarais.

La crise d’octobre devait sacraliser l’information radio. Au tout début, le FLQ a privilégié CKLM et Pierre Pascau, mais par la suite le FLQ a aussi informé CKAC Télémédia et, en particulier, de l’endroit où se trouvait la Chevrolet qui avait dans son coffre le corps de Monsieur Pierre Laporte.

Dès après, le réseau Télémédia connaît un grand succès. D’autant plus qu’il a repêché du réseau Radiomutuel son directeur Paul-Émile Beaulne, qui apporte à CKAC des changements cosmétiques, mais efficaces : les nouvelles au quart d’heure et à moins quart, avec le slogan « les nouvelles quinze minutes plus tôt », et cet autre : « Tout le monde le fait, fais-le donc ! ».

Sur la bande FM, la radio se renouvelle encore plus vite. À Montréal, la station anglophone CHOM fait fureur auprès du public… francophone. La riposte est lente, mais elle vient en 1976 avec la mutation subite de CKVL-FM en C-K-O-I, CKOI, un nom suggéré par l’animateur Alain Labelle. Succès quasi immédiat, si bien que CJMS-FM Radiomutuel devient à son tour CKMF en 1978, et mise sur l’arrivée du disco.

Pour Télémédia, c’est d’abord à Sherbrooke que CHLT-FM devient CITÉ-FM, puisque CKAC n’avait jamais jugé bon de créer son double sur la bande FM. Ce sera fait en 1977 avec, là aussi, CITÉ-FM qui deviendra la marque de son réseau.

La bande FM voit aussi l’arrivée des radios communautaires au Québec durant les années 1970. Cela a commencé à l’Université Laval avec la création de CKRL-FM en février 1973, puis CINQ-FM Radio Centre-Ville Montréal en 1975 et jusqu’à CIBL en 1980, avec une dizaine d’autres créées en province par des militantes et des militants. Il y aurait aujourd’hui à peu près 35 radios communautaires au Québec, regroupées en association depuis 1979.

Leur reconnaissance a franchi un grand pas en 1986 avec la publication du rapport Sauvageau-Caplan, qui recommandait de les inclure de plein droit dans la Loi canadienne sur la radiodiffusion. Contribution remarquable de Florian Sauvageau, professeur émérite de l’Université Laval !

Il existe même un Fonds canadien de la radio communautaire, qui taxe légèrement les acquisitions de radios privées pour soutenir financièrement les radios communautaires.

Parce que des acquisitions, il y a en eu tout au long du dernier quart de siècle. En septembre 1986 arrive un nouveau joueur, Cogeco, déjà présent dans la télévision et le câble. Cogeco achète coup sur coup deux radios FM bien implantées, CFGL Laval, pour 27 millions de dollars, et CJMF, le FM-93 à Québec, pour huit millions. Ce sont à l’époque des prix incroyables, du jamais vu !

Deux ans auparavant, au printemps 1984, le trio de direction du réseau de Télémédia, Paul-Émile Beaulne en tête, quittait en bloc pour racheter le réseau Radiomutuel et tenter de le relancer. Radiomutuel s’était payé le luxe d’une grève de deux ans à CJMS Montréal, cinq des sept stations étaient déficitaires et la dette se montait à 13 millions. Quoi faire ? !

À l’époque où Jacques Parizeau était ministre des Finances, il avait créé le RÉA, le Régime d’épargne actions, qui a permis à de milliers de Québécois de devenir actionnaires dans des entreprises québécoises. C’est le Régime d’épargne actions qui a permis à Radiomutuel de s’en sortir en remplaçant les dettes bancaires par des actions émises en Bourse. Télémédia et Cogeco ont aussi profité du Régime d’épargne actions, mais c’était pour financer leur expansion, et non pour leur éviter la faillite.

Un quatrième joueur s’amène dans le paysage montréalais, c’est le duo Pierre Arcand / Pierre Béland qui quittent à leur tour la direction de Télémédia pour acheter des stations de radio en empruntant eux aussi aux banques. En 1988, c’est d’abord l’acquisition de CFCF, la station fondée par Marconi, et sa sœur sur la bande FM, CFQR, un machine à sous. Puis Arcand et Béland se portent volontaires pour administrer et éventuellement racheter CKVL et CKOI, quand le CRTC refuse en 1989 à Selkirk Communications le droit d’acquérir nos deux joyaux francophones. Faut dire qu’entretemps Selkirk s’était vendue à Southam qui allait bientôt se vendre à Maclean-Hunter qui allait plus tard se vendre à Rogers…

Au début de la décennie 1990, le visage de la radio privée québécoise, la propriété de la radio privée québécoise a radicalement changé. Il n’y a presque plus de station à propriétaire unique, et pratiquement toutes les stations sont reliées à un réseau. De façon générale la bande FM est profitable, très profitable même, mais la bande AM est devenue un canard boiteux.

Coup de théâtre ce 30 septembre 1994, qu’on a appelé le vendredi noir de la radio AM. Télémédia et Radiomutuel annoncent la fusion de leurs activités sur la bande AM au sein de Radiomédia. Ce soir-là, la rationalisation signifie la fermeture, à 18 heures, de six stations AM. Reposent en paix CJMS Montréal, CJRP Québec, CKCH Hull, CJRS Sherbrooke, CJTR Trois-Rivièves, CJMT Chicoutimi. Reposent en paix, mais presque tout leur personnel est mis au chômage. Dans la fusion, certains passent d’une antenne à l’autre du vendredi au lundi. Gilles Proulx, par exemple, transporte son Journal du midi de CJMS à CKAC, alors que, côté sports, Michel Lacroix est remercié par CKAC pour ensuite être repêché par le Canadien de Montréal qui lui ouvre le micro du Forum, aujourd’hui le centre Bell.

Cherchant son salut, la bande AM s’est spécialisée dans la radio « parlée » et a laissé la musique à la bande FM. À Québec, on a connu le « roi » Arthur, à Montréal ce furent Pierre Pascau et Gilles Proulx, mais la FM gagne du terrain et à Montréal CKOI finira par détrôner CKAC autant pour ce qui est de l’écoute que de la rentabilité.

Un mot au passage sur Jean-Pierre Coallier, ce génie solitaire qui avait repris CIEL-FM à Longueuil contre ses parts dans CFGL avant qu’elle ne soit vendue à Cogeco. Ce que veut Jean-Pierre Coallier, c’est une radio classique, qu’il obtiendra finalement en 1998 à Montréal et qui obtient dès le début un succès considérable, ce qui permet à Coallier de se débarrasser de CIEL en la cédant au duo Arcand/Béland.

Les temps changent, et Radio-Canada l’a compris à son tour, qui demande au CRTC de transposer ses stations AM dites de la « première chaîne » sur la bande FM à la fin des années 1990. À Montréal, CBF et CKVL convoitent alors la même fréquence sur la bande FM, le 95,1. Radio-Canada l’emporte et CKVL ferme ses portes, mais ses propriétaires, le duo Arcand/Béland reprennent en 1999 la fréquence AM de Radio-Canada pour lancer INFO-690, la première radio d’information continue, qui vivra moins d’une décennie.

En 1999, le groupe Astral rachète Radiomutuel, ses stations FM du réseau Énergie et sa demi-part de Radiomédia. Et deux ans plus tard, Astral devient propriétaire unique de Radiomédia et rachète toutes les stations radio de Télémédia au Québec, ce qui veut surtout dire les stations FM du réseau CITÉ Rock-détente.

En 2001, toutes les stations appartenant à Pierre Arcand et Pierre Béland sont vendues à Corus Entertainment de l’Alberta. Pierre Arcand devient président-directeur général de Corus Québec jusqu’en 2007, alors qu’il est élu député libéral de Mont-Royal en remplacement de Philippe Couillard, démissionnaire. Le député Pierre Arcand est actuellement ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles et responsable du Plan Nord.

On se retrouve donc pendant la première décennie 2000 avec un ménage à trois : Astral Média, qui domine la FM avec plus de la moitié des stations et de l’écoute, Corus Québec et Cogeco.

En 2010, Corus Entertainment, qui n’a pas la fibre québécoise, revend toutes ses stations à Cogeco, pour à peu près la moitié de ce qu’il avait payé au duo Arcand/Béland.

Et en 2012, Bell Canada annonce l’achat d’Astral Média pour trois milliards de dollars. Astral n’était pas que le repreneur de Radiomutuel et des stations de Télémédia, Astral c’était 84 stations dans huit provinces, la télévision payante, Super Écran, Canal D, Canal Vie, Télétoon et près de 10 000 panneaux publicitaires.

Cogeco, Québecor et Rogers s’opposent vivement à la transaction, qui est légèrement modifiée après les premières audiences du CRTC, mais finalement, Bell Canada, de Toronto, achète Astral et détient depuis l’an dernier les deux tiers de la radio privée québécoise, loin devant les 13 stations de Cogeco.

La radio privée, qui a longtemps servi à offrir des auditeurs et des auditrices aux publicitaires, est devenue graduellement un bon réservoir de gain de capital. Tout ça n’est pas étranger à un certain appauvrissement, parce que les revenus publicitaires ne servent pas seulement à payer l’exploitation, les frais techniques et les salaires, mais aussi, et de plus en plus, à répondre à l’appétit des actionnaires.

À Radio-Canada pendant ce temps, le dépérissement des budgets est sans doute pour quelque chose dans l’affaiblissement de sa programmation, du moins au Québec. Certainement aussi la perte de vision d’un mandat culturel pourtant inhérent à notre tradition de radio publique. Toujours est-il que la fermeture brutale de la chaîne culturelle à la rentrée de septembre 2004 constitue un véritable assassinat, un abandon incroyable des créateurs et des artisans, autant que du public citoyen, que ce soit en musique ou en littérature et en théâtre.

Surprise pour ce qui est du développement d’Internet : alors que son arrivée pouvait être source de tous les dangers pour la radio, c’est bien le contraire qui s’est produit. Avec la retransmission en direct sur la Toile, avec le téléchargement pour l’écoute en différé, avec la baladodiffusion, Internet est devenu le meilleur complice de la radio. Le seul problème, peut-être, c’est que ça accentue la fragmentation de l’auditoire, en l’individualisant encore plus. L’auditeur, l’auditrice, pouvant même « programmer », en quelque sorte, son écoute.

Mais Internet a aussi permis à de nouvelles radios d’exister, en repoussant la nécessité d’avoir une antenne. Et là, les possibilités sont quasi infinies, entre Jeff Fillion à Québec et la superbe Arte Radio en France, CHOQ-FM à l’UQAM ou la dernière-née, Radiowebphré à Magog. L’enthousiasme de Reginald Audrey Fessenden nous aura menés loin ! q

* Professeur honoraire à l’École des médias, UQAM

breton.andre@uqam.ca

 

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