Un projet injustifié et à risques

Extrait du mémoire « Beauport 2020, un projet injustifié et à risques… pour le fleuve, les habitants et les résidents de Québec » présenté à la Commission de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, dans le cadre de l’évaluation du projet d’aménagement d’un quai multifonctionnel en eau profonde présenté par l’Administration portuaire de Québec.

Rédaction : Christian Simard, Gabriel Marquis et Marilyn Labrecque avec l’appui, notamment, des experts en écosystèmes aquatiques : Guy Trencia Pierre Dumont et Charles-Antoine Drolet et de l’historien spécialisé Pierre Ross.

Dans la mire de l’administration du Port de Québec (APQ) depuis plusieurs années, le projet Beauport 2020 prévoit un agrandissement de la zone portuaire de la Capitale-Nationale par une extension de la ligne de quai actuelle et l’aménagement d’un terrain d’arrière-quai d’une superficie de 17,9 hectares, gagné à même le Saint-Laurent, qui hébergera des terminaux de vrac solide et liquide. L’APQ avance également que son projet aura d’importantes retombées économiques et que le Port a besoin de nouveaux revenus pour moderniser ses activités. Or, le Port n’a pas déposé d’étude de marché pour appuyer ses dires ni aucune étude coûts/bénéfices. L’étude des retombées économiques préparée par KPMG est basée sur un scénario optimal d’investissements publics-privés de 590 millions $, alors qu’il n’y a aucun client confirmé pour le nouveau quai et que les impacts étudiés ne couvrent généralement que la partie de construction du quai […]

Un projet de quai et ensuite ?

Le projet Beauport 2020, tel que présenté par le Port de Québec, se limite essentiellement à l’aménagement d’un quai en eau profonde dans le secteur de la baie de Beauport, à l’est de l’autoroute Dufferin-Montmorency et de l’usine de Papiers White Birch « Division Stadacona ». Ainsi, les aménagements proposés par l’APQ et soumis à l’actuel processus de l’ACEE comprennent :

  • la construction d’un quai multifonctionnel de 610 mètres de long, assurant une profondeur d’eau de 16 mètres à marée basse ;
  • la création d’une digue de retenue de 480 mètres de long et de 8,65 mètres de haut ;
  • la pérennisation de la plage récréative de la baie de Beauport (utilisation de 220 000 mètres cubes de sédiments pour la recharge de la plage), incluant la construction d’un brise-lames de 187 mètres, prolongé d’un épi sous-marin de 47 mètres ;
  • le prolongement de la voie ferrée de 1300 mètres ;
  • la relocalisation de l’émissaire d’urgence de la Ville de Québec.

Néanmoins, le projet Beauport 2020 tel qu’il est présenté l’APQ dans l’espace public est beaucoup plus vaste et comprend des aménagements ultérieurs à la construction du quai qui serviront dès le début de la phase d’exploitation. Bien que plusieurs activités exactes qui doivent s’y dérouler demeurent pour le moment imprécises, on sait déjà que l’aménagement de terminaux de vrac liquide et solide sur l’arrière quai est prévu. Ainsi, le projet Beauport 2020, en plus des éléments présents dans l’étude d’impact du Port de Québec, s’accompagne d’éléments majeurs qui ne font l’objet d’aucune analyse d’impact pour le moment :

  • l’aménagement définitif de l’arrière quai, soit : la construction de 7 réservoirs de vrac liquide, d’un diamètre de 30 à 77 mètres et d’une hauteur de 17 à 18 mètres ; la construction de 4 dômes de vrac solide sous couvert ; la mise en place d’une matrice cimentaire ; la surface de roulement ; les infrastructures linéaires permanentes ; le prolongement du réseau d’aqueduc ; le réseau de protection d’incendie ; le prolongement du réseau d’égout pluvial ; le prolongement du réseau électrique ;
  • le démantèlement d’un hangar situé au secteur de l’Estuaire ;
  • l’aménagement final de la plage lorsque le rechargement aura été complété.

Au final, le projet Beauport 2020 du Port de Québec est donc beaucoup plus qu’un simple projet de quai. Il s’agit d’un chantier imposant qui nécessitera le remblaiement de 17,9 hectares à même le fleuve Saint-Laurent et des investissements colossaux. L’aménagement du quai à lui seul, demande un investissement de 190 millions de dollars, dont 30 % proviendront d’argent public. Les aménagements ultérieurs à la réalisation du quai pourraient quant à eux nécessiter jusqu’à 400 millions de dollars en nouveaux investissements.

L’analyse de Nature Québec démontre notamment que ce projet aura des impacts cumulatifs importants sur les milieux naturels. Il détruira ou modifiera près de 39 hectares d’habitats naturels, soit l’équivalent de 72 terrains de football au cœur de la Baie de Beauport qui comporte une biodiversité exceptionnelle. Il affectera directement plusieurs espèces à statut précaire, dont l’Alose savoureuse, L’Esturgeon jaune, le Bar rayé et l’Hirondelle de rivage.

L’analyse sur les sédiments contaminés, réalisée par une sommité sur ces questions, fait ressortir une sous-estimation probable majeure des volumes et de l’étendue de la contamination des sédiments. Les échantillons considérés par le Port ont été prélevés à la surface (20 cm de profondeur), dans une couche normalement moins contaminée, alors que le dragage réel se fera jusqu’à 16 mètres de profondeur dans des couches affectées historiquement par un passif industriel lourd. De plus, la méthode de disposition des sédiments contaminés proposés, par stabilisation et solidification, n’élimine pas la contamination, n’est pas adaptée à une contamination par des hydrocarbures. L’idée de confiner ces sédiments sur place dans des monolithes à même la structure des quais, soumis aux grandes marées, est utopique. Elle occasionnerait une intolérable, lente et inexorable contamination du Saint-Laurent.

Le projet Beauport 2020 affectera la qualité de vie des citoyens de Québec alors qu’il occasionnera, selon le scénario déposé, une augmentation de transport ferroviaire de matières dangereuses et de produits pétroliers à proximité de quartiers résidentiels, qu’il altère les grands paysages fluviaux et menacera les activités balnéaires de la baie de Beauport pendant la construction et lors des opérations de transbordement des matières dangereuses. Malgré les prétentions de l’APQ, Nature Québec remet profondément en question l’idée que Beauport 2020 permette de régler à terme les problèmes de pollution atmosphérique, découlant des activités actuelles du port, par une modernisation ultérieure qui serait financée à même les revenus de l’expansion. Aucun document déposé ne vient étayer cette prétention.

Devant ces constats, Nature Québec recommande au port de Québec de revoir son projet afin de mieux refléter les véritables enjeux économiques, sécuritaires, citoyens et environnementaux de la région de Québec. Une modernisation et une optimisation des infrastructures actuelles du Port pourraient, par exemple, réduire radicalement les problèmes de pollution atmosphérique, tout en créant des emplois et en préservant les habitats naturels et les activités balnéaires de la Baie de Beauport. C’est un projet qui permettrait de rénover des installations déficientes (les plus vieilles au Canada) et d’optimiser la logistique de débarquement pour accueillir davantage de navires […]

De plus, Nature Québec remarque que l’étude d’impact environnemental déposée par l’APQ, outre sa portée limitée, comporte plusieurs lacunes et inconnues qui ultimement, rendent le projet Beauport 2020 difficile à comprendre, analyser et commenter. Dans l’état actuel des choses, le ministre responsable d’accorder ou de refuser l’autorisation au niveau fédéral n’aura pas en main les informations complètes et suffisantes pour prendre une décision éclairée. En toute logique, il devrait écarter le projet.