Une stratégie industrielle coûteuse, risquée et irréaliste

Le gouvernement du Québec n’a pas énoncé formellement sa stratégie de développement industriel, mais à la lumière des interventions du premier ministre Legault et du ministre Fitzgibbon, on comprend qu’elle repose principalement sur trois éléments interreliés. Il s’agit de l’attraction d’investissements étrangers, de la création d’une filière de production de batteries pour les voitures électriques et de la disponibilité d’énergie hydroélectrique en grande quantité. Cette vision de l’avenir industriel du Québec soulève des questions quant à son bien-fondé.

Les investissements étrangers

Dès son arrivée au pouvoir en 2018, le gouvernement de la Coalition avenir Québec a affirmé son intention d’amener Investissement Québec à être plus efficace dans l’attraction d’investissements étrangers. Pour ce faire, il a ramené sous le giron de cette société d’État différents services et programmes qui jusque-là étaient placés sous la responsabilité de différents ministères. À première vue, Investissement Québec semble avoir répondu aux attentes. Elle a annoncé au printemps 2023 que les investissements directs étrangers au Québec étaient passés de 2,3 milliards $ en 2018-2019 à 6,0 milliards en 2022-2023. Cependant, une partie de ces investissements ont consisté en l’achat ou en la prise de contrôle d’entreprises québécoises existantes. Ainsi, au début de 2023, le fournisseur de pièces d’autos Uni-Sélect a annoncé sa vente à LKQ, de Chicago, pour 2,8 milliards $. Uni-Sélect, qui comptait 5200 employés au moment de sa prise de contrôle par des intérêts américains pouvait à juste titre être considérée comme un fleuron québécois dans son domaine d’activités1.

Depuis, la Politique nationale mise en place par le gouvernement fédéral de John A. Macdonald en 1879, les gouvernements d’Ottawa et de Québec ont compté sur l’investissement étranger pour mettre en valeur les ressources naturelles, répondre aux besoins des consommateurs et créer des emplois. Cependant, après la Deuxième Guerre mondiale, ils ont pris conscience de ce que les filiales d’entreprises étrangères actives dans le secteur des ressources naturelles étaient peu portées à transformer celles-ci en produits semi-finis ou finis. Quant à celles établies au pays pour contourner les barrières tarifaires et offrir des produits de consommation aux Canadiens, elles se limitaient trop souvent à faire l’assemblage de pièces importées, exportaient très peu et dépendaient de leurs maisons mères pour les activités de direction centrale telles que la planification, la recherche, le développement de produits, le financement et la commercialisation. Bref, la transformation manufacturière et les emplois de qualité supérieure échappaient largement aux filiales d’entreprises étrangères. En outre, n’ayant pas d’enracinement profond au Canada, ces filiales étaient promptes à fermer boutique quand l’environnement d’affaires leur devenait moins attrayant. Les exemples sont nombreux de départs de compagnies étrangères auxquelles, souvent, les gouvernements d’Ottawa et de Québec avaient apporté d’importantes aides financières. Ces départs ont causé des traumatismes majeurs dans les localités où les usines étaient établies et fournissaient de nombreux emplois. Au cours du dernier demi-siècle, plusieurs de ces départs ont été particulièrement décevants et douloureux, notamment ceux de Renault (Saint-Bruno, 1974), d’ITT-Rayonier (Port-Cartier, 1979), de Singer (Saint-Jean, 1986), de Hyundai (Bromont, 1994), de General Motors (Boisbriand, 2002), de Norsk Hydro (Bécancour, 2006), de Goodyear (Valleyfield, 2007), d’Electrolux (L’Assomption, 2014) et de Aluminerie Rio Tinto (Shawinigan, 2023).

Cette série noire montre bien qu’il est difficile de créer des installations industrielles durables à coups de protection commerciale, d’aides financières et d’autres avantages. Certes, le Québec n’a pas connu que des échecs en matière d’investissements étrangers, mais les exemples de succès viennent difficilement à l’esprit mis à part ceux, remarquables, de Pratt & Whitney établie à Longueuil depuis1926 et d’IBM dont l’usine de Bromont n’a cessé de prospérer depuis 1972.

Des secteurs tels ceux des alumineries, de l’aéronautique et du multimédia sont aussi vus comme des succès de l’investissement étranger au Québec. Mais ces succès ne sont pas sans présenter des inconvénients non négligeables. Ainsi, Ubisoft, le navire amiral du multimédia québécois, a été attiré à Montréal en 1997, entre autres facteurs, par un programme en vertu duquel le gouvernement québécois assumait une partie importante des salaires des employés de l’établissement. Or, un quart de siècle plus tard, malgré que la main-d’œuvre soit devenue en forte demande, la subvention à l’emploi dans le multimédia perdure et elle se traduisait en 2022 par des dépenses fiscales de plus de 360 millions $2. Il y a quelques années, le gouvernement a signalé son intention de faire le ménage dans les subventions à l’industrie. Il s’est très vite heurté à des menaces de fermeture d’établissements, notamment dans le secteur du multimédia.

Ce genre de chantage est aussi récurrent dans le domaine des alumineries. Face à des menaces de fermeture, de délocalisation des usines ou d’abandon de projets d’investissement, le gouvernement doit sans cesse renouveler les approvisionnements électriques à tarifs réduits, et ce, malgré qu’une étude réalisée par la firme McKinsey en 2019 ait noté que les alumineries québécoises profitaient d’un coût de production moins élevé de 13 %, 11 % et 7 % respectivement par rapport à une localisation aux États-Unis, en Russie et en Chine. Dans ces conditions, les alumineries québécoises pourraient sans doute payer leur électricité un peu plus cher et ce, d’autant plus qu’il serait illogique de leur part de renoncer à conserver ou à développer des installations bien rodées et déjà amorties en tout ou en partie pour recommencer à zéro ailleurs.

En comparaison, les entreprises d’origine québécoise semblent, dans l’ensemble, avoir produit des retombées plus durables en plus d’exercer leurs activités de direction centrale au Québec. Plusieurs de ces entreprises de tailles variées et œuvrant dans différents domaines sont devenues des fleurons de l’économie québécoise : CAE, Héroux-Devteq, Velan, CGI, SNC-Lavalin (Atkins Realis), WSP, Premier Tech, BPR, Bombardier, Canam, IPL, Cascades, Couche-Tard, Maibec, Exfo, etc.

Bref, la dépendance aux investissements étrangers était peut-être justifiée à une époque où le Québec et le Canada ne disposaient pas des capitaux et des connaissances techniques pour développer leur potentiel économique. Cette période est révolue et l’expérience du dernier demi-siècle montre bien que les filiales d’entreprises étrangères n’assurent nullement un développement durable de l’économie malgré que les gouvernements doivent souvent leur accorder des aides financières considérables pour les attirer et les conserver. En comparaison, l’apparition et la croissance d’entreprises d’ici semblent beaucoup plus susceptibles de produire des retombées économiques importantes à long terme.

La filière des batteries électriques

Le Québec est loin d’être le seul endroit dans le monde où les gouvernements et les entreprises veulent profiter de l’essor actuel du marché des batteries pour voitures électriques. De fait, à l’échelle mondiale en 2022, les projets pour la production de batteries dépassaient de plus de 50 % la demande estimée à l’horizon 20303. S’il ne se résorbe pas, ce déséquilibre entre l’offre et la demande de batteries générera beaucoup de déceptions et d’échecs et rien ne garantit que la filière québécoise sortira gagnante de cette concurrence débridée.

La lutte s’annonce d’autant plus difficile que la fabrication de batteries est peu rentable malgré qu’elle soit très exigeante en capital. De plus, elle repose sur une variété de matériaux rares, dont le lithium et le cobalt, qui risquent de poser des problèmes d’approvisionnement à moyen terme. Les géants japonais et coréens actifs depuis belle lurette dans ce secteur ont éprouvé des difficultés à obtenir des rendements satisfaisants sur leurs investissements et Sony, le pionnier des batteries au lithium, a abandonné la partie en 2016. Dans ce domaine où les économies d’échelle sont très importantes pour amortir les coûts fixes reliés aux équipements et à la recherche, la Chine dispose d’un avantage énorme et le fabricant chinois CATL est celui dont la croissance est la plus rapide au monde4. En comparaison, NorthVolt est une jeune pousse qui doit encore faire ses preuves quant à sa capacité de produire à grande échelle.

Par ailleurs, de nouveaux développements technologiques, dont des électrolytes solides plutôt que liquides, pourraient bientôt redistribuer les cartes et rendre certaines installations moins concurrentielles, voire déficitaires.

En somme, les investissements dans la filière batterie sont très risqués. Or, les gouvernements de Québec et d’Ottawa sont parties prenantes à ces risques puisqu’ils apportent des aides financières substantielles aux projets déjà annoncés. Le cas de Northvolt est à cet égard très illustratif puisqu’à terme les deux gouvernements apporteront une aide financière pouvant atteindre jusqu’à 5,6 milliards $, soit 80 % du coût initial de ce projet de production de cellules de batteries5.  Certes, les gouvernements pourront profiter des rentrées fiscales découlant de l’activité des nouvelles usines, mais si l’on se fie à une étude6 du Directeur parlementaire du budget sur les aides financières à l’usine ontarienne de batteries de Volkswagen, le trésor public fédéral pourrait devoir attendre vingt ans avant de récupérer ses billes, si jamais il les récupère.

Le gouvernement du Québec compte sur la filière batterie pour générer des emplois bien rémunérés. Cet espoir est certes justifié, mais en contrepartie, les économies régionales où s’implanteront les composantes de la filière risquent de souffrir du « mal hollandais7 ». En effet, les entreprises locales auront de la difficulté à attirer ou à conserver des travailleurs qui voudront avoir des salaires comparables à ceux offerts dans la filière batterie. Dans le contexte d’une grave pénurie de main-d’œuvre qui devrait se prolonger pendant plusieurs années, il en résultera vraisemblablement la fermeture d’entreprises ou l’annulation de projets d’investissement en dehors de la filière des batteries. De plus, l’afflux de nouveaux travailleurs et les salaires élevés versés par la filière exerceront une pression à la hausse sur le coût des biens et des services dans les communautés locales concernées, notamment en matière de logement.

Il est possible aussi que les nouvelles entreprises de la filière batterie ne génèrent pas des retombées aussi importantes qu’espérées auprès des fournisseurs régionaux. Cette filière de haute technologie repose en effet sur des équipements et des services spécialisés dont une partie proviendra sans doute de l’extérieur de la région, notamment des fournisseurs des réseaux mondiaux des maisons mères.

L’hydroélectricité

En somme, l’implantation d’une filière de batterie électrique au Québec est un pari audacieux. Il s’agit en effet d’un domaine d’activité très concurrentiel dont l’évolution future est encore incertaine. De plus, les retombées attendues en ce qui a trait aux emplois, aux salaires versés, aux revenus fiscaux générés et aux effets d’entrainement dans l’économie locale risquent d’être moindres qu’espérées et d’être réduites, au net, par des effets indésirables sur les entreprises et la population locales.

Lors de la campagne électorale de septembre 2022, le premier ministre Legault a fait miroiter un ajout de 50 % de la capacité de production d’Hydro-Québec en vue à la fois réduire les émissions de gaz à effet de serre et de stimuler le développement industriel. Dans les mois subséquents, le ministre Fitzgibbon a renchéri en avançant que l’augmentation de la capacité d’Hydro-Québec pourrait même atteindre 75 % ou plus.

Dans son Plan d’action 2035 rendu public en octobre 20238, Hydro-Québec prévoit qu’entre 150 et 200 TWh (térawatts-heures) additionnels d’électricité propre seront requis pour que le Québec atteigne la carboneutralité en 2050. L’atteinte de cette cible exige de presque doubler le volume actuel de production et de revente d’électricité de la société d’État soit 232 TWh9 par année. La nouvelle direction d’Hydro-Québec donne donc raison aux pronostics de messieurs Legault et Fitzgibbon. Le plan d’action de la société d’État porte cependant principalement sur l’horizon 2035 et, contrairement à ce qu’avaient pu laisser supposer les propos antérieurs du premier ministre et de son ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, l’hydroélectricité ne sera pas la seule source majeure d’électricité nouvelle et les capacités additionnelles serviront davantage à l’électrification des transports et à la décarbonation des bâtiments et de l’industrie (75 % de l’énergie électrique additionnelle) qu’à la croissance économique (25 %). De fait, ce ne sont guère que 2 MW d’électricité nouvelle qui pourront être consacrés au développement industriel, et ce, selon toute vraisemblance, dans les dernières années de la période 2024-2035. C’est bien peu si l’on considère que monsieur Fitzgibbon a réussi en quelques mois à allouer à divers projets, dont celui de Northvolt, le 1 MW qu’il avait à sa disposition. En réalité, le plan d’action d’Hydro-Québec a révélé que l’ambition du gouvernement de faire de l’électricité le fer de lance du développement industriel du Québec était tout à fait irréaliste. Plusieurs facteurs expliquent ce retour à la réalité imposé au gouvernement québécois.

La capacité énergétique actuelle d’Hydro-Québec provient pour l’essentiel, soit 165 TWh des centrales hydroélectriques construites au XXe siècle. Le prix de revient de cette électricité dite patrimoniale10 est en moyenne de 3 ¢ le kWh (kilowatt-heure). Or, l’électricité issue des centrales plus récentes, comme celle de La Romaine, ou des achats sur les marchés est beaucoup plus coûteuse puisqu’elle revient en moyenne à 11 ¢/kWh.

Le gouvernement pourra-t-il vendre à des investisseurs industriels toute l’électricité additionnelle produite à 11 ¢/kWh ou davantage ? C’est peu probable au vu de l’évolution actuelle des prix des autres sources d’énergie. En effet, le coût de diverses autres sources d’énergie a beaucoup baissé au cours des dernières années. Ainsi, selon des estimations de la Energy Information Administration (EIA), un organisme de l’administration fédérale américaine, le coût des kWh d’électricité produits par les installations qui entreront en service en 2027 aux États-Unis seront de 4,7 ¢ pour le solaire et le géothermique, 5,1 ¢ pour le gaz, 5,5 ¢ pour l’éolien terrestre et 11,2 ¢ pour le nucléaire11.

Dans ce contexte concurrentiel, il sera difficile de convaincre des entreprises énergivores d’installer de nouvelles usines au Québec plutôt qu’aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. Le Québec n’aura alors d’autres choix que de vendre sa nouvelle électricité à perte pour au moins éponger en partie les coûts fixes encourus. Et puisqu’il faudra bien malgré tout équilibrer les budgets d’exploitation d’Hydro-Québec, une hausse sensible des tarifs des usagers réguliers du réseau sera nécessaire. C’est ce qu’a reconnu Michel Sabia, le PDG d’Hydro-Québec12. Le Québec perdra alors doublement puisque les hausses tarifaires augmenteront le coût de se chauffer, de se nourrir, de s’éclairer et de se déplacer (en véhicules électriques) pour les individus et les ménages, et priveront les entreprises québécoises d’un important avantage comparatif face à la concurrence extérieure.

En plus, de la compétitivité incertaine des futurs approvisionnements électriques, le Québec se heurte aussi à la rareté des sites prometteurs pour de nouvelles centrales hydroélectriques. À cet égard, les experts n’évoquent guère que les rivières Petit Mécatina et Magpie sur la Basse-Côte-Nord, mais dans un cas comme dans l’autre les communautés innues et les groupes écologistes ont déjà manifesté leur opposition. Il y aurait aussi, en principe, la possibilité de ranimer le projet de Grande-Baleine (16.2 TWh) du côté de la baie d’Hudson, mais dans ce cas il faudrait s’entendre avec la communauté Crie qui en avait provoqué l’abandon en 1995.

Une autre possibilité consisterait à s’entendre avec le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador pour la mise en œuvre du projet de centrale de Gull Island dont le potentiel est estimé à 11,9 TWh. Pour ce faire, il faudra d’abord s’entendre avec l’autre province pour le renouvellement du contrat pour l’exploitation de la centrale de Churchill Falls. Cette renégociation devra se faire d’ici 2041 soit au terme de l’entente convenue en 1969 et qui permet à Hydro-Québec d’obtenir 31 TWh au prix non indexé de 0,25 ¢/kWh. Dans un cas comme dans l’autre, il est certain qu’Hydro-Québec ne pourra profiter d’un prix aussi dérisoire même si le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a aussi intérêt à en arriver à un accord. Logiquement, cet accord devrait se rapprocher du prix que Terre-Neuve-et-Labrador obtiendra pour l’électricité vendue en passant par le câble sous-marin la reliant à la Nouvelle-Écosse.

En somme, non seulement la construction de nouveaux grands barrages hydroélectriques est loin d’être assurée, mais en plus Hydro-Québec doit conserver le maillon essentiel de son réseau d’approvisionnement que constitue Churchill Falls. Dans un cas comme dans l’autre, le prix moyen des approvisionnements augmentera étant donné que les sites en cause sont éloignés et feront l’objet d’âpres négociations.

À l’horizon 2050, le non-renouvellement des contrats d’exportation d’électricité aux États du Massachusetts (9.5 TWh, 2023-2043) et de New York (19.4 TWh, 2026-2051) représente une autre possibilité pour combler une part substantielle des besoins d’énergie propre du Québec. Selon certaines informations publiées sur le contrat new-yorkais13, le prix de vente de cette électricité serait d’environ 7,1 ¢/kWh, ce qui donne à Hydro-Québec une marge de profit très substantielle par rapport au coût de production et de transport de l’énergie patrimoniale. Le même contrat paraîtra cependant beaucoup moins avantageux au fur et à mesure qu’Hydro-Québec devra se procurer des approvisionnements supplémentaires au prix post patrimoniaux de 11 ¢/kWh ou plus. Le Québec se trouvera progressivement dans une situation semblable à celle de Terre-Neuve-et-Labrador et son contrat calamiteux de Churchill Falls.

Une dépendance accrue à l’hydroélectricité pose aussi des problèmes de sécurité d’approvisionnement. L’expérience du grand verglas de 1998 a révélé à quel point le réseau électrique mettait le Québec en état de grande vulnérabilité. Or, des événements semblables ou d’autres cataclysmes mettant à mal la production, le transport et la distribution d’électricité peuvent se reproduire dans l’avenir étant donné l’incidence et la gravité croissantes des épisodes climatiques extrêmes. Ainsi, il est possible que des sécheresses dans le Nord québécois fassent baisser l’eau dans les réservoirs et obligent à fermer des turbines pendant des périodes prolongées. L’été 2023 a donné un avant-goût d’un tel scénario alors que le temps sec dans le nord du Québec a provoqué une baisse de 20 TWh du potentiel énergétique des grands réservoirs14. Certes, les changements climatiques en cours pourraient tout aussi bien accentuer la pluviosité au-dessus des grands bassins mais, devant l’incertitude, le principe de précaution est de mise et il serait prudent de ne pas compter sur une utilisation constante de la capacité de production maximale des barrages d’Hydro-Québec.

Non seulement le gouvernement devrait-il miser davantage sur les économies d’énergie, mais il devrait aussi faire une meilleure place aux autres sources de production d’énergie électrique. Par exemple, pour le coût de l’aménagement de La Romaine (8,5 milliards $), on aurait pu construire des éoliennes qui produiraient 3 fois plus d’énergie, soit 24 TWh15. Or, le Québec offre un des meilleurs potentiels en Amérique du Nord pour l’éolien tant terrestre que maritime16. En outre, les barrages hydroélectriques québécois complètent bien les sources intermittentes comme l’éolien ou le solaire puisqu’ils peuvent agir comme batterie géante pour entreposer l’énergie excédentaire en prévision des pannes de vent ou d’ensoleillement.

C’est ce que reconnaît implicitement le Plan d’action 2035 puisqu’il mise sur les éoliennes pour plus de la moitié de l’ajout prévu d’énergie électrique comparativement à environ 13 % seulement pour l’hydroélectricité, soit le même niveau que celui prévu pour les économies d’énergie. En d’autres termes, le rêve hydroélectrique de messieurs Legault et Fitzgibbon devient pour Hydro-Québec un simple plan d’approvisionnement électrique auprès de diverses sources.

En résumé, le contexte énergétique d’aujourd’hui est bien différent de celui qu’il était à l’époque les projets hydroélectriques de la Manicouagan et de la baie James ont été conçus et mis en œuvre. Pendant longtemps, les surplus de capacité hydroélectrique pouvaient inciter à vendre l’électricité au rabais aux États voisins et à de grands utilisateurs industriels. L’avenir prévisible augure plutôt d’une situation où le Québec aura fort à faire pour réaliser ses engagements en matière de transition énergétique tout en maintenant une tarification électrique favorable au maintien du niveau de vie de sa population et à la compétitivité de l’ensemble de ses entreprises.

Conclusion

Comme on peut la percevoir, la stratégie de développement industriel du gouvernement Legault est risquée et coûteuse en plus d’être porteuse d’effets indésirables auprès des populations et des économies locales, et d’être irréaliste en ce qui concerne la capacité de développement de la puissance hydroélectrique du Québec.

Dans ces conditions, l’argent et les efforts du gouvernement seraient mieux employés s’ils servaient plutôt à répondre aux besoins nombreux de la société québécoise : augmentation du stock de logements abordables, réfection des écoles, mise à nouveau des infrastructures routières et municipales, amélioration des conditions de travail des employés du secteur public, meilleure prise en charge des itinérants, soutien aux médias, etc. En priorisant plutôt ces champs d’intervention, le gouvernement créerait un environnement plus favorable au bien-être de la population et à la croissance de l’ensemble des entreprises québécoises. u


1 Gérald Fillion, « Sous la CAQ, des fleurons du Québec continuent de partir », site de Radio-Canada, 20 octobre 2023.

2 Ministère des Finances du Québec, Coût des dépenses fiscales, édition 2022, mars 2023, p. B-31.

3 Selon une estimation de l’Energy Transitions Commission, un groupe de responsables et d’experts des questions énergétiques. Rapporté dans « Le monde est en proie à une illusion manufacturière – Comment gaspiller des milliards de dollars », The Economist, 13 juillet 2023.

4 Informations et observations tirées de Robin Harding, « Beware the great battery industry fallacy », Financial Times, 1er février 2023.

5 Vincent Brousseau-Pouliot, « Est-on trop généreux avec les usines de batteries ? » La Presse +, 28 septembre 2023.

7 Expression faisant référence à l’expérience des Pays-Bas où le boom pétrolier des années 1970 dans la mer du Nord a provoqué une hausse importante des salaires et des prix au détriment des entreprises existantes et des consommateurs.

9 Incluant l’électricité achetée de Terre-Neuve-et-Labrador (centrale de Churchill Falls) et de producteurs privés. Selon le Rapport annuel 2022 d’Hydro-Québec.

10 Le bloc patrimonial désigne l’électricité produite à partir des installations en service en 1998 soit, notamment, celles de La Grande, de la Manicouagan et du Saint-Laurent.

11 EIA, « Levelized Costs of New Generation Resources in the Annual Energy Outlook 2022 », mars 2022. Un taux de change de 1,37 a été utilisé pour convertir les données en monnaie canadienne les chiffres exprimés en USD constant de 2021.

12 Olivier Bourque, « On augmente les tarifs, M. Sabia ? “Oui ! Prochaine question”… », publié le 25 octobre sur le site de Radio-Canada.

13 Vincent Brousseau-Pouliot, « Une mine d’or pour Hydro », La Presse+, 10 octobre 2023.

15 Serge Roy, « Hydro-Québec doit repenser sa stratégie, le premier ministre aussi », L’Action nationale, Avril-mai 2023, p. 30.

16 Environnement Canada, page web Atlas éolien.

* Économiste.

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