Une victoire pour le Québec ! Enfin l’autonomisme donne des fruits ! C’est bien la preuve que le Québec peut trouver sa place dans le Canada ! Ils étaient fort nombreux à se trouver contents d’être contents. François Legault a fait semblant de ne pas s’être inquiété comme il l’avait fait la semaine précédant le jugement. Mais l’anxiété n’a pas manqué de réapparaitre lorsqu’il a appelé Trudeau à faire preuve de respect des Québécois et l’a entendu dire qu’Ottawa serait présent en Cours suprême. Pour le respect, son gouvernement s’y connait, comme le lui a rappelé quelques jours après son frisson de victoire le ministre Miller qui a piétiné les compétences et prétentions du Québec. La pauvre ministre Fréchette s’est encore lamentée – elle mérite beaucoup de la patrie provinciale. Pour les célébrations de l’autonomisme, il aura fallu faire vite. Et ne pas regarder autour, en particulier du côté également de l’assurance-médicaments.
C’est ce qu’il y a de sournois avec le déni : le réel finit toujours par poindre. Ce que la galerie de bonimenteurs médiatiques et ce gouvernement aux abois ont tout fait pour nier leur est revenu au visage : la victoire célébrée n’est rien d’autre qu’un sursis. La logique du régime ne disparaîtra pas. François Legault n’y comprend goutte. Ses appels au respect aussi bien que ses inquiétudes à propos de la supposée partialité des juges ne font qu’illustrer sa compréhension limitée de la joute canadian.
Il faut en effet lui faire comprendre, à lui, à ses partisans et aux fédéralistes qui sévissent un peu partout, en particulier dans les médias, ce qu’est la Cour suprême. Ce n’est pas le haut lieu de la vérité désincarnée, c’est l’instance d’arbitrage – par des juges accrédités – d’une constitution illégitime. Ce qu’elle fera lorsqu’elle sera saisie du jugement de la Cour d’appel, ce sera de le normaliser pour le rendre conforme à l’ordre constitutionnel, à sa lettre et à son esprit. Un ordre construit sur le projet d’oblitérer la nation. Elle ne sera pas partiale, elle fera ce pour quoi elle existe. Et dans cet ordre constitutionnel, ce seront toutes les provinces et les conditions qui leur sont faites qui seront en cause. Les principes qu’elle défendra seront ceux qui assurent la cohérence institutionnelle et l’évolution du régime. Au mieux, les concessions qui seront faites au Québec seront mineures, et elles ne le seront que pourvu qu’elles n’interfèrent pas avec la logique du régime mis en place en 1982. La loi québécoise servira de matériau pour baliser les recours autorisés à la clause dérogatoire que les autres provinces commencent à utiliser allègrement devant les inepties d’Ottawa ou selon des priorités locales.
Il en ira de ce jugement comme de tout ce qui concerne les initiatives québécoises dans le cadre canadian : il ne tiendra qu’à la condition de pouvoir servir de tantôt de prétexte, mais toujours de matériau pour l’évolution du régime. L’usage plus astucieux de la clause dérogatoire sera discuté et analysé pour baliser les initiatives des autres provinces. Il en sortira un autre arrangement qui servira à maintenir les législations québécoises sous l’emprise du régime. Le Québec n’y perdra pas complètement, il pourra sans doute gagner quelques centimètres pour la longueur de sa laisse, mais sans plus. La logique à l’œuvre sera la même que celle qu’a défendue l’ineffable Stéphane Dion qui a trouvé le moyen de définir la loi 101 comme une grande loi canadian. Ce qu’il restera de la loi sur la laïcité, ce sera une législation émasculée, délavée pour être la rendre acceptable dans les cadres du régime.
Le Canada a toujours su se montrer créatif pour contrer les efforts et revendications québécoises porteuses de principes et moyens de se donner une architecture institutionnelle propre. Le Québec voulait du bilinguisme, on lui aura servi la Loi sur les langues officielles. Le Québec souhaitait le biculturalisme, il se sera fait asséner le multiculturalisme. Le Québec se donne la loi 101, il récolte la Charte canadienne. C’est le paradoxe du carcan qui nous est imposé : toutes les fois que le Québec a tenté de jouer le jeu des institutions, toutes les fois qu’il s’est imaginé jouer fair play, son génie créatif a été détourné, pis, il a été retourné contre lui. Et c’est le produit de cette logique d’usurpation que les partisans du Canada tentent à chaque fois de présenter comme une victoire de l’esprit de compromis. La construction institutionnelle du Canada se nourrit des efforts que déploie le Québec pour vivre selon son génie propre. À la manière d’un mollusque qui sort son estomac de sa bouche pour enrober sa proie, l’ordre constitutionnel canadian vise à dissoudre le Québec avant de l’avaler.
Tel est la logique tordue du conflit de légitimité qui condamne les tenants de la province à utiliser les instruments de leur propre neutralisation. Toutes les fois que les gouvernements du Québec montrent patte blanche en s’en remettant au « test des tribunaux » ils ne font que fournir la matière du renouvellement des tactiques de régime qui les tiennent toujours plus fermement dans l’incapacité de décider par eux-mêmes. Ceux-là qui croient que les « vraies affaires » n’ont rien à voir avec l’ordre constitutionnel ne comprennent rien ou ne veulent pas voir ce que signifie le régime qui nous est imposé.
Il n’y a qu’une seule manière de sortir de cette logique tordue : c’est de se donner une constitution qui définira toute l’architecture institutionnelle, qui définira la Cour suprême québécoise appelée à interpréter et trancher en fonction de la cohérence du régime que le Québec se sera donné. Seule l’indépendance le permettra. Les autonomistes vivent dans les limbes, le régime à qui ils quêtent reconnaissance et marge de manœuvre ne leur laisse qu’un espace d’hétéronomie dans lequel ils peuvent s’échiner à tenter de faire jouer des principes que ce même régime rejette comme incompatibles. Mais ils cherchent la pierre philosophale et s’imaginent qu’à frotter le plomb de la constitution illégitime avec la croyance que la bonne foi leur permettra de faire muter les principes constitutifs en instrument d’affirmation.
L’érosion typique que pratique le Canada pour neutraliser l’existence nationale repose sur l’usage du temps long et du détournement de sens. Tout le dispositif juridique et l’appareil de l’État sont mobilisés pour ce faire. C’est une machine à usurper que fait tourner la Cour suprême. Une machine alimentée par une logique de régime conçue expressément pour neutraliser notre existence nationale. Les prétextes utilisés pour ne pas voir ce qui crève les yeux peuvent certes varier, mais ils mettent toujours en doute la légitimité d’une décision de l’Assemblée nationale qui repose uniquement sur ses propres motifs et motivations. C’est particulièrement le cas des discussions sur le respect des droits des minorités (loi 31 et loi 96) où les appels à la vigilance ne remettent jamais en cause l’ordre constitutionnel sous-jacent. Ce n’est pas le Canada qui devrait être le rempart contre les dérives possibles des lois québécoises : ce devrait être la Constitution du Québec qui fournirait les balises à respecter et c’est un tribunal nommé selon des règles qui ne dépendent que du Québec qui devrait assumer le cadre interprétatif. Les appels à la vertu par la Charte canadienne et les tribunaux utilisent les préoccupations légitimes de respect des droits des minorités pour mieux minoriser le Québec.
La victoire proclamée pour accepter le jugement de la Cour d’appel, c’est le contentement de se savoir en sursis. C’est la soumission consentie. Et la reconnaissance qu’un tribunal étranger peut inféoder notre Assemblée nationale et nous assurant du confort de la bonne conscience distillée par un régime qui se pose en défenseur d’une vertu qui n’est jamais si vénérable que lorsqu’elle invoquée pour nous protéger du danger que nous représenterions pour nous-mêmes sans l’ombre tutélaire du régime canadian.