Une vie multiple et pleine

Présentation du dossier
Pierre Vadeboncoeur, un homme libre

Il y a 36 ans, en 1974, un groupe de jeunes intellectuels, auquel René Lévesque s’était joint, publiaient un recueil de textes en hommage à Un homme libre, Pierre Vadeboncoeur. Deux des auteurs d’alors, François Ricard et Yvon Rivard, participent au présent dossier. Ces jeunes intellectuels étaient pour le moins porteurs d’une formidable intuition, à savoir que les décennies qui suivraient verraient apparaître l’essayiste sans doute le plus marquant de notre époque. Cet hommage lui était rendu avant même que ne paraissent ces livres qui ont fait de Pierre Vadeboncoeur celui que la critique n’a cessé de saluer, avant Les deux royaumes, avant Essai sur une pensée heureuse, avant Le bonheur excessif, avant L’Humanité improvisée, avant La clef de voûte. La majeure partie de son œuvre était encore à l’état de devenir, mais d’ores et déjà, on avait reconnu à quoi elle était promise.

Sur une période de plusieurs décennies, Pierre Vadeboncoeur a offert des centaines de textes à plusieurs publications, dont Cité libre, Parti-pris, Liberté, Maintenant, Nouvelles CSN, Le Couac, L’inconvénient. La revue L’Action nationale n’a pas été en reste, publiant des dizaines d’articles qu’il soumettait, se rappellent les responsables de la revue, avec cette espèce d’humilité, pas du tout feinte, qui le caractérisait. Sa dernière contribution, publiée dans la livraison de février 2010, quelques jours après son décès, se terminait sur cette phrase : « Qu’est-ce que je viens de montrer ? Un pan d’histoire, la nôtre. À travers les obstacles, une persistance, une logique profonde, une mémoire qui n’oublie pas, une volonté trop patiente, appuyée sur une confiance diffuse, mais tenace. Nous n’avons pas dit notre dernier mot ! » Ne serait-ce que pour cette contribution exemplaire, il allait de soi que la revue lui consacre un dossier auquel 14 collaborateurs ont accepté avec empressement de participer.

J’ai fréquenté Vadeboncoeur de mon arrivée à la CSN, en 1969, jusqu’à ses dernières heures à l’hôpital, en février. Même après son départ de la centrale syndicale, en 1975, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. Que ce soit au Conseil de la langue française, dans les années 1970 et 1980, jusqu’aux réunions des Anciens de la CSN, ou à l’occasion de dîners qui rassemblaient autour d’une table les membres du « Conseil libre de la langue française », ainsi qu’il avait baptisé notre groupe formé de Michel Plourde, Henri Tremblay, Gérard Lapointe, Jean Marcel et Madeleine Thibeault, ou encore lors de ces appels téléphoniques que nous avons échangés quasiment chaque semaine, et plusieurs fois par semaine, nous avons toujours maintenu le contact. Cet homme, dont la pensée fréquentait les aigles de par sa hauteur, était toujours demeuré un être chaleureux, rieur, taquin, facétieux même, et tout à fait capable d’autodérision.

Les témoignages que les auteurs nous ont livrés font voir un personnage protéiforme, se déplaçant de la méditation à l’action dans un même mouvement, aussi à l’aise dans la rédaction de pamphlets particulièrement virulents que dans celle des réflexions les plus austères sur la foi, sur l’art, sur l’amour. Ainsi, tous n’ont pas connu le même Vadeboncoeur. Mais tous s’entendent sur la capacité d’écoute qui était la sienne, sur son ouverture à l’autre, sur son accueil.

Dans un texte intimiste d’une rare intensité, Alain Vadeboncoeur, le fils de Pierre, témoigne d’une relation père-fils exceptionnelle. Une relation qui avait pris en 1972 la forme d’un récit, Un amour libre, et s’est poursuivie sans relâche jusqu’à la dernière seconde, quand le père a quitté ce royaume. « Relisant certains soirs les très belles pages d’Un amour libre, pris à la gorge par l’émotion suscitée, j’étais encore étonné de voir à quel point il avait réussi à saisir avec justesse la relation entre un père et son enfant. “J’ignore ce qu’il en adviendra. La seule chose que je sais, c’est que j’ai vu le passage de l’enfance sous mes yeux, intacte et chantante, dans un monde que je sais mauvais […]. J’aurais vu pour toujours un spectacle révélateur de l’espérance […]” ». Dans la chambre d’hôpital, Alain Vadeboncoeur voit ce qui s’en vient : « Il se rendait pourtant à sa mort sans sourciller, en active contemplation, entier. Sa fin s’harmonisait avec son écriture. Aucun faux-fuyant, aucun théâtre. De la grâce. Apaisée. Solennelle. Précise. Grave. En phase. Tout cela et bien plus, ce qu’exprimait la douceur de ses traits. Je constatais pour ma part que cette avancée vers la mort était aussi d’une grave beauté. Aussi intense que profondément humaine. Complète par elle-même. Poème muet de fin de vie ».

Pierre Vadeboncoeur appartient au temps présent, comme en témoigne Jean-François Nadeau, directeur des pages culturelles du Devoir. « Chez un bouquiniste de Québec, je me suis pris un jour, par hasard, à feuilleter un vieux numéro de Cité libre. “Notre jeunesse est bedonnante”, y écrivait Vadeboncoeur. Je ne le connais pas encore, mais d’un coup, à la lecture de cette seule phrase, j’ai ressenti l’impression vive que cet homme au style classique appartenait plus que quiconque au temps présent. »

Mais il y a plus. Et c’est le romancier et essayiste Yvon Rivard, un compagnon de route de Vadeboncoeur depuis plus de 30 ans, qui l’exprime avec le plus de pertinence quand il écrit : « Quand je me demande, comme beaucoup d’autres, si le Québec existe encore et s’il a encore un avenir, je me dis que la réponse est dans Vadeboncoeur. D’abord, il est clair qu’un pays qui a donné une telle œuvre mérite d’exister, c’est-à-dire que ce pays a dans sa culture et son histoire tout ce qu’il faut pour produire ces synthèses successives du passé et du présent qui appellent et font l’avenir, tout ce qu’il faut pour créer des formes, des façons de vivre et de mourir ensemble qui sont, sinon nécessaires, du moins valables. Vadeboncoeur a vécu, a écrit, c’est donc que le Québec existe. » Il avoue par ailleurs : « J’ai essayé de descendre au fond du sentiment qui me relie à lui, de me tenir à cette émotion pure de toute image, mais j’en étais incapable. C’était comme si je voulais trop le retrouver, que j’étais enfermé dans mon propre désir de le voir. Les souvenirs revenaient, nourris de souvenirs de ceux qui l’ont aimé, et tous ces souvenirs allaient dans la même direction, faisaient apparaître la figure de quelqu’un qui se souciait vraiment des autres. »

Dans son texte tout en nuances et rempli d’affection, Jean-François Nadeau confie : « J’étais son plus jeune ami, semble-t-il. » Une amitié commencée alors qu’il avait vingt ans, quand il avait écrit à Vadeboncoeur et reçu « une lettre, rédigée à l’encre bleu-noir. J’y réponds. Une autre lettre m’arrive bien vite. Une correspondance s’engage, à mon plus grand étonnement. Puis, bientôt, Vadeboncoeur m’invite à venir discuter à Montréal, chez lui ». Cette même disponibilité, Pascal Chevrette, jeune professeur de littérature, en témoigne aussi. « L’homme qui m’ouvre sa porte, en juin 2009, quelque temps avant son décès, est un être délicat, pas très grand. Il est souriant, d’une hospitalité irréprochable. J’entre chez lui. Nous nous présentons. Pierre Vadeboncoeur m’interroge sur ce que je fais dans la vie. Comme je suis enseignant, il me pose alors des questions sur les étudiants, sur les livres que je leur fais lire, sur leurs difficultés, leurs préoccupations, leurs engagements. » Fortement impressionné par cette rencontre, Chevrette raconte qu’à « la fin de mon après-midi avec lui, je suis parti, ravivé par notre conversation. L’homme m’était apparu délicat, […] mais je saisissais mieux, à travers son histoire, à travers ses paroles, qu’il avait réussi à cultiver en lui, par-delà les années, une conviction en ses idéaux, un sens de la justice, de l’égalité et de la solidarité et, surtout, une confiance dans le pouvoir des mots de dénoncer l’infâme et de suggérer des pistes nouvelles pour dégager l’avenir ». Jonathan Livernois, vient de terminer une thèse de doctorat consacrée à Pierre Vadeboncoeur. Cette ouverture à l’autre que plusieurs évoquent, il en a lui aussi été témoin. « À fréquenter un homme amoureux, on finit par développer un besoin d’émulation. Ce que j’ai découvert chez Pierre Vadeboncoeur, ce sont moins des idées et des thèmes qu’un tour d’esprit ou, pour être plus juste, une disposition du cœur. » Cette thèse, il croyait – et craignait quelque peu – la soutenir en présence de son sujet lui-même. « On pouvait le voir venir. Au fil des trois années pendant lesquelles je l’ai côtoyé, il a repris les mêmes bornes, les mêmes événements et les mêmes mots pour décrire son passé. Je dois l’avouer : ses propos, fussent-ils prévisibles, défaisaient plus souvent qu’autrement ce que j’avais tissé la veille. Je m’étais donc préparé pour ne pas prêter le flanc aux attaques gentilles de mon sujet. » Gérald Larose, qui a présidé la CSN de 1983 à 1999, signale son rôle dans l’évolution de la CSN quand il écrit que « c’est chez Vadeboncoeur que des générations de militantes et de militants ont appris à reconnaître les traits essentiels d’une organisation syndicale appartenant de bout en bout aux travailleurs et aux travailleuses, embrassant la totalité de la condition ouvrière et pas seulement les salaires, capable de mobiliser les forces vices d’une société pour que l’État assume pleinement et équitablement son rôle d’arbitre, de régulateur social et de répartiteur de la richesse. Vadeboncoeur, le premier, a nommé la CSN en la démarquant fermement du syndicalisme de tutelle cléricale ou internationale (américaine), de l’affairisme, du corporatisme et de l’activisme sans perspective ». Il rappelle aussi combien il était demeuré un proche, bien des années après son départ de la centrale, en 1975. « Pierre était disponible. Un repas avec lui nous comblait totalement. Ses analyses étaient fines, ses conseils, discrets et son humour, exquis. Il nous aimait. Nous l’aimions aussi. Il y a de ces personnes dont le compagnonnage nous grandit. Vadeboncoeur nous donnait de la hauteur. » Dans l’un des derniers textes qu’il a écrits, il avait raconté sa vie à la CSN, dans les années 1950. « Car enfin, avouait-il, je venais d’ailleurs et ne subissais pas personnellement l’oppression qu’ils vivaient eux-mêmes. Toujours est-il que j’étais le camarade de tous ces camarades. »

Une amitié qui remonte à 1972 liait l’écrivain François Ricard à Pierre Vadeboncoeur. Dans un texte qu’il a intitulé « Pur essai », il présente lui aussi ce côté ouvert et accueillant de Vadeboncoeur. « Et quand je pense à lui aujourd’hui, c’est d’abord cela qui me vient à l’esprit : ce “mystique”, cet homme de “croyance” et de conviction, cet écrivain passionnément engagé dans une recherche artistique et spirituelle proprement interminable, jamais, au grand jamais, ni en paroles ni dans ses écrits, n’a prétendu détenir la vérité, sinon sa vérité à lui, intérieure, privée, ce qui ne la rendait pas moins solide et précieuse. Cette vérité était sûre d’elle-même, mais elle demeurait toujours une vérité affable, je dirais, une vérité souriante et tranquille, comme une belle femme qui se sait aimée. » Dans un court témoignage, Louis Gill, de l’UQAM, raconte comment Vadeboncoeur s’était porté à sa défense quand, pour des raisons idéologiques, le Collège canadien des travailleurs l’avait rayé de ses rangs. Gill est marxiste. Vadeboncoeur ne l’était pas. Mais il avait écrit dans Le Jour : « On peut ne pas être d’accord avec ces opinions-là. Il reste que ce ne sont pas des opinions anti-ouvrières ou antisyndicales. » Il se félicitait que les collègues de Gill se soient « solidarisés avec lui pour sa défense ».

Dans un texte qu’il intitule « Un emportement pour la liberté nourri de conscience historique », l’historien Yvan Lamonde insiste sur la quête de la liberté, présente dans tout Vadeboncoeur. « C’est la liberté qui fait la différence, le sens indéracinable du besoin de liberté qui permettent de rompre l’hésitation et l’indécision… » Il rend hommage en même temps à Fernand Dumont et à Vadeboncoeur « d’avoir alimenté mon travail d’historien, d’avoir inspiré sans que je m’en rende toujours compte une histoire des idées au Québec qu’on peut voir en fin de compte comme une histoire des libertés et de la démocratie ». Il ajoute ces mots qui, à ses yeux, le caractérisent : « Liberté, souveraineté, emportement. Ce me semble être la culture politique que Pierre Vadeboncoeur a essayé de façonner, parce qu’il était porteur d’une conscience historique. »

De son côté, Paul-Émile Roy, écrivain et professeur de littérature qui a échangé avec Vadeboncoeur pas moins de 600 lettres au cours des 25 dernières années, dit de sa pensée que « ce qu’elle affirme, ce n’est pas la démission, c’est la liberté. Une liberté qui est un retour aux sources premières, fondamentales, par-delà les conformismes modernes ». Roy rappelle ces lignes de Vadeboncoeur, tirées de La dernière heure et la première : « Il y a ceci de tout à fait nouveau : culture, liberté et pouvoir sont aujourd’hui absolument indissociables. Il n’y aura plus ici de langue et de culture françaises, de liberté et de pouvoir, que munis de toute la force politique à laquelle nous puissions prétendre. »

François Ricard fait l’éloge de l’essayiste en soutenant qu’en dépit du fait qu’il a publié « des écrits polémiques et plus engagés », et « qu’il n’a jamais cessé de participer aux luttes sociopolitiques et idéologiques, c’est qu’il y tenait et que cette activité faisait partie de l’idée qu’il se faisait de son rôle d’écrivain », c’est dans ses autres œuvres qu’il lui reconnaît une place particulière. « Quand je dis que l’œuvre de Vadeboncoeur est unique dans notre littérature, c’est que je n’en connais aucune qui relève à ce point de l’art de l’essai à l’état pur, aucune autre dans laquelle se réalise avec autant de justesse, de constance et de beauté la vocation spécifique de l’essai qui consiste, comme celle de tout art, à dire ce que seul l’essai peut dire et ne dire rien d’autre que cela. » Il suggère même que s’il a continué, après 1980, à publier ses « écrits de combat », « c’était plus pour faire plaisir à ses amis de la gauche nationaliste, je crois, par une sorte d’admirable fidélité au passé, que pour l’avancement de quelque “cause” que ce soit ».

Un point de vue que sont loin de partager d’autres collaborateurs, dont Paul-Émile Roy. Dans Les deux royaumes, Vadeboncoeur annonce en quelque sorte « qu’il se détourne du monde actuel, qu’il quitte le monde actuel. On dirait qu’il entre en religion ! Mais il ne se connaît pas ! Il ne sait pas que le Québec lui colle aux pieds, que le monde moderne lui colle à la peau. Ce n’est pas une question d’idées, d’idéologies. C’est une question d’être. Vadeboncoeur est un intellectuel, un homme d’action, un penseur. Il est immergé dans la réalité, et cette réalité l’habite. Il souhaiterait peut-être se détourner de l’actualité, mais il en est incapable. Il l’observe, la critique avec lucidité, avec passion, avec colère. Se conjuguent chez lui une grande capacité d’indignation et une grande capacité de contemplation ». À l’occasion de ses funérailles, Hélène Pelletier-Baillargeon, une amie de longue date, soulignait que « tous [le] reconnaissent comme un phare de la pensée et de l’écriture ». Mais elle ajoutait immédiatement ceci : « Pierre était pourtant un homme d’action tout autant qu’un intellectuel. C’est pour cela qu’il n’a cessé, toute sa vie, de mettre cette pensée et cette écriture au service des grandes causes qui lui tenaient à cœur : défense des plus vulnérables en matière sociale, promotion de la liberté et de la justice pour son peuple par l’accession à la souveraineté. »

C’est cette vitalité qui a fait une forte impression sur Pascal Chevrette. « J’écoute Vadeboncoeur. Je me demande où cet homme a puisé son inlassable énergie pour dénoncer avec tant d’ardeur et de souffle les abus et les méfaits du capitalisme mondial, la sclérose de l’identité canadienne-française, les dérives du postmodernisme, le conservatisme des élites, etc. Je me demande comment il a su poursuivre sans relâche un travail d’écriture, avec la même verve pamphlétaire de ses premiers écrits, sur tout ce qui fait défaut : défaut d’humanité, défaut de sens et défaut d’esprit. À quatre-vingt-neuf ans, il ne me paraissait pas fatigué. » Jean-François Nadeau fait le même constat quand il écrit que « ce penseur s’est toujours refusé à évoluer dans des systèmes d’idées toutes faites, bien que son engagement, au service des fourbus, des blessés, des sans-grades, l’ait conduit à lutter sans cesse contre les impérialistes et leurs valets ».

Dans une Lettre à Marie (épouse de Vadeboncoeur), Jean Marcel livre un portrait intimiste de l’homme qu’il a fréquenté au Conseil de la langue française. « Nul ne fut si inséré (engagé, disait-on naguère) à la fois dans la vie la plus directe qui soit, la vie telle que la fabriquent les hommes à travers leurs travaux ardus, ni dans la vie plus subtile que l’on dit être celle de l’esprit. Il aura vécu un destin d’homme et un destin d’intelligence absolument unique », écrit-il. Lui aussi a été frappé par l’humilité de l’homme. « Ce qui m’avait impressionné lors de cette première rencontre, c’était cette humilité qui fait la noblesse des authentiques et des plus grands. Peut-être à force de s’adresser à l’invisible. Et aussi ce regard que l’on eût toujours pu croire un peu triste, mais qui n’apparaissait tel que lorsqu’il s’imprégnait sombrement de la vision du monde tel qu’il se révèle derrière toutes choses… » Dans un texte qui revoit de façon magistrale l’œuvre de Vadeboncoeur et qui est d’abord paru dans la revue Nuit blanche, Roland Bourneuf soutient que pour Vadeboncoeur, la révolution à faire « n’est pas que d’ordre politique, même si elle l’est aussi. Vadeboncoeur le sait d’expérience. Son regard se porte sur l’organisation de la société québécoise, sur les puissances qui la contrôlent et plus largement sur le contexte mondial dont elle ne peut s’abstraire : le système capitaliste auquel les États-Unis donnent sa forme de référence ». Il ajoute qu’après « avoir été en première ligne de l’action, Vadeboncoeur n’a cessé (le récent Les grands imbéciles en témoigne) d’être l’observateur et le critique vigilant – et parfois ironique – de l’évolution sociale et politique ».

L’œuvre imposante de Pierre Vadeboncoeur émerge, à travers ces portraits, ces confidences, ces analyses, comme la contribution majeure d’un penseur de haut niveau dont on a déjà dit, à tort je crois, qu’il s’était égaré dans l’action. De son livre Les deux royaumes, Jean Marcel écrit qu’il « n’a pas d’équivalent dans aucun temps ni aucune littérature (si ce n’est peut-être les Essais de Montaigne, qui se réfugie dans un moment semblable dans la tour bibliothèque de son château), on peut dire qu’il cherche quelque chose qu’il n’indique qu’en se taisant – l’index de son silence résolument pointé vers le ciel ». Jean-François Nadeau termine pourtant son texte en disant : « Par-dessus sa tombe, les mots de cet homme continuent de m’animer. Même réduit en cendres, Pierre Vadeboncoeur reste de feu. »

En exergue à son dernier livre, La clef de voûte, on retrouve cette phrase qui pourrait apparaître comme sibylline : « Il n’y a d’ultime parole que le silence. » Ainsi donc, même lorsqu’il se retirait dans un recueillement créateur, sa voix portait. Nous sommes plusieurs à considérer comme un cadeau des dieux d’avoir mis Pierre Vadeboncoeur sur notre route.

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Pierre Vadeboncoeur, un homme libre

Il y a 36 ans, en 1974, un groupe de jeunes intellectuels, auquel René Lévesque s’était joint, publiaient un recueil de textes en hommage à Un homme libre, Pierre Vadeboncoeur. Deux des auteurs d’alors, François Ricard et Yvon Rivard, participent au présent dossier. Ces jeunes intellectuels étaient pour le moins porteurs d’une formidable intuition, à savoir que les décennies qui suivraient verraient apparaître l’essayiste sans doute le plus marquant de notre époque. Cet hommage lui était rendu avant même que ne paraissent ces livres qui ont fait de Pierre Vadeboncoeur celui que la critique n’a cessé de saluer, avant Les deux royaumes, avant Essai sur une pensée heureuse, avant Le bonheur excessif, avant L’Humanité improvisée, avant La clef de voûte. La majeure partie de son œuvre était encore à l’état de devenir, mais d’ores et déjà, on avait reconnu à quoi elle était promise.

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