Carles Puigdemont
La crise catalane
Paris, Racine, 2018, 191 pages
De son exil à Bruxelles, le président de la Catalogne continue la lutte pour l’indépendance et la libération des prisonniers politiques. Dans ce livre, il raconte comment il a vécu personnellement les péripéties de son combat et il explique en particulier les raisons qui ont motivé les décisions qui ont conduit le Parlement catalan à faire une déclaration unilatérale d’indépendance, le 27 octobre 2017. Il est forcé de reconnaître que sa démarche d’émancipation a été entravée par les élites politiques européennes qui ont préféré ignorer les bruits de bottes au lieu d’intervenir pour faire respecter les droits de l’homme et la démocratie. Par ce livre, il s’adresse surtout aux citoyens européens qu’il veut convaincre du bien-fondé de la lutte du peuple catalan, celui-ci ayant toujours adhéré aux valeurs démocratiques qui devraient caractériser le projet européen.
Avec une certaine candeur, le président Puigdemont soutient que la longue tradition démocratique de la Catalogne et le remarquable comportement démocratique des Catalans auraient dû amener la classe politique européenne à faire contrepoids à l’intransigeance et à l’autoritarisme du gouvernent espagnol, encore ancré dans la tradition du franquisme. Force est de constater que la démocratie et la raison d’État ne font pas bon ménage et que les dirigeants européens ont préféré l’unité de l’Espagne à la démocratie et au droit international (p. 51). Ils ont accepté la violence de l’État espagnol contre des citoyens européens qui exerçaient leurs droits démocratiques.
Puigdemont se définit comme partisan d’une politique de dialogue avec l’Espagne et il exprime sa foi indéfectible en la démocratie comme solution à la crise catalane. Il rappelle à juste titre aux Européens que les Catalans ont toujours été aux côtés des Européens qui se sont battus contre les dictateurs (p. 70). Il affirme que la raison d’être de l’indépendance catalane est le respect de la démocratie et des droits des citoyens de décider sous quel régime politique ils veulent vivre. Tout son parcours politique est balisé par de nombreuses tentatives pour en arriver à une solution négociée avec Madrid. Il n’a jamais fermé la porte à un dialogue constructif pour redéfinir les institutions de la Catalogne. Il était même prêt à accepter à certaines conditions un référendum espagnol pour décider du statut de la Catalogne. Il explique que même si les Espagnols avaient voté NON cela aurait été une victoire puisqu’un tel référendum aurait signifié la reconnaissance de l’existence de la question catalane. Son raisonnement nous permet de comprendre que l’indépendance n’était pas pour lui la finalité du combat catalan, mais que c’était plutôt la reconnaissance du peuple catalan opprimé pendant trois siècles par le peuple espagnol. « Ce que nous voulons, c’est que l’on reconnaisse notre droit à l’autodétermination, c’est plus important que l’indépendance en tant que telle » (p. 186).
Il était prêt à des concessions pour obtenir un statut d’autonomie à l’intérieur du cadre espagnol. Il évoque même la mise en place de structures fédérales comme solution satisfaisante. Même après le référendum positif du 1er octobre, il était prêt à attendre que Madrid fasse une ouverture à des aménagements constitutionnels et pour cela il a retardé la déclaration unilatérale d’indépendance.
Il explique d’ailleurs la montée de l’indépendantisme comme une réaction à l’intransigeance du gouvernement espagnol qui, à partir de 2010, a utilisé le système judiciaire pour invalider les droits linguistiques et culturels conquis de haute lutte par les Catalans. Les menaces et les restrictions imposées à l’exercice d’une forme d’autonomie ont servi de catalyseurs à la prise de conscience que l’indépendance était la seule solution. Il semble penser que si le gouvernement espagnol s’était montré plus ouvert au dialogue et aux concessions, la montée de l’indépendantisme n’aurait pas eu lieu. Il adhère à la thèse qui veut que la frustration et l’humiliation sont les moteurs de la mobilisation populaire. La crise catalane résulte donc du refus de dialoguer de Madrid et non pas des revendications catalanes qui pourraient trouver satisfaction dans le cadre d’une fédération espagnole qui reconnaîtrait la diversité nationale.
Mais la stratégie du dialogue a montré toutes ses limites et, conformément aux prévisions de la théorie des jeux, lorsqu’il y a un conflit, c’est toujours celui qui adopte une stratégie de conciliation qui perd et c’est celui qui est prêt à l’affrontement qui gagne. Cette logique est une version de la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel qui prévoit que l’esclave ne peut se libérer du maître que s’il est prêt à l’affronter et à risquer la mort.
Paradoxalement, Puidgemont rejette la logique de l’État-nation ou de la souveraineté nationale. Il soutient implicitement le droit d’ingérence dans les affaires internes des nations. L’Europe devrait intervenir en Espagne pour faire respecter les règles démocratiques et pour permettre aux citoyens européens d’exercer leurs libertés. Il conçoit l’Europe comme une fédération qui devrait exercer une souveraineté supranationale et qui aurait la capacité de restreindre les pouvoirs des États-nations. « La notion de citoyenneté européenne, écrit-il, doit prévaloir sur la citoyenneté nationale et constituer véritablement le véhicule qui garantit les droits et libertés dans l’ensemble de l’Union » (p. 178). Il en appelle au nom de la démocratie à la construction d’une Europe des régions qui à terme éliminerait les États-nations constitués et qui reconnaîtrait la diversité des langues et des cultures nationales. Il pense que la crise catalane constitue une opportunité pour l’Europe de se redéfinir et d’abandonner le cadre des États-nations. Il conclut son livre en demandant une médiation internationale indépendante, ce qui impliquerait une internationalisation de la question catalane et une brèche dans la souveraineté nationale espagnole. Puidgement avoue que les dirigeants catalans ont fait une erreur de jugement en s’imaginant que l’Espagne avait effectivement opéré une transition démocratique. Ils ont pensé que l’État espagnol respecterait la démocratie et l’expression de la volonté du peuple. Comme ce n’est pas le cas, la supervision d’acteurs internationaux est devenue une nécessité pour sortir de la crise catalane.