(En décembre 2012, notre collaborateur Paul-Émile Roy a été terrassé par un terrible ACV qui lui a enlevé toute capacité de lecture, mais qui, étrangement, a épargné sa faculté d’écriture. Depuis ce temps, il a écrit des centaines et des centaines de pages sur les sujets les plus divers. Nous publions ici quelques extraits de ces carnets.)
Ce qui caractérise peut-être ce qu’on appelle l’esprit postmoderne, c’est que tout se vaut, qu’il n’y a pas de transcendance, que le goût est quelque chose de très relatif.
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Le Québec vit au cœur d’un rejet de lui-même, de son identité, de son histoire. Il est mal à l’aise, mais il ne sait pas la cause de ce malaise. La grande majorité de nos intellectuels et de nos personnes politiques fonctionnent au cœur de ce malaise. Je ne vois pas comment nous pourrons sortir de cette impasse.
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Il me semble qu’il manque à nos hommes et à nos femmes politiques actuels un peu d’envergure, de grandeur d’esprit, de sens politique. On a l’impression qu’ils ne pensent qu’à leur petite carrière, qu’ils n’ont pas de conscience politique, qu’ils ne s’aperçoivent pas que nous sommes au vingt-et-unième siècle.
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Je voudrais que le Québec fasse l’indépendance, c’est-à-dire qu’il se prenne en main, qu’il assume son identité, son histoire, pas qu’il se renie et se projette dans la réalité les yeux fermés. J’espère me tromper, mais je ne vois actuellement au Québec aucun homme, aucune femme politique à la hauteur de la situation.
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Je ne sais pas si quelqu’un a étudié le statut de la conscience politique à l’époque des médias. Je ne suis pas sûr que la conscience politique soit plus éclairée aujourd’hui qu’elle l’était autrefois. Les médias actuels fomentent un grégarisme postmoderne qui n’est pas plus recommandable que celui d’autrefois. Ce qui est certain, c’est que la conscience politique de la majorité des citoyens est très peu éclairée.
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La réflexion sur la religion au Québec il y a cinquante ans se faisait dans le contexte de la fin de la chrétienté. Elle se fait maintenant dans le contexte de la postmodernité, dans celui d’une nouvelle structuration de l’expérience de la foi. Il ne s’agit pas de conserver les structures de la foi de la société d’hier, mais de découvrir les nouvelles formes d’expérience de la foi qui conviennent dans la société de la postmodernité. Certains s’imaginent que c’est la fin de la foi, du christianisme, mais ils n’ont rien compris. Ils n’ont pas compris que l’expérience chrétienne, la foi chrétienne s’inscrit dans l’histoire en s’y associant, en l’inspirant à l’insu de la majorité des croyants eux-mêmes.
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Malgré le développement inouï des moyens de communication, il est évident que les êtres humains vivent cloisonnés dans leur petit monde de préoccupations, très peu conscients des véritables enjeux de la société postmoderne.
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Malgré le développement inouï des médias, j’ai l’impression que la culture, ce que l’on a toujours appelé la culture, ne rejoint qu’une petite partie de la population.
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Les nations sont une donnée de la condition humaine. On ne peut pas construire humainement et de façon civilisée la communauté humaine si on nie ou néglige cette dimension importante, fondamentale de l’agir humain, donc de la culture et de la civilisation. La négation ou le rejet de la dimension nationale de la condition humaine relève d’une vue matérialiste et fortement réductrice de l’agir humain.
Ces considérations n’excusent pas, ne justifient pas les abus des nationalismes qui ont été si manifestes dans l’histoire. Il ne faut pas cependant réagir contre des abus en adoptant des comportements contraires qui sont tout aussi négatifs.
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J’ai l’impression que la conscience nationale de la majorité de nos hommes et de nos femmes politiques se dilue dans une « modernité » oui une « postmodernité » vague et incolore, animés du seul souci d’être élus et de se pavaner sur la place publique.
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Un Québec qui tente de se construire en se niant lui-même. Le Québec devrait se choisir la devise suivante et l’afficher partout : « Moi est un autre ».
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Le Québec actuel s’imagine qu’il part à zéro, que ce qui s’est passé avant lui n’était pas valable. Qui décrira la naïveté de cet état d’esprit « postmoderne » ?