La première phrase de mon article intitulé « Pour une refondation du mouvement indépendantiste » publié dans le numéro double juin-septembre de L’Action nationale se lisait comme suit :
L’élection du 1er octobre annoncera une fin de cycle et un réalignement des forces politiques. L’échec électoral de la stratégie attentiste obligera des remises en question et une refondation du mouvement indépendantiste qui s’est perdu dans les incohérences et les tergiversations. Depuis 1995, les forces indépendantistes sont en déclin et ont entraîné le Québec dans un processus de régression politique en laissant le champ libre aux fédéralistes. Les dirigeants souverainistes ont réussi à transformer une presque victoire en déroute politique en devenant des promoteurs de l’autonomisme provincial.
Cette prédiction a été pleinement confirmée par les résultats de la dernière élection.
Je ne me réjouis jamais d’avoir eu raison sur les bonimenteurs et autres marchands d’illusions, mais chaque fois que cela se produit, je me désole chaque fois de n’avoir pas été entendu. Pendant plus de 20 ans, L’Action nationale a prêché dans le désert. En effet, ce n’est pas la première fois que des articles de L’Action nationale sonnent l’alarme sur les effets délétères du discours provincialiste et de la stratégie attentiste préconisé par les ténors du mouvement souverainiste. En nous appuyant sur la connaissance de l’histoire du Québec, sur celle du fonctionnement du fédéralisme et sur les principes de la théorie des choix collectifs, nous avons à plusieurs reprises montré qu’on ne pouvait faire avancer une idée en ne l’assumant pas, en ne la défendant pas sur toutes les tribunes, en la reportant toujours à plus tard.
Dès 1985, j’ai dénoncé les conséquences néfastes de l’abandon de l’article 1 du programme du PQ et sa conséquence : le retour au nationalisme d’affirmation nationale. J’ai critiqué la honte de l’indépendance qui paralysait l’action indépendantiste à tel point que ceux qui portaient politiquement le projet souverainiste n’osaient même pas employer le mot indépendance pour expliquer leur ambition aux Québécois et aux Québécoises. Pour confondre les sceptiques et leur éviter de fastidieuses recherches s’ils veulent vérifier mes dires, voici quelques extraits de ces analyses :
À lire et relire les intellectuels qui s’associent au mouvement indépendantiste, on peut à juste titre avoir l’impression que l’indépendance a honte d’elle-même. À tel point que ses défenseurs empruntent tous les détours lexicaux imaginables pour ne pas la nommer et qu’ils la présentent toujours comme subordonnée à un projet plus noble, plus inspirant dont elle ne serait que le moyen. Cette idée est tellement dévalorisée qu’on cherche à la reléguer aux oubliettes et qu’on ose même pas la défendre devant les électeurs. Elle n’est plus digne d’être au centre des débats qui orientent nos choix collectifs.
L’indépendance est pensée au conditionnel.
Elle n’est qu’objet de marchandage ou moyen de négociation. Oui à l’indépendance si Ottawa ne nous donne pas plus de pouvoirs. Oui à l’indépendance, si c’est rentable économiquement. Oui à l’indépendance, si l’État nous donne des augmentations de salaire. Oui à l’indépendance, si c’est pour construire le socialisme au Québec. Autrement dit, Oui à l’indépendance à la condition qu’elle n’arrive jamais. On est indépendantiste à la condition qu’elle nous ouvre les portes de la société parfaite, juste et progressiste. Nous, Québécois, comme peuple messianique, nous devrions avoir solutionné tous les problèmes qui touchent les sociétés occidentales avant d’accéder à l’indépendance. Et pourtant, le chômage, la pollution, l’inégalité sociale sont le lot des autres pays et aucun de ces pays ne songe à solutionner ces problèmes en renonçant à leur indépendance1.
Par la suite, Jacques Parizeau a corrigé le tir et maintenu le cap sur l’indépendance pendant quelques années en soutenant qu’il fallait faire la promotion de l’indépendance avant, pendant et après les élections. Mais cette sagesse politique a été balayée par les vents de l’électoralisme et les appétits de pouvoir à courte vue. Depuis son départ en 1996, le mouvement indépendantiste s’est enfoncé dans l’insignifiance politique en réduisant l’ambition nationale à la défense des intérêts provinciaux.
En 2005, dans le cadre de la « saison des idées », Robert Laplante est revenu à la charge en proposant de changer de stratégie et de sortir du cadre de l’action provinciale en prenant en charge des fonctions de l’État canadien comme l’assurance-chômage. Rien ne fut fait et le PQ continua à s’enfoncer dans le provincialisme.
Dans le numéro de juin 2013 de L’Action nationale, j’ai publié un autre article qui mettait en évidence les contradictions entre le nationalisme et l’indépendantisme :
Depuis les années soixante, le nationalisme et l’indépendantisme ont entretenu des relations complexes allant de la convergence à la contradiction. Le nationaliste croit que la nation québécoise peut trouver son compte dans le cadre du fédéralisme canadien et qu’il faut utiliser le pouvoir provincial pour assurer la survie des caractéristiques culturelles de la nation. L’indépendantiste pense pour sa part que cette stratégie de conservation ne fera que retarder l’inéluctable étiolement de la nation et que la question nationale ne peut se résoudre qu’en sortant du Canada. Autrement dit, le nationaliste a intériorisé les effets de l’Acte d’Union et les accepte comme prémisses de son action alors que l’indépendantiste poursuit le combat des Patriotes pour s’émanciper de la tutelle canadienne.
Quelles leçons tirer de cette dégelée historique du Parti québécois ? Dans l’article du numéro de septembre 2018, j’ai identifié les principales raisons de la faillite du mouvement indépendantiste. Il faut donc maintenant sortir du paradigme de l’étapisme, de l’électoralisme et de l’autonomisme. Les indépendantistes doivent se constituer en force politique et agir de façon constante et cohérente pour soutenir la défense et l’illustration d’une politique indépendantiste et non plus d’une politique provincialiste. Ce positionnement implique la constitution d’un parti transparlementaire qui agira à la fois sur la scène fédérale et sur la scène québécoise en mettant de l’avant un programme pour la réalisation concrète de l’indépendance.
Être indépendantiste veut dire penser globalement le Québec et ne pas se laisser enfermer dans le piège du fédéralisme fondé sur la logique de la division des pouvoirs qui a structuré la pensée nationaliste depuis l’adoption de la Confédération. Être indépendantiste implique qu’il faut intégrer la totalité des pouvoirs dans ses engagements et ses prises de position.
Le nouveau mouvement indépendantiste doit combattre la théorie du bicéphalisme qui définit les Québécois comme des monstres à deux têtes : une qui se voit en Canadien et l’autre en Québécois. Cette logique de la double identité entretient deux systèmes de légitimité et de loyauté et génère la confusion des esprits qui constitue un obstacle à l’efficacité de l’action indépendantiste. L’antidote à cette maladie coloniale du nationalisme québécois est le transparlementarisme. Cette idée signifie qu’il ne doit y avoir qu’un seul parti indépendantiste qui agit à la fois sur la scène fédérale et sur la scène québécoise. Ce parti aura un seul programme qui intégrera toutes les dimensions de la vie politique aussi bien les compétences dites provinciales que celles attribuées à l’État fédéral. Il ne sera plus question de limiter son action au cadre provincial ou de défendre les intérêts du Québec à Ottawa, débats étriqués qui ont miné la cohésion du mouvement indépendantiste jusqu’à présent. Ses politiques seront celles d’un État normal disposant de tous les pouvoirs. Il y aura une seule organisation, une seule carte de membre et une seule direction. Il offrira aux électeurs la possibilité de voter en tout temps pour l’indépendance, quel que soit le niveau des élections.
Ébranlés par le désastre électoral, les militants du Parti québécois auront-ils le courage de reconnaître leurs erreurs et de se remettre en question ? Ils seraient les mieux placés pour effectuer cette refondation du mouvement indépendantiste et relancer la mobilisation. Malheureusement, dans le passé, ils ne nous ont pas habitués à l’humilité et éblouis par leur audace, et la probabilité qu’ils assument cette remise en question est faible. Reste une autre solution qui est plus ardue : la création d’une nouvelle force politique dont l’existence pourrait stimuler l’ardeur des péquistes à se renouveler en profondeur. Si comme le veut la tradition politique au Québec : tout commence par un mouvement qui se transforme en parti politique, peut-être que la récente fondation du Mouvement Québec indépendant servira-t-il de creuset à cette refondation ?
1 Denis Monière, Avez-vous lu Hirschman ? Essais sur la déception politique, Montréal, Québec-Amérique, 1985, p.131-132.