Claude Cardinal
Une histoire du RIN, Montréal, VLB, 2015, 504 pages
Claude Cardinal a réalisé une biographie institutionnelle captivante du Rassemblement pour l’indépendance nationale. Il y relate de façon rigoureuse les péripéties du premier parti indépendantiste moderne en s’appuyant sur des sources premières. Il a le mérite d’avoir fouillé les archives de ce parti de façon minutieuse et construit sa trame narrative en s’appuyant sur l’analyse des procès-verbaux, des rapports financiers et des lettres des militants. Il a adopté une démarche chronologique qui nous permet de suivre le développement de ce parti avec ses problèmes organisationnels, ses conflits internes et ses débats idéologiques. Ayant été lui-même militant de ce parti, il a connu de l’intérieur ses forces et ses faiblesses qu’il nous décrit sans complaisance. Cardinal se fait toutefois discret sur ses propres faits d’armes ne les évoquant que rarement comme à la page 344 lorsqu’il confronta publiquement Jean Marchand.
Le livre de Cardinal est éclairant et utile non seulement pour la connaissance du passé, mais aussi parce qu’il identifie les problèmes qui seront récurrents jusqu’à nos jours. Le RIN a été en quelque sorte l’incubateur de toutes les problématiques et des débats qui animeront l’histoire du mouvement indépendantiste comme l’articulation entre l’indépendance et le projet de société, le rapport entre le chef et sa base, le rôle des militants, le positionnement à adopter dans les élections fédérales, le rapport entre Montréal et les régions, les relations avec les organisations de la société civile, l’union des forces indépendantistes, etc. Les questions non résolues du passé pèsent toujours sur les acteurs d’aujourd’hui.
Cardinal ne cache pas une certaine sympathie envers Marcel Chaput qui avait sacrifié sa carrière scientifique pour la cause. Il tente de lui rendre justice pour son travail de propagandiste et sa volonté de créer un parti indépendantiste alors que les dirigeants du RIN-mouvement tergiversaient et entretenaient une ambiguïté militante en refusant de faire de l’action électorale ce qui autorisait les doubles allégeances. On pouvait se dire indépendantiste tout en votant pour des partis fédéralistes ou autonomistes. Chaput fut le premier à comprendre les effets pervers de cette incohérence qu’il a voulu corriger en créant le Parti républicain du Québec, forçant ainsi le RIN à se transformer en parti politique en 1963. Chaput expliquait ainsi sa position : « Les indépendantistes ne pourront plus jouer sur deux tableaux en étant à la fois membres d’un mouvement d’indépendance et supporteurs [sic] d’un parti fédéraliste » (p. 111). La création d’un parti indépendantiste devait être un facteur d’unification des indépendantistes.
Il dédouane aussi Chaput des accusations de mauvaise gestion à la présidence du RIN que distillaient ses adversaires au sein du mouvement puisque l’administration du parti n’était pas de son ressort, mais relevait plutôt d’une direction collégiale qui était déficiente (p. 107).
Après la scission du PRQ, une autre scission vint perturber le mouvement indépendantiste, celle des militants de la région de Québec qui fondèrent le Regroupement national avec Jean Garon et René Jutras. Ce parti voulait mieux refléter les intérêts des régions et les valeurs traditionnelles du Québec profond et se dissocier les idées laïques et socialisantes du RIN. Le conflit gauche-droite menait à la division des forces indépendantistes.
L’auteur met tout particulièrement en évidence les difficultés de financement de ce parti qui, selon lui, expliqueraient sa disparition. On peut y suivre l’évolution de l’effectif, celui des abonnements au journal L’indépendance, les hauts et les bas des finances du parti. Tous ces détails sont révélateurs des difficultés organisationnelles du RIN qui, en 1965, avait 3644 membres. L’absence de caisse électorale et le manque d’organisations électorales dans les comtés expliquent aussi la performance décevante du RIN aux élections de 1966 où seul Pierre Bourgault réussit à se classer deuxième et à « sauver son dépôt ». Avec ٧٣ candidats, le parti avait récolté ٧,٨ ٪ des votes. On estima que la présence des candidats du RIN avait causé la défaite de ١٤ candidats du Parti libéral. Le RIN s’était fait connaître, il s’était imposé comme parti sérieux et crédible et avait fait pencher la balance électorale du côté de l’Union nationale. Autre motif de satisfaction, le RIN sortait de cette campagne électorale avec un surplus de ٢٣٦٣ $ et plus de ٥٠٠٠ membres. Mais Cardinal nous rappelle que, quelques mois plus tard, ٥٠ ٪ de ces adhérents n’avaient pas renouvelé leur carte de membre ce qui fragilisait les finances du parti. Il est à cet égard très élogieux envers Pierre Renaud qui contre vents et marées tentait de maintenir le parti à flot sur le plan financier. Sans ce militant discret et efficace, le parti aurait sombré beaucoup plus rapidement.
Cardinal explique le sabordement du RIN à la fois par des facteurs internes et externes. Le saut de René Lévesque et la fondation du MSA changeaient la donne et exerçaient une forte attraction sur l’ensemble des indépendantistes, ce que Bourgault reconnaissait d’emblée. Il fut lui-même convaincu de la nécessité de l’union de tous les indépendantistes par les querelles internes entre la gauche et la droite qui tendaient à paralyser l’action du RIN. Après des tractations infructueuses avec le MSA, la dissolution du RIN fut consommée le 26 octobre 1968.
Quel bilan peut-on faire de l’existence du RIN ? Quel a été l’impact de ce tiers parti sur l’évolution de la politique québécoise ? Le RIN a contribué à la démocratisation des mœurs électorales au Québec en adoptant des structures décisionnelles qui donnaient aux membres le pouvoir d’élire les dirigeants, de choisir les candidats et de définir les orientations du programme du parti. Il a été le premier parti à être financé par les contributions de ses membres et sympathisants.
Il a développé de nouvelles pratiques politiques pour se faire connaître et élargir son soutien en manifestant dans les rues, en soutenant les ouvriers en grèves, en organisant la formation politique de ses membres pour en faire des porteurs de messages dans leur milieu. Il s’est associé aux grands mouvements de contestation de l’époque comme la lutte des Noirs américains, la révolution cubaine, la lutte anti-impérialiste des Vietnamiens, la lutte contre les armes atomiques. Il a aussi propagé de nouvelles idées comme le républicanisme, le mode de scrutin proportionnel, la planification étatique, la laïcité.
Mais sa plus grande contribution a été de forcer les autres partis à se positionner sur le statut politique du Québec et sur la question linguistique en prônant l’indépendance et l’unilinguisme français. Il a aiguillonné le débat politique et a normalisé des idées qui étaient jusque là perçues comme marginales. Il a offert une alternative aux partis traditionnels et a permis la différenciation entre le nationalisme et l’indépendantisme. Pour toutes ses raisons, l’histoire du RIN méritait une étude exhaustive même s’il a été récemment l’objet d’un colloque organisé par la Société du patrimoine politique du Québec dont les actes ont été publiés dans le Bulletin d’histoire politique, vol 22, no 3, 2014.
S’il y a une lacune à déplorer dans ce livre, c’est le peu de cas qui est fait du contexte international. Le Québec ne vivait pas en vase clos et l’agitation politique et intellectuelle en Amérique latine, en Europe, en Afrique et en Chine exerçait une grande influence sur les jeunes Québécois qui s’ouvraient au monde. On trouve là les raisons de certains débats sur le parti révolutionnaire, sur le culte de la personnalité ou sur la lutte des classes qui ont marqué l’histoire du RIN. Mais cette réserve n’affecte en rien les qualités de l’ouvrage. Cardinal est, à mon avis, trop modeste lorsqu’il utilise dans son titre l’article indéfini « Une » histoire, il aurait pu écrire L’Histoire du RIN car ce livre sera l’ouvrage de référence sur ce parti.
Denis Monière
Politologue