Dénouer l’impasse hispano-catalane dans la paix

On savait depuis fort longtemps que le projet national visant l’autonomie complète de la Catalogne était un pari risqué. Voilà que les Catalans ont répondu OUI à une question référendaire très claire, « Voulez-vous que la Catalogne devienne un état indépendant », un oui à 91 %, mais avec une participation de seulement 43 % des électeurs, principalement en raison des interventions dissuasives excessives, pour ne pas dire criminelles, du gouvernement de Madrid.

On savait que, même si toute la population avait répondu un OUI massif à la question référendaire, on savait que cela ne se ferait pas sans difficulté, compte tenu de l’opposition farouche et intransigeante du gouvernement central espagnol qui a déclaré et répété deux fois plutôt qu’une que ce référendum était illégal et qu’il n’en reconnaîtrait pas le résultat.

Le conflit hispano-catalan a révélé au monde entier la résilience, la détermination et le courage pacifique d’un peuple en quête de sa liberté et de son affranchissement, le peuple catalan. Il a révélé du même coup le visage d’un pays que l’on croyait démocratique depuis la mort du dictateur Francisco Franco en 1975, l’Espagne. Avec stupéfaction, on s’aperçoit qu’en elle subsistent des relents de fascisme et de totalitarisme.

La Catalogne n’est pas le Québec, bien évidemment, mais comment ne pas se souvenir des événements d’Octobre 1970, de l’invasion par l’armée canadienne et des arrestations arbitraires de tous ceux que l’on soupçonnait d’être des partisans du Front de libération du Québec (FLQ) ?

Chaque peuple, chaque nation est unique, mais peut faire partie d’un ensemble plus grand dans lequel il se sent plus ou moins à l’aise. Le Québec partage cette situation avec la Catalogne, et, dans un premier temps, le premier ministre Philippe Couillard a timidement proposé sa médiation pour aider les Catalans à sortir de l’impasse. Il est fort probable qu’Ottawa l’a rappelé à l’ordre, car il n’en a plus été question. Cela n’empêche pas les Québécois de s’intéresser à la lutte du peuple catalan pour son affirmation nationale et internationale, d’autant plus qu’apparemment certains éléments rappellent à plusieurs égards le cheminement du Québec vers son indépendance.

Un peu d’histoire pour comprendre les enjeux

Tout au long de son histoire plusieurs fois millénaire, la Catalogne a toujours exprimé et revendiqué sa singularité, son caractère unique au monde, tant par sa langue que par sa culture.

Dès le XVe siècle, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille scellaient par leur mariage la création de l’Espagne. La Catalogne, déjà rattachée au royaume d’Aragon, se retrouve alors unie à la Castille, mais garde une partie de son autonomie et l’usage de sa langue. C’est en 1714 qu’il faut remonter pour comprendre la frustration des Catalans. Lorsque Philippe V, petit fils de Louis XIV, monte sur le trône, il abolit toute trace d’autonomie régionale. La langue catalane est interdite dans l’espace public.

Deux siècles plus tard, les velléités autonomistes de la Catalogne commencent à prendre forme. Les écrivains et les artistes créent un mouvement qui va peu à peu s’amplifier. Il faut libérer la Catalogne, sa langue, sa culture et sa politique régionale du joug espagnol. Après un retour à l’autonomie sous la République (1931-1939), la dictature du général Franco impose une deuxième fois l’interdiction de la langue catalane dans l’espace public.

En 1975, la mort du dictateur entraîne le retour de l’Espagne à la monarchie avec Juan Carlos 1er. En 1978, une nouvelle Constitution nationale est solennellement proclamée. Elle stipule que l’État espagnol est indissoluble. Toutefois en 1979, la Catalogne retrouve son statut de « communauté autonome » approuvé par une très forte majorité de Catalans en 2006 (73,2 %), malgré le retrait de certains pouvoirs imposé par Madrid.

La Catalogne est depuis dirigée par un gouvernement régional, avec un parlement basé à Barcelone, la Generalitat, et une constitution régionale. Tout comme ceux des Canaries, de l’Andalousie ou de la Galice, ce « gouvernement régional autonome » dispose de certains pouvoirs en matière de santé, d’éducation, de services sociaux et de police, mais reste quand même soumis à la constitution nationale espagnole.

Face à l’intransigeance du gouvernement central de Madrid qui refuse tout changement et rejette les principales revendications catalanes, le mouvement d’émancipation prôné par la Generalitat catalane prend de plus en plus d’ampleur. Le gouvernement conservateur espagnol de Mariano Rajoy se fait menaçant et met tout en œuvre pour contrecarrer le séparatisme catalan afin de préserver l’unité nationale de l’Espagne. Assez paradoxalement, cela produit l’effet contraire et alimente l’indépendantisme catalan.

Dans ce contexte constitutionnel coulé dans le béton, on comprend pourquoi la Cour constitutionnelle espagnole refuse de reconnaître la légitimité de l’organisation d’un référendum sur la souveraineté de la Catalogne. Elle ne peut que le déclarer inconstitutionnel. Elle annonce donc d’avance qu’elle n’en reconnaîtra pas le résultat.

En juillet 2010, une manifestation envahit les rues de Barcelone. Plus d’un million de personnes se mobilisent pour affirmer que la Catalogne est une nation et qu’elle peut revendiquer son droit de choisir l’indépendance, qu’elle a le droit démocratique de voter en ce sens.

Le film Le peuple interdit du réalisateur québécois Alexandre Chartrand (2016) fouille les raisons qui poussent un peuple vers l’autodétermination et révèle que, sur 2,3 millions de Catalans qui iront aux urnes, 81 % sont alors en faveur de l’indépendance.

Mais la constitution espagnole est rigide et fermée, incapable de s’adapter. À Madrid, le gouvernement de Mariano Rajoy (centre-droit) est braqué, et cherche à rallier les autres régions contre la Catalogne. Il interdit alors tout référendum.

Le lundi 13 mars 2017, Artur Mas, leader incontesté de la coalition catalane en faveur de l’indépendance et organisateur d’une première consultation, est condamné à 2 ans d’exclusion de toute fonction politique, pour désobéissance. Le tribunal estime que l’unité de l’Espagne ne peut être débattue que par l’ensemble des Espagnols. L’Espagne n’est pas une confédération comme le Canada.

Malgré cela, l’option de l’indépendance progresse. Elle devient majoritaire au parlement catalan en termes de sièges, et presque en termes de voix. « Nous sommes une nation. C’est nous qui décidons », disent les Catalans.

Le successeur d’Artur Mas, Carles Puigdemont, appuyé par 560 maires de la Catalogne, maintient le référendum pour le 1er octobre 2017 et, réaliste, prépare une loi de transition vers un État indépendant en cas de victoire du OUI pour la création de la République de Catalogne.

Québec/Catalogne, deux parcours qui se ressemblent ?

La démarche des Catalans ressemble-t-elle à celle des Québécois ? Oui, dans une certaine mesure, dans leur besoin viscéral d’affirmation nationale et internationale.

Les deux peuples minoritaires se ressemblent par leur aspiration à vouloir se diriger eux-mêmes, par leur revendication du droit à s’autodéterminer pour devenir totalement responsables de leur gouvernance nationale.

Les deux peuples se sentent à l’étroit dans leurs liens de dépendance avec un gouvernement central qui, pratiquement, continue de décider pour eux, refusant tout net de dialoguer dans une véritable négociation pour aménager un espace acceptable dans une constitution satisfaisante pour tous. Les réactions de Justin Trudeau et de Mariano Rajoy affichent la même raideur, le même sentiment de supériorité qui frise la condescendance et le mépris.

L’aspiration à la liberté d’être soi-même s’explique dans les deux cas par des siècles de domination et souvent d’exclusion et de négation, dans un cadre politique incapable de respecter les caractéristiques linguistiques et culturelles, économiques et sociales de cette affirmation identitaire bien réelle, mais si difficile à cerner, car toujours en évolution, qui fait couler tant d’encre depuis plusieurs années, un peu partout dans le monde.

Au-delà de ces analogies, il est clair qu’en Catalogne, le conflit peut s’envenimer dangereusement. Alors qu’au Canada, la cour constitutionnelle a reconnu qu’en cas de référendum gagnant au Québec, Ottawa aurait l’obligation de négocier, la raideur hautaine du gouvernement de Madrid, cabré sur son article 155, est certes de mauvais augure pour un dialogue démocratique, seul capable d’éviter un conflit armé qui ne profiterait à personne et qui meurtrirait durablement les deux peuples.

Les solutions de la science politique et du droit international pour les règlements des conflits

Dans le domaine des relations internationales et concernant le règlement des conflits, la science politique propose une approche de dialogue et de concertation fondée sur ce que l’on appelle la diplomatie, sagesse de ceux qui savent… et qui ont des diplômes. Cette approche privilégie l’écoute et le respect de l’autre, la connaissance réelle de l’autre dans sa différence, l’écoute réelle et attentive de ses besoins, de ses attentes de ses objectifs, l’écoute de ce qu’il est vraiment.

La diplomatie est l’art de négocier entre personnes diplomatiquement reconnues pour parvenir à régler un problème sans violence, de façon pacifique.

Les conflits sont souvent la conséquence d’une méconnaissance de l’adversaire. Ils se nourrissent d’impressions, d’opinions rigides et de préjugés tenaces. La diplomatie est exactement le contraire de la raideur, et de l’imprudence têtue. Elle est ouverture toute en souplesse au dialogue et à la conciliation.

Dans la conduite d’une affaire difficile, dégagée émotionnellement et psychologiquement, la diplomatie privilégie la souplesse et la prudence. Elle déploie toutes les ressources d’une habileté fondée sur la compétence et le savoir, sur la vertu de patience et l’expérience de la vie, spontanément imprégnée de sympathie pour le prochain, ce qui permet de bien comprendre les différents interlocuteurs. Elle réussit à rapprocher des positions qui semblaient aux antipodes les unes des autres, à trouver des solutions avantageuses pour les différentes parties en cause, et, parfois, à résoudre un conflit.

Dans une négociation difficile, il peut être utile d’avoir recours à des observateurs extérieurs, à des modérateurs neutres et objectifs qui ne sont pas directement engagés émotionnellement ou idéologiquement dans la cause. Ils sont plus aptes à travailler lucidement avec l’ensemble des lois et des règles de droit, avec les conventions et les traités dont les civilisations se sont dotées pour un mieux-être collectif.

Dans le conflit qui déchire l’Espagne et la Catalogne, c’est dans cet état d’esprit que l’Union européenne devrait se sentir concernée. Or, elle se contente de rester passive sous prétexte de neutralité, ou plutôt dans la crainte d’une contagion sécessionniste, d’un effet domino qui pourrait inspirer les autres peuples de l’Espagne, par exemple les Basques, ou encore d’autres minorités ailleurs en Europe, en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, etc.

L’Espagne est également membre de l’ONU. De ce fait, elle adhère à la charte des Nations unies relativement aux droits civils et politiques, charte qui stipule que tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Certes les limites du droit d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays permettent à l’ONU de ne pas se sentir concernée par ce conflit, mais la filière diplomatique ne pourrait-elle pas proposer une médiation bénéfique ?

Le déclenchement d’élections libres des deux côtés, en Espagne comme en Catalogne, ne permettrait-il pas de laisser la voix des peuples s’exprimer sur la légitimité de leurs dirigeants ? Mariano Rajoy, appuyé sur la puissance aveugle de l’article 155 de la constitution espagnole, pourrait être démis de ses fonctions s’il continue à refuser le dialogue de paix, et Carles Puigdemont pourrait être confirmé dans sa volonté de dialogue pacifique. Les deux dirigeants issus des urnes pourraient s’assoir à une même table et négocier des accommodements raisonnables, des compromis qui ne seraient pas des compromissions, susceptibles de satisfaire les deux parties. Il est si important pour la suite des choses que chaque partie puisse s’en tirer honorablement, dans l’aspiration collective à bâtir un monde meilleur et libre, sans perdre la face dans une humiliation qui blesse et fait inutilement souffrir.

Convoquer des élections régionales et nationales libres et démocratiques serait une partie de la solution au problème. Quelle qu’en soit l’issue, cela donnerait une plus grande légitimité au gouvernement catalan. Madrid n’aurait pas d’autre choix que de le respecter et renforcerait du coup sa propre légitimité. La menace de suspension totale de l’autonomie de la région catalane, un retour en arrière inacceptable et intolérablement humiliant pour le fier et courageux peuple catalan, serait oubliée. La diplomatie pourrait s’exercer dans un climat plus serein. q

* Politologue

jlbourque@videotron.ca

 

On savait depuis fort longtemps que le projet national visant l’autonomie complète de la Catalogne était un pari risqué. Voilà que les Catalans ont répondu OUI à une question référendaire très claire, « Voulez-vous que la Catalogne devienne un état indépendant », un oui à 91 %, mais avec une participation de seulement 43 % des électeurs, principalement en raison des interventions dissuasives excessives, pour ne pas dire criminelles, du gouvernement de Madrid.

On savait que, même si toute la population avait répondu un OUI massif à la question référendaire, on savait que cela ne se ferait pas sans difficulté, compte tenu de l’opposition farouche et intransigeante du gouvernement central espagnol qui a déclaré et répété deux fois plutôt qu’une que ce référendum était illégal et qu’il n’en reconnaîtrait pas le résultat.

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