Éditorial – Le marasme et la confusion

 

Les commentateurs et chroniqueurs autorisés s’en sont donné à cœur joie avec leurs babillages en marge du congrès du Parti québécois. Piaffant d’impatience et d’envie de rédiger sa notice nécrologique, les Michel David, Michel C. Auger et autres Francine Pelletier de la confrérie ont repris le refrain encore plus usé que celui qu’ils reprochent au PQ de tenir. À les lire et les entendre, le parti aurait fait son temps parce qu’il aurait fait la démonstration de son esprit pétrifié par son incapacité à sortir du ressentiment envers les Anglais et par sa manie de toujours mettre la faute sur le Canada dès qu’il s’agit de constater que quelque chose cloche dans la province. Les pauvres, ils sont sans mémoire, leurs devanciers – et peut-être eux-mêmes en début de carrière – ânonnaient les mêmes insignifiances dès le lendemain du référendum de 1980.

Le but ici n’est pas de revenir sur le congrès du PQ ni de prendre la mesure du déficit de crédibilité qu’il a lui-même creusé avec ses attitudes velléitaires et ses manœuvres louvoyantes. Cela a été fait maintes et maintes fois dans les pages de L’Action nationale et ailleurs. Il faut cependant commencer d’en finir avec la pensée molle et les inepties que le commentariat médiatique, partagé entre l’inculture politique et le conformisme de la profession, impose au débat public. La question québécoise est toujours entière et rien n’a changé des paramètres de base de notre condition de peuple entravé. Un carcan ne disparaît pas parce qu’on cesse de le regarder. Et encore moins quand les oracles de la bien-pensance nous disent de chercher un autre spectacle. L’industrie du commentaire prend alors le relais des naufrageurs qui, partout dans la politique politicienne, pratiquent la pensée oblique, le déni assumé et le refus de voir les choses en face.

C’est parce qu’ils sont tout entier absorbés dans la politique provinciale et la pensée rabougrie qu’elle impose et cultive que les savants observateurs ne cessent de ramener les accusations de culture du ressentiment et de victimisation. Ils ne font écho qu’à la politique des lamentations inhérente à la condition de minoritaire consentant qui, à défaut de lire et comprendre le régime dans lequel le Québec est maintenu, les rend incapables d’en saisir la portée pour éclairer l’actualité et saisir les enjeux. Il faut dire, à leur décharge, que le PQ lui-même – et particulièrement sous Lucien Bouchard – s’est enlisé dans cette politique des lamentations et d’éternelles minimisations des pertes qui a fait exploser la conjoncture post-référendaire de 1995.

Les souverainistes, qui ont pourtant englouti des ressources gigantesques et gaspillé une énergie folle à construire des argumentaires, ne se sont jamais attelés à faire le procès du régime avec constance et rigueur. Ils ont failli à faire voir en quoi la constitution imposée privait le Québec et son peuple de la liberté de décider par lui-même et pour lui-même. Ils sont restés prisonniers des formes de débat que le partage des compétences impose à l’Assemblée nationale où ils n’ont jamais avec force démontré comment la législation qu’ils construisaient restait en deçà de la construction de notre intérêt national.

Ils ont échoué à faire comprendre que les adversaires mentaient et mentent encore délibérément quand ils tentent de banaliser et minimiser les empêchements et les impacts d’un ordre constitutionnel conçu pour corseter et réduire les pouvoirs de l’Assemblée nationale. Ils ont pratiqué l’autocensure et les conduites d’évitement pour ne pas avoir chaque jour à mettre l’énergie au combat fondamental. La politique provinciale est toujours une politique du reposoir, une politique où l’on cherche du réconfort et du répit à s’activer sur l’accessoire ou à tronquer dans l’analyse les pans du raisonnement qui obligeraient à conclure que « tant que l’indépendance n’est pas faite, elle reste à faire » (Miron).

Devoir vivre sous l’empire d’une loi fondamentale qui place notre peuple en laisse n’est pas une affaire d’attitude constructive et de posture sereine devant la vie. C’est une donnée factuelle dure. Un fait qui n’est pas sans graves conséquences. Tous les rapports Québec/Canada, tous les domaines de la vie nationale, tous les aspects des décisions collectives sont soumis à des règles et des politiques qui ne peuvent donner que des solutions bancales. Soit les moyens manquent ou échappent au contrôle, soit les finalités sont neutralisées, annulées ou dévoyées par la majorité canadian en son parlement.

Les commentateurs qui sont prompts à dénoncer la médiocrité de la gestion québécoise du système de santé sont plus lents à mesurer les conséquences d’un régime constitutionnel qui fait chanter le Québec à même les impôts versés par les Québécois. La détérioration planifiée des paiements de transfert se traduit inévitablement par le consentement à la résignation à pactiser avec la médiocrité en tout, puisque le budget du Québec dépend essentiellement d’une mécanique financière qu’il ne contrôle pas. Lui reprocher les conséquences de cette résignation c’est passer à côté de l’essentiel. Le régime condamne le Québec et les Québécois à se penser, se projeter et s’administrer avec les moyens que le Canada lui laisse. Et c’est cela le réalisme de ceux et celles qui disent être passés à autre chose.

Certes, la condition provinciale « n’est pas le goulag » comme le serinent les impuissants qui aiment à se cacher derrière les attitudes trop souvent velléitaires de René Lévesque. Ce n’est pas du ressentiment que de reprocher au régime de fonctionner selon les règles de sa normalité. Ce n’est pas du ressentiment que de constater qu’aucune politique linguistique ne peut adéquatement servir le Québec parce que le régime est construit sur l’intention et les moyens de la détruire. Ce n’est pas accuser Ottawa de tous les maux que de constater que le régime lui donne les moyens de niaiser les créateurs et de saboter la politique culturelle. Ce n’est pas en faire un bouc émissaire que de constater que sa politique d’immigration est tout entière dirigée vers la diminution programmée du poids relatif du Québec. Ce n’est pas délirer d’anxiété que de dénoncer son utopie de faire monter les seuils d’admission à plus de cinq cent mille immigrants par an et d’en craindre tous les effets néfastes. Cela n’a rien à voir avec la xénophobie que de dénoncer le multiculturalisme érigé au rang de religion d’État et de vouloir en combattre les politiques alors que le régime lui donne tous les moyens de l’enfoncer dans la gorge des Québécois en laissant entendre qu’ils sont des demeurés indignes de la grandeur canadian.

Cela n’est pas de la sensiblerie maladive que de s’indigner quand des villes canadian se liguent pour financer les manœuvres de neutralisation de notre Assemblée nationale. Ce n’est pas non plus une surprise de constater une millième fois que nos choix sont présentés pour contraire aux droits humains quand cela peut servir la carrière des ambassadeurs. Il faut chaque fois répliquer, mais sans illusion : il n’y a rien d’autre à attendre du Canada. Et c’est de la dignité élémentaire que de le réaffirmer.

Le Québec est une nation empêchée. C’est cette démonstration constante qui reste à faire et à partager. Et c’est cette caractéristique de régime que l’écran médiatique et les partis de la soumission refusent de placer au cœur des lectures de l’actualité politique. Il n’est pas un domaine de la vie collective qui ne souffre de fonctionner avec des règles qu’Ottawa peut tordre, contourner ou neutraliser à sa guise en se drapant dans la légitimité d’une constitution illégitime. Ramener et réduire les dénonciations à la psychologie du ressentiment ne tient pas de l’analyse, mais de l’alibi. L’autodétermination, la souveraineté et l’indépendance, cela n’a rien à voir avec des manifestations de mauvaises attitudes. C’est une affaire de combat. C’est cette représentation que les défenseurs du statu quo drapés dans une pseudoneutralité tentent d’étouffer avec des raisonnements lénifiants. Ce sont des agents de légitimation d’un ordre imposé, un lubrifiant dans une mécanique liberticide.

Tant que ce procès du régime ne sera pas mené sur tous les fronts et conduit pour faire voir et valoir ce qu’une claire compréhension de notre intérêt national devrait dicter de nos réactions et décisions politiques ; tant que la politique provinciale imposera ses catégories conceptuelles, la confusion des esprits et le marasme politique prévaudront. Pis encore, plus l’indigence intellectuelle minera la culture civique, plus le Québec s’enfoncera dans les idéologies victimaires dans lesquelles seront inversés les arguments des jovialistes qui osent prétendre que le consentement à la minorisation constitue une voie de développement pour la nation. Si l’indépendance est un horizon dépassé, il ne reste plus que la soumission et l’indignité.

Pour paraphraser Churchill, se soumettre, au nom du réalisme et du pseudopragmatisme, c’est le plus sûr moyen de se mériter des conditions de soumission plus dures encore et de devoir les subir dans l’indignité croissante. Ottawa en donne chaque jour l’assurance, du piétinement des engagements à l’égard du français aux iniquités de traitement des candidats francophones à l’immigration en passant les politiques d’achats et les contrats publics. Le plus fort du contingent de commentateurs se paie de mots pour mieux pisser de la copie et faire du temps d’antenne à peu de frais et au moindre effort. Radio-Canada mène le bal et paie la tournée.

La politique indépendantiste qui nous manque cruellement est une politique de combat. Ottawa peut-il mener une guerre de propagande à bas bruit, jouer de tous les registres de la violence symbolique sans qu’il n’y ait de ligne de conduite politique qu’à tendre l’autre joue ?

Les souverainistes se sont trop longtemps perdus dans les gadgets du marketing politique à force de vouloir trouver l’approbation des maîtres et de ceux qui les servent. On veut bien concéder que cela s’accorde mal avec l’air du temps et les poncifs de la rectitude politique, mais la réalité ne disparaît pas parce que la nommer déplaît aux belles âmes qui préfèrent la béatitude démissionnaire au dépassement dans les combats nécessaires.

L’indépendance se conquiert. Pouce par pouce. Par l’effort infatigable et la conviction qu’on ne quémande pas sa liberté. Et qu’on ne la trouvera pas dans le babillage des commentateurs s’imaginant être passés à autre chose. Ils sont comme ces ivrognes perdus dans le noir et qui préfèrent aller chercher les clés de leur maison sous les réverbères où les a conduits la consommation des boissons frelatées que leur servent les taverniers de province.

 

 

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Les commentateurs et chroniqueurs autorisés s’en sont donné à cœur joie avec leurs babillages en marge du congrès du Parti québécois. Piaffant d’impatience et d’envie de rédiger sa notice nécrologique, les Michel David, Michel C. Auger et autres Francine Pelletier de la confrérie ont repris le refrain encore plus usé que celui qu’ils reprochent au PQ de tenir. À les lire et les entendre, le parti aurait fait son temps parce qu’il aurait fait la démonstration de son esprit pétrifié par son incapacité à sortir du ressentiment envers les Anglais et par sa manie de toujours mettre la faute sur le Canada dès qu’il s’agit de constater que quelque chose cloche dans la province. Les pauvres, ils sont sans mémoire, leurs devanciers – et peut-être eux-mêmes en début de carrière – ânonnaient les mêmes insignifiances dès le lendemain du référendum de 1980.

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