Étienne-Alexandre Beauregard. Le retour des Bleus

Étienne-Alexandre BeauregardLe retour des Bleus : les racines intellectuelles du nationalisme québécoisMontréal, Éditions Liber, 2024, 192 pages Le retour des Bleus. Les racines intellectuelles du nationalisme québécois, publié aux éditions Liber, est le deuxième essai politique de l’auteur Étienne-Alexandre Beauregard. À travers sept chapitres, l’auteur décrit les fondements philosophiques des courants politiques du Québec contemporain et concentre la […]

Étienne-Alexandre Beauregard
Le retour des Bleus : les racines intellectuelles du nationalisme québécois
Montréal, Éditions Liber, 2024, 192 pages

Le retour des Bleus. Les racines intellectuelles du nationalisme québécois, publié aux éditions Liber, est le deuxième essai politique de l’auteur Étienne-Alexandre Beauregard. À travers sept chapitres, l’auteur décrit les fondements philosophiques des courants politiques du Québec contemporain et concentre la majorité de son livre à démontrer que le clivage politique du Québec, et même du Canada, n’est plus celui entre fédéraliste et souverainiste datant de la Révolution tranquille, mais bien celui entre les Rouges libéraux progressistes et les Bleus nationalistes conservateurs, terme s’avouant être un pléonasme dans le contexte québécois.

Beauregard va au-delà d’une simple analyse des différences philosophiques entre les courants politiques d’aujourd’hui. Il retrace d’une part les origines et l’évolution de celles-ci et d’autre part les auteurs, les acteurs et les moments les ayant influencés. Le lecteur est ainsi bien servi sur le plan de l’histoire politique, ses personnages et ses organisations. En 171 pages, il développera une cartographie et une ligne du temps de la politique québécoise et canadienne ainsi que les prises de position des uns par rapport à l’autre. L’ouvrage est un résumé pertinent pour comprendre les origines la politique québécoise contemporaine.

D’emblée, l’auteur explique, appuyé par de nombreuses références historiques et récentes, que le progressisme est au cœur du libéralisme canadien, et parfois québécois, au même titre que le conservatisme est au cœur du nationalisme québécois. À noter que, l’auteur n’explore pas le conservatisme canadien, mais le lecteur peut déduire quelques parallèles pertinents.

Selon l’auteur, le progressisme typique des Rouges se caractérise principalement par l’idée que l’être humain peut faire fi de sa réalité et son environnement pour atteindre l’état d’un être abstrait. La finalité du progressisme est un soi-disant progrès perpétuel, un changement pour le changement, ainsi que le droit absolu des individus à se définir par ses particularités, peu importe où ils se trouvent et avec qui ils partagent la cité.

Le conservatisme des Bleus, quant à lui, se caractérise principalement par le devoir de transmission de l’héritage social et politique de la nation, de s’unir à travers ce que nous avons en commun et d’effectuer des changements lorsque c’est nécessaire. La finalité du conservatisme est l’adhésion à la culture commune à travers laquelle l’individu peut exprimer ses particularités.

L’auteur explique que cette dualité entre Rouges progressistes et Bleus conservateurs précède ainsi le clivage entre fédéralistes et souverainistes. Beauregard explique que les partis politiques québécois ayant représenté les Canadiens français puis les Québécois ont eu en un ancrage politique de conservation et de transmission de l’héritage canadien-français. Cet héritage est parfois plus ou moins évident, voire ignoré, en fonction des analyses proposées par une variété d’auteurs.

Ce nationalisme conservateur bleu serait marqué par les personnages historiques tels que Garneau, Groulx, Duplessis, Lévesque, Laurin, Parizeau et Legault. Même les partis libéraux de Lesage et Bourassa mettaient les intérêts du Québec devant ceux du Canada. Ce n’est qu’à l’ère Charest-Couillard que le libéralisme québécois a viré complètement au rouge et s’est concentré davantage sur les intérêts de l’État impérialiste qu’est le Canada. À terme, le clivage met toujours en opposition deux concepts centraux : la liberté individuelle et le progrès des Rouges versus le bien commun et l’héritage des Bleus.

L’auteur démontre que maintenant qu’un grand nombre de questions sociales sont réglées, comme le droit à l’avortement et le droit à l’union entre conjoints du même sexe qui sont des droits individuels protégés, le progressisme libéral rouge perd en pertinence. Ce dernier vire même dans l’excès autoritariste, ayant un dégoût pour tout ce qui est commun. Il veut en fait le défaire, car tout commun oppresse toute particularité individuelle. L’auteur note que le paradoxe progressiste libéral rouge, soit l’humain abstrait négligeant les besoins mêmes de la nature humaine, a atteint un point de bascule. Cela expliquerait le retour au conservatisme bleu, et même un certain républicanisme citoyen, qui, depuis la création du Canada, vise la continuité historique, culturelle et linguistique de l’héritage canadien-français.

Selon Beauregard, la différence entre le conservatisme historique du Québec et le nationalisme d’aujourd’hui se trouve simplement dans sa contemporanéité, soit l’adhésion majoritaire de la population québécoise à la protection du bien commun via les lois 21 et 96 et la réduction des seuils d’immigration. Exit, donc, pour l’instant, le clivage entre fédéralistes et souverainistes. Cela s’explique par le fait qu’à l’ère post-Charest-Couillard, le nationalisme conservateur de la CAQ suffit à l’électorat.

Que faire du mouvement libertarien du Parti conservateur du Québec et du mouvement nationaliste progressiste de Québec solidaire ? Selon Beauregard, le mouvement libertarien ne soulève pas davantage les passions québécoises, car ce dernier ne serait pas compatible avec le nationalisme québécois et perçoit la loi 101 comme une tendance tyrannique, une mesure imposée qui contrevient au libre choix des anglophones et des allophones de choisir la langue d’éducation et de l’État. Le libertarianisme québécois serait donc rouge, priorisant ainsi la notion pure de liberté individuelle avant celle du bien commun. Quant à la proposition à la fois nationaliste et progressiste de Québec solidaire, elle n’est pas non plus compatible avec l’électorat québécois majoritaire, car il est davantage un progressisme libéral rouge avant qu’il ne soit nationaliste bleu.

Cela s’explique par le fait que le nationalisme progressiste solidaire perçoit, comme les anglophones, l’héritage québécois, francophone et laïque comme une oppression des minorités et des immigrants religieux pratiquants. De plus, le nationalisme progressiste rouge des solidaires ne voit pas dans la souveraineté de la nation une solution aux enjeux sociaux propres au Québec de crainte qu’un Québec souverain, à majorité d’origine québécoise, ait, sans la présence d’un État supérieur progressiste rouge telle que le Canada, des tendances fascistes envers ses minorités. Pour ces raisons, Beauregard affirme que le retour des Bleus est normal face aux dérapages du progressisme libéral canadien et son dédain pour les particularités de la société québécoise, société désireuse de la conservation d’un certain lieu commun, et de manière plus importante, sa capacité de décider par elle-même sur les enjeux qui la concernent. Ce projet politique nationaliste bleu est également considéré par les Rouges comme trop différent voire en opposition avec le projet politique rouge et impérialiste canadien.

En terminant, la force de cet ouvrage se trouve dans les nuances entre les variantes rouges et bleues à travers les époques, entre les concepts clés, les propositions politiques des divers partis politiques et politiciens. Si l’auteur documente avec rigueur la philosophie progressiste rouge et offre un « temps de parole » élevé au commentariat de ses partisans et leur dédain pour le conservatisme bleu, l’ouvrage aurait gagné en mettant en évidence les bienfaits du nationalisme conservateur, des exemples de succès, et surtout, un plus grand « temps de parole » aux défendeurs et promoteurs de la philosophie nationaliste conservatrice bleue.

Le lecteur reste sur sa faim quant aux raisons qui convaincraient les indécis d’adhérer au camp des Bleus face aux promesses du progressisme rouge de garantir le bien-être absolu de l’individu. Car s’il est naturel pour un individu de prioriser son bien-être personnel, un effort supplémentaire est exigé pour concevoir et contribuer au bien commun. Pourquoi adhérer à la requête des Bleus de faire quelque compromis sur son bien-être au nom du bien commun alors que les Rouges proposent le contraire, de garantir son bien-être au nom du progrès ?

Étienne-Alexandre Beauregard invite le lecteur à délaisser les sirènes trompeuses d’un progressisme libéral postnational des Rouges pour l’humilité conservatrice et la sagesse politique des Bleus, une sagesse propre aux petites nations telles que le Québec, nation ayant pour ambition honorable l’intégration de tous grâce à la protection, la célébration et la transmission de ce qui nous unit.

Jean-François Plante-Tan
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