Florence Mary Simms
Étoffe du pays. Traduit par Louis Pelletier, Québec, Septentrion, 2014, 154 pages
Dans une chanson peut-être moins connue de Jean Ferrat parue peu de temps après la commémoration du bicentenaire de la Révolution française en 1989, ce dernier se moque de ces célébrations un peu artificielles où la Royauté a été finalement mise en valeur plus que le peuple. En conclusion de ce brûlot très politique, Ferrat termine avec cette phrase implacable : « C’est toujours le peuple qu’on craint ». Il a sans doute raison. Toutefois, je me dis en parcourant la réédition de l’ouvrage Étoffe du pays de Florence Mary Simms initialement publié en 1913 que c’est peut-être pire encore quand une certaine forme de bourgeoisie se met à trop aimer le peuple, car alors nous sommes en pleine folklorisation culturelle ce qui constitue parfois une forme d’amour un peu inconsidéré s’apparentant à un faux enchantement et peut-être à une subtile forme de crainte.
De fait, il peut sembler étonnant qu’un éditeur fasse paraître une traduction de ce récit folklorisant de Florence Mary Simms. Ce texte oublié n’a pas une grande valeur historique et son auteure, une touriste de passage à La Malbaie au début du XXe siècle, se perd dans une évocation littéraire sans grand intérêt au sujet d’un milieu qu’elle ne perçoit que superficiellement. Certes, cette auteure est en vacances et elle a bien le droit de s’amuser à admirer béatement une population jugée pittoresque, de beaux paysages, à se conforter dans son univers feutré, mais cela ne risque pas d’interpeller grandement le lecteur d’aujourd’hui. Alors, pourquoi rééditer et traduire ces textes un peu anodins ? La question se pose.
Il est vrai que le traducteur de ce livre, Louis Pelletier est un amoureux de Charlevoix et un résident saisonnier du secteur de Cap-à-l’Aigle où sa famille (il est notamment le frère de Jean Pelletier, ancien maire de Québec et aussi ancien directeur de cabinet de Jean Chrétien) possède une résidence depuis quelques générations. Villégiateur dans Charlevoix, il s’est peut-être plu à retrouver la trace d’une époque où l’on pouvait évoquer cette région sans en parler vraiment ou seulement en relatant de simples joies estivales. Il y a parfois un effet miroir dans ce retour vers la nostalgie bourgeoise des étés enchantés issus d’une époque coloniale où certains privilégiés prenaient du « bon temps » alors que la majorité du peuple vivait dans un grand dénuement. Dans son ouvrage précédent sur la seigneurie de Mount-Murray, Louis Pelletier retient l’expression « le règne des seigneurs » pour décrire cette période historique et qui sait peut-être s’en est-il encore imprégné pour ce nouvel ouvrage ?
Pour notre part, il nous apparaît qu’il eût été préférable pour lui de faire une présentation un peu plus solide du récit littéraire de Florence Mary Simms. Son introduction au livre est courte et légère – comme une saison estivale en quelque sorte –, mais elle ne parvient pas à mettre en contexte adéquatement ce document ancien devenant ainsi difficile à saisir dans une optique plus contemporaine.
Quelques éléments de la présentation sont discutables dont notamment la description de l’histoire de la villégiature dans Charlevoix où tout est enrobé dans la superficialité et dans une lecture souvent erronée des documents. Un peu comme l’historien canadien-anglais George M. Wrong écrivant « qu’il n’existe pas d’histoire à Murray Bay » (La Malbaie pour les touristes anglais), Louis Pelletier colle à une description où les « seigneurs » et les touristes anglais prennent le pas sur le peuple du lieu. Sans doute se serait-il entendu ici avec l’auteure dont il traduit le texte, mais pas avec des personnes désireuses de bien connaître Charlevoix et son histoire régionale. Nous ne relèverons pas les nombreuses « perceptions spontanées » de cette introduction, mais il faut noter l’utilisation par Pelletier d’un ouvrage généalogique reconnu pour ses erreurs et aussi sa propension à interpréter des documents comme le « Murray Bay Atlas » avec une approche presque naïve et pas du tout historique. Le regard ébloui de son auteure aurait-il fait perdre une approche critique pourtant nécessaire chez son traducteur ? Peut-être bien.
Quant à la notion de la « culture de l’Autre » présentée dans l’Histoire de Charlevoix de l’INRS-Culture et Société parue en 2000, si Pelletier l’évoque en écrivant que « l’industrie de la villégiature [depuis quand la villégiature est-elle une “industrie” ?] qui règne en maître […] va influencer largement les événements et la culture de toute la population », il ne manque pas de s’y enliser complètement plutôt que d’en éviter les pièges. La principale difficulté avec ce regard des villégiateurs étant justement qu’il finit par influencer, voire éteindre la culture régionale en étant toujours celui que l’on retient au sujet de Charlevoix. Clairement, Louis Pelletier s’inscrit dans cette approche qu’il faut combattre et heureusement, en fait, que son introduction ne comporte que quelques pages.
Quant à la traduction du texte de l’anglais au français, il aurait été préférable de la confier à un professionnel plutôt qu’à Louis Pelletier. Ce n’est sûrement pas pour économiser, car l’enrobage luxueux de ce petit livre montre une volonté d’investir dans un projet finalement un peu mince au lieu de présenter plus modestement le récit de cette gentille visiteuse estivale comme il aurait convenu en tenant compte de son importance historique très limitée. Nous pensons qu’il aurait mieux valu, par exemple, présenter les récits datant du XIXe siècle au sujet de la villégiature dans Charlevoix rédigés par des Québécois francophones comme Arthur Buies ou encore Robertine Barry, bien avant celui de Florence Mary Simms. Sommes-nous rendus aussi apeurés par notre image que nous préférons nous perdre dans le regard des autres, plutôt que de découvrir des pages peut-être plus pertinentes écrites par les nôtres ? Ici, le désir de Louis Pelletier et de Septentrion de faire renaître les souvenirs désuets et dépassés d’une auteure anglophone de 1913, avec son triste relent folklorique et colonial – et cela sans analyse historique vraiment pertinente –, prend une perspective un peu douloureuse à un moment de l’histoire du Québec où nous aurions tant besoin de nous affirmer et de nous connaître plutôt que de relire les préjugés estivaux sommaires d’une auteure issue d’une époque où la domination de l’Autre a failli nous faire perdre de vue ce que nous sommes vraiment comme peuple.
Serge Gauthier
Centre de recherche sur l’histoire et le patrimoine de Charlevoix