François Legault
Cap sur un Québec gagnant. Le projet Saint-Laurent, Boréal, 2013, 295 pages
Alors qu’il est très répandu en France, le genre littéraire que constitue l’essai signé par un homme politique est plus rare au Québec. Ne serait-ce que pour cette raison, il vaut sans doute la peine de s’attarder à Cap sur un Québec gagnant. Le projet Saint-Laurent, le livre de François Legault paru en 2013.
La première partie de ce livre constitue une sorte de mini autobiographie plutôt réussie où l’on apprend une foule de choses intéressantes. Par exemple, avec une photo couvrant trois quarts de page à l’appui, l’auteur révèle que le mariage de ses parents fut célébré par le grand-oncle de sa mère, soit nul autre que le chanoine Groulx. Puis, il raconte son enfance et son adolescence à Sainte-Anne-de-Bellevue dans l’ouest de Montréal. Il évoque évidemment ses études aux HEC qui, quelques années plus tard, l’ont mené à démarrer une compagnie aérienne, Air Transat. Fait quelque peu surprenant, il parle très peu des événements politiques qui ont marqué le Québec pendant toute cette période, sauf pour dire qu’il a milité pour la création d’un cégep français dans l’ouest de l’île, qu’il lisait le journal indépendantiste Le Jour et que, pendant le référendum de 1995, il a accepté que Mario Dumont visite des locaux d’Air Transat. Le passage sur ses années en politique active est évidemment plus riche en anecdotes. Quoique, là encore, on a l’impression qu’il manque des bouts, petits ou grands, que ce soit l’épisode du « ticket Marois-Legault » ou le printemps étudiant.
De manière comparable, le deuxième chapitre consacré à la question nationale est plutôt court, à peine huit pages. La position qui en ressort se résume comme suit. Le fait que la Constitution canadienne ait été imposée contre la volonté du Québec est inacceptable, il est fortement douteux que le Québec puisse arriver à s’entendre avec le Canada prochainement et les Québécois ne sont pas prêts à régler cette question. Dans ce contexte, « il vaut mieux éviter de nous diviser sur la question nationale, le temps pour le Québec d’augmenter son niveau de richesse collective pour ne plus avoir à réclamer l’aide financière du Canada, la péréquation, qui l’affaiblit dans son rapport de force ». Outre l’économie, l’auteur propose que le Québec se concentre sur la protection de sa langue et de ses valeurs. En matière linguistique, il se contente d’évoquer l’intégration des immigrants et la francisation accrue du marché du travail qui passeraient par l’augmentation des ressources et « une série de mesures incitatives ». Puis, il mentionne qu’il lui tient à cœur que l’Assemblée nationale dispose de l’autonomie nécessaire dans ce domaine, au point où il n’écarte pas le recours à la clause dérogatoire. En ce qui concerne la laïcité, il propose une charte qui interdirait le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignants du primaire et du secondaire. Ici, il ne parle toutefois pas de la clause dérogatoire.
Concernant sa position constitutionnelle comme telle, elle est abordée en une page et se résume en trois propositions concrètes à mettre sur la table : 1) la question des chevauchements ; 2) l’interpellation du fédéral pour qu’il agisse de façon plus dynamique et conséquente dans le corridor maritime du Saint-Laurent ; 3) la proposition d’un « compromis historique » en demandant au fédéral un élargissement significatif des responsabilités du Québec en matière de langue et de culture, et ce, à la suite de Robert Bourassa qui parlait de « souveraineté culturelle ».
Cette position apporte peu de réponses et soulève beaucoup de questions. Comment concilier cette proposition de « compromis historique » avec son affirmation, faite une demi-douzaine de pages plus tôt, qu’il doute fortement que le Québec puisse arriver à s’entendre avec le Canada prochainement ? Que faire si le fédéral refuse ? La réforme visée serait-elle administrative ou constitutionnelle ? Si elle est constitutionnelle, comment pourrait-elle se réaliser considérant la formule d’amendement de la Constitution ? Sa position semble miser trop sur la bonne foi du Canada anglais. Alors que sur les autres sujets François Legault se montre volontariste et déterminé à aller de l’avant même s’il rencontre des obstacles, ici il se montre plus timide. Or, une position plus ferme, sans nécessairement être plus radicale, siérait mieux au personnage. Par exemple, dans la foulée de son intention d’invoquer la clause dérogatoire au besoin, il aurait été intéressant qu’il évoque la voie de l’unilatéralisme, en nous expliquant comment il entend accroître l’autonomie du Québec, sans l’accord du fédéral si nécessaire. Bref, même si elle constitue un progrès par rapport à la position constitutionnelle de l’ADQ version Gérard Deltell, dont l’autonomisme se limitait à réclamer le respect des compétences provinciales, la proposition Legault gagnerait à être bonifiée et précisée au cours des prochaines années.
D’ailleurs, le caractère peu développé de cette position constitutionnelle apparaît de manière d’autant plus évidente en comparaison avec d’autres propositions contenues dans le livre qui sont présentées avec moult détails. C’est le cas du fameux projet Saint-Laurent qui consiste essentiellement à transformer la vallée du Saint-Laurent en une zone d’innovation et à faire en sorte que les citoyens puissent se réapproprier le fleuve. Avouons-le d’emblée, l’auteur est plutôt convaincant lorsqu’il dit que c’est par l’entrepreneuriat que le Québec va se développer et que l’État a un rôle important à jouer à cet égard, notamment en favorisant le rapprochement entre les entreprises et les universités.
L’auteur parle longuement des clusters, qu’il définit comme des regroupements d’entreprises, d’investisseurs et de chaires de recherche qui partagent un territoire et une vision des stratégies de développement. Le nombre d’exemples et de détails qu’il donne à propos de divers clusters démontre que lui et son équipe ont mené une véritable réflexion. Quatre bémols doivent tout de même être mentionnés. D’abord, le lien entre cette partie économique de l’ouvrage et sa partie plus identitaire n’est pas toujours aussi évident qu’il devrait l’être. Par exemple, alors qu’il se prononce pour des sièges sociaux où l’on travaille en français, il mentionne plus tard à deux reprises que, dans la Silicon Valley, la moitié de la population a pour langue maternelle une langue autre que l’anglais sans dire ce qu’il en est de la langue de travail. Cela peut laisser la fâcheuse impression que son nationalisme relève d’un dossier particulier et non d’une vision d’ensemble. Autres problèmes possibles, les exemples qu’il expose s’appliquent souvent à un territoire beaucoup plus petit que celui de la vallée du Saint-Laurent, surtout si elle est élargie à Gatineau et Sherbrooke comme dans le projet Saint-Laurent, et bénéficiant d’investissements militaires. Cela pose la question de la portée de ce projet, entre autres pour les régions périphériques, et de son réalisme pour un gouvernement dépourvu d’un ministère de la Défense. Quatrièmement, lorsque l’auteur parle d’innovation, c’est presque toujours exclusivement d’innovation scientifique. Or, si le Québec veut continuer d’offrir des services publics gratuits et réduire les inégalités sans hausser les impôts, il a intérêt à faire aussi de l’innovation sociale. De même, François Legault parle très peu d’économie sociale, alors qu’il s’agit d’une force au Québec, au moins depuis Alphonse Desjardins, et, sans doute, d’une façon d’augmenter le taux d’entrepreneurs qui serait plus faible au Québec qu’ailleurs, comme nous le rappelle l’auteur. Cependant, il ne cherche pas vraiment à aller plus loin en expliquant les causes de cet écart, qui pourraient se trouver dans notre vieux fond catholique, du moins si l’on s’inspire de certains travaux classiques de Max Weber. Nous sommes peut-être abusivement critiques ici, puisque le lecteur moyen ne s’attend sans doute pas à trouver ce genre de référence dans ce livre. Ce à quoi ce serait attendu le lecteur par contre, ce sont des mesures concrètes en matière d’entrepreneuriat. Certes, il y en a quelques-unes comme la hausse du nombre de diplômés en génie. Mais on se serait attendu à encore plus de concret. Pourquoi pas des contrats de performance avec les organismes d’aide aux entreprises afin qu’ils réduisent les délais d’attente nuisibles aux entrepreneurs qui, par nature, doivent souvent bouger rapidement ? Une idée semblable aurait supposé une réflexion assez poussée sur le partage des compétences État-municipalités en cette matière, alors que l’auteur préfère éluder cette question.
Cela apparaît particulièrement dans les passages consacrés à l’aménagement du territoire où il est question notamment de décontamination des berges du Saint-Laurent. Si ces passages ont le mérite de tordre le cou à l’idée que la CAQ serait un parti de droite peu soucieux de l’environnement, ils s’attardent beaucoup à des questions relevant en grande partie des municipalités. Par moment, on se demande si l’auteur aspire à devenir premier ministre du Québec ou président de la Communauté métropolitaine de Montréal. N’empêche, sur le fond, il a souvent raison, que ce soit lorsqu’il propose de redonner les rives aux citoyens ou lorsqu’il affirme qu’il faut miser sur le tourisme, et surtout les croisières, pour relancer l’économie. Son idée d’un « circuit Jacques-Cartier » allant de la Gaspésie à Montréal est une trouvaille intéressante. De même, son chapitre sur « La Norvège d’Amérique » met de l’avant une position équilibrée en matière de ressources naturelles : il souhaite leur exploitation, mais dans le respect de l’environnement, avec l’acceptabilité sociale et la participation de l’État, notamment dans des compagnies pétrolières. On ne voit pas tellement en quoi cette position se différencie fondamentalement de celle du PQ, mais peu importe.
Enfin, l’auteur termine son ouvrage en en appelant à un Québec gagnant « Qui sera pleinement maître de son destin » ; formule qui semble inspirée à la fois du « Soyons maîtres chez-nous » de Lionel Groulx et du Québec « libre et capable d’assumer son destin et son développement » de Robert Bourassa. D’ailleurs, après la lecture de ce livre, la question qui taraude le lecteur n’est pas tant de savoir si François Legault prendra un jour le pouvoir. Elle est plutôt de savoir, le cas échéant, quel François Legault prendrait le pouvoir : le « descendant » de Groulx prêt à affirmer le caractère français du Québec, ou le « descendant » de Bourassa pour qui l’économie prime sur tout ? Sans doute qu’il serait préférable qu’il s’agisse d’une synthèse des deux ; ce qui suppose une dialectique complexe dont Cap sur un Québec gagnant. Le projet Saint-Laurent semble peut-être, parfois, jeter les bases, mais insuffisamment.
Guillaume Rousseau
Professeur de droit, Université de Sherbrooke