Pierre Lahoud
L’île d’Orléans. Pays de traditions. Collection 100 ans noir sur blanc. Québec, Les Éditions GID, 2014. 208 pages
Donald Dufour et Lyse Richer
L’Isle-aux-Coudres. Le fleuve dans la peau. Collection 100 ans noir sur blanc. Québec, Les Éditions GID, 2014. 208 pages
Île jolie, île de rêve/Qu’on ne peut s’empêcher d’aimer
Extrait de la chanson « Valse de l’île aux Coudres »Y a l’tour de l’île/Quarante-deux milles/De choses tranquilles
Extrait de la chanson « Le tour de l’île » de Félix Leclerc
Le Québec possède-t-il des îles recélant des trésors? S’il s’en trouve le trésor n’est probablement pas très matériel mais plutôt immatériel, alors que ces lieux deviennent souvent une sorte de réserve patrimoniale sauvegardant des héritages culturels ailleurs perdus. Oublions la matérialiste île de Montréal que les folkloristes d’hier retenaient souvent comme un lieu de perdition de notre culture traditionnelle, mais n’oublions pas que pour des créateurs artistiques comme le chansonnier Félix Leclerc à l’île d’Orléans et le cinéaste Pierre Perrault à l’île aux Coudres, ces îles se sont imposées comme les témoins presque inexpugnables des traditions françaises du Québec d’autrefois. Tout cela est probablement plus faux que vrai. Il faudrait y revenir. Consacrons-nous plutôt à voir comment la collection 100 ans. Noir sur blanc des Éditions GID présente ces îles à la fois modestes et pourtant si significatives sur le plan culturel pour l’ensemble des Québécois.
Une remarque préliminaire doit être faite en ce qui concerne le nom Isle-aux-Coudres utilisé par les auteurs du livre et que la Commission de toponymie du Québec ne retient pas pour désigner cette entité géographique en conseillant plutôt île aux Coudres (que nous utiliserons pour cet article). Le nom Isle-aux-Coudres étant plutôt adopté par la municipalité du lieu depuis quelques années seulement et peut-être bien pour favoriser une sorte de confusion qui ne met nullement en valeur l’origine de l’appellation donnée par Jacques Cartier en 1535. Ne cherchez toutefois dans l’ouvrage des Éditions GID les « merveilleuses » noisettes ou coudres goûtées par Cartier car il ne semble plus s’en trouver sur l’île depuis longtemps. Pour le livre sur l’île d’Orléans la recommandation de la Commission de toponymie est retenue pour l’entité géographique et pourtant cet espace comprend six municipalités toutes mises en valeur dans le livre. Les Éditions GID auraient pu faire attention à ce fait qui a son importance en ce qui concerne l’île aux Coudres.
Des réserves s’imposent aussi au sujet de cette collection qui se refuse à afficher des repères bibliographiques solides sur les lieux présentés. Cela entraîne un questionnement sur les sources servant à rédiger les courtes légendes se retrouvant au bas des photos et dans certains cas –cela est notamment patent pour le recueil photographique sur l’île aux Coudres- il est possible pour un lecteur attentif et quelque peu documenté de retrouver les éléments de textes publiés par d’autres ailleurs et quasi inchangés. Nous sommes ici presque à la limite du plagiat, alors qu’il serait si simple et plus juste de s’approprier la référence exacte en la citant. De même, une chronologie historique faite par des historiens au fait du sujet serait appréciée comme un point de repère utile en lien avec ces publications. Le problème est plus grave pour le recueil de l’île aux Coudres où les auteurs (Donald Dufour et Lyse Richer) sont visiblement inexpérimentés en histoire, que pour celui de l’île d’Orléans où l’historien Pierre Lahoud s’avère beaucoup plus compétent en la matière. Les gens du lieu peuvent faire d’excellents guides en histoire locale ou régionale mais ne sont pas nécessairement en mesure de rédiger un livre conforme aux normes habituelles dans le domaine et les responsables des Éditions GID devraient songer à cela avant de leur confier trop facilement un travail qui relève d’une expertise professionnelle reconnue et ou des recherches historiques sérieuses auraient été nécessaires.
Par ailleurs, l’idée de recueils photographiques sur des localités et des régions du Québec est bonne et louable. La question de la reproduction des photos se pose toutefois car elle ne paraît pas toujours parfaite et même quelquefois floue. Est-ce que cela est causé par des reproductions de photos originales imparfaites mais quand même intéressantes sur le plan documentaire? Peut-être bien. Toutefois, il faut constater que ces livres ne cherchent pas à faire le tour de tous les fonds d’archives concernant le sujet retenu. En ce qui concerne l’île aux Coudres, l’inventaire est presque seulement insulaire délaissant presque totalement les fonds nationaux du Québec et du Canada et tout autant ceux de la région (Centre d’archives de Charlevoix, Société d’histoire de Charlevoix). De même, on n’y retrouve aucune photo des importantes collections Marius Barbeau et Albert Tessier dont les créateurs ont pourtant séjourné à l’île aux Coudres. Du côté de l’île d’Orléans le traitement est plus varié et Marius Barbeau notamment y est à l’honneur, de même que la plupart des fonds de photos reconnus. En revanche, il n’y a toutefois que peu de photos en provenance des gens du lieu. Néanmoins, on ne sent aucun effort de relater toute la réalité historique du lieu dans ces deux livres et cela n’est sans doute pas l’objectif d’ailleurs.
Alors quel est l’objectif? Se coller à des photos de famille en majorité pour l’île aux Coudres où l’intérêt national est moindre : pourquoi illustrer en grand nombre des faits de sociétés et des coutumes certes insulaires mais qui se retrouvent aussi ailleurs? Pourquoi si peu pour des éléments spécifiques comme la pêche aux marsouins, si peu pour l’aspect légendaire de l’île (pourquoi pas de photos de la Roche Pleureuse? De la Butte à Caya? De la croix du Père de La Brosse?), assez peu sur les goélettes et presque rien pour le tourisme et la villégiature. Pourquoi beaucoup trop sur Pierre Perrault qui se fait un recréateur de traditions plutôt qu’un gardien du patrimoine insulaire, surtout que le tournage de ses films s’effectue après 1960 date où l’espace chronologique couvert par la collection 100 ans. Noir sur blanc se termine selon les critères exposés sur le quatrième de couverture de l’ouvrage? Le fonds photographique retenu sur l’ile est réduit à peu, n’est pas complet, peut paraître sympathique sans plus pour des gens du lieu mais un peu décevant pour qui cherche plus une compréhension historique qu’un regard insulaire très quotidien et un peu fermé.
Pour l’île d’Orléans l’approche est plus variée mais nécessairement très ethnologique. Les photos se concentrent sur une île d’Orléans un peu enchantée où l’on aurait aimé plus de questionnements sur son cheminement récent. L’entrée en matière avec le pont de l’île est très intéressante, car elle explique le retrait de l’isolat traditionnel de ce vieux lieu de peuplement. On s’étonne de trouver des affiches uniquement en anglais sur cette île dont Félix Leclerc craignait que certains veulent « la mettre en mini-jupe and speak english ». La présence de maisons et d’églises patrimoniales est bien mais peut-être trop mise en valeur. Pourtant, certaines interrogations demeurent : l’île d’Orléans n’est-elle pas devenue pour une bonne part une banlieue aisée de la ville de Québec? Rien de cela ne transparaît dans ce livre. Le lieu n’en est pas au questionnement de cette supposée « fleur de lyse » (dixit Leclerc) qui a voté massivement pour le PLQ ou la CAQ à la dernière élection québécoise et où Pauline Marois a essentiellement perdu sa circonscription de Charlevoix-Côte-de-Beaupré à laquelle l’île d’Orléans avait été jointe depuis peu. Il est vrai que les photos de la collection de GID doivent supposément s’arrêter en 1960 mais déjà le folklore était emporté par le modernisme bien avant et n’aurait-il pas été souhaitable de tenir compte de cela dans le choix des photos? Ici la tradition, même un peu trop idyllique. prend le pas sur les changements pourtant importants survenus dans l’après seconde guerre mondiale. Un peu dommage car cette confrontation –ici à peine effleurée- aurait été indicatrice des premiers élans de la Révolution Tranquille qui a transformé l’île d’Orléans comme le reste du Québec.
Mais, il est souvent préférable de s’en tenir au folklore romantique. Il faut de ces bastions qu’il importe de ne pas égratigner quitte même à mentir, à cacher un peu du réel de ces espaces insulaires qui comme l’île aux Coudres très clairement et l’île d’Orléans dans une moindre mesure, ne sont aujourd’hui plus aussi patrimoniales qu’avant. La collection 100 ans. Noir sur blanc de GID ne cherche pas toute la vérité historique mais bien plus une certaine nostalgie et ainsi les livres de photos de l’île aux Coudres et de l’île d’Orléans posent un regard limité ou même très partiel. Ils ne doivent surtout pas être vus comme des livres d’histoire et gare aux chercheurs en quête d’une source solide. Le rêve des bastions culturels insulaires a sans doute fait long feu et les livres de GID ne sauraient le faire renaître. Vivement des ouvrages possédant un cadre historique plus solide sur ces îles dont les secrets ne se révèlent pas par un seul regard même attendri sur des photos assemblées sans un effort de recherche consistant et vraiment significatif.
Serge Gauthier
Centre de recherche sur l’histoire et le patrimoine de Charlevoix