Inflation, pétrolières et taxe carbone

Il y a présentement un problème des plus sérieux. Les citoyens sont l’objet d’un rapt légalisé de leurs économies, alors même qu’ils peinent à joindre les deux bouts, à payer la totalité de leurs factures, et à trouver un logement. Ce rapt légalisé, en contexte de hausse fulgurante du coût de la vie et de […]

Il y a présentement un problème des plus sérieux. Les citoyens sont l’objet d’un rapt légalisé de leurs économies, alors même qu’ils peinent à joindre les deux bouts, à payer la totalité de leurs factures, et à trouver un logement. Ce rapt légalisé, en contexte de hausse fulgurante du coût de la vie et de crise de l’abordabilité c’est – notamment – celui du prix de l’énergie, principale cause de l’inflation. Force est de l’admettre, l’utilisation du carbone coûte cher. Pendant que le peuple, épuisé et à la situation financière exsangue, doit payer le gros prix, une élite déconnectée en profite, et a tout le loisir de mener une belle vie douillette.

En effet, pendant que le monde en arrache, le secteur de l’extraction du pétrole et du gaz engrange des profits records. Pour les années 2020, 2021 et 2022, on parle de milliards dollars, dont la moitié dans la seule année 2022. En 2022 seulement, on estime ces profits à 270 milliards. Des milliards de dollars, dans les poches de grandes corporations dont 70 pour cent des actionnaires sont étrangers. Il fallait bien entendu compter sur la pétromonarchie d’Ottawa pour leur offrir des garanties princières, en subventionnant grassement, de manière directe et indirecte, cette industrie qui n’en a nullement besoin.

Mais cela, les conservateurs n’en parlent pas, incestueux comme ils le sont avec les pétrolières qui nagent dans les profits malgré une rhétorique sur le gros bon sens populaire, eux qui n’ont aucun plan de sortie des énergies fossiles et qui préfèrent aujourd’hui, pour une énième fois, nous casser les oreilles avec une taxe carbone qui ne s’applique PAS au Québec.

Le soutien pétrocanadien

Si nous souhaitons parler sérieusement du problème qui nous occupe, nous penserons aux six crédits d’impôt qui totaliseront 83 milliards d’ici 2025, dans les deux derniers budgets du gouvernement libéral-NPD. Deux d’entre eux se démarquent particulièrement. Qu’on pense, en premier lieu, au crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres, qui malgré son nom favorisera une extraction accrue de bitume et une augmentation de l’exportation du gaz ; qu’on pense, en second lieu, au crédit d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, qui aide les pétrolières à pomper le pétrole jusqu’à la dernière goutte en soutenant une technique expérimentale qui a tout d’une stratégie de greenwashing. C’est sans compter qu’Ottawa a nationalisé un oléoduc (Trans Mountain) dont le coût de construction de l’expansion s’élève à 30,9 milliards de dollars, dont la majeure partie sera épongée par les contribuables.

Mais cela n’est pas nouveau : selon un rapport d’Équiterre, en avril 2019, Finances Canada et Environnement Canada n’ont pas livré la marchandise en matière d’annulation des subventions aux énergies fossiles. 1,6 milliard de dollars aux pétrolières, selon l’organisme. Ce même groupe estimait en novembre 2018 que, de 2012 à 2017, Exportation et développement Canada a offert 12 fois plus d’argent aux énergies fossiles qu’aux énergies propres. Si vous doutez d’Équiterre, demandons au Fonds monétaire international ce qu’il en pense : en 2019, il estimait que les subventions directes et le soutien indirect aux énergies fossiles au Canada s’élevait, en 2017, à 54 milliards de dollars.

Le problème est clair et limpide, et devrait sauter aux yeux à tous ceux qui sont prêts à voir : alors que nos compatriotes subissent une inflation galopante, les riches entreprises pétrolières et gazières en profitent, AVEC la plus grande complicité des libéraux et des conservateurs. Tout cela, alors que les scientifiques s’entendent sur le fait que 80 pour cent du pétrole doit rester sous terre si nous voulons adopter une posture responsable. Qui plus est, plus de 95 pour cent du pétrole canadien est issu des sables bitumineux, indiquant que la part qui n’en est pas issue est marginale. Le pétrole des sables bitumineux est parmi les plus polluants au monde, et les changements climatiques coûtent cher à tout le monde.

En plus d’être injuste et écocidaire, la religion canadienne du tout-au-pétrole est également un bien mauvais choix économique, freinant la diversification de l’économie canadienne. L’exploitation des ressources naturelles sera alors étroitement liée au déclin de l’industrie manufacturière dudit pays. Rappelons ainsi les pertes d’emplois liées à la hausse du dollar canadien, elles-mêmes liées à la hausse des exportations de pétrole bitumineux.

Une question se pose dès lors : comment soulager le portefeuille de nos compatriotes ? On peut bien entendu suivre le simplisme des conservateurs, qui proposent l’abolition de la prétendue taxe carbone, sans que la motion proposée ne définisse ce dont il s’agit.

Qu’est-ce que la taxe carbone ou les taxes carbone ?

Tout d’abord, la taxe carbone ne s’applique pas au Québec, qui a mis en place son propre système de bourse du carbone, sous forme de partenariat avec la Californie, avec qui le Québec partage un système de plafonnement et échange des émissions. Celui-ci est en vigueur, sans effet négatif, depuis 2013. Ce système fait en sorte que nous ne sommes pas touchés par cette taxe.

Quant à l’autre politique concernant le carbone, que certains appellent « la seconde taxe carbone » (qui n’est aucunement une taxe parce qu’il n’y a aucun prélèvement au profit des coffres de l’État), il s’agit du Règlement sur les carburants propres, qui n’est en fait qu’une modernisation d’un règlement adopté en 2010 par le premier ministre conservateur Stephen Harper (dont l’actuel chef conservateur était secrétaire parlementaire). Il n’y a qu’un seul changement entre les deux règlements : plutôt que d’imposer un moyen (5 pour cent d’éthanol dans l’essence dans la version conservatrice), il impose un résultat. Concrètement, le nouveau règlement exige qu’en 2030, la production de chaque litre d’essence ait généré 15 pour cent moins de GES qu’en 2019. C’est tout. Dans ce règlement, contrairement à la précédente version conservatrice, le gouvernement ne dit pas aux pétrolières comment elles devront s’y prendre pour réduire leurs émissions. Libre donc à elles de réduire les émissions qu’elles émettent lorsqu’elles extraient du pétrole ; ou de réduire les émissions qu’elles émettent lorsqu’elles le raffinent ; ou de choisir du pétrole moins polluant que celui des sables bitumineux lorsqu’elles font le raffinage ; ou encore d’ajouter davantage de biocarburants comme de l’éthanol dans l’essence pour qu’elle contienne moins de pétrole.

Au Québec, l’effet du Règlement est minime, voire nul. Le gouvernement du Québec a déjà adopté le Règlement sur l’intégration de contenu à faible intensité carbone dans l’essence et le carburant diesel, qui prévoit déjà que l’essence vendue au Québec contienne 15 pour cent de biocarburants.

L’abolition de cette politique serait polluante et injuste. Polluant, car elle offre une prime à ceux qui se chauffent avec des combustibles polluants, sans en offrir à ceux qui ne polluent pas, tels les gens qui se chauffent à partir d’électricité de source renouvelable. Injuste, car ce sont principalement les ménages à plus faibles revenus qui profitent de la taxe sur le carbone. Le gouvernement s’est engagé à remettre le produit de la redevance sur les carburants directement aux particuliers et aux familles, par le biais des paiements de l’incitatif à agir pour le climat. Cette redevance sur les combustibles est profitable aux ménages à faible revenu (ils reçoivent plus qu’ils paient), donc sa suspension n’est pas au service des plus vulnérables.

La vraie solution ne réside pas dans l’invention de faux problèmes.

Le choix du virage écologique

Si les Québécois sont relativement épargnés par la hausse des coûts du chauffage, ce n’est même pas parce que la taxe fédérale sur le carbone ne s’applique pas au Québec : c’est parce qu’ils ont depuis longtemps fait le choix des énergies renouvelables, notamment dans leurs moyens de se chauffer. Ce qui coûte cher aux Québécois et Québécoises, ce ne sont pas les taxes canadiennes qui ne s’appliquent même pas au Québec, ce sont les milliards de dollars de l’argent des contribuables qu’Ottawa en subventions, directes ou indirectes, aux pétrolières et aux gazières de l’Ouest.

Mettons-y fin. Et dotons-nous d’un sérieux plan de transition énergétique. L’économie et notre planète en sortiront gagnantes. Nous en serons tous gagnants. C’est ça, le gros bon sens. Mais le Canada est structurellement bâti sur une véritable religion pétrolière. Notre futur pays du Québec prendre la question énergétique d’une manière autrement plus sérieuse. 

Ph. D. Député de Saint-Hyacinthe–Bagot. Porte-parole du Bloc québécois en commerce international.

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