Jacques Lanctôt. Yves Michaud. Un diable d’homme!

Jacques Lanctôt
Yves Michaud. Un diable d’homme! Préface de Pierre Karl Péladeau, VLB Éditeur, 2013, 285 pages

Yves Michaud est un homme de parole et d’écrit, maniant la langue française avec une passion et une aisance comme peu de gens en sont malheureusement capables aujourd’hui. C’est d’ailleurs pourquoi le récit intellectuel biographique de Michaud était jusqu’à maintenant disponible essentiellement à travers les différents recueils de ses articles, dont le plus récent et le plus costaud remonte à 2005 et était intitulé Les raisons de la colère. Est donc disponible en librairie, cet automne, la première biographie de Michaud au sens où on l’emploie traditionnellement.

Ce livre, signé Jacques Lanctôt, constitue assurément un portait admiratif de l’homme. L’ouvrage s’ouvre sur une préface signée par nul autre que Pierre Karl Péladeau, qui souligne la contribution de l’homme tout en affirmant, à juste titre, que la « vie d’Yves Michaud se confond avec l’histoire contemporaine du Québec » (p. 9). S’ensuit une fausse introduction constituant un « portrait d’Yves Michaud tel qu’en lui-même », un procédé douteux, d’autant plus que le style ne concorde pas parfaitement avec celui de l’objet du livre.

L’intérêt de l’ouvrage réside dans la synthèse d’un parcours impressionnant que les multiples anecdotes parsèment adéquatement. Michaud a été tour à tour journaliste, député, fondateur du journal indépendantiste Le Jour, délégué général du Québec à Paris (poste garant du même statut diplomatique qu’un ambassadeur de pays souverain), directeur du Palais des Congrès de Montréal, négociant en vins et « Robin des Banques » combattant les conséquences concrètes que la dérive financière du capitalisme fait subir aux actionnaires. Ajoutons à ce curriculum vitae le fait – beaucoup moins glorieux – de premier blâmé de l’histoire mondiale du parlementarisme, sans de surcroit que les députés aient su sur quels propos condamnables ils votaient…

Un aperçu biographique de Michaud serait incomplet si nous devions évacuer sa constante lutte pour la protection de notre langue nationale comme expression de notre culture, combat qu’il a mené sur deux fronts, soit par une verve et un vocabulaire impeccable dont l’utilisation à l’ère globalisante fait presque office d’acte de transgression, et par un militantisme constant en faveur de l’application et de la bonification de la Charte de la langue française. En bon empêcheur de tourner en rond, Michaud a fait frémir plusieurs chefs du Parti québécois, dont en premier lieu Lucien Bouchard, alors qu’il proposait au congrès de 1996 d’abolir la loi 86 du gouvernement Bourassa qui rétablissait le libre choix en matière d’affichage, et Bernard Landry, pour sa défense de l’application de la loi 101 au niveau collégial avant que Landry ne s’y rallie lui-même après son départ de la politique. On peut présumer que c’est d’ailleurs son grand-gueulisme par rapport à l’enjeu linguistique qui a causé l’alliance des deux grands partis dans ce que Michaud appelle la « motion scélérate » de décembre 2000. Michaud n’aurait assurément pas incarné la figure du député d’arrière-ban qui aurait observé sans mot dire la démission collective des élites gouvernementales vis-à-vis du déclin de la langue française au nom de la préservation de la paix linguistique.

Michaud sait faire frémir tout autant les bien-pensants que les puissants de ce monde. Son militantisme dans la défense des petits actionnaires se double d’un discours plus large sur la mondialisation, à l’heure où les marchés semblent s’être pleinement émancipés de la souveraineté des autorités publiques. C’est que Michaud est doté d’une vision d’ensemble de l’intérêt national, constatant les dangers qui planent sur l’État québécois et les outils de développement tels que la Société générale de financement, la Caisse de dépôt et placements et Hydro-Québec, et l’importance vitale de ces leviers dans l’émergence du Québec inc., plus menacé de disparition que jamais.

Dans les corridors de l’Élysée, Louise Beaudoin a jadis accusé de manière méprisante Michaud d’être le « dernier représentant de la vieille ethnie canadienne-française » qu’elle combattait au Québec. Or, Michaud n’a pourtant rien de la caricature habituelle du Canadien français, soit de l’idéal type du produit de la Survivance. Michaud s’inscrit dans le courant « rouge », soit dans le révolutionnarisme tranquille lorsque, sous l’égide de Georges-Émile Lapalme, les libéraux ont su incarner une synthèse du nationalisme d’affirmation – par opposition au repli identitaire porté par l’Union nationale – et du fond moderniste qui habitait, à l’ère de l’apparition de la télévision, une partie croissante de la population. Le nationalisme moderniste de l’époque ne représentait pas une tentation de la table rase, soit d’une allergie systématique au concept de continuité historique. S’il n’est pas de l’école groulxienne, le temps et les exigences sociétales l’ont réconcilié avec cette dernière.

Lorsqu’il a assumé le combat pour l’indépendance, Michaud a fait sien ce combat d’une manière totalement décomplexée et résolue. Mais Michaud n’en semble pas moins, alors qu’avant-garde est synonyme de cosmopolitisme et que l’heure est au « citoyen du monde », faire figure d’homme d’une autre époque, quand la culture constituait un horizon de labeur. C’est à travers le savoir, cette connaissance en profondeur du passé – mot désormais honni – que l’émancipation personnelle s’est jadis située, alors qu’on voyait celle-ci comme un enrichissement et une croissance individuelle ô combien plus louables que ce que véhiculent les repères de la psycho-pop post-humaine contemporaine ! C’est qu’on y était tout simplement étranger : Michaud semble effectivement constituer un étranger, un archétype venu d’ailleurs, en cette époque morne, désenchantée et hyper-rationaliste.

C’est à l’exigence de la mémoire, cette faculté qui oublie, que Lanctôt rend hommage à un homme et à une nation en faisant en sorte que nous nous rappelions celui qui a un parcours hors du commun. Cette biographie était nécessaire, et il demeure fort dommage qu’Yves Michaud se refuse toujours de rédiger ses mémoires. Le livre de Lanctôt est sans nul doute une hagiographie, peut-être un peu trop centrée sur le seul récit biographique, délaissant l’histoire des idées et des courants nationaux et sociaux qui ont traversé le Québec. Il est par exemple question du scoutisme en tant qu’activité à laquelle s’adonnait Michaud, mais pas du rôle fondamental de cette pratique dans l’adhésion au nationalisme et la promotion du lien collectif. L’affaire Michaud est décrite, mais aucune réflexion n’est portée sur son impact non seulement sur l’homme, mais sur la remobilisation d’une frange des indépendantistes qui se refusera désormais à faire des compromis sur la défense de leur identité nationale.

L’ouvrage nous fait néanmoins réfléchir sur l’impact de l’homme dans la Cité. Si la contribution du premier à la seconde semble aller de soi, on peut aussi se demander si la seconde n’est-elle pas productrice de ses citoyens, si elle ne constitue pas le cadre régissant les individus. Dans une telle mesure, il n’est nullement surprenant que notre époque ne nous présente guère de Lapalme, de Parizeau, de Lévesque ou de Michaud.

Simon-Pierre Savard-Tremblay

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