[…] on a tout simplement fait l’économie de l’Histoire. On se contentera d’un pur divertissement pour réunir des factions opposées à Québec et attirer des touristes du reste du Canada et du monde. À une époque où l’Histoire — source de honte et de gêne (sinon d’ennui) pour certains — a été jetée aux oubliettes, on pourra fermer les yeux et soupirer de soulagement. Mieux vaudra fêter les vedettes, les nombreux talents de Québec, les jeux de lumière… et le retour du parrainage fédéral.
H.V. Nelles1, dans L’Encyclopédie canadienne.
La préparation des fêtes de 2008 s’est amorcée en 1998, à l’instigation du maire Jean-Paul L’Allier. En 2000, la ville en confiait l’organisation à la Société du 400e anniversaire de Québec, un organisme autonome, sans but lucratif, financé par le gouvernement du Québec (40M$), le gouvernement du Canada (40M$) et la ville de Québec (5M$). Des revenus autonomes plus élevés que prévu (9M$) ont porté le budget total de la Société du 400e à 94M$, ce qui ne comprend pas les dépenses d’immobilisations des gouvernements.
L’organisation des fêtes
L’histoire de l’administration de cet organisme pourrait faire l’objet d’une étude particulière. La nomination d’un président a été ardue. « Il faut s’entendre, les trois paliers de gouvernement, déclarait la mairesse Andrée Boucher le 17 août 2006. Le provincial et le municipal, on était d’accord sur une candidature, mais le fédéral est arrivé [avec] une autre. On essaie de concilier ». C’est finalement Jean Leclerc, homme d’affaires (et ex-ministre libéral), qui a remplacé le président intérimaire Pierre Boulanger (ex-président de la Commission de la capitale nationale et ex-candidat libéral dans Louis-Hébert en 1998) qui avait pris la relève de Raymond Garneau (hommes d’affaires et ex-ministre libéral) qui avait succédé au premier PDG, Roland Arpin (ex-directeur du Musée de la Civilisation)… Pierre Boulanger conserva la direction générale qu’il dut céder à Daniel Gélinas dès le lendemain du coup d’envoi des fêtes, en janvier 2008. Suivit alors un ballet de départs et de remplacements qui toucha la majorité des postes de cadres.
Trois commissaires représentant le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et la ville de Québec ainsi qu’un quatrième représentant les affaires autochtones ont apporté « leur soutien et leur collaboration au conseil d’administration », selon les termes officiels, mais ont vraisemblablement surtout représenté les intérêts des institutions qui les ont nommés.
D’abord formé de dix-sept membres, le conseil d’administration a été réduit à treize en 2006 ; les personnes nommées par Ottawa, Québec et la ville de Québec (trois chacun) ont coopté les quatre derniers. Gens d’affaires, comptables, actuaires et avocats occupent la quasi totalité des sièges de ce conseil où brillent par leur absence les représentants du monde des arts et de la culture, de l’histoire et du patrimoine. Il faut préciser cependant que le maire Jean-Paul L’Allier avait créé un « comité de suivi » qui rassemblait (après avoir été élargi en 2004) une centaine de personnes venues de divers horizons : gens d’affaires, agents de tourisme, représentants de l’Église, présidents de sociétés historiques, fonctionnaires, directeurs de musées, etc. La résolution du conseil municipal prévoyait au moins une réunion par année et le groupe élargi aurait été convoqué à deux reprises entre septembre 2004 et les élections municipales de 2005, mais la mairesse Andrée Boucher décida ensuite de laisser tomber cette forme de consultation et de la remplacer par des rencontres des élus municipaux avec la Société du 400e qui devenait seule responsable de l’orientation des fêtes de 2008.
La programmation
En 1908, les célébrations avaient duré deux semaines ; en 2008, elles auront duré un an. Le « coup d’envoi » a été donné le 31 décembre 2007 et tout devait se terminer avec le Sommet francophone qui coïncidait avec une représentation du Cirque du Soleil, la fin de l’exposition sur le Louvre et l’ouverture du Centre de la francophonie des Amériques. À la fin de l’été, il a été convenu que le directeur général demeurerait comme consultant pendant deux mois et qu’il y aurait « un spectacle de clôture » le 31 décembre 2008. Pour meubler les deux derniers mois, le site Internet de la Société du 400e annonce diverses activités, dont la Parade des jouets, le match des anciens Nordiques, le Cirque des Fêtes et la soirée « 400 fois intense » avec la « Intense Queen 2009 »…
Déjà complexe au départ, la programmation a été en constante évolution au cours de l’année. La Société du 400e a publié un « calendrier préliminaire » à l’été 2007, un « 1er programme officiel » à l’automne 2007, et un « programme officiel été et automne » au printemps 2008, mais aucun de ces documents ne rend exactement compte de ce qui s’est passé. Seul le site Internet de la Société a permis d’avoir une vue complète de la programmation, car des activités se sont ajoutées encore après la publication du dernier programme officiel et il s’en trouve même qui ont fait de curieux mouvements d’aller-retour dans le programme diffusé sur Internet2. Et, pour ajouter à la complexité, il s’est tenu à Québec des activités (dont des expositions) qui auraient bien figuré au programme et n’y étaient pas.
La programmation du 400e comprenait les « grands événements » (certains étant produits par la Société), une programmation associée, dont les éléments se décomposaient parfois en plusieurs activités (ex. série de conférences, de spectacles), et des activités accréditées.
Les « grands événements »
Le 26 juin 2007, les concepteurs des « grands événements du 400e » ont présenté à la presse les huit « moments marquants des productions du 400e » :
- le spectacle d’ouverture du 31 décembre 2007 ;
- les cérémonies officielles du 3 juillet (messe, Salut à Champlain et cérémonie du droit de cité) auxquelles devaient s’ajouter initialement un spectacle d’ouverture du Festival d’été de Québec (remplacé par Rencontres), un « feu sculpture » sur les Plaines (remplacé par des feux d’artifices) et « une procession au flambeau pour accueillir IRO », le héros de l’Opéra urbain ;
- l’Opéra urbain (5 juillet), performance rassemblant des têtes d’affiches des arts de la scène tout en associant le public, « un genre de spectacle qui […] ne s’est jamais réalisé en Amérique du Nord »… et qui ne se réalisa pas non plus ;
- le Grand Rassemblement du 6 juillet sur les Plaines (pique-nique animé et photographie aérienne) ;
- le Chemin qui marche, spectacle multimédia conçu pour la nuit du 15 août ;
- le spectacle du Cirque du Soleil qui devait clôturer officiellement le 400e le 19 octobre ;
- le Moulin à images, une projection sur les silos de la Bunge du 20 juin au 24 août ;
- l’exposition Passagers, un hommage aux êtres humains qui sont passés à Québec au cours de ses 400 ans d’existence, du 3 juin au 19 octobre3.
Sauf l’Opéra urbain, qui a été mis à l’écart au début de 2008, les « grands événements » annoncés en juin 2007 ont eu lieu (soit sept), avec certaines modifications pour ce qui est de celui du 3 juillet (ajout d’une parade militaire d’envergure) et des extensions pour le Cirque du Soleil (trois spectacles) et le Moulin à images (un mois de prolongation). Par ailleurs, les sommes épargnées avec l’annulation de l’Opéra, les profits du Championnat mondial de hockey, des commandites plus substantielles que prévu et des réaménagements budgétaires ont permis d’ajouter dix autres « grands événements », tous des spectacles, ce qui isolait d’autant plus la seule activité identifiée comme une « exposition » :
- le Parcours 400 ans chrono (5-6 janvier), un parcours composé de 13 tableaux animés par des comédiens, des danseurs et des athlètes (ajouté après juin 2007) ;
- Infiniment Québec (2-3 juillet), film présenté par le cinéaste Jean-Claude Labrecque et concert de l’artiste Jorane avec l’OSQ ;
- Rencontres (3 au 5 juillet), le « spectacle commémoratif » musical devant l’Hôtel du Parlement avec Yves Jacques en maître de cérémonie personnifiant Champlain ;
- Québec plein la rue (3 au 5 juillet), trois spectacles nocturnes dont un spectacle pyrotechnique sur le fleuve et des performances d’artistes de la rue ;
- Viens chanter ton histoire (15 juillet), avec plusieurs artistes francophones réunis autour d’Yvon Deschamps pour interpréter « les plus belles chansons québécoises » ;
- Paul McCartney sur les Plaines (20 juillet) ;
- Céline sur une autre scène des Plaines (22 août), entourée de plusieurs artistes ;
- Paris/Québec – À travers la chanson (24 août) avec des artistes de France et du Québec ;
- Pleins feux sur l’OSQ (25 août) qui interpréta l’Ouverture 1812 et Carmina Burana en plein air (ces deux derniers spectacles donnés sur la scène déjà prévue pour Céline) ;
- Salut Québec ! qui promet « un épilogue exceptionnel » le 31 décembre 20084.
À ces « grands événements » s’ajoutaient les activités d’Espace 400e qui a fonctionné pendant 120 jours, du 3 juin au 28 septembre. D’après les chiffres fournis dans un communiqué du 24 septembre, Espace 400e a accueilli 700 artistes d’ici et d’ailleurs sur sa Grande place et 6500 artistes locaux se sont produits sur la scène des Jardins éphémères. Dans le cadre des « Grandes Rencontres », que la publicité annonçait « fascinantes, tantôt écolos, tantôt gastronomiques ou encore historiques », on a compté « 78 conférences et classes de maître » dont environ le tiers portait sur l’histoire5.
La programmation associée
La programmation associée était d’une extrême variété. Elle comprenait des « événements » officiels, produits notamment par les grandes institutions culturelles, et des activités accréditées.
Il est difficile de dresser le portrait global de ces activités. Dans une lettre ouverte publiée en mars, le président de la Société du 400e en voyait « un peu plus d’une centaine », mais, dans l’album souvenir publié par Le Soleil en novembre, les chiffres varient entre 225 (p. 3) et 290 (p. 5). Il y avait au programme des activités d’un jour et des expositions de plusieurs mois, des fêtes de quartier et le Sommet de la Francophonie… Il serait peut-être plus simple d’identifier, dans tout ce qui s’est passé à Québec en 2008, ce qui ne faisait pas partie du programme du 400e…
Citons néanmoins, sans être exhaustif :
- des « cuvées spéciales6 » : Carnaval de Québec, Salon du livre, Fête nationale, Fête du Canada, Festival d’été, Fêtes de la Nouvelle-France, Festival de musique militaire, Grands Feux Loto-Québec, Festivent (montgolfières), Expo-Québec, Spectacle aérien ;
- des spectacles de musique : spectacle itinérant de Terra Nova, Symphonie des Mille, Chant des passeurs, Troupe V’là l’Bon Vent, Starmania, Steve Barakatt, Beethoven 1808-2008, Chorales Québec 2008, Chants de marins, Orchestre national des jeunes, Tintamarre acadien, Salon de musique française, Operalia, Grande messe de Vignault, Chœur de Chambre de Namur ;
- des spectacles de théâtre et d’opéra : Duel des fondateurs, Exploration Théâtre Jeune Public, Regards-9, Dina, Marie de l’Incarnation, Château de Barbe-Bleue et Erwartung, Caravane des dix mots ;
- des activités sportives : Red Bull Crashed Ice, Championnat mondial de hockey, Pentathlon des neiges, Jeux nationaux d’hiver, Freeski 2008, Championnat Double Ironman, Transat, Grande Traversée, Rendez-vous des yoles, Marathon des familles-souches, Golf sur les Plaines, Randonnée Tanguay, match Canadiens-Nordiques ;
- des rassemblements à caractère international : Futurallia, Rencontre des pôles de compétitivité, Congrès mondial des jeunes, École d’été de l’Institut du Nouveau-Monde, Congrès eucharistique, Entretiens Jacques-Cartier, Sommet de la Francophonie ;
- des « installations » comme le Potager des visionnaires, les Jardins éphémères, etc. ;
- des expositions au Musée national des beaux-arts du Québec (Québec, une ville et ses artistes, Louvre à Québec, L’art actuel à Québec), au Musée de la Civilisation (Urbanopolis, L’Or des Amériques, Samuel de Champlain, Regards sur la diversité culturelle), au Musée de l’Amérique française (Mgr de Laval), à l’Observatoire (Québec vue par Kedl), à la Citadelle (Grand Livre de Champlain), à la Bibliothèque Saint-Jean-Baptiste (Foules d’archives), à la Gare du palais (sur les Juifs), à Villa Bagatelle (sur les anglophones), à Expo-Québec (Souvenirs impérissables), à l’Assemblée nationale (expositions sur Champlain, les livres anciens et la reliure d’art), à l’Université Laval (Comment l’université change le monde) ;
- des visites de sites, lieux ou bâtiments historiques ou autres : terrasse Dufferin, maison Provencher, grands voiliers, cap Tourmente, boisés urbains ;
- des séries de conférences sur des personnages : Les Grands d’aujourd’hui racontent ceux d’hier, Empreintes d’Elles (sur les femmes) ;
- des compétitions intellectuelles ou culturelles : Dictée des Amériques, Dictée PGL, dictées à l’université Laval, Olympiades culturelles ;
- une programmation pour les anglophones (au Morrin College) et surtout pour les autochtones (Grande marche vers Wendake, spectacle Kiugwe, semaines thématiques à Wendake, retrouvailles des familles huronnes, Domagaya) ;
- sans compter les fêtes de quartiers, les inaugurations (bassin Brown, baie de Beauport, Pointe-à-Carcy, promenade Samuel-de-Champlain, Centre de la Francophonie), les mises en lumière, les legs…
- Des festivités réussies
Sur quels critères faut-il évaluer 2008 ? Lors d’une table ronde organisée au département de journalisme de l’Université Laval, l’hiver dernier, la question a été posée au président de la Société du 400e qui a ainsi décliné ce qu’il considérait comme les critères de succès : (dans l’ordre) équilibrer le budget, faire participer des citoyens, attirer des personnalités importantes, amener les Québécois dans la capitale, en avoir pour tous les goûts. On notera que ces critères ne portent pas sur le contenu.
Le budget a été respecté et il en est même resté pour étirer la fête jusqu’en décembre. Du monde, il y en a eu, au point d’épuiser certains restaurateurs, mais cette affluence n’a rien de « sorcier ». La Société du 400e a bénéficié d’un budget initial de 85M$ pour planifier un ensemble de festivités ; la programmation a ensuite été bonifiée grâce à une gestion améliorée, à quelques millions inattendus et à la mobilisation des services municipaux (on imagine la note de temps supplémentaire des services publics). On a offert aux Québécois une sorte de forfait-spectacle gratuit de 12 mois valant plusieurs centaines de dollars, les spectacles étaient presque tous de qualité, le beau temps a presque toujours été au rendez-vous pour les activités de plein air : faut-il s’étonner du taux de satisfaction (97 %) révélé par un sondage auprès des personnes qui ont participé à des activités ? Comme presque tout ce qui s’adressait au grand public a été gratuit, on a fait mentir André Arthur pour qui le 400e devait être « un party pour la haute-ville payé par la basse-ville ».
Le sens de la fête
Mais pourquoi célébrait-on en 2008 ?
Il y a quatre siècles, Champlain a fondé un établissement français à Québec et ce geste a marqué le début de la présence française en Amérique. Qu’il y ait eu des Amérindiens ici avant, et d’autres immigrants de toutes origines après, que les descendants de pionniers qui se sont établis à Québec avec Champlain soient devenus par la suite Canadiens ou Américains, Manitobains ou Californiens, favorables à l’annexion aux États-Unis en 1849 ou partisans de l’union des provinces en 1867, fédéralistes ou souverainistes, cela ne change rien à l’essentiel de l’événement : les ancêtres français de la population québécoise se sont ancrés ici en 1608 et ils ont donné naissance à une nation.
Québec : ville, capitale et berceau de l’Amérique française
Québec est l’une des plus anciennes villes établies par les Européens en Amérique du Nord, mais ce n’est pas son seul mérite.
De façon presque ininterrompue depuis 400 ans, Québec a été une capitale. Ce fut d’abord le « siège social » des compagnies qui détenaient le monopole de la traite, puis, quand Louis XIV l’a prise en mains, Québec devint la capitale d’une province française, le siège des autorités politiques, administratives, militaires et religieuses. À son apogée, au début du XVIIIe siècle, Québec était la capitale d’une Nouvelle-France qui s’étendait du Labrador à La Nouvelle-Orléans. Après la cession de cet empire à l’Angleterre, le territoire des Français d’Amérique est réduit à deux bandes de terre le long du Saint-Laurent, mais Québec est toujours capitale. Le Parlement y siège à partir de 1792. Après l’union des deux Canadas, Québec perd son statut, le retrouve et le perd encore. En 1867, Québec redevient une capitale.
Québec peut revendiquer un autre titre, celui de berceau de l’Amérique française, de foyer de la francophonie nord-américaine. De Québec sont partis les explorateurs et les fondateurs qui ont sillonné l’Amérique et marqué le territoire français : Saint-Simon et Albanel, Saint-Lusson, Jolliet et Marquette, La Salle et Lemoyne d’Iberville, Cadillac, La Vérendrye et ses fils. À la fin de l’empire français, il en est resté des traces matérielles et humaines, de la Louisiane aux Territoires du Nord-Ouest. Au XIXe siècle, les Québécois émigrent par milliers dans l’Ouest canadien et surtout aux États-Unis, où ils retrouvent parfois les descendants des pionniers établis là au temps de la Nouvelle-France. Avec les Acadiens, ils forment une diaspora qui se donne des institutions et tient des rassemblements pour faire le point sur son présent et son avenir. À plusieurs reprises, leurs délégués se réunissent à Québec, en 1880, pour la « Convention nationale des Canadiens français7 », puis, en 1912, 1937 et 1952, pour de grands congrès de la langue française. Le plus retentissant, en 1937, amène aussi des délégués haïtiens, français et belges. Le maire Grégoire présente alors sa ville comme « berceau de la nation canadienne-française, forteresse de nos luttes constitutionnelles, tombeau de presque tous les plus grands morts de la patrie, foyer de la culture catholique et française ».
Québec ne connaîtra pas d’autres rassemblements semblables dans la seconde partie du XXe siècle, mais la capitale passe sur la scène internationale : délégations à l’étranger, accords de coopération, entrée dans la francophonie, Superfrancofête, Sommet francophone, Conférence parlementaire des Amériques… Il est inutile d’insister : 2008 n’est pas l’anniversaire d’une ville quelconque. Il y a un lien direct entre la fondation de Québec en 1608 et le sommet francophone qui devait clôturer, en octobre 2008, des célébrations qui dépassent largement les limites de la ville. À ceux qui ont soutenu que cette fête ne devait pas s’adresser seulement aux francophones de la ville de Québec, il faut rappeler qu’elle aurait justement dû toucher toute l’Amérique française. Les premiers ministres du Québec et du Canada l’avaient d’ailleurs reconnu dans les propos qu’ils ont fait publier dans le programme officiel du 400e :
- Jean Charest : « L’anniversaire du 400e de la ville de Québec, c’est la plus grande fête que le Québec ait connue depuis longtemps. C’est la célébration de ce qui sera pour toujours le berceau de l’Amérique française, et de ce qui sera pour toujours là où tout a commencé pour le Québec et les Québécois ».
- Stephen Harper : « La survivance du français en terre d’Amérique du Nord depuis quatre siècles n’est pas un accident de l’histoire. On parle encore français au Canada aujourd’hui à cause du courage, de la ténacité et de la créativité des générations de francophones qui ont enraciné et nourri dans le Nouveau Monde des valeurs et des espoirs venus de l’ancien continent ».
De belles intentions (qui rejoignent le propos du directeur de L’Action nationale dans son éditorial de janvier dernier8), mais comment se sont-elles traduites dans la réalité ?
La thématique
La Société du 400e anniversaire de Québec a choisi d’inscrire 2008 sous le thème de la « Rencontre » :
« Rencontre de l’Europe et de l’Amérique, des Premières Nations et des arrivants, de la France et de l’Angleterre. Rencontre d’un fleuve et de deux chaînes de montagnes, de l’eau douce et de l’eau salée, de la haute-ville et de la basse-ville, des vieux murs et des tours de verre. Rencontre des amoureux sous le charme de la cité, des résidants accueillants et de visiteurs venus du monde entier […]. Ici s’inscrit l’essence de la programmation du 400e anniversaire de Québec : partager avec le monde d’ici et d’ailleurs ce foyer de rencontres uniques9 ».
Dès les premiers mots, la table est mise : l’identité des « arrivants » est imprécise dans cette présentation de la thématique et il est étonnant d’y retrouver une évocation de la « rencontre » de la France et de l’Angleterre, alors que cette dernière a tout fait pour empêcher l’implantation de la ville dont on célèbre le 400e anniversaire…
La démonstration pourrait s’arrêter là : 2008 ne sera pas l’anniversaire de la nation issue de l’œuvre de Champlain. Le thème colle plutôt aux vœux exprimés par le Commissaire fédéral aux langues officielles qui a décidé de prendre le 400e anniversaire de Québec sous son aile :
« Les festivités seront l’occasion de célébrer les valeurs canadiennes et la diversité ainsi que de souligner la rencontre, il y a 400 ans, des peuples autochtones et des Européens, un événement qui marque le début du dialogue interculturel sur lequel est fondé le Canada moderne. Les célébrations feront d’ailleurs une place importante aux peuples autochtones : la nation huronne-wendat en sera l’hôte et les Innus en profiteront pour partager leur vision des premières rencontres de leur peuple avec les Européens. […]
Nous soutenons le gouvernement du Canada dans son désir de faire du 400e anniversaire de la ville de Québec une célébration d’envergure pancanadienne et nous encourageons les institutions fédérales à saisir cette occasion unique de faire la promotion de la dualité linguistique partout au pays10 ».
Les couleurs et le pavoisement
La Société du 400e a mis en place des symboles qui ont fait abstraction de l’identité québécoise. Il y a bien eu ce logo corporatif, constitué de trois « 400 » superposés dans un carré, une signature qui se voulait « moderne et pimpante », et « pleine d’avenir », mais peu de gens ont compris qu’elle évoquait les fortifications de la ville. La véritable « signature festive » du 400e, celle qui a servi pour le pavoisement, l’identification des « événements officiels » et des produits officiels, etc. était « constituée de rubans multicolores entremêlés [exprimant] la fête à l’état pur avec tout ce que cela signifie d’exubérance ». La palette était vaste, mais elle évitait le bleu bien connu de Québec et du Québec.
Dès janvier, cependant, le tir est modestement corrigé. La Société du 400e ajoute des affiches « Fêtons nos 400 ans » (qui ignorent toujours le bleu) et improvise une explication de cette « nouvelle approche créative » : « L’année 2008 arrivée, nous sommes en plein cœur de la fête. Elle n’est plus en préparation, elle se vit. Dans cette perspective, nous avons pris un virage visuel pour marquer le début des festivités11 ». En réalité, de nombreux Québécois avaient jugé que les petits rubans festifs étaient insignifiants, au sens propre du terme : la « fête à l’état pur » ne leur convenait pas.
La chanson officielle (Tant d’histoires à raconter) choisie à l’issue d’un concours tenu en 2007 a été assez peu utilisée au cours des fêtes. Elle était absente du spectacle d’ouverture (remplacée par une autre chanson interprétée par Bruno Pelletier) et du spectacle du 15 juillet (remplacée par La plus belle fleur du Saint-Laurent, une chanson beaucoup plus punchée). La chanson officielle a pour particularité de ne pas mentionner le mot « Québec12 », ni le nom de personnages reliés à son histoire ; ses seules références spatio-temporelles sont l’anse au Foulon (lieu de débarquement de Wolfe en 1759) et la Citadelle (qui évoque l’armée canadienne et la résidence d’été du gouverneur général).
C’est un rosier et des bulbes de tulipe du 400e qui ont été mis en marché ; le lis et l’iris versicolore n’étaient pas au programme. En examinant le programme des fêtes, un observateur a fait l’hypothèse qu’une « entente » expliquerait l‘absence de la fleur de lis et de la feuille d’érable en 2008, mais cette dernière a su tirer son épingle du jeu : sur le médaillon commémoratif que la Société du 400e anniversaire de Québec a offert à 100 personnalités méritantes, c’est une feuille d’érable qui apparaît, « rehaussée des rubans festifs », avec l’inscription « 400 ans d’un nouveau monde », là où il aurait été approprié d’évoquer l’Amérique française.
Quant au drapeau fleurdelisé, il a été tout aussi absent de la plupart des « grands événements ». Des militants nationalistes en ont distribué le 3 juillet, devant l’Hôtel du Parlement, et le 15, lors du spectacle Viens chanter ton histoire, mais on ne sait trop qui a fait une distribution au spectacle Paris-Québec. Sauf erreur, le seul artiste qui a jugé bon d’arborer le drapeau du Québec sur une scène (sauf celle de la Fête nationale) est sir Paul McCartney13 !
Les produits dérivés
Les produits dérivés ne sont pas seulement des outils de financement : ils sont aussi porteurs de messages. Au 400e, la gestion de ce dossier semble avoir été très compliquée ; le responsable a d’ailleurs été congédié au début l’année.
Dès la fin de 2007, le site du 400e donnait accès à une boutique virtuelle, mais celle-ci semble s’être sclérosée car plusieurs produits offerts par la suite dans les boutiques de souvenirs d’Espace 400e ne s’y sont pas retrouvés14.
Les produits offerts dans la boutique virtuelle (T-shirts, chemises, casquettes, vestes, verres, tasses, etc.) portent presque tous la « signature festive » (rubans) ou le logo « Québec 08 ». Trois vêtements de la collection Heritage (sans accent) font exception avec une iconographie « commémorative », soit LE T-shirt consacré à Champlain (un seul modèle dans toute la boutique, apparu tardivement en janvier) et les deux modèles de la série « Couronne » qui arborent une sérigraphie « illustrant le passé monarchique avec mention « Québec 400 » positionnée sur le devant ». Cette sérigraphie serait une sorte de représentation « vaporeuse » des armoiries de Québec surmontées d’une couronne. Comment le passé monarchique de Québec est devenu un thème privilégié dans les produits dérivés du 400e demeurera probablement une énigme « historique ».
Parmi les produits qui se sont ajoutés dans les comptoirs d’Espace 400e, rares étaient ceux qu’on peut associer à la commémoration : une figurine de Champlain, quelques livres, dont des cahiers pour les enfants, des signets. Ces derniers, visiblement réalisés à la hâte en avril, auraient mérité une révision sérieuse : on peut y lire que les « aventures » de Champlain l’ont mené vers « la fondation de la Nouvelle-France en 1608, laquelle devint plus tard la Ville de Québec15 ».
Le fondateur
Champlain a consacré sa vie à Québec, c’est un personnage immense dans l’histoire de l’Amérique, un homme impressionnant, un véritable héros pour plusieurs historiens, francophones comme anglophones. Comment la Société du 400e a pu négliger le fondateur de la ville dans sa programmation initiale est un mystère aussi profond que celui de son tombeau.
Absent dans le pavoisement16 et dans la minuscule section sur l’histoire dans le site Internet (on ajoutera plus tard une brève chronologie), pratiquement absent dans les produits dérivés et dans les programmes imprimés (une seule image dans les deux premières publications, aucune dans la dernière), il était promis à un rôle obscur dans la fête, en dehors de la promenade qu’on lui a aménagée sur une section du boulevard qui portait déjà son nom :
- un salut officiel plus imposant que la cérémonie habituelle le 3 juillet, journée anniversaire de Québec ;
- une « exposition » (en fait, un film de 20 minutes) dans une annexe du Musée de la civilisation à place Royale ;
- l’exposition de son « Grand Livre » à la redoute de la Citadelle, gracieuseté de madame la gouverneur général ;
- un spectacle itinérant consacré à la musique de son époque ;
- une tournée de 12 duels théâtraux avec son ancien « patron », Pierre Dugua de Monts, revenu du fond des âges pour réclamer une part de mérite dans la fondation de Québec.
- Sous la pression populaire, des correctifs ont été apportés en janvier par la nouvelle direction. Des personnificateurs ont été mobilisés pour assurer la visibilité de Champlain, qui a aussi été inséré comme maître de cérémonie du spectacle du 3 juillet. En sortant du placard, Champlain a marqué la fin du mandat de Gaspard et Théo, ces deux porte-parole « ludiques et intemporels » qui avaient provoqué l’étonnement et la rigolade, durant l’été 2007, quand ils avaient fait une tournée en région avec leur « Unité mobile d’immersion festive ».
Au-delà de la « présence » de Champlain, c’est la notion même de « fondation » qui a été banalisée en 2008. Certes, le débat est permis et les universitaires17 se sont plu cette année à multiplier les « autres fondateurs » de Québec : Pierre Dugua de Mons, qui a investi dans le commerce des fourrures, le capitaine Dupont-Gravé, qui a négocié l’alliance franco-indienne de 1603 à Tadoussac, le chef montagnais Anadabijou, le roi Henri IV… La longue tournée de duels au cours desquels « Samuel de Champlain et Pierre Dugua de Mons [ont tenté] de s’attribuer le titre de fondateur de la ville de Québec » (comme si cela n’était pas évident dans le cas de Champlain), se situait dans la foulée de cette opération intellectuelle de « déconstruction des mythes fondateurs », mais on est allé encore plus loin dans la réécriture de l’histoire. À la cérémonie protocolaire du 3 juillet, les dignitaires étrangers étaient moins nombreux que prévu, mais la porte-parole de la Société du 400e se disait « quand même » contente « que les trois peuples fondateurs soient représentés », en faisant référence « à la France, au Royaume-Uni et aux Premières Nations »…
L’Angleterre aurait donc fondé Québec ?
L’histoire dans les « grands événements »
L’équipe de concepteurs que la Société du 400e a présentée en novembre 2006 comprenait un metteur en scène, une directrice artistique, un concepteur de spectacle, un réalisateur de cinéma, un scénographe, un directeur du Cirque du Soleil et la présidente du Festival d’été de Québec. On aurait dû savoir dès cet instant à quoi ressemblerait 2008. Des conseillers en histoire ? S’il y en avait, ils ont été très discrets18.
En mars 2008, le président de la Société du 400e a fait publier une lettre ouverte19 pour répondre aux critiques sur la place de l’histoire dans les célébrations. L’histoire, écrivait-il, servait de « fil conducteur » de tous les « grands événements » créés par la Société du 400e : le Parcours 400 ans Chrono, l’exposition Passagers/Passengers, le Moulin à images et les « commémorations et grands événements scéniques » des 3, 4, 5 et 6 juillet.
Le spectacle Parcours 400 ans Chrono comptait sûrement de nombreuses évocations historiques. Le grandiose Moulin à images était carrément « dans le sujet », même s’il s’agissait d’une vision impressionniste de l’histoire de la ville et que la plupart des spectateurs ne pouvaient pas identifier une bonne partie des images qu’ils ont vues. Dans une justification que Le Devoir a justement titrée « Une histoire sans nom, sans date, ni événement » (1er octobre 2008), le coscénariste a souligné que « le Moulin à images a tenté de dévoiler la trame des 400 ans de Québec en laissant le spectateur faire sa propre lecture des faits qui lui étaient proposés sous la forme de capsules d’images librement organisées ». Au public de se débrouiller avec des images qu’il ne connaît pas…
Le « fil conducteur » des deux autres exemples cités était extrêmement mince. Le contenu historique du spectacle Rencontres se limitait aux enchaînements livrés par Champlain, le maître de cérémonie personnifié par Yves Jacques pour qui ce spectacle était « de la variété, pas un spectacle historique » ; les statues de la façade l’Hôtel du Parlement se sont animées mais en silence. Quant à Passagers/Passengers, le seul « grand événement » identifié comme « exposition » (et le seul qui imposait un droit d’entrée), il accordait une place prééminente aux récits personnels d’immigrants récents (première salle) et une place comme les autres au segment de la population qui est à l’origine de Québec et l’a construite pendant 150 ans.
Si le président de la Société du 400e a vu un rappel des « premiers jours du peuplement permanent français en Amérique » dans ces quatre « grands événements » (dont trois n’avaient pas encore eu lieu au moment de son intervention), c’est qu’il a eu la foi dans les messages publicitaires. Le « Coup d’envoi » du 31 décembre devait « faire revivre 400 ans de notre histoire », selon le programme… Le spectacle Viens chanter ton histoire n’a eu d’historique qu’un « clin d’œil » à Félix Leclerc. Le spectacle du Cirque du Soleil était « conçu spécialement pour le 400e » mais n’avait pas de thématique historique, sauf un « clin d’œil », un mot-clé du 400e, à Louis Cyr. À plusieurs reprises, en 2008, on a pris « historique » pour « mémorable ».
L’histoire dans la programmation générale
Dans sa lettre ouverte, le président de la Société du 400e citait ensuite quelques « événements officiels » portant sur l’histoire :
- le spectacle musical itinérant En compagnie de Samuel de Champlain, de Brouage à Québec (Via Musique) ;
- l’exposition Champlain retracé, une œuvre en trois dimensions ($);
- le Duel des fondateurs (Champlain vs Dugua de Monts) ;
- l’exposition du Grand livre de Champlain à la Redoute de la Citadelle ;
- la comédie musicale Dina (la bienheureuse Dina Bélanger) ($) :
- l’exposition François, premier évesque de Québec ($);
- les conférences Les Grands d’aujourd’hui rencontrent ceux d’hier (dont la plupart n’étaient pas de Québec) ($);
Mais pour arriver au total de « 50 événements officiels » qui « portent sur l’histoire », selon le président de la Société du 400e, il faut examiner de près les multiples versions du programme officiel et repérer des activités qui sont passées discrètement.
On ne parlera pas ici des Misérables ou de Barbe-Bleue, du « Marathon des familles souches » ou des golfeurs costumés à l’ancienne sur les Plaines, ni de d’exposition sur les objets berbères et les trésors du Louvre (quelle que soit la valeur intrinsèque de ces productions), mais d’activités qui ont mis en valeur l’histoire de Québec, voire celle du Québec et de l’Amérique française. Dans cette perspective, on peut ajouter les éléments suivants à ceux qui sont cités dans la lettre ouverte du président de la Société du 400e :
- des expositions : Québec, une ville et ses artistes au Musée national des beaux-arts du Québec ($); Comment l’université Laval change le monde, au Séminaire ; Foules d’archives (sur les événements rassembleurs de l’histoire de Québec ; Espace Champlain et exposition de livres anciens à l’Hôtel du Parlement ; Plusieurs fibres, une même étoffe (sur les Juifs) ; Souvenirs impérissables, sculptures sur sable à Expo-Québec ($); et, pour être généreux, quelques autres qui ne se trouvaient pas au programme officiel dont Québec et ses photographes ($) au MNBAQ, La rose, le trèfle et le chardon, sur les anglophones de Québec ; Une présence oubliée : les huguenots en Nouvelle-France, au Musée de l’Amérique française ($);
- des séries de conférences : Empreintes d’elles (sur les femmes) ($); Les archives racontent dans le réseau des bibliothèques ; Grandes rencontres de l’Espace 400e (dont une partie portait sur l’histoire) ; des conférences thématiques à l’Assemblée nationale ;
- des spectacles de musique (où l’histoire de la chanson est vraiment mise en évidence) : Il y a longtemps que je t’aime, par V’la l’bon vent ($ en partie) ; Et si Québec m’était chantée, par l’Alliance des chorales ($);
- la pièce Marie de l’Incarnation ou la déraison d’amour ($) et le spectacle consacré à Mgr de Laval ;
- la Grande rencontre des géants (parade) des Fêtes de la Nouvelle-France ;
- une cérémonie-hommage aux religieux, Des bâtisseurs dévoués, des fondations solides ;
- quelques éléments du Volet autochtone et de la programmation de À la croisée des voix au Morrin College ($ en partie)
Quelques observations s’imposent sur ce bilan des activités à connotation historique.
Par un curieux hasard, probablement, la plupart des « événements » à contenu historique exigeaient un tarif d’entrée ($) tandis que tous les « grands événements » (sauf l’exposition Passagers/Passengers), incluant les plus coûteux spectacles, étaient gratuits.
S’il y a eu des productions remarquables sur quelques personnages dont Champlain20 (ce qui est bien le minimum), sur l’histoire de l’art, de la photographie, des sciences, etc., on n’a vu aucune production d’envergure (muséale, cinématographique ou scénique) sur l’histoire de Québec, des Québécois ou de l’Amérique française, sur l’évolution du « bébé » né dans le « berceau » dont on devait fêter le 400e anniversaire, hormis le Moulin à Images qui fait figure d’exception par son sujet, sa durée, son ampleur, son budget. Un spectacle à grand déploiement sur l’histoire des Québécois, inspiré de La Fabuleuse du royaume, a été proposé sans succès. C’est au musée montréalais de Pointe-à-Callière qu’il fallait aller voir France, Nouvelle-France, naissance d’un peuple français en Amérique, à la Bibliothèque nationale qu’on offrait des expositions sur le tricentenaire de Québec (!) et sur la cartographie de l’Amérique française, et au Musée des civilisations de Gatineau qu’on a présenté Jamestown, Québec, Santa Fe, trois berceaux nord-américains (en collaboration avec la Smithsonian Institute) et une grande exposition sur 400 ans d’art populaire québécois. Rien de semblable à Québec.
Les fêtes de 2008 comprenaient un important volet autochtone, une programmation pour la communauté anglophone, des expositions pour les juifs et les huguenots, mais les premières familles françaises établies à Québec et dans les environs, celles qui ont donné naissance, au sens propre, à Québec et au Québec, furent absentes. En 1908 et en 1958, on avait rendu hommage aux vieilles familles terriennes qui exploitaient le même bien familial depuis 200 ans ; en 2008, il n’est pas apparu pertinent de faire une semblable activité sous prétexte, paraît-il, que ces familles étaient de l’extérieur de la ville et qu’il était difficile de les retracer. Ce ne sont pourtant pas des itinérants. Quant aux familles-souches, elles se sont contentées d’activités mineures, dont le « Marathon des familles-souches », où elles ont dû payer leur participation, avec le résultat qu’on y a compté une trentaine d’équipes, la plupart réduites, soit bien loin des « 100 familles souches avec 44 représentants chacune » mentionnées sur le site du 400e. L’exposition qui devait leur être consacrée au Musée de la civilisation, avec la collaboration de la France, a été reportée à l’an prochain. Pour la remplacer, il a d’abord été question d’une exposition sur les autochtones mais on a finalement mis au programme une exposition d’objets prêtés par le musée du quai Branly et témoignant de « la diversité culturelle en Afrique »…! Quant à l’exposition reportée, on peut se demander si elle aura lieu : à quelques mois de l’été 2009, le Musée de la civilisation annonce des extraterrestres, des momies égyptiennes et la guerre de Sept ans, qui marque plutôt la fin que le commencement.
Si la commémoration du 400e de Québec semble avoir eu un certain retentissement en France, particulièrement en Charente (où personne ne se questionnait sur le sens à donner à cet anniversaire), ici, le cadeau de la France à Québec s’est transformé en saga. On est passé d’un escalier-jardin spectaculaire au centre-ville à une « maison de la Francophonie » dans le parc de l’Amérique française, pour se retrouver avec une collaboration de la France à l’aménagement du hall d’entrée du Centre de la francophonie des Amériques dans les locaux du Musée de l’Amérique française. Le Centre a été inauguré à la vitesse de l’éclair par le président de la France en octobre ; il a étonné les médias par son emballage (la rénovation ultramoderne qui a fait disparaître les boiseries et la mise en lumière extérieure). L’Amérique française y sera-t-elle mieux mise en valeur qu’au 400e où on a presque ignoré les francophones hors Québec ? En cherchant bien dans la programmation, on trouve le Tintamarre acadien, que les autres activités au programme le 15 août (Chemin qui marche, Plaines lunes, Festival de musique militaire, etc.) ont pratiquement enterré, et Francoforce, une tournée d’artistes francophones canadiens récupérée sur le tard et installée à l’écart des principaux sites de la fête ; de son côté, à la suggestion de Denis Vaugeois, le maire de Québec a convoqué tardivement les maires de plusieurs villes nord-américaines fondées par des francophones à un week-end qui est passé presque inaperçu, tout comme le dévoilement (2 juillet) d’une stèle offerte par les communautés franco-américaines de la Nouvelle-Angleterre.
L’histoire, un sujet d’intérêt mineur
La Société du 400e aura de la difficulté à nous convaincre que « la place de l’histoire dans les célébrations de notre 400e » est un sujet qui lui tenait « particulièrement à cœur », selon les termes de la lettre ouverte de son président.
Les projets soumis par les sociétés historiques de la ville de Québec ont été traités sur le même pied que tous les autres. Ils n’étaient pas assez « festifs » et leur sort fut vite réglé : re-fu-sé ! Leur rôle essentiel n’est malheureusement pas de marcher sur les mains. En ce 400e anniversaire de SA ville, la Société historique de Québec n’a pas pu obtenir un sou pour organiser un concours d’écriture en histoire auprès des élèves de la quatrième secondaire (qu’elle a tenu à ses frais). Mieux encore, elle n’a pas été invitée au Salut du 3 juillet, une cérémonie annuelle dont elle a pris l’initiative il y a plusieurs décennies.
La Société du 400e avait exclu de ses faveurs les colloques et les congrès. On a fait exception pour certains événements plus jet set (comme les Entretiens Jacques-Cartier et l’École d’été de l’Institut du Nouveau-Monde), mais la règle s’est appliquée dans toute sa rigueur aux historiens (professionnels ou amateurs), aux archéologues, aux généalogistes, aux héraldistes et aux autres spécialistes de l’histoire littéraire ou du patrimoine qui avaient cru pertinent de venir débattre et réfléchir sur des thèmes reliés à l’histoire de Québec. Les sociétés historiques et scientifiques de France étaient à Québec pour leur premier congrès tenu à l’étranger en 133 ans d’existence ; ce sont elles qui ont « hébergé » le colloque sur les « filles du roy » (organisé par la Québécoise Irène Belleau) qui n’avait pas réussi à obtenir un soutien dans la ville et le pays que ces femmes ont contribué à fonder.
Le contenu historique du site Internet de la Société du 400e est resté famélique, malgré l’ajout tardif d’une page d’éphémérides baptisée « Biographie de Champlain », d’un renvoi vers la section « histoire » du site de la ville et d’une brochure de huit pages dont la version papier est rapidement disparue et n’a pas été rééditée21.
Les éditeurs du secteur privé ont multiplié les publications sur l’histoire de Québec, mais la Société du 400e ne leur a pas accordé d’aide et n’avait rien prévu de substantiel à sa programmation initiale en ce domaine. Il n’y a pas eu d’album historique commémoratif, mais il y aura un DVD sur les fêtes. Il aurait été facile de faire la promotion des publications en librairie sur le site Internet de la Société. De rares ouvrages ont trouvé place dans les comptoirs de souvenirs, mais, pour le reste, la Société du 400e a semblé en mode rattrapage : association tardive au coffret de quatre DVD édité par Imavision, entente en juin avec les librairies Archambault qui ont créé la « Sélection des Fêtes du 400 » (qualifiée plus tard de « bibliothèque officielle du 400e »), improvisation d’une rencontre des auteurs à l’Espace 400e en août…
Conclusion
Le sens de la fête ? À chacun d’apporter le sien, a-t-on lancé aux Montréalais lors de l’opération séduction en mai. « I’m here to deliver a show », a déclaré le directeur général de la Société du 400e au magazine Macleans en juin22. La dimension historique ? « Mais on écrit également l’histoire », a répondu le directeur général à Michel Vastel23.
Quand le nouveau directeur général a pris la direction du 400e, le train était sur les rails ; il ne pouvait modifier les orientations fondamentales, même s’il l’avait voulu, et devait jouer « à l’intérieur de ses moyens », c’est-à-dire gérer efficacement le dossier des spectacles, sa spécialité. Les questions philosophiques avaient été réglées dans les limites des balises fixées par le gouvernement fédéral et sa nouvelle version de l’histoire du Canada : en fondant Québec, Samuel de Champlain a aussi fondé l’État canadien dont il a été le premier gouverneur et Michaëlle Jean est sa successeure en ligne directe, nonobstant le lien qui manque entre Vaudreuil et Murray. En donnant un caractère canadien à 2008 (« pour l’avantage général du Canada », comme on disait des chemins de fer autrefois), le gouvernement fédéral s’est justifié d’investir 110 millions $ (incluant les infrastructures) dans les fêtes du 400e anniversaire : on ne pouvait donc pas « l’empêcher de participer aux célébrations », comme l’a rappelé la ministre des Relations internationales du Québec le 6 mai dernier.
L’année est partie sur un très mauvais pied, avec le spectacle du 31 décembre dernier, et il est peu probable qu’on s’y attarde dans les DVD commémoratifs qui raconteront leur histoire de 2008. Comme le soulignait Robert Laplante dans L’Action nationale en janvier dernier, « l’absolue médiocrité qui a empêché ce spectacle d’atteindre à la vérité artistique a tout simplement permis de révéler, en quelque sorte in absentia, ce qui faisait objet de censure : la culture québécoise, la vérité de la nation ».
Malgré un certain nombre de correctifs, 2008 a été essentiellement un party. La portion congrue réservée à la commémoration et à l’histoire s’est déroulée sous le signe de la rectitude politique et du multiculturalisme. Pour les concepteurs de 2008, la commémoration ne pouvait porter sur l’installation des Français à Québec et les origines d’une nation : il fallait que la fondation de Québec en 1608 soit l’œuvre commune des Amérindiens, des Français, des Britanniques…
Pas de place pour les couleurs ou les symboles identitaires des Québécois, pas d’argent pour rendre hommage aux pionniers (les familles-souches, les vieilles familles terriennes, les Filles du roi), rien de particulier pour le 24 juin (pour ne pas faire d’envieux chez les organisateurs du 1er juillet). C’est pourtant la fête de la nation née en 1608.
L’anniversaire de 2008 a été dépouillé de son véritable sens et transformé en festival et en mini-exposition universelle. L’événement historique qui avait un fort potentiel identitaire pour les Québécois d’origine française et l’ensemble de la Franco-Amérique est devenu un simple prétexte à festivités. Le refus d’amener à Québec la sculpture qu’un Québécois a réalisée en France en hommage aux familles-souches de Québec est comme le symbole de cet anniversaire exproprié. L’œuvre s’intitule La Grande Vague, soit exactement ce qu’on a voulu prévenir.
15 novembre 2008
1 Professeur à l’Université McMaster, lauréat des prix Sir John A.-Macdonald et Lionel-Groulx pour son ouvrage sur le Tricentenaire de Québec, The Art of Nation Building.
2 Le spectacle Les Misérables s’est retrouvé temporairement dans les grands événements durant l’été.
3 Cette exposition n’avait pas encore de titre bilingue.
4 Au moment de la rédaction de ce texte, on apprend qu’il s’agira essentiellement d’un spectacle musical avec un chœur qui interprétera des chansons qui ont marqué 2008.
5 Programme élaboré sous la direction de l’anthropologue Bernard Arcand.
6 Le terme« Cuvée spéciale » n’avait pas la même signification pour tous. Les Fêtes de la Nouvelle-France ont offert une très pertinente parade des géants ouverte par Champlain et fermée par Ludger Duvernay et Félix Leclerc (une rare présence à Québec en 2008). Expo-Québec avait une extraordinaire exposition de sculptures sur sable (accessible avec un droit d’entrée. Par contre, les concepteurs du premier défilé du Carnaval avaient éliminé toutes les chansons classiques, ce qui a suscité de vives réactions, tandis que le Festival d’été de 2008 a fait « peu de place aux artistes québécois et français » (Le Soleil, 15 juillet 2008).
7 C’est pour ce rassemblement que fut composé Ô Canada, le « chant national des Canadiens français »).
8 « Célébrer la fondation de Québec, c’est d’abord rappeler les origines d’une nation dont la ténacité, l’endurance et la hardiesse allaient tromper le destin que faisaient peser sur elle des forces contraires, celles de l’immensité du continent et de sa radicale nouveauté pour les colons, celles de l’Histoire et des revers tragiques qu’elle lui fera subir. Nous sommes encore là et c’est en soi une prouesse dont nous pouvons être fiers ».
9 Site de la Société (http://monquebec2008.sympatico.msn.ca/MonQuebec2008/?module=home&id=1)
10 Site du CLO : http://www.ocol-clo.gc.ca/html/ville_qc_city_400_anniv_f.php. Le Commissaire aux langues officielles est intervenu auprès du commissaire fédéral des Fêtes en avril 2007 « afin de s’assurer que les responsables de cet événement d’envergure ne passe pas sous silence l’apport des anglophones à la construction du Québec […] » (La Presse, 29 août 2007).
11 Site de la Société du 400e.
12 Il a été ajouté dans au moins une interprétation sur disque.
13 À la Société du 400e, on s’est empressé de souligner le lendemain que c’était une initiative de l’artiste.
14 Dont les t-shirts du Moulin à images et de Paul McCartney.
15 Une première version le faisait partir de La Rochelle, au lieu de Honfleur, une erreur qui est restée sur le site de la Société du 400e toute l’année (page de la Grande Traversée).
16 Curieusement, Champlain apparaissait dans le pavoisement à Ottawa durant l’été 2008.
17 Voir notamment l’émission Enquête Champlain présentée par Historia le 20 mars.
18 Les historiens étaient fort peu visibles dans l’information concernant les grands événements qu’on a présentés comme commémoratifs ou historiques, si on se fie au site Internet de la Société du 400e. Le Parcours chrono a mis à contribution une firme de consultants en patrimoine culturel et en muséologie; Passagers/Passengers ne mentionne pas d’historiens dans son équipe et celle du Moulin à images comprend « seulement » Robert Lepage.
19 Le Soleil, 12 mars 2008.
20 Radio-Canada a présenté une série sur des Québécois célèbres et un documentaire sur Champlain, tout comme Historia.
21 Québec, un brin d’histoire, Québec, Société du 400e anniversaire de Québec, 8 p.
22 Martin Patriquin, « But this is all fun ! Not everyone’s happy about having a world-class birthday party », Macleans, 25 juin 2008.
23 L’Actualité, août 2008.