La chance d’une renaissance du combat indépendantiste

Il y a 11 ans, suite à l’élection de 2007, je publiais dans Le Devoir, un article intitulé : « Un échec du PQ, pas de la souveraineté ». Je soulignais :

[…] le PQ devient la 3e opposition. Comment en sommes-nous arrivés à ce triste résultat électoral ? Cette élection a été perdue par le PQ parce qu’une partie importante des souverainistes a voté pour Québec solidaire, le Parti vert ou l’ADQ, sans compter ceux qui sont restés chez eux. Sans cette désaffection des souverainistes, le PQ formerait actuellement le gouvernement avec environ 45 % des suffrages. Un suivi des sondages menés depuis 2005 montre bien que la souveraineté est toujours plus populaire que le PQ.

Il y a 11 ans, suite à l’élection de 2007, je publiais dans Le Devoir, un article intitulé : « Un échec du PQ, pas de la souveraineté ». Je soulignais :

[…] le PQ devient la 3e opposition. Comment en sommes-nous arrivés à ce triste résultat électoral ? Cette élection a été perdue par le PQ parce qu’une partie importante des souverainistes a voté pour Québec solidaire, le Parti vert ou l’ADQ, sans compter ceux qui sont restés chez eux. Sans cette désaffection des souverainistes, le PQ formerait actuellement le gouvernement avec environ 45 % des suffrages. Un suivi des sondages menés depuis 2005 montre bien que la souveraineté est toujours plus populaire que le PQ.

On pourrait presque dire la même chose de l’élection du 1er octobre 2018. Cette récurrence désespérante, où on refait sans cesse les mêmes erreurs pour se réfugier ensuite dans le déni et continuer dans le même cadre stratégique peut-elle finir par nous mener, cette fois, à des conclusions différentes. Avec le temps, certaines décisions finissent peut-être par s’imposer de façon irréversible.

***

Au début de la récente campagne électorale, Le Devoir du 23 août 2018 titrait « Une campagne sans débat sur la souveraineté », le commentateur Michel David soulignant, dans la même édition, que « les dernières projections des sondages accordaient aussi peu que six sièges au PQ et cinq à Québec solidaire ». Cette élection allait être marquée par l’engagement du Parti québécois de ne pas faire de la souveraineté un thème de campagne. Les résultats de l’élection allaient s’avérer presque aussi désastreux que prévu.

Une campagne électorale provincialiste

Encore une fois, nous avons assisté impuissants à une campagne provincialiste selon le mode électoral traditionnel, sur des enjeux strictement provinciaux. Un déluge de 366 promesses différentes furent déposées au cours de la campagne par les quatre principaux partis. Il y en a eu pour toutes les clientèles et dans tous les domaines.

 

Table 1 – Élections 2018 – Nombre de promesses des partis

Domaine

CAQ

PLQ

PQ

QS

Santé

7

12

6

11

Éducation

11

13

6

11

Famille

9

3

4

5

Aînés

10

9

3

Transports

6

6

5

5

Économie, fiscalité

13

11

7

26

Agriculture, ressources naturelles

16

4

11

6

Immigration et identité

6

2

9

11

Culture

3

7

5

7

Environnement

8

9

5

13

Institutions, éthique, justice

17

7

16

TOTAL

106

77

68

111

Fait remarquable, mais sans nouveauté, cette foire aux propositions fut présentée sans tenir compte aucunement de la dépendance politique actuelle du Québec et de son statut de province. Essentiellement, tous les partis ont fait comme si le gouvernement canadien et ses interventions dans nos affaires n’existaient pas. Le Parti libéral bien sûr s’est gardé de remuer les cendres de son projet Meech-2.0 de réformette du système canadien, écarté sans appel par le gouvernement Trudeau en début d’année.

Dans les débats télévisés entre les chefs des quatre principaux partis, la question de l’indépendance fut reléguée dans un thème fourre-tout intitulé « identité et immigration ». Tout était donc prévu pour respecter la volonté du Parti québécois d’écarter l’indépendance comme l’un des thèmes de campagne. C’était sans compter avec Québec solidaire.

Au cours du dernier débat, contrairement au Parti québécois, la porte-parole de Québec solidaire vint rompre le consensus général. Manon Massé se décida à parler de l’indépendance, rappelant la position de son parti pour une démarche constituante vers l’indépendance qui serait entreprise dès le premier mandat. Elle affirma ensuite que le Québec devra quitter le Canada pétrolier, sans quoi il ne pourrait atteindre l’objectif d’un Québec sans pétrole pour 2050, comme le font d’autres pays. Cette affirmation devait lui permettre d’obtenir l’appui de beaucoup de gens, en particulier des jeunes, pour qui la question environnementale est prioritaire.

Au début du même débat, Jean-François Lisée, incapable d’influencer la courbe des sondages en faveur de son parti, perdit une bonne partie des appuis acquis lors des deux premiers débats. Il se disqualifia par une attaque hors sujet, jugée mesquine, mettant en cause la crédibilité de la porte-parole solidaire, lui demandant qui était le véritable chef de son parti, l’accusant de cacher son programme, pourtant disponible sur le site du parti.

Au cours de la fin de semaine précédant le lundi de l’élection, les sondages Léger et Ipsos donnaient des résultats assez semblables, laissant prévoir une lutte très serrée, d’une part entre la CAQ et le PLQ en tête, et d’autre part, entre le PQ et QS pour la troisième place.

 

Table 2 – % d’appuis aux 4 principaux partis

   

CAQ

PLQ

PQ

QS

Dernier sondage*

Total

32 %

30 %

19 %

17 %

18-34 ans

27 %

22 %

16 %

32 %

Francophones

37 %

17 %

24 %

20 %

 

Résultats

37 %

25 %

17 %

16 %

 

Considérant les abstentions

24 %

16 %

11 %

10 %

* Geneviève Lajoie, « Sondage Léger/Le Journal : la CAQ vers le pouvoir », Journal de Québec, 29 septembre 2018

Les chiffres du sondage Léger révélaient plusieurs tendances importantes :

  • Le Parti libéral arrivait désormais en 4e place chez les francophones.
  • 32 % des 18-34 appuyaient Québec solidaire, en première place des quatre partis, le Parti québécois occupant la dernière place avec 16 % d’appui chez les jeunes.
  • Au total, 48 % des jeunes appuyaient l’un ou l’autre des deux partis indépendantistes, un signe très encourageant pour l’avenir, contrastant avec les rapports alarmistes sur les jeunes et la souveraineté, lesquels ne considéraient que les seuls appuis au PQ.

    Les résultats du vote furent très près des derniers sondages, sauf pour ceux de la CAQ (+5 %) et du Parti libéral (-5 %). Le Parti québécois réussit de justesse à éviter le quatrième rang en décrochant in extremis un 10e siège de député et 17 % des votes exprimés, alors que Québec solidaire obtenait également 10 députés et 16 % des votes exprimés. Pour le mouvement indépendantiste, impossible de ne pas qualifier de désastreux ces résultats d’ensemble.

    De plus, avec 66,5 % de participation, les appuis réels des partis se sont soldés respectivement à 24 % (CAQ), 16 % (PLQ), 11 % (PQ) et 10 % (QS). Le principal parti a donc été celui des abstentionnistes avec 33,5 %. Quel recul de la démocratie québécoise depuis le résultat record de 93,52 % au référendum de 1995, le résultat de 23 ans de démission collective quant à notre avenir national !

    Une élection sans l’indépendance

    Que retenir de cette campagne quant à l’indépendance ? D’abord, comme dans les 7 dernières élections depuis le référendum de 1995, les indépendantistes se sont à nouveau privés d’une belle occasion de faire avancer leur option. L’appui à l’indépendance stagne depuis 23 ans, faute de défenseurs quand cela compte, au moment où on choisit notre gouvernement national, au moment où la population pourrait s’intéresser le plus à la politique, au moment où les idées de changement de régime pourraient progresser. Sur ce dernier plan, rappelons les progrès de l’appui à l’indépendance, tant lors du référendum québécois de 1995 que de celui du référendum écossais de 2014. Dans les deux cas, l’appui populaire à l’indépendance a progressé de plus de 10 % au cours de la seule campagne référendaire. Quand on parle d’indépendance, la preuve est faite que l’idée progresse.

    Au cours de la course à la chefferie du PQ en 2016, Jean-François Lisée avait affirmé : « l’engagement de tenir un référendum dans le premier mandat est suicidaire pour le Parti québécois ; si on s’entête, nous serons le troisième parti au Québec en 2018. On se sera marginalisé. Ce sera très dur pour la suite ». Or, ce qui est arrivé est encore pire ! En adoptant cette position attentiste, en offrant de reporter l’indépendance au prochain mandat, les membres du parti et leur chef n’ont pu empêcher la pire défaite électorale depuis la fondation du parti en 1968, il y a 50 ans. Les membres et la direction du parti se sont magistralement trompés, favorisant exactement ce qu’ils voulaient éviter ! On pourrait ajouter, encore une fois !

    Sans son option, le Parti québécois, parti de coalition dont l’indépendance est le ciment, s’est retrouvé écartelé entre ses différentes tendances. Pourquoi un indépendantiste aurait-il voté en 2018 pour un parti qui laisse de côté son option fondamentale à chaque élection ? Pourquoi ne pas voter selon ses priorités sociales ou économiques ou pour d’autres raison que l’indépendance si celle-ci est mise hors-jeu par le parti même qui est censé l’incarner. Le déplacement des appuis souverainistes et nationalistes du PQ, surtout vers la CAQ à droite, et aussi vers QS à gauche, a commencé à se faire sentir nettement dans les sondages dès le début de 2017. Suite à ce déplacement des appuis, la CAQ plutôt que le PQ devenait le meilleur choix pour ceux et celles dont la seule priorité était de battre les libéraux. Par la suite, l’effet à la baisse sur le vote pour le PQ a été aggravé par l’abstention des électeurs indépendantistes qui, bafoués quant à leur option nationale, ont décidé de rester chez eux. La participation électorale a été encore plus faible qu’à l’élection de 2014, en fait une des plus faibles depuis que l’on tient des statistiques sur le sujet.

    Pire, les efforts de la société civile depuis plus de cinq ans en vue de la convergence des partis indépendantistes ont été annihilés. Les propositions des OUI Québec, un temps endossés par les quatre principaux partis indépendantistes, ont dû être mises sur la glace, par l’effet conjugué de la décision du PQ de ne pas faire de l’indépendance un thème de l’élection et ensuite, par le refus de QS d’une alliance électorale avec le PQ. Les péquistes ont beaucoup souligné ce dernier événement, mais beaucoup moins l’impact de la décision du PQ sur ses alliés potentiels. Comme l’ont répété publiquement les porte-paroles de Québec solidaire et d’Option nationale, les ententes électorales devenaient impossibles avec un Parti québécois refusant de faire campagne sur l’indépendance.

    Enfin, en choisissant de se limiter à la gouvernance provinciale, le Parti québécois se restreignait dans les projets proposés aux électeurs. Pendant qu’il parlait de repas préparés pour les écoles ou de financement du covoiturage, des engagements sympas, mais de peu d’envergure, QS proposait un plan d’indépendance énergétique pour 2050, élément central d’un projet de pays fondé sur l’indépendance politique.

    La campagne électorale 2018 aura donc marqué la fin d’un cycle politique commencé en 1976 avec l’arrivée du Parti québécois au gouvernement. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il faut constater la fin d’une époque à laquelle plusieurs, j’en suis, ont consacré une partie de leur vie. Il faut malheureusement en tirer certaines conclusions.

    • Premièrement, le Parti québécois a perdu la majeure partie de ses appuis populaires, en deçà même du niveau de 1970. Que l’on aime cela ou non, le Parti québécois n’est plus le vaisseau amiral de l’indépendance. Sans doute est-il resté trop souvent en rade. Il pourrait redevenir un instrument utile pour l’indépendance s’il arrive à repenser son cadre stratégique et sa pratique politique. Mais cela nécessitera un douloureux changement de culture dont nous parlerons plus loin.
    • Deuxièmement, Québec solidaire a pu cette fois mieux incarner l’idéal indépendantiste du moins aux yeux de la jeune génération dont il est devenu le principal parti. Le vaste mouvement indépendantiste est désormais bipolaire.
    • Troisièmement, de nombreux souverainistes ou nationalistes ont fui vers l’illusion du nationalisme dans le cadre canadien, incarnée par François Legault. La réalité canadienne saura sans doute, avec le temps, en ramener plusieurs à la raison.

      Si le passé est garant de l’avenir, plusieurs indépendantistes, y compris au Parti québécois, seront tentés comme eux par le déni ou la démission, que cette démission se nomme « affirmation nationale », « défense des intérêts du Québec », « beau risque », « gouvernance souverainiste » ou « nationalisme autonomiste ».

      Notre choix doit évidemment être tout autre. Nous avons besoin d’une campagne indépendantiste permanente, déterminée, concertée, jusqu’à l’obtention d’un appui majoritaire à l’indépendance qui nous donnera un pays. Malgré cette défaite électorale désastreuse où le projet indépendantiste n’était cependant pas en jeu, l’appui à l’indépendance reste à peu près au niveau où il était en 1976. L’atteinte d’un moment majoritaire pour l’indépendance demeure possible. Mais pour que la longue marche des indépendantistes se rende à terme, il faudra une refondation radicale du mouvement indépendantiste.

      Vers une refondation

      Comme l’écrivait Pierre Vadeboncoeur en 1993 : « la réalité des choses nous met, comme peuple, dans une nécessité si rigoureuse qu’il n’y a plus de place, dans le choix à faire, pour une décision qui ne serait pas radicale. »

      À cette étape initiale de notre réflexion collective postélectorale, je propose quatre orientations en ce sens dont j’esquisse pour le moment les contours, soit la fin du cycle provincialisant, la promotion de projets de pays, la réalisation d’une démarche constituante et une forme de convergence indépendantiste pour la réaliser.

      Fin du cycle provincialisant

      La pratique politique dominante des partis indépendantistes jusqu’à maintenant s’est centrée sur la poursuite du pouvoir provincial, lequel est censé fournir les moyens nécessaires pour gagner un éventuel référendum, qui sera tenu « au moment opportun », « lorsque les conditions gagnantes sont réunies ».

      En reportant l’indépendance à un futur référendum, les raisons de faire l’indépendance doivent céder la place aux mesures que peut réaliser un gouvernement provincial. En fait, elles ne sont pas discutées du tout. Depuis le référendum de 1995 où elles ont été débattues pour la dernière fois avec succès, les porte-paroles indépendantistes nous rappellent de temps à autre qu’ils sont indépendantistes, mais on ne sait plus trop pourquoi. Pour gagner les élections, à Québec comme à Ottawa, les partis souverainistes et leurs porte-paroles ne peuvent que proposer des mesures réalisables à l’intérieur du régime canadien : un « bon gouvernement » pour la province, et la « défense des intérêts du Québec » à Ottawa. De ce fait, la question d’un avenir en dehors du régime canadien est évacuée du programme politique par ses propres défenseurs.

      Ce cadre stratégique « attentiste » est de plus en plus suicidaire. À chaque élection où l’indépendance n’est pas défendue, un grand nombre d’indépendantistes se désengagent de l’action politique, perdant espoir qu’on arrive un jour à l’objectif. Nous sommes, depuis la presque victoire de 1995, dans une spirale descendante qui constitue un véritable « cycle provincialisant », un cycle qui nous a enfoncés de plus en plus dans la pratique provincialiste, jusqu’à cette campagne de ٢٠١٨.

      2018novembredecembrePAQUETTEfig

  • La peur d’un éventuel échec référendaire est à l’origine de ce cycle provincialisant depuis 1996, que l’on peut résumer ainsi.

  • À chaque élection où on met de côté l’indépendance, les débats électoraux se déroulent sans projet de pays, sans présenter les raisons de nous donner un pays, sans proposer de projets à réaliser grâce aux moyens dont dispose un pays. On situe le débat dans le cadre du régime canadien qui nous est imposé.

  • Lorsqu’il forme le gouvernement, le Parti québécois se consacre à la gouvernance provinciale pour respecter le mandat qu’il a demandé et reçu de la population. Il doit tenter de réaliser ses engagements dans le cadre du régime canadien, avec les moyens limités d’une province.
  • C’est ensuite l’attentisme référendaire. Pendant la majeure partie d’un mandat électoral, rien ne se passe de significatif pour la promotion de l’indépendance. On ne parlera d’indépendance qu’aux convaincus dans les rencontres des partis et des mouvements.
  • Au gouvernement, le parti subit forcément les contraintes budgétaires et constitutionnelles inhérentes au statut de province. Dans presque tous ses projets, il devra requérir la participation du gouvernement canadien. Le gouvernement indépendantiste sera jugé en fonction de son efficacité comme acteur du régime canadien. Sous la pression des médias, il doit adapter son programme au contexte canadien, dans des directions parfois contraires à son programme politique.
  • Particulièrement lors des périodes de récession économique, les gestes du gouvernement sont mal compris des sympathisants souverainistes qui s’attendent à ce qu’on respecte les orientations du parti et que le combat souverainiste reprenne. Ces déceptions entraînent une démobilisation des membres.
  • Le recul des appuis au gouvernement alimente à son tour la peur de l’échec électoral, souvent confondu avec un rejet de l’indépendance. Constatant que la population n’est soi-disant « pas mûre » pour entendre parler d’indépendance, on reporte à nouveau l’échéance référendaire et on se prépare à une autre élection provincialiste. Et le cycle recommence !

    Pour rompre cette spirale descendante, il n’y a qu’un seul moyen : ramener l’enjeu de l’indépendance du Québec au cœur de chaque élection. Il faut prendre le risque de perdre, mais aussi se donner la chance de gagner. Une défaite à un troisième référendum peut faire peur à certains par son caractère quasi irréversible. Au contraire, perdre une élection signifie simplement que le peuple du Québec n’est pas encore prêt. On peut se reprendre à l’élection suivante.

    Pour se remettre en marche, pour parler d’indépendance et surtout être écouté largement, il faut absolument que la prochaine élection soit un moment marquant, déterminant, déclencheur d’une démarche vers l’indépendance. La question n’est pas de savoir s’il y aura ou non un référendum au cours du mandat suivant. La question est de savoir si le mouvement indépendantiste fera campagne, d’ici et pendant la prochaine élection, pour démarrer une démarche vers l’indépendance au cours du prochain mandat.

    Projets pour le pays

    Dans ce débat public sur l’indépendance qui doit absolument recommencer, nous devons proposer des projets pour le futur du pays du Québec en prise avec le réel, pour concrétiser l’indépendance. On doit mettre de l’avant des projets collectifs qui font un large consensus dans la population, mais pour lesquels nous sommes largement dépourvus de moyens sans l’indépendance. Plusieurs de ces projets ont été élaborés dans le rapport de la Commission des états généraux sur la souveraineté, publié en 2014, ainsi que dans mon dernier livre Un pays en tête (2017, Éditions du Renouveau québécois) qui prolonge cette initiative. Voici quelques-uns de ces projets.

  • Prendre en main et aménager le territoire du Québec, le 17e plus grand pays au monde ;
  • Peupler et développer les régions de ce vaste territoire, y aménager les transports, les communications, la culture, les services, le développement autocentré ;
  • Y développer intelligemment notre économie par l’innovation, la concertation, l’exportation ;
  • En même temps, protéger le climat et l’environnement et mettre en place un Québec sans pétrole pour 2050 ;
  • Contrer la pauvreté et la précarité en récupérant, en intégrant de façon cohérente les 30 programmes de soutien au revenu partagés entre les deux paliers de gouvernements, de sorte que tous et toutes aient les moyens de participer au développement du Québec ;
  • Consolider nos deux budgets publics pour réinvestir dans l’éducation et la santé ;
  • Faire du Québec un État français, fier de son identité et intégrant sa diversité (pour mettre fin à ce débat qui oppose ces deux questions) ;
  • Rapatrier et développer notre culture et nos communications qui sont largement aux mains de l’État canadien ;
  • Intégrer nos deux moitiés de systèmes de justice et renforcer la démocratie, le faire en fonction de nos valeurs ;
  • Et finalement, acquérir notre droit d’agir directement pour le progrès à l’international.

    De tels objectifs font largement consensus au Québec, mais pour en faire des projets crédibles, ils demandent à être élaborés, chiffrés, discutés dans le contexte où le Québec disposera de tous ses moyens actuellement répartis entre l’État québécois et l’État canadien.

    D’ici et pendant la prochaine élection, ces projets pourraient fournir le cadre d’une campagne permanente pour l’indépendance. Ils pourraient être mis de l’avant, chaque fois que l’actualité politique s’y prête, pour concrétiser l’indépendance et, en même temps, souligner l’urgence de récupérer nos moyens collectifs pour les réaliser.

    Démarche constituante

    On l’a bien vu lors de la récente élection, l’avenir du peuple québécois s’est enlisé dans les luttes partisanes. Il est grand temps de revenir au principe de base de la souveraineté des peuples. Le peuple québécois, pour la première fois de son histoire, doit élaborer la loi fondamentale qui le régit, sa constitution ou, pour paraphraser Jean-Jacques Rousseau, le « contrat social » entre les citoyen.ne.s qui fera du Québec une république libre et démocratique.

    La prochaine campagne électorale et l’action politique doivent servir à obtenir l’appui majoritaire des Québécoises et des Québécois en faveur d’une telle démarche constituante. Une telle démarche permettra de faire la pédagogie de l’émancipation dans l’action. En la réalisant, le peuple du Québec rejettera de facto la constitution canadienne qui lui a été imposée en 1867 et en 1982 puisqu’il entreprendra d’élaborer la sienne en lui donnant préséance sur tout autre cadre que l’on voudrait lui imposer.

    Le résultat de la démarche constituante, la constitution, est important, mais le processus, la démarche constituante elle-même l’est encore bien davantage. Il implique nécessairement un débat large, ouvert, fortement médiatisé, entre indépendantistes et autonomistes, une conversation nationale entre citoyen.ne.s qui veulent des changements profonds, par laquelle ils retrouveront leur agir collectif et leur « autorité sur eux-mêmes ». C’est cette conversation nationale qui nous mènera à un moment majoritaire dans la population à partir duquel un prochain référendum sur la constitution du Québec indépendant sera gagnant.

    Convergence indépendantiste

    Parti québécois, référendum et indépendance étaient devenus avec le temps des synonymes dans l’esprit de la majorité des gens. Ce n’est plus le cas maintenant. Le Parti québécois n’est plus le vaisseau amiral de l’indépendance. Il y a maintenant deux pôles indépendantistes sur la scène québécoise et autre parti défendant aussi l’indépendance et les intérêts du Québec sur la scène parlementaire canadienne. Les nombreux mouvements de la société civile, regroupés dans les OUI Québec, ont aussi un rôle important à jouer pour relancer le combat indépendantiste.

    Doit-on fusionner ou créer une alliance électorale entre les trois principaux partis politiques indépendantistes ? Doit-on fonder un nouveau parti indépendantiste en y appelant les militantes et les militants de ces partis et de ces mouvements ? Un nouveau parti doit-il œuvrer à la fois sur la scène québécoise et canadienne jusqu’à l’indépendance ? Doit-on chercher à unir dans un même véhicule politique une coalition indépendantiste large de la gauche à la droite ?

    Au-delà de ces solutions de structure, dont aucune n’est facile à réaliser, on doit plutôt se poser la question suivante : comment susciter un engagement large dans la société envers l’objectif de faire du Québec un pays ?

    Au cours des années soixante, la création du Parti québécois avait été le résultat d’un mouvement de société profond, le nouveau parti résultant d’une fusion des partis indépendantistes l’ayant précédé. Mais avec le temps, le parti a perdu progressivement contact avec les forces vives qui lui ont donné son élan initial, mené par une classe politique qui s’est professionnalisée, devenant en partie déconnectée de la population. C’est à cela sans doute que René Lévesque pensait lorsqu’il affirmait :

    Pour moi, tout parti politique n’est au fond qu’un mal nécessaire, un de ces instruments dont une société démocratique a besoin lorsque vient le moment de déléguer à des élus la responsabilité de ses intérêts collectifs. Mais les partis appelés à durer vieillissent généralement assez mal. Ils ont tendance à se transformer en églises laïques, hors desquelles point de salut.

    Au Parti québécois de nous démontrer, qu’il est autre chose qu’une « église laïque », ou qu’une machine électorale ; qu’il a gardé ses idéaux. Qu’il nous démontre qu’il peut se remettre profondément en question et qu’il est prêt à ouvrir un véritable dialogue avec les autres composantes du mouvement indépendantiste. Cette question s’adresse également à Québec solidaire qui n’arrive pas, non plus, à se mettre en campagne pour l’indépendance de façon permanente avant, pendant et après les élections. Avec l’aide des mouvements indépendantistes de la société civile, la convergence des partis indépendantistes doit plus que jamais être à l’ordre du jour, car il faudra bien, que la prochaine élection ramène une majorité de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale. Nous avons quatre ans devant nous pour ce faire.

    Pour réussir l’indépendance, il faut viser une coalition large, de la gauche à la droite, quelles que soient les allégeances partisanes, les classes sociales ou l’origine ethnoculturelle des citoyen-ne-s. Une telle coalition exigera la collaboration de tous les partis et des mouvements souverainistes, sociaux, écologistes, féministes, économiques. C’est à cette condition que l’indépendance se fera.

    Cette diversité est trop large pour coexister au sein d’un même parti politique. Cela me semble une évidence, encore plus qu’hier. L’époque d’un seul parti regroupant la majorité des indépendantistes est derrière nous. Il y a maintenant deux partis principaux à Québec qui peuvent viser ensemble à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Il y en aura peut-être plus que deux demain, pourquoi pas si un changement du mode de scrutin rend possible une plus grande mobilité des partis, comme en Catalogne ou en Écosse, offrant en même temps la possibilité de coaliser les énergies sur des objectifs vitaux pour l’ensemble de la population. Dans un nouveau contexte, chaque véhicule politique peut alors aller aller chercher sa part d’appuis à l’indépendance en fonction des affinités politiques qu’il véhicule, pour ensuite coaliser ces adhésions avec celles à l’égard d’autres partis en vue de constituer une majorité.

    Plutôt que de discuter de fusion de partis ou d’alliances électorales, il faut revenir pour le moment à définir une feuille de route commune entre les partis et les mouvements indépendantistes. Une fois cette initiative menée à terme, il faudra que les partis et les mouvements fassent la promotion de cette feuille de route au cours des prochaines années en vue d’obtenir un mandat de la population à l’élection 2022 pour la mettre en œuvre.

    Dans un premier temps, ce débat doit se dérouler essentiellement entre militants et militantes indépendantistes, et dans un deuxième temps, s’étendre à tous ces souverainistes fatigués et à ces nationalistes qui ont appuyé la Coalition avenir Québec ou qui sont restés chez eux parce qu’ils ne croient plus l’indépendance réalisable à court terme. C’est là où la société civile pourra jouer un grand rôle.

    Les perceptions démissionnaires ne seront renversées que si le mouvement indépendantiste retrouve sa cohésion et sa vigueur, tout en maintenant sa diversité pour atteindre les plus larges secteurs possible de la population.

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