Il est de coutume à l’aube de la nouvelle année de faire des vœux, de se redonner une espèce d’injonction à l’optimisme. Ce ne sera pas le cas cette année. Le mononc’ national aura ruiné le langage, abusé de la tournure familière du parler populaire en nous serinant à tout propos son insignifiant : « Ça va ben aller. ». Ça n’ira pas bien.
Le Québec va mettre un temps fou et gaspiller son énergie vitale à surmonter la honte que son gouvernement lui a infligée. Faire ça à nos enfants ! Leur infliger l’oisiveté désemparée. Leur imposer un coefficient de difficulté qui rendra le reste de l’année pénible et leur exigera des efforts de rattrapage aussi considérables qu’évitables. Lui qui n’avait que le mot fierté pour essayer de laisser entendre qu’il sait où il s’en va, lui, il n’aura qu’imposé la honte. Le traitement que le conflit scolaire a fait subir aux enfants est indigne d’une société qui s’estime encore capable de se projeter. Ce n’est pas comme ça qu’on veut vivre au Québec.
En plus d’avoir semé le désarroi chez des parents qui ont tenu le coup pour exprimer une admirable solidarité avec les grévistes, ce gouvernement a gravement hypothéqué l’école publique. En particulier l’école publique montréalaise, qui souffrira longtemps de la désertion vers le privé des parents que l’incurie politico-bureaucratique aura désespérés. Sans parler des professeurs éreintés par un conflit géré au nom des seules considérations comptables et des dogmes du New Public Management que les ministres assènent partout où ils peuvent. Et plus grave encore, pour toute la jeunesse que le spectacle a dégoutée et détournée des métiers si essentiels à la vitalité de notre culture, au développement de notre société.
Par-delà toutes les considérations tactiques et les enjeux de relations de travail, ce conflit a révélé une véritable crise sociale à bas bruit. Une souffrance sociale qui peine à se dire, empêtrée dans les alibis et la lâcheté politicienne – une lâcheté si canadian. Nos services publics que la pandémie avait commencé de faire voir très mal en point sont tout à coup apparus au seuil de l’effondrement. Les pseudo rationalisations budgétaires et l’internalisation du cadre financier du régime ont donné les résultats prévisibles : d’immenses lézardes font désormais voir une médiocrité qui promet une condamnation sans appel. Le rabaissement des idéaux de l’État-Providence, les hymnes au tout-au-marché et le durcissement des seuils de tolérance aux inégalités et à la médiocrité qui s’ensuit laissent le Québec dans un état honteux. La gestion provinciale sape tous les repères, sème le doute sur nos capacités collectives, instille le décrochage civique et la perte de confiance dans nos institutions – au premier chef la confiance en notre État.
Disposer d’autant de ressources, avoir rêvé si haut, se savoir porteur d’un tel potentiel et bénéficiaire d’un héritage si ambitieux et tout à coup s’épuiser à endurer les discours résignés ? Subir avec une colère rentrée les reculs consentis et la résignation d’un gouvernement de perdants, incapable de la moindre aspiration au dépassement ? Consentir à se laisser déporter aux marges de notre avenir parce que la province est gérée par une engeance qui se satisfait d’un horizon trop bas de plafond ? S’accommoder de ce que le Canada nous laisse ? Cela va frapper dur au cours de l’année qui vient.
La CAQ n’arrêtera pas sa dérive. Pas seulement parce que ce gouvernement ne sait pas où il va, mais bien parce qu’il est incapable de concevoir le moindre projet national. La liste des promesses brisées est interminable, les pirouettes rhétoriques ne suffiront plus à masquer cette gestion de l’amnésie que la pensée mononc’ essaie d’induire avec l’esbroufe digne d’Elvis Gratton. La fascination pour les gros chiffres, la jubilation de se sentir dans le coup en finançant la puissance des autres, cela ne s’arrêtera pas cette année. L’amnésie sélective, le mimétisme compensatoire, le reniement des engagements, la minimisation des pertes et la suffisance pétrie d’indigence intellectuelle affligeante, la province sera entraînée dans une folklorisation débilitante. Le tout mâtiné d’une prétention managériale à faire rire les plus serviles concierges.
La fonction historique de la CAQ, c’est de porter le régime à son ultime limite, celle de la régression historique. Celle de la démission devant les exigences de s’assumer. Ottawa retient l’argent et sous-finance la santé ? Qu’à cela ne tienne, la réforme Dubé va tenter de faire croire que les tableaux de bord vont compenser pour la pénurie de moyens. L’hypercentralisation fera le reste : semer la pagaille entre les organisations syndicales, bardasser les dynamiques institutionnelles et donner l’occasion au Top Gun de son choix de plastronner comme un mononc’ des États.
L’école publique s’en va à vau-l’eau, le ministre va pousser une toune en continuant de financer les filières de ségrégation scolaire. Pas d’États généraux pour se donner les moyens de penser et refaire un pacte national sur l’éducation et ses fonctions d’émancipation. La démission, toujours et encore. La crise du logement ? Vivement le catalogue d’Ottawa et un autre débat sur les normes nationales.
La culture québécoise est menacée par l’effritement de son architecture institutionnelle ? La pensée de bricoleur n’ose même pas revendiquer ce qui donnait des airs de visionnaire à Robert Bourassa qui se payait de mots avec la souveraineté culturelle. Mais il y aura des messages publicitaires pour vanter les charmes du français pendant qu’Ottawa planifie la noyade démographique. Le surnombre fera craquer les services publics. Le déni, toujours et encore Il faut s’y préparer et s’y faire. La CAQ n’a pas fini de s’épuiser à tenter de produire du simulacre, à semer les demi-mesures pour mieux faire semblant de ne pas renoncer à faire le nécessaire. Il faut sans doute que ces choses arrivent pour que meure la province.
Au programme de l’année qui vient, il faut donc inscrire la volonté farouche de ne pas se laisser distraire ou, pire, engloutir par la déprime démissionnaire. Le projet mononc’ de la CAQ ne produira que du rapetissement. Le régime que ce gouvernement sert par toutes les démissions n’a plus rien à faire de notre existence nationale. Il n’a plus rien à faire des concessions pour faire tolérer notre présence comme résidu historique. Le Canada n’a jamais été notre maison et il sera de moins en moins un loyer abordable. Nous y sommes condamnés à l’errance et aux divers stratagèmes de survivance. La crise à bas bruit que gère la pensée mononc’ en tentant de la masquer n’est rien d’autre que la progression de l’anomie culturelle, de la pratique du non-sens comme mode de gestion de la province. C’est une crise existentielle qui exige des réponses existentielles.
L’indépendance est le seul antidote à la honte que le déclassement consenti nous imposera à chaque fois que les oracles de la CAQ nous promettront le rattrapage avec l’Ontario, réduiront notre destin à la mesure de longévité d’une batterie verte pour faire fonctionner les projets des autres. Le seul projet de ce gouvernement est celui de faire vivre par procuration. Il veut troquer un destin pour un « deal ». Toutes les fois que François Legault prononcera le mot fierté, il faudra entendre l’appel à vivre dans la honte de soi-même. Dans la honte d’avoir osé penser la liberté comme un chemin. C’est pourtant notre route. Et nous ne laisserons pas les gestionnaires de la résignation nous en faire dévier.
Le combat pour l’indépendance va entrer dans une nouvelle phase. Cela finira bien par être la bonne. « Ça ne pourra pas toujours ne pas arriver » (Gaston Miron).
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