Deux grands mouvements géoéconomiques contemporains transforment les divers territoires du Québec. D’abord, l’étalement urbain en faible densité bât son plein en générant des coûts en équipements publics de plus en plus lourds à supporter. Ensuite, les périphéries subissent la croissante érosion de leur richesse créée dans des lieux où des équipements publics deviennent de moins en moins utilisés pour des raisons démographiques. Ces deux problèmes de fond souffrent d’un troisième que voici. Les collectivités territoriales ont beaucoup de mal à se doter chacune d’un projet global pour relever de manière innovatrice les enjeux de l’aménagement, de la gestion et du développement. Le Québec est en conséquence confronté à la lancinante question de la politique publique capable de résoudre ces problèmes et mieux maitriser ses territoires. Ce texte vise à apporter un certain éclairage par une analyse des différentes stratégies territoriales disponibles, avant d’aborder les enjeux très actuels à la lumière des résultats passés.
Stratégies territoriales
Plongeant ses racines historiques dans les desseins de Samuel de Champlain et ses successeurs, la politique territoriale du Québec présente une riche tradition. À l’image de ce vaste espace périphérique nord-américain, d’immenses défis associés à de grandes ambitions l’ont toujours animé. Prenant d’abord la forme d’un vaste réseau de comptoirs pour occuper la Nouvelle-France dont les frontières atteignaient alors les montagnes Rocheuses, le golfe du Mexique et le détroit de Hudson, la conquête de 1763 a marqué un rétrécissement brutal de la périphérie avec le repli collectif sur le mode de colonisation déjà en cours dans la vallée du Saint-Laurent. De nouvelles régions furent ensuite ouvertes par l’établissement de lieux et de milieux dispersés, souvent très distants. Cette extension territoriale s’est produite en parallèle avec un grand mouvement contraire, soit l’urbanisation du Québec. La transition d’une société rurale à 85 ٪ en 1850 vers une société urbaine à 80 ٪ en 1967 fut soutenue par le nouveau régime municipal flexible de 1855.
Du XVIIe au début du XXe siècle en réalité, la politique territoriale du Québec s’est articulée, à travers la recomposition continue des territoires mouvants, autour de sa vocation classique d’aménagement selon des finalités de gestion efficiente et de développement optimal. Une des stratégies à cet effet s’appuyait sur la concession de bassins et de gisements de ressources naturelles. Des modalités ont, à cet égard, évolué au fil des divers régimes terriens, miniers, hydrauliques, forestiers et éoliens. Elles furent souvent accompagnées de tarifs préférentiels et d‘allègements fiscaux. Tous ces incitatifs ont permis de lancer le processus de développement économique, social et culturel sur les territoires attrayants, de Kamouraska à Val-d’Or en passant par Havre-Saint-Pierre, La Guadeloupe, le Lac-Saint-Jean.
Principales composantes d’analyse de la politique territoriale
Théories |
Principes |
Stratégies |
Loi des avantages comparés |
Attraction d’activités et d’immobilisations |
Concessions de bassins de ressources |
Localisation |
Accessibilité / Mobilité |
Infrastructures de transport |
Polarisation |
Économies d’agglomérations |
Foyers de développement |
Communautaire Décentralisation |
Biens (équipements) et services collectifs |
Appropriation de responsabilités & leviers |
Innovation |
Savoir-faire nouveaux |
Apprentissage collectif |
Pour mieux soutenir la profitabilité des entreprises, l’État québécois a facilité l’accès aux territoires par la construction d’infrastructures de transports. La théorie de la localisation a généralement éclairé cette stratégie en illustrant la logique de l’accessibilité. Canaux, ports et chemins de fer furent construits. Le ministère de la Voirie a été mis sur pied en 1923. Après 1945, routes, autoroutes et aéroports se sont multipliés.
Dans cette veine d’une politique territoriale vigoureuse, ont aussi été établis des réseaux d’équipements et de services publics dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, du transport, des loisirs, de l’emploi, etc. Dans l’esprit d’une gouverne québécoise à l’écoute des clients, furent multipliées les agences publiques localisées et régionalisées qui épousèrent différentes aires de desserte et de gestion dénombrées à plus de 400 au début des années 1960. Elles s’ajoutèrent à celles des 2000commissions scolaires et des 1748 municipalités.
Mise en valeur limitée
Les effets de cette politique territoriale furent certes au rendez-vous. De nombreuses zones furent mises en valeur au Québec par l’agriculture et la foresterie, d’abord dans la grande vallée laurentienne et ensuite bien au-delà. Les exploitations maritimes se sont multipliées le long des côtes du Saint-Laurent et autour de la péninsule gaspésienne. Les périphéries Moyen-Nord et Gaspésie furent occupées par des immobilisations près des bassins et des gisements de ressources naturelles. Les complexes hydroélectriques des rivières Manicouagan, La Grande et ailleurs s’inscrivent tels des succès incontestables, même si l’extraction de la ressource ne génère pas toujours de retombées directement sur les lieux. Bref, le Québec a utilisé ses territoires pour créer de la richesse qui se cumule ensuite en certains lieux, notamment à Québec et Montréal.
À cet effet de cumul, Montréal a vu son développement fortement impulsé par sa localisation à la convergence des moyens de transport. Au milieu du XIXe siècle, cette ville bénéficia de la canalisation du fleuve pour déclasser en seconde position l’historique ville de Québec dans la polarisation des activités industrielles. Un siècle plus tard, l’ouverture de la voie maritime jusqu’aux Grands Lacs causa le même renversement de la polarisation, cette fois-ci au profit de Toronto qui, doté d’une large périphérie, s’en est trouvé propulsée. Montréal est à son tour devenue secondaire.
Force est de constater que malgré des décollages économiques souvent explosifs, les lieux périphériques impulsés ne progressent ensuite que très peu dans leur structure industrielle. Sauf pour certaines productions dans des niches spécifiques, les ressources naturelles sont largement livrées à l’état brut, peu valorisées. La richesse créée sur les lieux d’extraction fuit ainsi largement vers l’extérieur plutôt que d’être réinvestie dans la structuration des économies locales par la transformation des matières premières et la substitution des importations, et ce, malgré le volontarisme des élites économiques et politiques locales comme nationales. En ces lieux éloignés, les forces du marché ont la tête dure. Dès les années 1960, on constata que seule la hausse de l’extraction de la ressource (forestière, minière, maritime) permet de maintenir à flot le niveau d’emploi dans ces secteurs. De plus, le nombre en déclin des travailleurs agricoles, pour des raisons de progrès technique, alimente l’érosion au sein d’un écoumène ayant atteint ses limites.
Par contre, les avant-postes de la périphérie tels que Sept-Îles, Rouyn-Noranda, Baie-Comeau, Trois-Rivières, Gatineau et Rimouski, se structurent davantage grâce à leur localisation qui favorise la venue de certains établissements. C’est ainsi que Saguenay a pu considérablement progresser au cours du XXe siècle, particulièrement de 1942 à 1981, grâce à la dotation privilégiée de son immense réseau hydrographique régional, son importante base agricole, sa vaste réserve forestière ainsi que son unique carrefour naturel de transport. Cette « oasis nordique » vit néanmoins, depuis plus de 30 ans, un contre-cycle structurel qui s’enlise.
En réalité, le secteur manufacturier relativement dynamique ne traverse que très peu le fleuve vers le nord, avec seulement quelques poches ici et là à Maskinongé, Louiseville, Joliette et Trois-Rivières. Il est plutôt largement concentré au sud-est du Québec, entre Montréal et le corridor beauceron, tout en laissant une importante enclave appalachienne dans la zone Plessisville – Thetford Mines – Asbestos (carte). Notons que la région centrale de l’Outaouais ne fut aussi que peu industrialisée malgré des conditions territoriales relativement attrayantes. Il semble donc au Québec que les concessions de ressources rendues accessibles dans des lieux desservis par le secteur public ne créent pas des conditions suffisantes pour générer les avancées structurelles nécessaires au développement auto-entretenu.
Face aux résultats limités de la politique traditionnelle qui a certes permis l’extension territoriale, Québec chercha à bonifier ses stratégies dès le début des années 1960. Les recommandations du Conseil d’orientation économique du Québec (COÉQ) et de la Commission provinciale d’urbanisme (rapport La Haye) indiquèrent l’urgence d’intervenir vigoureusement. Le gouvernement fédéral canadien proposait de son côté des transferts spécifiques de crédits, avant de les retirer en 1989. Avec la création de l’Office de la planification et de développement du Québec (OPDQ) en 1968, le Québec s’est donné, pour un temps, les moyens d’intervenir davantage sur les territoires.
Polarisation
Pour servir de concept général à l’organisation territoriale, un système hiérarchique de pôles primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires a d’abord été établi.
Il a offert une solide logique pour l’ordonnancement des biens (équipements) et des services publics en multiplication à cette époque. La théorie à cet effet proposait de soutenir le mouvement naturel de concentration de la population et des activités dont les effets entrainants favorisaient le développement et aussi sa diffusion selon deux modalités soit hiérarchique, vers les pôles plus petits, et radiale dans les aires de rayonnement immédiat de chaque pôle.
On préconisa alors au Québec la création de foyers de croissance (usines, bureaux, etc.) dans des centres urbains de plus en plus accessibles par des réseaux de transport construits en forme d’étoiles. D’autres types de foyers ont aussi utilisé ces pôles de clientèle ordonnés, notamment les équipements et services des grands réseaux publics dans l’éducation, la santé, les loisirs, la recherche, le communautaire, etc. Après diverses phases de fusions municipales, la réforme de 2001 a permis de consolider les principales agglomérations urbaines. Depuis, les pôles québécois de différentes tailles sont en attente d’un cadre global pour renforcer leur rôle stratégique dans la structuration des territoires. La croissante mobilité des facteurs et des acteurs au sein d’un Québec de distance et de dispersion favorisait la diffusion radiale plutôt que hiérarchique du développement.
Pôles hiérarchisés établis par Québec en 1966
Primaires |
Secondaires |
Tertiaires |
Quaternaires |
Montréal |
Saint-Jérôme Joliette Saint-Hyacinthe Granby Sorel |
Sainte-Agathe Huntingdon Beloeil Bromont Nicolet |
Sainte-Marguerite Saint-Gabriel Acton Vale Waterloo Pierreville |
Québec |
Montmagny Saint-Georges Rouyn-Noranda Rimouski |
La Pocatière Sainte-Marie Amos Matane |
Rivière-Ouelle La Guadeloupe Matagami Saint-Ulrich |
Hull |
Thurso |
Nicolet |
Saint-François-du-Lac |
Sherbrooke |
Drummondville Victoriaville |
Richmond Plessisville |
Danville East-Angus |
Chicoutimi |
Alma Baie-Comeau |
Saint-Félicien Forestville |
Métabetchouan Essipit |
Trois-Rivières |
Shawinigan Louisville |
La Tuque St-Tite |
St-Jean-des-Piles Saint-Paulin |
Source : « Division du Québec en 10 régions et 25 sous-régions », Bureau de recherches économiques du Québec, Ministère de l’Industrie et du Commerce, 1966.

Régions administratives
C’est le rayonnement des principaux pôles qui a servi de critère en 1968 pour dessiner, à l’aide de la géographie, le contour des régions administratives. Ces aires uniformisées devaient servir la cohérence d’ensemble des directions et conseils régionaux des ministères de plus en plus dotés de programmes et de mesures publiques. Or, sept nouvelles régions furent ajoutées au compte en 1987. Mais le décret gouvernemental concernant la mise en place d’agences régionales sectorielles correspondantes n’a atteint, selon notre mesure de 1995, que 38 ٪ de son objectif institutionnel. Depuis, le nombre total de ces directions et conseils régionaux accuse un net recul obligeant ainsi de plus en plus d’agences à desservir plus d’une région.
Les gains d’efficacité dans la gestion régionale des programmes gouvernementaux furent néanmoins au rendez-vous, maximisés notamment par la planification stratégique sectorielle généralisée à partir de la politique de 1992. Fut aussi expérimentée la formule des sous-ministres adjoints en régions. En 2003, les Conseils régionaux de développement (CRD) ont été transformés en Conférences régionales des élus (CRÉ). Depuis, les ententes spécifiques de gestion se sont multipliées pour régionaliser les mesures ministérielles de Québec. La Loi de 2012 pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires (LAOVT) vise le renforcement des Conférences administratives régionales et confirme la mission gestionnaire des régions.
À cette échelle régionale, une lacune importante réside dans l’absence néfaste de concepts globaux capables, à la manière des communautés métropolitaines, de coordonner les choix dans l’aménagement du territoire. La concurrence entre les collectivités s’avère laissée à elle-même, sans cadre régulateur. Mis à part la hiérarchisation des pôles jadis établie, mais non réactualisée depuis, aucun concept global n‘existe non plus au Québec pour encadrer les vastes ensembles imbriqués tels que la vallée du St-Laurent, les régions nordiques, la péninsule gaspésienne et le corridor des Laurentides. Signalons aussi que certaines régions naturelles comme Charlevoix, Kamouraska, Témiscamingue et la Beauce s’avèrent intégrées à de vastes régions administratives qui ne favorisent guère leur spécificité territoriale.
Territoires MRC
Par contre, la bonification de la politique territoriale a permis de cibler la problématique urbaine/rurale en proposant en 1979 un mariage formel à l’échelle des nouvelles MRC (municipalités régionales de comté) chapeautées chacune par un conseil d’élus locaux. Le quadrillage de ces territoires s’effectua largement en respect du sentiment d’appartenance de la population. Encadré par le zonage agricole institué par Québec en 1978, une première génération de schémas d’aménagement fut produite assez rapidement par les conseils MRC au cours des années 1980. Puisque techniquement complexe et politiquement contraignant, l’exercice peine depuis à terminer sa 2e génération pour tous les territoires, tandis que la 3e génération s’avère en confection au sein de quelques territoires seulement, en dépit de l’impérative nécessité de ces outils devant en principe être renouvelés tous les cinq ans.
De nombreuses fonctions publiques épousent désormais ces aires MRC de gestion dans les champs fragmentés du scolaire, de l’emploi, de la formation, du commerce, du soutien aux initiatives, de la culture, des services sociaux, des affaires économiques, etc. L’efficacité dans ces secteurs bénéficie de la planification systématique des interventions et actions. En incluant les agglomérations fusionnées ayant un statut de MRC depuis 2002, près de la moitié de ces 101 territoires possède une bonne ou très bonne dynamique communautaire illustrée par des initiatives structurantes. Ces communautés en devenir sont généralement des territoires très ruraux (13 préfets élus) ou encore très urbains (14 villes-MRC). Parmi cette moitié, une vingtaine de territoires MRC s’avèrent beaucoup plus avancés que les autres face à l’appropriation collective du devenir communautaire. S’affirment même quelques réels projets globaux de collectivités. Dans ces cas de succès, la direction territoriale gagnante s’appuie généralement sur la qualité des relations intersectorielles (aménagement, services sociaux, éducation, culture, emploi, développement, transport collectif, environnement, etc.), par l’entremise d’un mécanisme approprié de planification capable de concilier les replis municipaux notamment ceux des pôles urbains plus imposants.
La seconde moitié de cas MRC, beaucoup moins réussis, illustre généralement une mixité urbaine/rurale complexe qui limite la recherche de l’équilibre entre les conseils municipaux de tailles non équivalentes, incluant de nombreux petits pôles certes structurants, mais souvent prompts à lever les barricades de leur autonomie.
Peu de leviers de développement
Les succès en matière de gestion territorialisée, autant des programmes gouvernementaux à l’échelle régionale que des biens et services collectifs à l’échelle MRC, ont clairement enrichis les conditions générales du soutien au développement social, culturel et économique. Du côté des leviers capables d’agir dans la structuration de l’économie, force est de constater que la réussite s’avère beaucoup moins évidente.
Certes, depuis 1976, des fonds publics territoriaux ciblés pour le financement d’initiatives furent régulièrement mis en place par Québec. Mais une infime minorité a pu émerger de l’épargne locale et régionale dans un esprit de cumul territorial de capitaux pour investir. Quelques belles expériences de coopératives s’inscrivent néanmoins en exemples, notamment dans la foresterie. À l’exception de la récente Société de l’énergie communautaire du Lac-Saint-Jean, il n’existe pas de société publique territoriale pour harnacher une rivière, pour exploiter une tourbière, une bleuetière, une érablière ou pour opérer une scierie, une usine, un atelier. Par contre, les collectivités gèrent des marinas, des campings, des terrains de golf, et même des aéroports maintenant. Mais d’une manière générale, l’aménagement demeure un levier de développement insuffisamment utilisé pour l’appropriation publique d’actifs tels que des terres, des terrains, des bâtiments à vocation économique, afin de mieux influencer les forces du marché. Précisons en outre que la prospection économique professionnelle qui est déjà utilisée par quelques villes de taille moyenne représente un rendez-vous manqué pour les régions et pour les MRC. Aussi, à ces échelons, il y a très peu de mécanismes collectifs d’incubation industrielle, de partage informationnel et de montage systématique de la faisabilité multicritère de projets.
Cette rareté des véritables leviers de développement économique est apparue au grand jour lors de la poussée régionaliste des années 1980. Signalons à cet effet que la très grande majorité des dossiers acceptés lors des deux générations de sommets régionaux réalisés de ١٩٨٢ à ١٩٩١ possédait une assise locale ou supra-locale. Très rares furent les projets embrassant toute une collectivité globalement. Certes pertinentes, les actions priorisées et réalisées se sont largement inscrites comme de simples outils de soutien en amont des réelles activités de production répondant au marché. Depuis cette époque, peu d’actions locales ou régionales concernent la recherche et la conception de projets économiques. Puisque cette proactivité était absente, la très désirée mise en place des CLD (centres locaux de développement) en 1998 visait justement à combler cette lacune. Ce qui du coup confirma le rôle des MRC en matière de développement territorial.
Urbanisation diffuse
L’étalement urbain (urbanisation diffuse) représente un fléau onéreux de la géographie économique actuelle du Québec. Mis à part la générosité des périmètres établis par les schémas d’aménagement actuels, quelques milliers d’hectares de terres agricoles sont annuellement dézonés par Québec pour des fins de lotissement. En réalité, les instruments de contrôle de l’étalement urbain demeurent très permissifs. À divers degrés et selon une variété de formes territoriales, l’inégale urbanisation diffuse s’avère ainsi présente partout autour des villes de diverses tailles dont les centres historiques se dévitalisent en général. Elle affirme de fait le polycentrisme de vastes zones en urbanisation de faibles et très faibles densités qui s’étalent jusque dans les milieux ruraux bien dotés en matière d’environnement naturel et de qualité de vie.
Au sein du principal ensemble, soit la grande région de Montréal, le mouvement d’étalement en cours peut être associé à de la « métapolisation ». Il étend le rayonnement de ce pôle (attraction/répulsion) dans toute la vallée laurentienne. Cette aire métapolitaine en puissance contient des couronnes, des pôles, des corridors, des zones spécialisées, dynamiques, interdépendantes et complémentaires qui alimentent l’île centrale de Montréal tout en la concurrençant. L’ordonnancement hiérarchique de ces pièces, non seulement détachées, mais aussi éclatées à l’interne, joue beaucoup moins que la fluidité des réseaux qui irriguent. Dans cette mouvance, des axes longeant les autoroutes se densifient, particulièrement l’attrayant corridor des Laurentides qui s’étend sur une largeur de quelques dizaines de kilomètres jusqu’à Mont-Tremblant. On distingue en outre clairement un anneau sud-est composé de quelques pôles bénéficiant des plus forts taux de croissance de l’emploi au Québec, soit Granby, Magog, Sherbrooke, Victoriaville, Drummondville et aussi St-Hyacinthe dans une moindre mesure. La formation de cet original anneau de développement s’explique par sa localisation privilégiée à proximité des trois marchés importants (Montréal – États-Unis – Ontario), par la qualité des conditions territoriales présentes pour les entreprises et les travailleurs ainsi que par sa facilité d’accès routier au reste du Québec.
La métapolisation laurentienne inclut aussi des pièces plus éloignées tout en illustrant des zones enclavées de diverses natures. Plus populeuse et ainsi plus étendue, l’agglomération de Québec fait aussi partie de cet ensemble. Cette ville dispose quant à elle de pôles satellites et aussi de quelques axes qui poussent plus loin son étalement, notamment vers la Beauce. Singulièrement, son centre historique s’avère relativement dynamique.
Le centre polycentrique et les corridors périphériques
Cette nouvelle réalité de l’urbanisation fait en réalité émerger au Québec de nombreuses formes territoriales nouvelles ne respectant pas les frontières des découpages officiels. Les méthodes de planification territoriale doivent s’adapter. Les PMAD (plans métropolitains d’aménagement et de développement) actuels de Québec et de Montréal représentent un premier pas de la politique territoriale en ce sens.
Érosion accrue des périphéries
L’érosion des périphéries représente une autre grande tendance à combattre sur l’espace Québec. Ces fuites financières hors des lieux où se crée la richesse limitent beaucoup la structuration de ces économies locales. D’autant plus qu’elles s’amplifient actuellement à l’aune des gains de productivité qui réduisent la masse salariale versée dans les circuits économiques locaux. De nombreuses municipalités s’avèrent dévitalisées ou en voie de l’être, particulièrement en périphérie intermédiaire, malgré la tendance séculaire à la production croissante en régions. La maîtrise de cette érosion s’avère à l’évidence très difficile, confirmée par les faibles résultats générés par plusieurs décennies de soutien public aux régions. On note néanmoins la présence de petits pôles ruraux jouant un important rôle structurant pour ces territoires.
En réalité, la politique territoriale fait face à des facteurs structurels bien connus, mais difficiles à maitriser en périphéries, tels que l’arrivée des technologies qui remplacent les postes de travail, bien sûr, mais aussi l’intégration des entreprises par des propriétaires extérieurs, le peu de valeur ajoutée aux matières premières avant leur expédition, les fortes importations de produits et services peu substitués par des productions locales, la rupture de certaines réserves de ressources.
À cet effet, le nouveau front nordique bien visible dans les indicateurs de la décennie 2000 génère des activités dans la construction et les services, mais ne crée au total que très peu de nouveaux emplois en périphéries. De fait, les emplois nouveaux comblent à peine ceux qui sont perdus. Aucun nouvel établissement humain fixe n’est par ailleurs prévu au nord. Les camps forestiers, miniers et hydroélectriques installés sur les sites recrutent largement au sud leurs travailleurs – navetteurs qui alimentent les flux économiques des lieux de résidence fixe. En réalité, le modèle qui s’affirme actuellement au nord ressemble à un mercantilisme primaire. À partir des pôles bien positionnés, des corridors de transport pénètrent profondément la périphérie pour y collecter des matières premières à livrer sur les marchés mondiaux.
En considérant les collectivités déjà existantes en périphéries, notamment les avant-postes qui, par leurs plus fortes assises économiques, sociales et culturelles, génèrent des économies d’agglomérations fort intéressantes à cette latitude, nous avançons que la conception d’une ceinture nordique, polycentrique, pourrait servir pertinemment à mieux retenir la richesse et la rediffuser en périphéries. La politique territoriale pourrait relever cet enjeu stratégique qui nécessite des outils novateurs.
Territoires innovateurs
À l’instar de la plupart des pays, le Québec tente de relever le défi de l’innovation comme important levier de développement universellement influencé par les conditions territoriales qui le soutiennent. Les interventions et les actions publiques territorialisées se multiplient à cet effet d’innovation, notamment dans les divers programmes de l’éducation supérieure. Plusieurs investissements furent consentis à la R et D (recherche et développement). La mission de formation professionnelle a tout simplement explosé en volume. Des centres de transfert technologique ont été établis, notamment ceux des cégeps qui ont essaimé à travers les territoires. Des mécanismes de financement du risque furent institués. Aussi, diverses formes d’incubation d’entreprises et d’initiatives furent encouragées dans leur expérimentation. Le réseautage des acteurs fut en outre sollicité par diverses méthodes et outils. Bref, les territoires servent d’ancrages pour une panoplie de fonctions publiques et collectives reliées au soutien public à l’innovation.
Afin de maximiser l’efficacité globale de ces interventions publiques, Québec mise sur la désignation de spécialisations, soit à l’échelle des régions avec les créneaux d’excellence ou soit à l’échelle des villes avec les technopoles. Or, ce phénomène de spécialisation sectorielle sur un territoire s’avère peu enraciné au Québec, si ce n’est l’ancien district de la fourrure à Montréal et la petite grappe du meuble dans Maskinongé. À travers l’espace, on observe plutôt des activités sectorielles dispersées et distantes dans les secteurs de la forêt, de l’aérospatial, de l’aluminium, du textile, etc. En réalité, la désignation de zones spécialisées au Québec indique surtout la volonté gouvernementale de construire in situ des grappes sectorielles innovatrices dans les secteurs du multimédia, de l’agroalimentaire, du maritime, de l’optique photonique, etc.
La réalité québécoise se traduit largement par des territoires qui renferment une variété d’activités dans l’agriculture, la construction, la foresterie, l’industrie, le commerce, la culture et les divers services. Cette relative diversité économique peut justifier le désir de diversification plus prononcée. Les milieux possèdent généralement aussi une bonne palette de services publics, y compris ceux précités qui sont associés au soutien à l’innovation. L’approche territoriale consiste en ce sens à miser sur une stratégie d’apprentissage collectif qui devient possible grâce à la proximité entre les divers acteurs. Les effets positifs de cette interaction cognitive font en principe émerger la créativité et des initiatives innovatrices non seulement pour les diverses entreprises, mais aussi pour toutes les organisations, y compris l’organisation générale du territoire. L’idéal étant d’en arriver à un projet global de collectivité innovante. Nul doute à cet effet que la planification territoriale représente l’outil préconisé afin de mobiliser et d’engager les divers acteurs concernés grâce à une médiation appropriée. À partir des actuelles pratiques gagnantes au Québec, la politique publique pourrait proposer une procédure générale de planification territoriale globale dont la finalité serait l’innovation.
Conclusion
La polarisation des activités et de la population demeure un phénomène fondamental sur l’espace Québec qui illustre une armature urbaine désormais moins hiérarchisée et beaucoup plus résiliaire. Ce qui participe à l’émergence de nouvelles formes territoriales polycentriques fortement influencées par l’urbanisation diffuse en faible densité. La grande région qui gravite autour de Montréal devient à cet effet « métapolitaine » avec de nouveaux moteurs de croissance tels que le corridor des Laurentides, l’anneau sud-est, la zone de Gatineau, le corridor de la Basse-Mauricie, la capitale Québec, le corridor beauceron. Plus loin en périphéries, les avantages comparés en matière de ressources naturelles n’assurent pas le développement régional auto-entretenu malgré l’important soutien public en infrastructures, équipements, services, tarifs préférentiels et accommodements fiscaux. L’érosion traditionnelle de ces lieux et milieux s’accroit actuellement, même si les petits pôles ruraux et les avant-postes de pénétration territoriale jouent certes un rôle de rétention de la richesse créée.
À travers cette géographie économique contemporaine, force est de constater la rareté de projets territorialisés aptes à relever globalement les enjeux de l’aménagement, de la gestion et du développement. Certaines réussites territoriales à cet effet s’avèrent largement attribuables à la qualité des relations intersectorielles d’une planification globale générant des effets entrainants capables de concilier les stériles replis municipaux, notamment ceux des pôles plus imposants. Malgré les succès relatifs, signalons néanmoins l’absence de réels leviers de développement territorial appropriés par les divers milieux.
À la lumière des théories et des faits en contexte québécois contemporain, nous avançons que la politique publique peut maitriser davantage les fléaux qui affligent les territoires. L’initiative doit venir du gouvernement, sur la base d’un cadre global modélisateur de l’imbrication de ses divers territoires. Il s’agit d’abord de fixer, avec une certaine flexibilité, les cibles pertinentes pour l’exercice de planification territoriale. Mobiliser ensuite les acteurs ancrés par échelles et par secteurs, non seulement par une démarche de concertation apte à faire converger les stratégies, mais aussi, et surtout, par l’entremise d’un processus de créativité et d’innovation à pointer vers les petits et grands enjeux concrets. À cet effet, une procédure largement utilisée par la politique publique universelle s’inscrit actuellement sous la forme d’un appel de l’État à des projets territoriaux globaux. Nous croyons que les conditions institutionnelles territoriales du Québec possèdent suffisamment de ressorts pour bien répondre à un tel appel public visant à mieux maitriser l’aménagement, la gestion et le développement. Plus que jamais en contexte contemporain, l’innovation doit devenir la finalité de la planification des divers territoires imbriqués qui composent le Québec.