La proportionnelle mixte: un miroir aux alouettes pour le Québec ?

Dans le numéro de novembre-décembre 2018 de L’Action nationale, Denis Monière présente les avantages d’un mode de scrutin proportionnel pour le Québec. Mais sont-ce réellement des avantages ? Examinons-les à la lumière de réalités vécues ailleurs et de prévisions pour le Québec.

 

Un premier « avantage » (p. 185) serait que la proportionnelle « assure une meilleure représentation des citoyens ». Or, cette représentation passe principalement par des partis politiques et marginalement par des indépendants. Si l’on regarde les résultats des dernières élections, en Allemagne, au Canada et au Québec, nous constatons ceci.

En proportion du nombre de sièges à son Assemblée nationale et de sa population, le Québec donne une bien meilleure représentation aux partis politiques que l’Allemagne proportionnaliste ! Et l’étude des résultats électoraux depuis 1960 corrobore ces résultats.

L’affirmation en page 189 que « L’introduction d’une part de proportionnelle a automatiquement pour effet d’accroître le nombre de partis » ne se vérifie donc pas empiriquement, à tout le moins quant à leur représentation dans les assemblées législatives. À noter aussi que le « Système majoritaire rationalisé » (voir tableau à la fin de cet article) présenté à la commission fédérale ERRE en 2016 aurait donné un député au Parti vert en 2018 et porté à 5 le nombre de partis représentés à notre Assemblée nationale.

 

Population

Sièges

% partis/sièges

Partis élus

Système électoral

Allemagne 2017

83 M

598*

6

1%

Proportionnel
mixte compensatoire

Canada 2017

37 M

338

5

1,5%

Majoritaire

Québec (2018)

8 M

125

4

3,2%

Majoritaire

* Mais 709 députés élus, les élections à la majorité (premières voix) donnant des majorités de députés telles qu’elles entraînent de fortes augmentations proportionnelles du nombre de députés.

Notons aussi que le Parlement canadien accueille des indépendants ; le système allemand, aucun.

Un deuxième avantage (p. 185) serait de « faire en sorte que chaque vote compte ». Or, la plupart des systèmes proportionnels appliquent des « quorums » (% minimum de votes pour obtenir des députés à la proportionnelle) ; ainsi, en Allemagne, 5% des votes ont été écartés de représentation au Bundestag aux dernières élections. Ces votes font donc des « électeurs orphelins » ! Au Québec, avec un quorum à 3%, comme il est suggéré à la page 189, le Parti Vert n’aurait eu aucun député.

Troisième avantage (p. 187) : la proportionnelle améliorerait la représentation des partis dans les régions, car les députés issus de la proportionnelle seraient attribués aux régions où des partis seraient sous-représentés. Oui. Mais le SMR en fait autant, car il garantit à tout parti un ratio « % de députés/% de votes », ratio qui peut être 0,8 ; et les députés ajoutés le seront primordialement dans les régions où un parti est sous-représenté. (Note : les députés ajoutés proviendraient ou de listes établies avant les élections, comme en systèmes proportionnels, ou de l’ensemble des candidats non élus.)

Quatrième avantage (p. 187) : accroître la parité hommes-femmes. Vrai dans la mesure où les députés ajoutés sont principalement des femmes ; ce qui ne saurait être un effet automatique du système, mais d’une décision de chaque parti de prioriser les femmes sur les listes de candidats établies avant le scrutin. Le SMR pourrait faire un critère légal de cette priorisation, au même titre que pour les régions. Le choix des députés issus de l’application des ratios pourrait être encadré par un ensemble de critères, comme pour la composition du Conseil fédéral (gouvernement) suisse.

Cinquième avantage (p. 187) : Permettre « une plus grande présence des députés auprès des citoyens », car « il y aurait un député par 35 000 électeurs inscrits ». Cela est une moyenne, mettant sur le même pied les députés de circonscription et ceux ajoutés par la proportionnelle, non rattachés à des circonscriptions. Il n’est donc pas acquis que ces derniers seront présents sur ces terrains… De plus, il est question de réduire le nombre de circonscriptions à 78 ; donc les députés de circonscriptions risquent d’avoir PLUS de travail, ou MOINS de présence à LEURS électeurs…

Sixième avantage (p. 187) : « Assurer la stabilité gouvernementale ». Effectivement, en Allemagne, c’est le même parti principal, le CDU-CSU, qui forme une coalition avec d’autres : 14 fois sur 17. Est-ce cela qu’on veut au Québec ? Poser la question, c’est y répondre… négativement. Ou veut-on des coalitions, presque toujours nécessaires en système proportionnel, afin d’induire une stabilité ? Mais il faudrait expliquer pourquoi cette stabilité serait nécessaire ou utile. Et pourquoi la stabilité des systèmes majoritaires serait moins bonne… Car l’histoire canadienne montre que le système majoritaire n’est pas fermé aux coalitions gouvernementales : Le Canada en a connu 7 sur 17 gouvernements, soit 41%, depuis 1963 (1963, 1965 et 1972 PLC ; 1979, PC ; 2004, PLC ; 2006 et 2008, PC). Ces gouvernements minoritaires reflètent bien l’incertitude ou la multiplicité des préoccupations dans la population à une élection donnée.

Autre forme de « stabilité », le système mixte allemand permet peu de mobilité des partis à la tête du Bundestag. En effet, depuis 1949, on n’y voit que les mêmes 4 grands partis : CDU, CSU, FDP et SPD. Mais puisque le CDU et le CSU ne forment en fait qu’un seul parti, on ne doit voir que trois partis en Allemagne. Contre six au Canada et quatre au Québec depuis 1963.

En conclusion, des avantages présentés de l’ajout d’un élément proportionnel à notre actuel système électoral s’apparenteraient plus aux miroirs aux alouettes… D’autant plus que la « rationalisation » proposée, faite à même les résultats d’élections donnés par le système majoritaire actuel, peut corriger simplement et efficacement ses écarts.

Note : Les ratios « garantis » (0,8 pour l’opposition officielle et 0,5 pour les tiers partis) peuvent être différents, voire ramenés à un seul, 0,8 par exemple, ce qui augmentera le nombre de partis représentés en Assemblée législative ainsi que le nombre de députés de chacun des « tiers partis », sans mettre en danger, généralement, le parti majoritaire au gouvernement. Voir la simulation qui suit.

Députés ajoutés aux tiers partis avec ratio de 0,8.
Puis % après rationalisation (nb de sièges/140)

CAQ

74

53%

Libéral

31

22%

Parti québécois

10 + 7

12%

Québec solidaire

10 + 6

11%

Vert

(1,7) 1

0,7

Conservateur

(1,5) 1

0,7%

Total pour les partis d’opposition : 35 dont 15 ajoutés ; donc une Assemblée nationale de 125 + 15 = 140 sièges.

Le parti gouvernemental perd 6 %, un peu comme en système proportionnel, mais conserve une majorité de sièges (53 %) et sa fonction.

 

Système majoritaire rationalisé appliqué aux résultats des élections générales du Québec, 2018 :
les Verts gagnent 1 député. Données tirées de: https://fr.wikipedia.org

 

Candidats

Élus

% sièges

Nombre de voix

% des voix

% Voix * Ratio * 125 = NN

Coalition avenir

125

74

59%

1 509 455

37,4%

(Ratio > 1 → 74)

Libéral

125

31

25%

1 001 037

24,8%

*0,8*125=24 → 31 → 31

Parti québécois

125

10

8%

687 995

17,1%

*0,5*125=10,7 → 10

Québec solidaire

125

10

8%

649 503

16,1%

*0,5*125=10,1 → 10

Vert

97

67 870

1,7%

*0,5*125= 1,1 → 1

Conservateur

101

59 055

1,5%

*0,5*125= 0,9 → 0